Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 20130529

Dossier : IMM‑9496‑12

Référence : 2013 CF 567

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2013

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

NIKISHA BLACKWOOD

JAKKIN JEANELLE ST. HILL

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision, en date du 12 septembre 2012, par laquelle un agent d’exécution de la loi pour services intérieurs (l’agent) de l’Agence des services frontaliers du Canada a rejeté la demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada prise contre les demandeurs.

 

[2]               Les demandeurs demandent à la Cour d’annuler la décision de l’agent et de renvoyer la demande à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) pour nouvel examen.

 

Le contexte

 

[3]               Nikisha Blackwood, la demanderesse principale, est une citoyenne de Sainte‑Lucie. Elle est arrivée au Canada le 14 octobre 2000 en qualité de résidente temporaire. L’aîné de ses enfants, qui est aussi le deuxième demandeur, Jakkin Jeanelle St. Hill, est arrivé au Canada le 2 mars 2001 avec le même statut. Son deuxième enfant est né à Toronto le 24 mai 2001. Le 4 février 2002, la demanderesse et son aîné ont demandé l’asile. Leur demande a été rejetée le 30 juillet 2003.

 

[4]               La demanderesse et son enfant ne se sont pas présentés à l’entrevue préalable au renvoi. Le deuxième enfant de la demanderesse est retourné à Sainte‑Lucie en 2004, tandis que la demanderesse et son aîné ont quitté le Canada en juillet 2005. Elle a légalement changé de nom et est revenue au Canada en septembre 2005. Son plus jeune enfant est né en juillet 2007. En février 2008, la demanderesse a quitté une nouvelle fois le Canada et y est revenue en décembre de la même année. Elle a été détenue avant d’être libérée le 18 mai 2010. Ce même jour, les demandeurs ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR).

 

[5]               La demanderesse principale a présenté une demande de résidence permanente à titre de conjointe de fait le 28 juin 2010. La demande d’ERAR a été rejetée le 21 juillet 2011. La demanderesse principale a alors été détenue pendant huit jours avant d’être libérée sous caution. Le 19 septembre 2011, sa demande à titre de conjoint a été approuvée en principe. Le 30 janvier 2012, un mandat d’arrestation a été décerné contre elle parce qu’elle avait violé les conditions de sa libération qui l’obligeaient à signaler tout changement d’adresse.

 

[6]               Le 31 janvier 2011, la demande à titre de conjoint a été retirée en raison du désistement du répondant. La demanderesse principale a été placée en détention le jour même; elle y a passé un mois avant d’être remise en liberté sous caution. Elle a présenté une demande de résidence permanente fondée des considérations humanitaires (demande CH) le 10 avril 2012.

 

[7]               Le 10 août 2012, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a accordé à la demanderesse principale la garde exclusive de ses trois enfants.

 

[8]               Le 31 août 2012, la demanderesse principale a reçu l’ordre de se présenter pour son renvoi. Le même jour, elle a demandé qu’il soit sursis à l’exécution de ladite mesure de renvoi.

 

Décision de l’agent

 

[9]               Le 12 septembre 2012, l’agent a rejeté la demande de report de la demanderesse. Le 14 septembre 2012, la juge Elizabeth Heneghan de la Cour a accepté qu’il soit sursis au renvoi en attendant l’issue de la présente demande

 

[10]           Dans ses motifs, l’agent commence par exposer les antécédents de la demanderesse principale en matière d’immigration. Il poursuit en précisant que l’ASFC est tenue, aux termes du paragraphe 48(2) de la Loi, d’appliquer la mesure de renvoi dès que les circonstances le permettent. Il insiste sur le fait que l’agent d’exécution de la loi a très peu de marge de manœuvre pour surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi.

 

[11]           L’agent s’intéresse ensuite au premier motif de renvoi soulevé par la demanderesse principale, sa demande CH en cours. Il constate que la demande a été reçue par Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) le 10 avril 2012 et il cite le manuel d’instruction IP5 selon lequel une telle demande n’a pas pour effet de retarder l’exécution de la mesure de renvoi. S’appuyant sur les mêmes sources, il conclut que la mesure de renvoi ne rend pas théorique la demande CH, et ajoute que le conseil n’a pas démontré que la décision CH devait être rendue incessamment. Bien qu’il n’ait pas le pouvoir d’évaluer une demande CH, précise-t-il, il peut examiner les autres éléments présentés à l’appui de la demande de report.

 

[12]           L’agent examine ensuite l’établissement de la famille au Canada. Il cite les observations de la demanderesse principale dans lesquelles elle décrit son emploi et les ordonnances alimentaires dont bénéficie sa famille, et indique qu’elle a présenté des éléments de preuve documentaire, notamment des déclarations d’impôt, un bail résidentiel et une lettre d’emploi.

 

[13]           L’agent admet que le processus de renvoi est complexe et que la demanderesse principale a travaillé pour subvenir aux besoins de sa famille au Canada et qu’elle s’est employée à établir des liens. Il mentionne toutefois qu’elle ne peut plus obtenir de permis de travail parce qu’elle est visée par une mesure de renvoi exécutoire et qu’elle n’a pas démontré qu’elle ne pourrait pas recevoir de pension alimentaire pour elle et ses enfants après avoir quitté le Canada. Après avoir examiné les lettres d’appui décrivant les progrès accomplis par la demanderesse principale pour surmonter le traumatisme causé par son ex‑mari, il conclut que la preuve n’est pas suffisante pour justifier le report du renvoi.

 

[14]           L’agent constate que la demanderesse principale a passé la plus grande partie de sa vie à Sainte‑Lucie, qu’elle a quitté le Canada pour habiter dans cette île entre février et décembre 2008 où, en plus d’étudier, elle a travaillé comme préposée aux services de soutien à la personne. Il conclut que l’établissement au Canada n’est pas un motif raisonnable de surseoir au renvoi.

 

[15]           L’agent s’intéresse ensuite au motif fondé sur les difficultés en cas de retour à Sainte‑Lucie. Il souligne la prétention de la demanderesse principale voulant qu’elle soit dans un état de vulnérabilité psychologique du fait qu’elle a été maltraitée par son ancien conjoint et son beau‑père, et qu’elle ait recouru à des services de counselling au Canada. Il examine les documents sur la situation du pays – au sujet de la violence exercée contre les femmes à Sainte‑Lucie – présentés par les demandeurs, mais conclut que ces documents sont de nature générale et ne concernent pas de façon particulière la demanderesse principale. L’agent cite également la décision relative à la demande d’ERAR des demandeurs où il est mentionné que le gouvernement de Sainte‑Lucie fait des efforts sérieux pour lutter contre la criminalité.

 

[16]           L’agent prend acte de la preuve médicale présentée par la demanderesse principale au sujet des services de counselling qu’elle a obtenus au Canada, mais conclut qu’elle ne permettait pas de conclure que le renvoi nuirait à sa santé ou qu’il lui serait impossible d’avoir accès à un traitement à Sainte‑Lucie. Il considère également son argument selon lequel elle ne serait pas en mesure de subvenir à ses besoins ni à ceux de sa famille à Sainte‑Lucie, mais il fait remarquer qu’elle a réussi à décrocher un emploi pendant son séjour là-bas en 2008. Par conséquent, les difficultés que lui causerait son renvoi ne justifient pas d’y surseoir.

 

[17]           Enfin, l’agent se penche sur l’intérêt supérieur des enfants. Il note que les demandeurs font valoir que ce motif justifie qu’il soit sursis à leur renvoi parce que les enfants fréquentent l’école au Canada et que les conditions à Sainte‑Lucie ne sont pas favorables aux enfants. Il dit avoir examiné la preuve relative aux conditions dans le pays sur le sujet.

 

[18]           La demanderesse principale soutenait que ses enfants ne pourraient fréquenter l’école publique à Sainte‑Lucie, car ils n’étaient pas citoyens de cet État. L’agent cite à cet égard une loi de Sainte‑Lucie où il est indiqué que la citoyenneté est fondée sur la citoyenneté des parents, ce qui veut dire que les enfants de la demanderesse principale pourraient être inscrits comme citoyens de Sainte‑Lucie.

 

[19]           L’agent tient compte du témoignage de la demanderesse principale selon lequel ses enfants ont reçu des services de counselling au Canada, mais il fait remarquer que rien ne permet de croire qu’ils en bénéficiaient actuellement ou qu’ils seraient incapables d’avoir accès à ce genre de services à Sainte‑Lucie. L’agent signale que les trois enfants ont vécu à Sainte‑Lucie à divers titres depuis que la demanderesse principale est venue pour la première fois au Canada.

 

[20]           L’agent conclut qu’aucun motif raisonnable ne justifie de reporter le renvoi et que les demandeurs sont tenus de se présenter en vue de leur renvoi.

 

Les questions en litige

 

[21]           Selon les demandeurs, les questions en litige sont les suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agent a‑t‑il commis une erreur en omettant de tenir compte des circonstances particulières sur lesquelles reposait la demande CH en instance des demandeurs, à savoir la violence familiale et le moment choisi pour présenter leur demande, compte tenu de la précédente demande de résidence permanente dans la catégorie du regroupement familial?

            3.         L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents concernant l’intérêt supérieur des enfants?

 

[22]           Je reformulerais les questions en litige comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agent a‑t‑il commis une erreur en refusant la demande de report?

 

Observations écrites des demandeurs

 

[23]           Les demandeurs soutiennent que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité. Ils affirment que l’agent avait le pouvoir de reporter le renvoi et que l’obligation de procéder au renvoi dès que les circonstances le permettent veut dire que le moment du renvoi doit être raisonnable et approprié.

 

[24]           Les demandeurs invoquent l’arrêt Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 RCF 311, pour affirmer qu’une demande CH peut justifier de surseoir à un renvoi lorsqu’il existe des circonstances particulières. Selon eux, de telles circonstances existent en l’espèce parce qu’ils ont déjà présenté une demande de résidence permanente, qui a été approuvée en principe, mais qu’ils ont dû la retirer parce que la demanderesse principale a mis fin à une relation de violence avec son répondant. Si la demanderesse principale avait décidé de ne pas fuir la violence dont elle était victime, il est probable qu’elle n’aurait pas fait l’objet d’une mesure de renvoi. Le Manuel IP 5 conseille expressément aux agents d’être sensibles à la situation du demandeur parrainé qui quitte une relation abusive. L’agent ne fait aucune allusion à ces circonstances particulières et ne les prend pas en considération.

 

[25]           Les demandeurs soutiennent également que l’agent n’a pas tiré de conclusion au sujet du moment choisi pour présenter la demande CH, ce qu’il aurait dû faire étant donné qu’ils l’ont présentée après que leur demande parrainée de résidence permanente eut été refusée. Ils estiment que cette omission rend la décision déraisonnable.

 

[26]           Les demandeurs fondent également leur demande de contrôle judiciaire sur le fait que l’agent a écarté des éléments de preuve. Ils soutiennent que l’agent n’a pas été réceptif, attentif ou sensible à l’intérêt des enfants, puisqu’il n’a pas tenu compte des difficultés psychologiques que ces derniers connaîtraient s’ils étaient renvoyés du Canada, pas plus que de leur propre témoignage et de la preuve portant sur la situation dans le pays et concernant l’absence de services, de counselling notamment, à Sainte‑Lucie. L’omission de prendre en compte les effets psychologiques du renvoi est contraire au rôle que doit jouer l’agent.

 

Les conclusions écrites du défendeur

 

[27]           Le défendeur admet que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable et il soutient que le refus de la demande était raisonnable.

 

[28]           Le défendeur reconnaît que l’agent devait tenir compte des circonstances se rapportant à la demande CH et de l’effet potentiel de celle‑ci sur la mesure de renvoi. Il soutient que c’est exactement ce qu’a fait l’agent en examinant les antécédents de la demanderesse principale en matière d’immigration, l’intérêt supérieur de l’enfant et la question des difficultés en cas de retour.

 

[29]           Le défendeur signale que le Manuel IP 5 exige que les agents CH, et non pas les agents de renvoi, soient sensibles au retrait d’une demande de conjoint pour des raisons de maltraitance. Le pouvoir de rendre une décision CH n’a pas été délégué à l’agent de renvoi.

 

[30]           Le défendeur fait remarquer que la demanderesse principale a été maltraitée au Canada et que son agresseur est au Canada. Il était donc raisonnable que l’agent refuse la demande.

 

[31]           Le défendeur soutient que l’agent n’était pas tenu de s’intéresser au moment où la demande CH a été déposée étant donné qu’il était manifeste que son traitement n’avait pas été retardé en raison d’un arriéré et qu’elle avait été déposée récemment.

 

[32]           Le défendeur soutient que l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants qu’a effectuée l’agent était à juste titre axée sur leurs intérêts à court terme et qu’aucune preuve n’a été écartée.

 

L’analyse et la décision

 

[33]           Question no 1

      Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont elle est saisie est déjà établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[34]           La norme de contrôle applicable aux décisions des agents de renvoi en cas de demande de report est celle de la raisonnabilité (voir Ortiz c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 18 au paragraphe 39, [2012] ACF no 11). Lorsqu’elle examine la décision d’un agent en fonction de la norme de la raisonnabilité, la Cour ne doit intervenir que si l’agent n’est pas parvenu à une conclusion transparente, justifiable et intelligible et appartenant aux issues acceptables compte tenu des preuves présentées (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59).

 

[35]           Question no 2

      L’agent a‑t‑il commis une erreur en refusant la demande de report?

            Dans l’arrêt Baron, précité, la Cour d’appel a jugé que, d’une façon générale, les demandes CH ne justifient pas le report du renvoi, mais elle n’a pas écarté la possibilité que l’on puisse tenir compte des « considérations spéciales » (au paragraphe 51) :

À la suite de ma décision dans l’affaire Simoes, précitée, mon collègue le juge Pelletier, alors juge à la Section de première instance de la Cour fédérale, a eu l’occasion, dans la décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 682, dans le contexte d’une requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, d’aborder la question du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution de reporter le renvoi. Après avoir examiné attentivement et à fond les dispositions législatives applicables et la jurisprudence s’y rapportant, le juge Pelletier a circonscrit la portée du pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution en matière de report de renvoi. Dans des motifs que je ne puis améliorer, il a expliqué ce qui suit :

 

         Il existe divers facteurs qui peuvent avoir une influence sur le moment du renvoi, même en donnant une interprétation très étroite à l’article 48. Il y a ceux qui ont trait aux arrangements de voyage, et ceux sur lesquels ces arrangements ont une incidence, notamment le calendrier scolaire des enfants et les incertitudes liées à la délivrance des documents de voyage ou les naissances ou décès imminents.

 

         La loi oblige le ministre à exécuter la mesure de renvoi valide et, par conséquent, toute ligne de conduite en matière de report doit respecter cet impératif de la Loi. Vu l’obligation qui est imposée par l’article 48, on devrait accorder une grande importance à l’existence d’une autre réparation, comme le droit de retour, puisqu’il s’agit d’une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation imposée par la Loi. Dans les affaires où le demandeur a gain de cause dans sa demande CH, il peut obtenir réparation par sa réadmission au pays.

 

         Pour respecter l’économie de la Loi, qui impose une obligation positive au ministre tout en lui accordant une certaine latitude en ce qui concerne le choix du moment du renvoi, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain. Pour ce qui est des demandes CH, à moins qu’il n’existe des considérations spéciales, ces demandes ne justifient un report que si elles sont fondées sur une menace à la sécurité personnelle.

 

         Il est possible de remédier aux affaires où les difficultés causées à la famille sont le seul préjudice subi par le demandeur en réadmettant celui‑ci au pays par suite d’un gain de cause dans sa demande qui était en instance.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

Je souscris entièrement à l’exposé du droit du juge Pelletier.

 

 

[36]           Dans la décision Williams c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 274, [2011] 3 RCF 311, le juge Russel Zinn a écrit que, pour évaluer l’existence de circonstances particulières, « [...] il lui [l’agent] incombe plutôt d’examiner les circonstances se rapportant à la demande CH » (au paragraphe 38). Le juge Zinn a ensuite examiné l’approche adoptée par l’agent à l’égard de l’arriéré des demandes CH, mais, si je comprends bien ses motifs, j’estime qu’il n’a pas écarté pas la possibilité de prendre en compte d’autres circonstances liées au moment choisi pour déposer la demande CH.

 

[37]           Le défendeur ne conteste pas que cet examen soit nécessaire, mais il soutient que l’agent n’y a pas procédé en l’espèce. Étant donné que les motifs de l’agent ne font aucunement allusion au fait que la demande antérieure présentée par la demanderesse principale avait été rejetée parce que cette dernière avait mis fin à une relation abusive, je ne peux souscrire à cette affirmation. Il est difficile d’imaginer un cas où les circonstances entourant une demande CH pourraient commander plus clairement l’analyse fondée sur l’existence de « considérations spéciales » mentionnée dans l’arrêt Baron, précité.

 

[38]           La personne qui demande la résidence permanente, comme la demanderesse principale en l’espèce, et qui est maltraitée par son répondant fait face à un terrible dilemme : quitter son agresseur et renoncer à la possibilité d’obtenir le statut de résident permanent au Canada, ou rester avec lui, et du même coup compromettre sa sécurité, tout en maintenant sa demande. Chaque possibilité comporte des risques graves, voire mortels.

 

[39]           Bien que l’agent ne soit pas tenu de faire mention de chaque élément de preuve ni de chaque argument, ce dernier argument était au cœur de la demande de report présentée par les demandeurs, et l’agent n’emploie que des termes passe‑partout pour en parler. Cette omission est suffisamment grave pour conclure que l’agent a tiré sa conclusion sans tenir compte de cet élément (voir Pinto Ponce c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 181, au paragraphe 35, [2012] ACF no 189).

 

[40]           L’omission de l’agent de tenir compte des circonstances entourant la demande CH rend la décision déraisonnable.

 

[41]           Par conséquent, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres questions soulevées par les demandeurs.

 

[42]           Il est donc fait droit à la demande de contrôle judiciaire et l’affaire est renvoyée à un agent différent pour nouvelle décision.

 

[43]           Aucune des parties n’a souhaité me soumettre une question grave de portée générale à certifier.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE qu’il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire, que la décision de l’agent est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


ANNEXE

 

Les dispositions légales et réglementaires applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

48. (2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

48. (2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑9496‑12

 

INTITULÉ :                                                  NIKISHA BLACKWOOD

                                                                        JAKKIN JEANELLE ST. HILL

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 8 mai 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 29 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Clarisa Waldman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Teresa Ramnarine

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldwan & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.