Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


                                                                                                                                 Date : 20121005

Dossiers : T-616-12

T-619-12

T-620-12

T-621-12

                                                                                                                                    T-633-12

T-634-12

T-635-12

 

Référence : 2012 CF 1172

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2012

En présence de madame la protonotaire Aronovitch

 

 

ENTRE :

 

T-616-12

 

 

LEEANNE BIELLI

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

MARC MAYRAND (DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS), URMA ELLIS (DIRECTRICE DU SCRUTIN DE DON VALLEY-EST), JOE DANIEL, YASMIN RATANSI, MARY TRAPANI HYNES, AKIL SADIKALI ET RYAN KIDD

 

 

 

défendeurs

 

ET ENTRE :

 

 


 

 

 

T-619-12

 

 

SANDRA McEWING ET BILL KERR

 

 

 

 

demandeurs

 

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

MARC MAYRAND (DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS), JOHANNA GAIL DENESIUK (DIRECTRICE DU SCRUTIN DE WINNIPEG SUD-CENTRE), JOYCE BATEMAN, ANITA NEVILLE,

DENNIS LEWYCKY, JOSHUA MCNEIL,

LYNDON B. FROESE, MATT HENDERSON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

défendeurs

 

ET ENTRE :

 

 

 

 

T-620-12

 

 

KAY BURKHART

 

 

 

 

demanderesse

 

 

et

 

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

MARC MAYRAND (DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS), DIANNE CELESTINE ZIMMERMAN (DIRECTRICE DU SCRUTIN DE SASKATOON-ROSETOWN-BIGGAR), KELLY BLOCK, LEE REANEY,

VICKI STRELIOFF, NETTIE WIEBE

 

 

 

 

défendeurs

 

ET ENTRE :

 

 


 


 

 

T-621-12

 

 

JEFF REID

 

 

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

 


 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

MARC MAYRAND (DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS), LAUREL DUPONT (DIRECTRICE DU SCRUTIN D’ELMWOOD‑TRANSCONA),

JIM MALOWAY, ILONA NIEMCZYK, LAWRENCE TOET, ELLEN YOUNG

 

 

 

 

défendeurs

 

ET ENTRE :

 

 

 

 

T-633-12

 

 

 

KEN FERANCE ET

PEGGY WALSH CRAIG

 

 

 

 

demandeurs

 

 

et

 

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

MARC MAYRAND (DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS), DIANNE JAMES MALLORY (DIRECTRICE DU SCRUTIN DE NIPISSING-TIMISKAMING), JAY ASPIN,

SCOTT EDWARD DALEY, RONA ECKERT, ANTHONY ROTA

 

 

 

 

défendeurs

 

ET ENTRE :

 

 


 

 

 

T-634-12

 

 

YVONNE KAFKA

 

 

 

 

demanderesse

 

 

et

 

 

 



LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

MARC MAYRAND (DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS), ALEXANDER GORDON (DIRECTEUR DU SCRUTIN DE L’ÎLE DE VANCOUVER‑NORD), JOHN DUNCAN, MIKE HOLLAND, RONNA‑RAE LEONARD, SUE MOEN, FRANK MARTIN,

JASON DRAPER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

défendeurs

 

ET ENTRE :

 

 

 

 

T-635-12

 

 

THOMAS JOHN PARLEE

 

 

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

MARC MAYRAND (DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS), SUSAN J. EDELMAN (DIRECTRICE DU SCRUTIN DU YUKON), RYAN LEEF, LARRY BAGNELL,

KEVIN BARR, JOHN STREICKER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

défendeurs

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

Introduction

 

[1]               Les présents motifs portent sur des requêtes intentées par les députés défendeurs dans lesquelles ils sollicitent des ordonnances enjoignant les demandeurs en l’espèce de fournir un cautionnement pour frais au montant total de 260 409 $. Les demandeurs sont neuf électeurs ayant présenté sept demandes sur le fondement de la Loi électorale du Canada en vue de contester les résultats de la 41e élection générale dans les circonscriptions de Don Valley‑Est, Winnipeg‑Sud-Centre, Saskatoon-Rosetown-Biggar, Elmwood-Transcona, Nipissing‑Timiskaming, l’île de Vancouver‑Nord et du Yukon.

 

[2]               Les demandeurs affirment que dans les jours qui ont précédé l’élection fédérale du 2 mai 2011, ils ont reçu des appels en direct ou automatisés (« robotisés ») dont certains prétendaient provenir d’Élections Canada, les ont adressés à des bureaux de scrutin inexistants, ou étaient de nature injurieuse ou harcelante. Pour ce motif, ils ont présenté des demandes fondées sur l’alinéa 524(1)b) de la Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9, dans lesquelles ils sollicitent l’annulation des résultats de l’élection dans les circonscriptions susmentionnées en raison d’une « irrégularité, fraude, manœuvre frauduleuse ou acte illégal ayant influé sur le résultat de l’élection ».

 

[3]               Les parties sollicitant une majoration du cautionnement pour frais sont les sept candidats du Parti conservateur du Canada (le PCC) qui ont été élus dans ces circonscriptions et sont actuellement députés au Parlement (les députés). Les autres défendeurs en l’espèce sont trois candidats défaits du Nouveau Parti démocratique (le NPD) dans les circonscriptions visées. Les trois défendeurs du NPD, bien qu’ils soient nommés défendeurs, appuient les demandes et ont également présenté des observations pour s’opposer aux présentes requêtes en majoration du cautionnement pour frais et, conjointement avec les demandeurs, sollicitent le rejet des requêtes.

 

[4]               À ce jour, les demandeurs ont chacun fourni un cautionnement pour frais obligatoire de 1 000 $, comme l’exige la Loi électorale du Canada. La Loi confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de majorer ce montant lorsqu’elle l’estime indiqué. Compte tenu de la complexité et de la portée du présent litige et des dépenses qui ne cessent d’augmenter, les députés défendeurs sont d’avis que le montant du cautionnement pour frais obligatoire payé par les demandeurs jusqu’à maintenant est inadéquat, et prie la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire de majorer le montant du cautionnement à plus de 260 000 $. Plus précisément, les députés sollicitent une majoration de 33 987 $ dans une demande, et de 37 737 $ dans les six autres, pour un total de 260 409 $.

 

Sommaire des conclusions de la Cour

 

[5]               Pour les motifs qui suivent, je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de majorer le cautionnement pour frais déjà fourni par les demandeurs, puisque je n’estime pas cette majoration indiquée dans les circonstances. Essentiellement, les députés défendeurs n’ont pas soulevé de motifs ni présenté d’éléments de preuve qui justifieraient tout paiement d’un cautionnement pour frais supplémentaire, encore moins au montant demandé.

 

 

 

 

Les requêtes en majoration du cautionnement pour frais

 

[6]               À l’appui de chacune de leurs requêtes, les députés défendeurs ont déposé en preuve l’affidavit pratiquement identique de Dan Hilton, directeur exécutif du Parti conservateur du Canada. Monsieur Hilton affirme que les demandeurs prient la Cour d’invalider les résultats de l’élection dans leur circonscription, sollicitant ainsi [traduction] « la réparation la plus extrême qu’ils peuvent obtenir en vertu de la Loi électorale du Canada ». Il fait valoir que les députés défendeurs sont tenus de se défendre contre ces demandes, à grands frais, comme le démontrent les mémoires de frais joints à chacun de ses affidavits attestant les frais engagés jusqu’à maintenant par chaque député dans le cadre du litige. Les députés sollicitent une augmentation de ces montants au moyen d’une majoration du cautionnement à payer par les demandeurs.

 

[7]               Monsieur Hilton fournit des extraits et des captures d’écran provenant du site Web et du blogue du Conseil des Canadiens (le Conseil) afin de démontrer que ce dernier appuie les demandeurs en l’espèce, notamment en sollicitant des dons auprès du public pour financer la poursuite des demandeurs. Il renvoie à un bulletin d’information dans lequel le Conseil lui‑même indique que les factures d’honoraires juridiques en l’espèce atteindraient 240 000 $ d’ici la fin de juin 2012, démontrant ainsi le coût élevé de l’instance.

 

[8]               Un article publié par le cabinet d’avocats des demandeurs est également joint à l’affidavit de M. Hilton, qui confirme que le Conseil a appuyé les demandeurs en organisant une collecte de fonds pour couvrir leurs dépens et en acceptant d’indemniser les demandeurs pour les dépens qu’ils devront engager s’ils n’ont pas gain de cause.

 

[9]               Les députés défendeurs se fondent sur les facteurs suivants pour justifier leur [traduction] « demande modeste » : les demandes ont été intentées plus de 10 mois après les élections contestées; les demandes comportent des allégations de fraude, ce qui justifierait normalement une adjudication des dépens selon « un barème d’indemnisation substantielle »; le dossier de preuve sera complet; le fait de se défendre contre les allégations s’est déjà avéré coûteux; et l’audience durera au moins trois jours.

 

[10]           Selon les députés défendeurs, seuls ces facteurs, et les circonstances mêmes de l’espèce, justifieraient une majoration du cautionnement pour frais dans l’esprit du législateur et des rédacteurs du par. 526(2) de la Loi électorale du Canada. Ainsi, les défendeurs comme les députés qui sont contraints de collecter des fonds par des lois en matière de financement des campagnes doivent se défendre contre une contestation judiciaire prolongée et coûteuse, qui pourrait entraîner la peine ultime de les chasser du pouvoir, intentée par des parties qui ont sans contredit l’avantage d’être financées, et qui seront assurées d’être ultimement indemnisées pour leurs dépens.

 

[11]           Dans ses observations à la Cour, l’avocat des députés défendeurs conteste la nature d’« intérêt public » des demandes sous-jacentes. Il qualifie le présent litige de situation de « gagnant-perdant », qui entraînerait de lourdes conséquences pour les députés s’ils n’ont pas gain de cause. Il met l’accent sur les coûts du litige pour les députés, et renvoie à la capacité des demandeurs de collecter des fonds contrairement à l’incapacité des députés de le faire compte tenu des restrictions qui leur sont imposées par l’art. 404 de la Loi électorale du Canada. Selon l’avocat, le fait que les demandeurs sont bien financés rend la question de l’accès à la justice théorique en l’espèce, et démontre qu’il n’y a aucune raison de dispenser les demandeurs de déposer un cautionnement pour frais majoré.

 

[12]           Les députés défendeurs prétendent que même si l’on peut dire que le présent litige est d’intérêt public, cela ne devrait pas l’emporter sur d’autres facteurs, et les demandeurs ne devraient donc pas avoir droit à un traitement préférentiel lorsqu’il s’agit de fixer les dépens : Khalil c. Canada, 2007 CF 1184, 324 F.T.R. 168, par. 10; Bow Valley Naturalists Society c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2002 CAF 515, [2002] A.C.F. no 1795, par. 10; Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada c. Canada, 2012 CF 234, [2012] A.C.F. no 279, par. 14.

 

[13]           Quant aux demandeurs, ils prétendent qu’il serait injuste dans les circonstances d’ordonner une majoration du cautionnement pour frais payable par les demandeurs, principalement parce que cette ordonnance serait contraire aux objectifs de la Loi électorale du Canada. Ils affirment que cette ordonnance entraverait leur accès à la justice en dissuadant ou en empêchant les électeurs de défendre leur droit démocratique de voter librement ou sans être influencés par des pratiques électorales frauduleuses. Étant donné que la Loi électorale du Canada permet à « tout » électeur qui était habile à voter dans une circonscription de contester le résultat de l’élection dans cette circonscription, les demandeurs affirment qu’il est impossible que seuls les électeurs fortunés puissent bénéficier de la loi.

 

[14]           C’est essentiellement le même argument qui est avancé au nom des candidats du NPD qui se sont opposés à la présente requête. Ils prétendent qu’il appartient collectivement à tous les Canadiens de veiller à ce que les demandes comme celles en l’espèce soient instruites sur le fond et sans être encombrées par des ordonnances sévères quant aux dépens : Wrzesnewskyj c. Canada (Attorney General), 2012 ONSC 3718, [2012] O.J. No. 3002, par. 9.

 

[15]           Les demandeurs prétendent également qu’en fin de compte, les parties à un litige d’intérêt public sont rarement condamnées aux dépens et que la logique qui sous‑tend cette façon de faire devrait s’appliquer au cautionnement pour frais. Ils soulignent que les dépens dans des litiges d’intérêt public ne sont pas toujours adjugés à la partie qui a gain de cause, et dans certains cas d’importance pour le public, ils ont été adjugés au demandeur débouté : Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] 3 R.C.S. 371, par. 20 et 39 [Okanagan]; Harris c. Canada, 2001 CFPI 1408, [2002] 2 C.F. 484, par. 222, décision citée dans Mitchikanibikok Inik c. Canada (Indian Affairs and Northern Development), 2010 CF 910, [2010] A.C.F. no 1113, par. 6; B.(R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315, 122 D.L.R. (4th) 1, arrêt cité dans Okanagan, précité, par. 29-30.

 

[16]           Malgré le par. 525(3) de la Loi électorale du Canada, selon lequel les demandes comme celles en l’espèce sont instruites « sans délai et selon la procédure sommaire », les députés défendeurs ont présenté requête après requête, causant des retards importants et ajoutant aux dépens du litige. Les demandeurs affirment que la présente requête en cautionnement pour frais n’est pas différente et que les députés défendeurs ne devraient pas être récompensés pour leur conduite.

 

[17]           Quant à la question des avantages liées au financement, les demandeurs indiquent que les députés défendeurs bénéficient déjà d’un avantage de financement important sous la forme d’avantages fiscaux pour les contributions au Parti conservateur du Canada, qui peuvent ensuite être utilisés pour financer leurs frais juridiques. À ce titre, les demandeurs devront payer jusqu’à 300 % de plus que les députés défendeurs dans le cadre du présent litige. Les demandeurs, en revanche, financent le litige avec l’aide du Conseil et ne peuvent bénéficier des mêmes avantages fiscaux. Majorer leur cautionnement pour frais accentuerait davantage cette injustice.

 

Motifs et conclusions de la Cour

 

[18]           Les paragraphes 526(1) et (2) de la Loi électorale du Canada sont rédigés comme suit :

 

Security, service of application

Increase of security

(2) The court may, if it considers it just, increase the amount of the security.

Cautionnement et signification


Majoration du cautionnement

(2) Le tribunal peut, s’il l’estime indiqué, majorer le montant du cautionnement.

 

[19]           Le montant obligatoire de 1 000 $ qui doit être payé au moment du dépôt n’a aucun rapport avec les dépens du litige. Il vise probablement à dissuader les demandes frivoles ou vexatoires. Cette question ne se soulève pas en l’espèce puisqu’elle a déjà été tranchée par notre Cour. Dans Bielli c. Canada (PG), 2012 CF 916, [2012] A.C.F. no 971, ma collègue, la protonotaire Milczynski, a conclu que loin d’être frivoles, vexatoires ou à l’évidence abusives, les demandes sous-jacentes soulèvent de graves questions relatives à l’intégrité du processus démocratique canadien qui imposent un examen judiciaire pour que la confiance du public dans le processus électoral soit maintenue. Compte tenu des conclusions de la Cour, aucune protection supplémentaire au moyen d’un cautionnement majoré n’est nécessaire pour éviter des actions mal fondées.

 

[20]           Les parties conviennent qu’il s’agit d’une affaire sans précédent. Le paragraphe 526(2) de la Loi électorale du Canada n’énonce aucun critère à prendre en compte pour déterminer ce qui est « juste » dans les circonstances. À ma connaissance, cette disposition n’a jamais été examinée par les tribunaux. Dans les circonstances, un examen de l’objectif des ordonnances quant aux cautionnements pour frais en général est justifié et intéressant.

 

[21]           L’objet principal du cautionnement pour frais n’est pas de financer les litiges, ni de corriger une inégalité de financement entre les parties. Ces ordonnances visent à assurer que toute adjudication des dépens probable contre une partie à l’issue de l’instance peut être recouvrée par la partie défenderesse ou intimée au litige, en l’espèce les députés. Autrement dit, en l’espèce, ces ordonnances protègent la capacité des députés à recouvrer tous les dépens qui peuvent être adjugés contre les demandeurs à l’issue du présent litige.

 

[22]           Cet objectif principal du cautionnement pour frais a été affirmé sans équivoque par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (CACB) dans l’arrêt Fat Mel's Restaurant Ltd. c. Canadian Northern Shield Insurance Co. (1993), 25 B.C.A.C. 95, 76 B.C.L.R. (2d) 231, par. 19 [Fat Mel’s Restaurant] et a été récemment confirmé par la même Cour dans Guinea Golden Mines G.G.M.-S.A.R.L. c. Cassidy Gold Corp., 2006 BCCA 200, 225 B.C.A.C. 99, par. 9 :

[traduction] Il convient de commencer par la question de savoir quel est l’objectif d’une ordonnance de cautionnement pour frais. Dans Island Research & Development Corp. c. Boeing Co. (3 janvier 1991), Doc. Vancouver C902161 (C.S.), le juge Spencer a affirmé ce qui suit (p. 3) :

 

L’objectif du cautionnement pour frais est de protéger le défendeur contre la probabilité que dans l’éventualité de son gain de cause, il sera incapable de recouvrer ses dépens de la part du demandeur. Le demandeur n’est pas autorisé à profiter d’une demande improbable aux dépens du défendeur. Parmi les facteurs à examiner pour trouver un juste équilibre entre le droit à la protection du défendeur et le droit du demandeur de présenter une demande éventuelle pour adjudication, on retrouve la probabilité que la demande soit accueillie, le niveau anticipé des dépens pour intenter l’action et la probabilité que le demandeur ait des actifs à partir desquels il pourrait payer les dépens du défendeur s’il est débouté.

[Non souligné dans l’original.]

 

[23]           Plus récemment, dans Residents & Ratepayers of Central Saanich Society c. Central Saanich (District), 2011 BCCA 340, 21 B.C.L.R. (5th) 33, par. 13 [Saanich], la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a appliqué ce principe à l’égard des parties à un litige d’intérêt public. Dans Saanich, la Cour a été appelée à examiner si la nature du litige dans cette affaire pouvait être invoquée pour empêcher les parties de fournir un cautionnement. Sans trancher la question, et bien qu’en reconnaissant qu’il peut y avoir des cas où il pourrait ne pas convenir de le faire, la Cour a conclu qu’il convenait d’ordonner un cautionnement pour frais à payer par les parties au litige d’intérêt public tout en réitérant le fondement sous‑jacent du cautionnement pour frais comme suit au paragraphe 15 :

 

[traduction] Il existe une présomption en faveur d’un cautionnement pour frais si une question grave est soulevée quant à savoir si le recouvrement peut être difficile.

 

[Non souligné dans l’original, références omises.]

 

 

[24]           Comme l’a affirmé la Cour dans Fat Mel's Restaurant et l’a réitéré plus généralement la jurisprudence, l’application du principe du cautionnement pour frais doit tenir compte d’une pondération des intérêts. Ainsi, bien que l’accès aux tribunaux par des parties de bonne foi ne doive pas être indûment restreint, il faut éviter les demandes frivoles ou abusives intentées par des parties qui ne pourraient pas payer les dépens. Toutefois, cette pondération n’entre en jeu que lorsqu’il y a des motifs de croire qu’un demandeur n’a pas suffisamment d’actifs pour satisfaire à une ordonnance de cautionnement pour frais, ou lorsque d’autres facteurs indiquent que le recouvrement des dépens sera difficile, voire impossible. Ces facteurs soulèvent la présomption en faveur d’un cautionnement pour frais et doivent ensuite être soupesés en fonction d’autres intérêts dont, surtout, l’intérêt de maintenir l’accès à la justice et aux tribunaux. Aucun facteur de cette nature n’a été allégué ou prouvé en l’espèce.

 

[25]           Les députés se fondent sur la force de leur preuve et prétendent que les demandeurs n’ont présenté aucune preuve, et surtout aucun élément de preuve démontrant leur indigence, ou leur manque de fonds, qui les empêcherait de poursuivre l’instance s’ils devaient fournir un cautionnement pour frais supplémentaire. Selon les députés défendeurs, la seule question que doit trancher la Cour relativement à la majoration du cautionnement pour frais déjà fourni est celle de savoir si un tel paiement, s’il est ordonné par la Cour, mettrait fin à la présente instance. Ils affirment qu’en l’absence d’une preuve démontrant que les demandeurs n’ont pas les moyens de payer le cautionnement pour frais, et que ce paiement entraverait leur capacité à poursuivre l’instance, la Cour doit conclure qu’un cautionnement pour frais supplémentaire est justifié, particulièrement compte tenu des majorations du cautionnement pour frais demandés par les députés, qu’ils qualifient de modestes.

 

[26]           Bien qu’il soit habilement présenté, l’argument équivaut à un renversement du fardeau de la preuve en l’espèce. En effet, il incombe aux parties requérantes, les députés défendeurs en l’espèce, de présenter des éléments de preuve qui portent sur les objectifs du cautionnement pour frais, preuve qui tendrait à démontrer que les députés risquent de ne pas être en mesure de recouvrer leurs dépens s’ils sont adjugés contre les demandeurs. En fait, la preuve présentée par les députés indique le contraire. Les demandeurs sont suffisamment financés, à un point où ils obtiendront vraisemblablement une indemnisation de leurs dépens dans le présent litige. À mon avis, la propre preuve des députés rend inutile la nécessité de majorer le cautionnement pour frais.

 

Conclusion

 

[27]           En résumé, les députés défendeurs n’ont pas présenté de motifs valables et pertinents ni d’éléments de preuve à l’appui de leur demande en vue de majorer le cautionnement pour frais payable par les demandeurs. Rien ne permet à la Cour de conclure que la majoration du cautionnement pour frais est justifiée, ou juste, dans les circonstances.

 

[28]           Comme je l’ai déjà indiqué, le but d’exiger un cautionnement pour frais n’est pas de financer le litige. Ni les enjeux importants du litige, ni une présumée inégalité de financement entre les parties ne justifient d’ordonner le dépôt d’un cautionnement. La nécessité d’une telle demande est établie uniquement lorsque l’on peut démontrer que les demandeurs n’ont pas suffisamment d’actifs pour couvrir les dépens, ou lorsque d’autres facteurs indiquent que le recouvrement des dépens sera difficile, voire improbable. Aucun de ces facteurs n’est présent en l’espèce. En fait, la propre preuve des députés défendeurs indique le contraire.

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.                  Les requêtes des députés défendeurs en vue d’obtenir une ordonnance majorant le cautionnement pour frais à fournir par les demandeurs, selon un barème d’indemnisation substantielle, pour un montant total de 260 409 $, sont rejetées.

2.                  Ayant entendu les observations des parties quant aux dépens, et concluant que les présentes requêtes ont retardé et encombré indûment la présente instance, la Cour ordonne également que les dépens des présentes requêtes soient payés aux demandeurs par les députés défendeurs, quelle que soit l’issue de la cause.

 

« R. Aronovitch »

Protonotaire

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.