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Date : 20130529

Dossier : IMM‑7489‑12

Référence : 2013 CF 566

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2013

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

JOSÉPHINE MUKAMUGANGA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision du 28 juin 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du Statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître à la demanderesse la qualité de réfugiée au sens de la Convention au sens de l’article 96 de la Loi ou celle de personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la Loi.

 

[2]               La demanderesse sollicite l’annulation de la décision de la Commission et demande à la Cour de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

Contexte

 

[3]               La demanderesse est une survivante du génocide de 1994 au Rwanda. Ses parents, un de ses fils et son mari, des Tutsis comme elle, ont tous péri lors du génocide. Elle a été grièvement blessée lors de l’attaque au cours de laquelle son mari a trouvé la mort. Elle a reconnu deux de ses agresseurs.

 

[4]               En 1996, lorsque les agresseurs en question sont revenus au Rwanda en provenance du Congo, le fils et le beau‑fils de la demanderesse ont porté plainte contre eux. Les agresseurs ont été arrêtés et emprisonnés pendant sept ans et remis en liberté en 2003.

 

[5]               La demanderesse allègue qu’une fois remis en liberté, les deux génocidaires en question ont mené une campagne de violence contre sa famille. Son beau‑fils a été tué en novembre 2003 le jour même où il a reçu un avis l’invitant à témoigner devant les tribunaux gacaca (des tribunaux populaires rwandais créés à la suite du génocide) au sujet du meurtre du mari de l’épouse de la demanderesse. La fille de la demanderesse a été agressée en 2004, à la suite de quoi elle a subi une fausse couche. Son fils a été tué en 2004 lors d’une agression au couteau. Les auteurs de cette agression n’ont jamais été retrouvés. La maison de la demanderesse a été détruite. Elle a signalé les incidents à la police, mais rien n’a été fait. En 2001, des grenades ont explosé près de sa maison à deux reprises. La police a conclu que la responsabilité de ces événements devait être imputée à des terroristes provenant de l’extérieur du pays qui se livraient à des actes de terreur aveugles.

 

[6]               La fille de la demanderesse a quitté le Rwanda en 2005 et s’est vu reconnaître le statut de réfugiée au Canada. Un autre de ses fils a quitté le Rwanda en 2011. La demanderesse souffrait d’hypertension artérielle et de maux de tête en raison du stress lié à la persécution dont elle était victime.

 

[7]               La demanderesse a profité de la possibilité qui lui était offerte de participer à une conférence religieuse aux États‑Unis pour s’enfuir du Rwanda. À son arrivée aux États‑Unis, elle a communiqué avec sa fille, qui se trouvait au Canada. Elle est arrivée au Canada le 25 juin 2011 et elle a demandé l’asile.

 

Décision de la Commission

 

[8]               L’examen de la demande d’asile par la Commission a occupé les deux jours qu’a duré l’audience le 26 avril et le 14 juin 2012. La Commission a rendu sa décision le 28 juin 2012 et a communiqué sa décision à la demanderesse le 5 juillet 2012.

 

[9]               La Commission a rejeté la demande d’asile de la demanderesse pour des raisons de crédibilité et en raison de l’existence de la protection de l’État.

 

[10]           La Commission a qualifié d’évasif le témoignage de la demanderesse à la première séance, ajoutant qu’elle n’avait pas répondu aux questions posées au sujet des faits récents, contrairement à ceux concernant le génocide de 1994. La Commission a expliqué qu’elle avait ajourné l’affaire pour permettre à la demanderesse d’obtenir des preuves médicales pour expliciter son témoignage vague ou pour demander des mesures d’adaptation en vertu des Directives sur les procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR. La demanderesse a produit un rapport médical lors de la seconde séance, mais ce rapport était en grande partie fondé sur des hypothèses et débordait le champ de compétence de son auteur. Aucune demande n’a été présentée en vertu des Directives.

 

[11]           La Commission a fait observer que la demanderesse n’avait produit aucun rapport de police pour confirmer son allégation qu’elle avait réclamé la protection de la police. Compte tenu du fait que la demanderesse était toujours en contact avec ses enfants au Rwanda, la Commission a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’elle produise ce genre d’élément de preuve.

 

[12]           La Commission a conclu que les agents de persécution n’avaient causé à la demanderesse et à sa famille aucun préjudice depuis 2003 ou 2006 et qu’ils ne présentaient qu’une menace indirecte qui n’était pas suffisamment grave pour être considérée comme une possibilité sérieuse.

 

[13]           La Commission a rejeté l’argument de l’avocat de la demanderesse suivant lequel celle‑ci faisait partie du groupe social des « témoins devant les gacaca », étant donné qu’elle avait soutenu catégoriquement qu’elle n’avait jamais envisagé de témoigner devant les tribunaux gacaca. La Commission a reconnu que la demanderesse était séropositive, mais a fait observer que personne n’avait soutenu qu’elle avait été persécutée pour cette raison.

 

[14]           La Commission a mis en doute l’affirmation de la demanderesse suivant laquelle elle avait profité d’une invitation à une conférence religieuse aux États‑Unis comme ruse pour sortir du pays, en soulignant qu’elle avait en fait assisté à la conférence. La Commission a tiré une inférence défavorable au sujet de la crédibilité de la demanderesse en raison du fait qu’elle n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis. La Commission a fait observer que les enfants de la demanderesse qui étaient demeurés au Rwanda n’avaient subi aucun préjudice.

 

[15]           Enfin, la Commission a rejeté l’allégation de la demanderesse suivant laquelle elle avait été violée, étant donné qu’elle n’avait pas soulevé cette question dans son Formulaire de renseignements personnels (FPR), dans les modifications apportées au formulaire ou dans sa preuve médicale.

 

[16]           La Commission a ensuite abordé la question de la protection de l’État. La Commission a abordé les principes relatifs à la protection de l’État et a expliqué que le Rwanda exerçait un contrôle effectif sur son territoire. La Commission a cité des extraits d’un rapport du Département d’État des États‑Unis sur la situation des droits de la personne au Rwanda dans lesquels il était question du contrôle exercé par les autorités civiles sur les forces de sécurité, des enquêtes menées et des poursuites intentées à la suite des exécutions effectuées par les forces de sécurité. Le rapport indiquait que le gouvernement avait ouvert des enquêtes et poursuivi des individus accusés d’avoir menacé ou blessé des survivants du génocide. D’autres rapports faisaient état de succès variables s’agissant de la protection de ces témoins. La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de la protection suffisante de l’État. La Commission a également conclu qu’il n’existait pas de raisons impérieuses, au sens du paragraphe 108(4) de la Loi, de ne pas renvoyer la demanderesse au Rwanda.

 

Questions en litige

 

[17]           La demanderesse soulève les questions litigieuses suivantes :

            1.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en refusant de reconnaître à la demanderesse la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou celle de personne à protéger?

            2.         La Commission a‑t‑elle agi sans compétence, outrepassé celle‑ci ou refusé de l’exercer?

            3.         La Commission a‑t‑elle fait défaut d’observer un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’elle était légalement tenue de respecter?

            4.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en rendant une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle‑ci soit manifeste ou non au vu du dossier?

            5.         La Commission a‑t‑elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

            6.         La Commission a‑t‑elle agi de toute autre façon contraire à la loi?

 

[18]           Je reformulerais comme suit les questions en litige :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         La Commission a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale?

            3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la demande d’asile de la demanderesse?

 

Observations écrites de la demanderesse

 

[19]           La demanderesse soutient que la Commission ne s’est pas demandé si elle était exposée à un risque en fonction des parties de son profil que la Commission avait acceptées.

 

[20]           La demanderesse affirme qu’en raison de la mauvaise qualité de la traduction, elle a été privée de son droit à une audience juste et équitable. La Commission s’est livrée à une analyse excessive des détails concernant les dates auxquelles elle avait déménagé d’une maison à l’autre, ajoutant qu’elle et l’interprète étaient confus. La Commission était surtout préoccupée par la durée de l’audience et on ne sait pas avec certitude en quoi consistaient les erreurs de traduction. La demanderesse soutient également qu’une partie de son témoignage ne se retrouve pas dans l’enregistrement de l’audience.

 

[21]           La demanderesse affirme que la Commission a eu tort de la qualifier de témoin peu coopératif, expliquant que la barrière de la langue l’empêchait de bien comprendre ce qu’on lui demandait. Elle affirme que la Commission a eu raison d’ajourner l’audience, mais qu’elle aurait dû ne pas tenir compte du témoignage qu’elle avait donné jusqu’à ce moment‑là, compte tenu de sa difficulté à témoigner. La Commission aurait dû considérer que la lettre du médecin démontrait qu’il aurait été possible d’évaluer son état psychologique. Le stress et la stigmatisation découlant du fait qu’elle est séropositive de même que la barrière de la langue l’ont empêchée de relater parfaitement les faits entourant sa demande d’asile.

 

[22]           La demanderesse affirme que la Commission a eu tort de tirer une conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité parce qu’elle n’avait pas produit de rapport de police. Le défaut de produire des pièces à l’appui ne saurait influencer défavorablement la crédibilité d’un demandeur d’asile dès lors qu’aucun élément de preuve n’a été présenté pour contredire son témoignage. Le récit circonstancié de la fille de la demanderesse corrobore la version des faits de sa mère. La Commission a conclu que les enfants de la demanderesse auraient pu aider cette dernière à obtenir des éléments de preuve documentaire, mais uniquement parce que la Commission a refusé d’admettre les courriels dans lesquels ses enfants lui disaient qu’ils avaient peur de quitter la maison.

 

[23]           La demanderesse affirme que la norme applicable en ce qui concerne la définition de réfugié n’est pas celle de la mort certaine, mais plutôt celle de la persécution. La demanderesse fait valoir qu’elle a été victime de persécution en raison des menaces et des violences déjà mentionnées dont elle a fait l’objet.

 

[24]           La demanderesse soutient que la Commission n’aurait pas dû rejeter sa demande d’asile en se fondant sur le fait qu’elle était un témoin gacaca et qu’elle n’avait jamais témoigné, étant donné qu’elle est toujours un témoin gacaca aux yeux de ses persécuteurs. La Commission n’a pas contesté le fait que la demanderesse avait été appelée à témoigner.

 

[25]           La demanderesse soutient par ailleurs que la Commission n’aurait pas dû conclure que son défaut de demander l’asile aux États‑Unis avait une incidence défavorable sur sa crédibilité. Suivant son témoignage, elle avait communiqué avec sa fille dès son arrivée aux États‑Unis. Il était raisonnable qu’elle loge à un endroit payé par son église alors qu’elle attendait sa fille. La Commission avait l’obligation de chercher à savoir pourquoi la demanderesse avait attendu avant de présenter sa demande et pourquoi elle ne l’avait en fin de compte pas présenté.

 

[26]           La demanderesse soutient que l’analyse de la protection de l’État à laquelle la Commission s’est livrée dépendait de sa conclusion au sujet de la crédibilité, étant donné qu’elle n’a pas tenu compte de l’argument de la demanderesse suivant lequel elle s’était adressée aux autorités de l’État à de nombreuses reprises pour obtenir la protection de l’État. La demanderesse affirme que l’analyse de la Commission était axée sur les efforts sérieux pour obtenir la protection de l’État au lieu du critère applicable de la suffisance de la protection de l’État.

 

[27]           Enfin, la demanderesse affirme que, comme son droit à l’équité à une audience équitable a été compromis, la décision de la Commission doit être annulée, et ce, indépendamment de la question de savoir s’il semble qu’une injustice aurait résulté si une décision différente avait été rendue.

 

Observations écrites du défendeur

 

[28]           Le défendeur affirme que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable et que la décision de la Commission appartient aux issues raisonnables acceptables.

 

[29]           Le défendeur affirme que la Commission a clairement analysé le profil de risque de la demanderesse en tant que Tutsi survivante du génocide. La Commission a expressément examiné la demande d’asile de la fille de la demanderesse, demande qui avait été accueillie, mais l’a distinguée de celle de sa mère au motif que celle‑ci était un témoin gacaca. Le défendeur souligne que la demanderesse n’a pas soumis d’élément de preuve tendant à démontrer que le traducteur avait mal interprété le témoignage de la demanderesse. Le défendeur souligne qu’il ressort de la transcription que la Commission a répété les questions et a employé différentes formulations pour tenter de préciser sa pensée. La demanderesse a affirmé à la Commission qu’elle comprenait l’interprète et l’avocat a informé la Commission qu’il n’avait pas de réserve au sujet du déroulement de l’audience lors de la première séance, mais qu’il avait de la difficulté à communiquer avec sa cliente. C’est la Commission qui a pris l’initiative d’ajourner l’affaire, estimant que la demanderesse et son avocat n’avaient pas soumis les éléments de preuve suggérés par la Commission.

 

[30]           Il était raisonnable de la part de la Commission d’accorder peu de poids à la lettre du médecin, compte tenu de son incertitude explicite au sujet de l’état psychologique de la demanderesse. Vu l’absence d’éléments de preuve expliquant la faiblesse du témoignage donné lors de la première séance, il était raisonnable de la part de la Commission de se fier sur ce témoignage.

 

[31]           Le défendeur soutient que l’argument de la demanderesse concernant l’extrait manquant de la transcription est mal fondé. La transcription semble complète. De plus, le mémoire de la demanderesse contredit l’affidavit de son avocat au sujet de la question de savoir si la présumée partie manquante porte sur la première ou la seconde journée d’audience. Les transcriptions incomplètes ne justifient pas en elles‑mêmes un contrôle judiciaire et la demanderesse n’a pas démontré qu’elle avait subi un préjudice du fait de cette omission.

 

[32]           Le défendeur soutient que le fait de rechercher des éléments de preuve corroborants lorsque la crédibilité du demandeur est mise en cause est une question de bon sens confirmée par la jurisprudence. La Commission n’a pas accepté que la demanderesse avait subi récemment des menaces et elle ne l’a pas obligée à démontrer avec certitude qu’elle serait tuée. Les déclarations faites par la demanderesse au point d’entrée contredisaient son témoignage quant à la question de savoir si elle avait témoigné devant le tribunal gacaca. Il était raisonnable de la part de la Commission de s’interroger au sujet du défaut de la demanderesse de se réclamer de la protection des États‑Unis.

 

[33]           Le défendeur souligne que l’analyse que la Commission a faite de la protection de l’État a joué un rôle déterminant en l’espèce, en plus de la conclusion défavorable qu’elle a tirée au sujet de la crédibilité. La Commission ne s’est pas fondée sur son analyse des efforts sérieux. Elle a estimé que l’État rwandais était disposé et apte à protéger les survivants du génocide.

 

Analyse et décision

 

[34]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence a déjà arrêté la norme de contrôle applicable à une question particulière soumise au tribunal, la juridiction de révision peut adopter cette norme (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[35]           Il est de jurisprudence constante que les conclusions relatives à la crédibilité, qui constituent « l’essentiel de la compétence de la Commission », sont essentiellement de pures conclusions de fait qui sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] ACF no 162, au paragraphe 7; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 46; et Demirtas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 584, [2011] ACF no 786, au paragraphe 23). De même, l’appréciation de la preuve et l’interprétation et l’évaluation de la preuve sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Oluwafemi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 FC 1045, [2009] ACF no 1286, au paragraphe 38).

 

[36]           Lorsqu’elle procède au contrôle de la décision de la Commission selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit intervenir que si la Commission est arrivée à une conclusion qui n’est pas justifiable, transparente et intelligible et qui n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59). Comme la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Khosa, précité, les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, et il ne rentre pas dans leurs attributions de soupeser à nouveau les éléments de preuve (au paragraphe 59).

 

[37]           Il est de jurisprudence constante qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence sur les questions d’équité procédurale (Dunsmuir, précité, au paragraphe 50).

 

[38]           Deuxième question

            La Commission a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale?

            La demanderesse affirme que l’interprétation fautive de la Commission a compromis l’équité de l’audience, mais elle n’a produit aucune preuve pour démontrer ces erreurs. L’argument avancé par son avocat semble être le suivant : notre Cour doit déduire de l’échange manifestement difficile de questions et de réponses que la traduction est la source du problème. Malheureusement, on ne peut tirer une telle conclusion parce qu’il est tout autant possible que la traduction ait été parfaitement acceptable, mais que la demanderesse n’ait tout simplement pas répondu correctement aux questions posées par la Commission. Comme le défendeur le souligne, l’avocat de la demanderesse a lui‑même eu de la difficulté à interagir avec sa cliente, ce qui n’a rien à avoir avec la qualité des services de l’interprète de la Commission.

 

[39]           Étant donné qu’il incombe à la demanderesse de faire la preuve de tout manquement à l’équité procédurale, il m’est impossible de conclure à un tel manquement pour cause d’une mauvaise traduction.

 

[40]           Il peut fort bien exister d’autres raisons légitimes qui expliquent la mauvaise communication entre la demanderesse et la Commission à l’audience. Toutefois, étant donné que l’avocat de la demanderesse n’a pas donné suite à la suggestion de la Commission de déposer des éléments de preuve psychologiques ou de présenter une demande de mesures d’adaptation d’ordre procédural, il n’y a tout simplement aucun élément de preuve sur la question permettant de conclure que l’équité de l’audience s’en est trouvée compromise.

 

[41]           La demanderesse a affirmé qu’il manquait une partie de la transcription. Or, il ressort de l’examen du dossier qu’il semble qu’au début de la seconde journée d’audience, l’appareil d’enregistrement était éteint. Une partie de l’interrogatoire de l’avocat de la demanderesse n’a donc pas été enregistrée. On n’a pas expliqué en quoi cette omission avait eu une incidence sur la demande d’asile de la demanderesse. J’estime que, vu l’ensemble des faits de l’espèce, aucun manquement à l’équité procédurale n’en a résulté.

 

[42]           Suivant mon expérience, lorsque le tribunal propose de son propre chef une forme quelconque de preuve ou de stratégie procédurale, les parties devraient, dans la mesure du possible, y donner suite. Cela est particulièrement vrai lorsqu’on laisse entendre qu’il peut exister des difficultés d’ordre psychologique qui peuvent nuire à la capacité d’une partie de donner des instructions à son avocat. Jusqu’à maintenant, on ne trouve au dossier aucun élément de preuve concernant l’état psychologique de la demanderesse, malgré les réserves exprimées par la Commission auxquelles notre Cour souscrit et malgré l’expérience vécue par la demanderesse en tant que survivante d’un des pires traumatismes vécus à l’échelle planétaire dans l’histoire récente. Aucune explication n’a non plus été donnée pour expliquer pourquoi ces éléments de preuve n’avaient pas été fournis.

 

[43]           Troisième question

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la demande d’asile de la demanderesse?

            Ainsi qu’il ressort à l’évidence de la jurisprudence précitée, notre Cour répugne à modifier les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité, vu l’importance des témoignages. L’examen de la transcription en l’espèce confirme les difficultés qu’a eues la Commission à recueillir des renseignements de base au sujet de la demande d’asile de la demanderesse. Sous réserve des préoccupations que j’ai déjà formulées au sujet du manque d’éléments de preuve qui pourrait expliquer la difficulté de la demanderesse à répondre à ces questions, il était raisonnable de la part de la Commission de mettre sa crédibilité en doute en raison des contradictions relevées entre sa preuve écrite et son témoignage et son incapacité à fournir des détails au sujet des menaces récentes dont elle avait fait l’objet et des menaces à venir. Compte tenu de ces doutes, il était également raisonnable de la part de la Commission de se renseigner au sujet des preuves documentaires concernant les plaintes que la demanderesse affirmait avoir portées à la police.

 

[44]           Contrairement à ce que prétend la demanderesse, la Commission a effectivement accepté qu’elle était une survivante du génocide de 1994 et elle a analysé les risques auxquels elle était exposée en fonction de ce fait, comme le démontrent les extraits du rapport sur la situation au pays concernant précisément ce risque. Bien que je sois d’accord avec la demanderesse pour dire que le critère des « efforts sérieux » constitue une démarche qui comporte des lacunes en ce qui concerne l’analyse de la protection de l’État, ce n’est pas la démarche qu’a suivie la Commission. Les extraits cités par la Commission parlaient de la capacité et de la volonté de l’État rwandais d’assurer la protection des survivants du génocide.

 

[45]           Je suis d’accord avec la Commission et avec le défendeur pour dire que la demanderesse mérite qu’on lui témoigne notre plus profonde sympathie. Les motifs précisés aux articles 96 et 97 de la Loi ne peuvent toutefois aider même les demandeurs qui méritent la plus grande sympathie dès lors qu’ils ne répondent pas aux critères bien précis de ces dispositions. La demanderesse et son avocat n’ont pas réussi à persuader la Commission que la demanderesse répond aux définitions prévues par ces articles et ils n’ont pas réussi à persuader notre Cour que la Commission a commis une erreur justifiant l’infirmation de sa décision en rendant sa décision.

 

[46]           Compte tenu des éléments de preuve soumis à la Commission, la conclusion tirée par cette dernière était transparente, justifiable et intelligible et elle appartenait aux issues acceptables. Je suis par conséquent d’avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[47]           Aucune des parties n’a souhaité me soumettre de question grave de portée générale en vue de sa certification.


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7489‑12

 

INTITULÉ :                                                  JOSÉPHINE MUKAMUGANGA

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 6 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 29 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alla Kikinova

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Bradley Béchard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Loebach

London (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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