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FCHdrF

 


 

Date : 20130611

Dossier : IMM-2124-12

Référence : 2013 CF 637

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

RAISAHMED MUSA INTWALA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), de la décision d’une agente des visas (l’agente) du Haut‑Commissariat du Canada, à New Delhi, rendue le 13 décembre 2011 (la décision), par laquelle le demandeur s’est vu refuser le visa de résident permanent au motif qu’il est interdit de territoire au Canada conformément à l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Inde. Il a un fils qui est établi au Canada et qui l’a parrainé en août 2003 pour qu’il puisse venir au Canada à titre de résident permanent dans la catégorie du regroupement familial. Dans sa demande, le demandeur n’avait pas mentionné l’un de ses enfants biologiques, Rizvan (parfois écrit « Rizwan »). Le fils du demandeur explique dans son affidavit que c’est parce que Rizvan avait été adopté en 1983 par son oncle, le frère du demandeur, lorsqu’il était un enfant en bas âge.

[3]               Le fils du demandeur établi au Canada a d’abord présenté la demande de parrainage en 2006. Le demandeur, son épouse et ses enfants (sauf Rizvan) ont été interrogés en 2008. Durant l’entrevue, le demandeur et sa famille se sont fait poser un certain nombre de questions au sujet de Rizvan. L’agent qui a mené l’entrevue a finalement conclu que l’adoption semblait authentique et que la famille pouvait passer aux étapes suivantes. Le demandeur a aussi fourni deux certificats scolaires sur lesquels le nom du père de Rizvan qui apparaissait était celui de son père adoptif. La transcription de cette entrevue est jointe à l’affidavit d’Imran Raiahmed Intwala et désignée « pièce B ».

[4]               Le 25 juillet 2008, la famille du demandeur s’est vu refuser l’immigration au Canada pour des motifs financiers. Le demandeur a interjeté appel de la décision en invoquant des considérations humanitaires (CH), et l’appel a été accueilli en septembre 2010. Le dossier a été renvoyé au Haut‑Commissariat du Canada à New Delhi et le processus de traitement a repris.

[5]               Lors de la préparation de sa nouvelle demande, le demandeur s’est fondé sur la décision rendue par l’agent en 2008 selon laquelle Rizvan n’était pas un membre de sa famille. Le demandeur a également joint un affidavit à sa demande, daté du 27 décembre 2010, dans lequel il énumérait tous les membres de sa famille biologique, dont Rizvan.

[6]               Dans une lettre datée du 24 mai 2011, l’agente a demandé au demandeur d’expliquer pourquoi Rizwan n’apparaissait pas comme son fils biologique dans sa nouvelle demande. Le demandeur a répondu dans une lettre en juin 2011 (dossier du demandeur à la page 32) en expliquant que son frère avait adopté Rizwan parce qu’il n’avait pas de fils et que l’adoption coutumière est reconnue par la loi dans l’État d’où il vient. Le demandeur a joint un texte sur les dispositions du droit coutumier applicables, ainsi qu’une carte de rationnement délivrée en 1996, sur laquelle Patel Ishtak était présenté comme le père de Rizvan. Le demandeur précisait ensuite que l’adoption coutumière ne requiert aucune ordonnance de la cour ni aucun document et qu’elle est fondée sur la conduite. Comme le demandeur ne considère pas Rizvan comme l’un des membres de sa famille, ce dernier n’a pas été mentionné au nombre de ceux‑ci.

[7]               Dans une lettre datée du 13 décembre 2011, l’agent a informé le demandeur du fait qu’il était interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi pour avoir, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraînait ou risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Pour cette raison, la demande de résidence permanente du demandeur a été rejetée.

DÉCISION CONTRÔLÉE

[8]               La décision est composée de la lettre d’exclusion datée du 13 décembre 2011 et des notes que l’agente a entrées dans le Système mondial de gestion des cas (les notes).

[9]               Dans une entrée des notes datée du 7 décembre 2011, l’agente fait remarquer que lorsque le demandeur avait fait l’objet d’une première enquête en 2006, il lui avait été demandé pourquoi Rizwan n’avait pas été inclus au nombre de ses enfants. Le demandeur avait répondu [traduction] « [qu’]il devrait vérifier ». Deux jours plus tard, il avait présenté un acte d’adoption notarié signé par les parents biologiques et adoptifs, mais pas d’ordonnance de la cour. L’agente constate que, après l’appel, le demandeur n’avait toujours pas déclaré que Rizwan était son fils, et qu’il n’avait pas amené Rizwan pour une entrevue.

[10]           Il est ensuite question de l’Hindu Adoptions and Maintenance Act dans les notes du 7 décembre 2011. L’agente a conclu que, d’après cette loi, le demandeur n’aurait pas eu le droit de donner légalement Rizwan en adoption. Le conseil du demandeur a fait valoir que l’adoption avait été faite selon le droit coutumier, mais l’agent a déclaré que le demandeur n’avait produit aucun document à l’appui de cette prétention. Le fait que Rizwan avait été adopté à six mois selon le demandeur, à cinq mois selon son épouse et à deux mois et demi selon le conseil du demandeur soulevait également des doutes pour l’agent. L’agent a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur avait tenté de dissimuler sa relation avec Rizwan, puis avait ensuite tenté de montrer qu’une adoption avait eu lieu.

[11]           Il est écrit dans la lettre d’exclusion que le demandeur a été frappé d’une interdiction de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi parce qu’il n’avait pas mentionné son fils Rizwan dans sa demande, alors que son répondant, le fils établi au Canada, avait présenté Rizwan comme son propre frère. La lettre fait également état de ce qui suit :

[traduction]

Nous avons porté cette divergence à votre attention, et vous avez par la suite produit un acte d’adoption obtenu depuis peu. L’adoption entre les musulmans est interdite par la loi indienne, de sorte que l’adoption n’est pas reconnue par la loi. Par conséquent, vous avez été contraint de déclarer que Rizwan était votre fils et vous l’avez soumis à un contrôle étant donné qu’il avait moins de 22 ans au moment du parrainage. Vous avez eu l’occasion de vous expliquer au sujet de ces points préoccupants.

 

 

[12]           Ainsi, le demandeur a été jugé interdit de territoire au Canada.

QUESTIONS EN LITIGE

[13]           Le demandeur soulève les questions suivantes dans sa demande :

a.                   L’agente a‑t‑elle commis une erreur en tirant des conclusions déraisonnables relativement à l’alinéa 40(1)a) de la Loi?

b.                  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur avait fait une fausse déclaration aux termes de l’alinéa 40(1)a) en ne mentionnant pas Rizvan dans les formulaires de demande qu’il avait présentés de nouveau en janvier 2011?

c.                   L’agente a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte d’une décision antérieure rendue par un autre agent de l’immigration, en février 2008, selon laquelle Rizvan ne faisait pas partie de la famille du demandeur et que l’adoption était authentique?

d.                  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’affidavit du demandeur daté du 27 décembre 2010, dans lequel figure le nom de tous ses enfants biologiques, dont Rizvan?

 

NORME DE CONTRÔLE

[14]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’était pas toujours nécessaire de procéder à une analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette recherche n’est pas fructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs qui constituent l’analyse de la norme de contrôle.

[15]           Toutes les questions soulevées par le demandeur requièrent un examen des faits ou un examen mixte des faits et du droit relativement à la conclusion d’interdiction de territoire rendue par l’agente. Dans des décisions antérieures, la Cour a reconnu que la norme de contrôle applicable à une conclusion d’interdiction de territoire en application du paragraphe 40(1)a) est celle de la décision raisonnable (Kumar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 781, au paragraphe 21; Karami c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 788, au paragraphe 14). Par conséquent, contrairement aux observations présentées par le demandeur en réponse, toutes les questions feront l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.   

[16]           Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, l’analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable au sens où elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[17]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Fausses déclarations

 

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

 

 

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

 

b) être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations;

 

c) l’annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d’asile ou de protection;

 

d) la perte de la citoyenneté au titre de l’alinéa 10(1)a) de la Loi sur la citoyenneté dans le cas visé au paragraphe 10(2) de cette loi.

Misrepresentation

 

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

 

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

 

 

(b) for being or having been sponsored by a person who is determined to be inadmissible for misrepresentation;

 

(c) on a final determination to vacate a decision to allow their claim for refugee protection or application for protection; or

 

(d) on ceasing to be a citizen under paragraph 10(1)(a) of the Citizenship Act, in the circumstances set out in subsection 10(2) of that Act.

 

LES ARGUMENTS

Le demandeur

[18]           Le demandeur affirme que la transcription de la première entrevue réalisée en 2008 montre clairement que la famille a été interrogée séparément et longuement sur l’histoire de l’adoption de Rizvan. Le 3 mars 2008, le premier agent a conclu que l’adoption de Rizvan était authentique et que celui‑ci n’était plus un membre de la famille du demandeur. Comme le demandeur avait eu connaissance de cette décision, il aurait été insensé de sa part de présenter Rizvan comme son fils dans ses nouveaux formulaires de demande soumis le 11 janvier 2011.

[19]           Le demandeur soutient qu’il avait tout à fait le droit de s’appuyer sur la décision rendue en 2008; indépendamment de cette décision, toutefois, il fait remarquer qu’il avait joint à sa demande présentée en 2011 un affidavit dans lequel il nommait tous ses enfants biologiques, y compris Rizvan (affidavit d’Imran Intwala, à la pièce C). Dans la décision, l’agente affirme [traduction] « que le demandeur principal n’affirme toujours pas que Rizwan est son fils, après l’appel ». Cette affirmation est inexacte, car le demandeur affirme bel et bien que Rizwan est son fils dans son affidavit. Non seulement le demandeur a observé la décision écrite rendue par le premier agent, mais il a également déclaré dans son affidavit que Rizvan est son fils biologique.   

[20]           Les déclarations de tous les membres de la famille portant sur l’adoption de Rizvan concordent, la seule divergence mineure ayant trait à l’âge de Rizvan au moment de l’adoption, qui varie entre trois et six mois, et au jour et au mois exacts de sa naissance en 1983. Pour clarifier ces points, deux affidavits ont été soumis au Haut‑Commissariat du Canada, l’un daté du 6 avril 2011 et l’autre, du 7 avril 2011. Le demandeur fait remarquer que l’adoption a eu lieu en 1983 et que les dates données par les membres de la famille sont concordantes compte tenu du passage du temps. Le fils du demandeur établi au Canada déclare dans son affidavit que la famille ne s’est jamais beaucoup attardée sur l’adoption, qui remonte à près de trente ans.

[21]           Le demandeur affirme en outre que si la question en l’espèce avait porté sur la validité de l’adoption, il aurait interjeté appel devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. En ce qui concerne les fausses déclarations, le demandeur soutient que la décision de l’agente était déraisonnable.

Le défendeur

[22]           Le défendeur fait remarquer que le demandeur n’a pas déclaré que Rizwan était son fils, mais que son fils établi au Canada, également son répondant, avait déclaré que Rizwan était son frère dans sa première demande d’immigration. Lorsque le fils du demandeur avait immigré au Canada en 2000, il avait déclaré que Rizwan était son frère, et précisé que Rizwan l’accompagnerait au Canada. Le fils avait écrit à deux reprises que son lien avec Rizwan était celui de « frère », et nulle part était‑il expliqué que Rizwan avait été adopté et que la famille du demandeur d’asile ne le considérait plus comme un membre de leur famille immédiate.

[23]           Le défendeur souligne que l’agente n’a pas commis d’erreur en affirmant que le demandeur n’avait pas déclaré que Rizwan était son fils. Rizwan ne figurait pas comme son fils sous « Renseignements personnels sur les membres de la famille » ni sous « Renseignements additionnels sur la famille ». Dans le cadre du réexamen, l’agent n’est pas obligé de souscrire aux conclusions favorables du premier agent des visas. Lorsque la SAI a fait droit à l’appel, elle n’a aucunement limité la compétence de l’agent d’examiner l’affaire à nouveau. En fait, lorsque le demandeur a interjeté appel de la présente décision devant la SAI (lequel a été rejeté pour défaut de compétence), la SAI a formulé les observations suivantes :

À mon avis, une fois que le dossier de l’appelant est renvoyé au bureau des visas, l’agent des visas peut tirer de nouveau une conclusion d’interdiction de territoire. La fausse déclaration n’était pas le motif de ce premier refus et de l’appel devant la SAI. Même si l’agent des visas avait examiné l’adoption de Rizwan et dit qu’elle [traduction] « semblait authentique », il n’y avait pas d’analyse détaillée.  

 

 

[24]           L’agente a noté que les motifs CH avaient été traités dans le cadre de l’appel, mais que la question de l’adoption de Rizwan n’avait pas été résolue ou examinée de façon concluante par le premier agent. L’agente écrit ce qui suit dans les notes du 7 décembre 2011 :

[traduction]

La demande a été accueillie par la SAI pour des motifs CH, car l’exigence du revenu vital minimum (RVM) n’était pas respectée. À la suite de l’appel, le DP n’a toujours pas désigné Rizwan comme son fils. Compte tenu de la relation, l’absence de déclaration et l’adoption n’ont pas été pleinement examinées avant l’appel, elles ont fait l’objet d’un examen en vue d’évaluer l’admissibilité […] Étant donné que la SAI a fait droit à l’appel pour des motifs CH du fait que le répondant ne satisfaisait pas à l’exigence du RVM, je n’évalue donc pas cet aspect.  

 

 

[25]           Avant de prendre sa décision, l’agente a expressément informé le demandeur et sa famille du fait que la question de Rizvan n’avait pas été résolue. Peu après que la SAI eut rendu sa décision, l’agente des visas a demandé à obtenir l’acte de naissance de Rizvan pour enquêter plus avant sur d’éventuelles fausses déclarations. Le document n’ayant toujours pas été reçu deux mois plus tard, les agents d’immigration ont demandé à nouveau d’obtenir une copie de l’acte de naissance. Le demandeur a envoyé certains documents, dont deux affidavits de Rizwan qui visaient à expliquer les divergences entre les documents présentés. La date de naissance de Rizwan figurant sur ses dossiers scolaires était le 8 juillet 1983 et celle figurant sur son acte de naissance était le 14 octobre 1983. Il était déclaré dans l’affidavit que la date de naissance réelle état était celle apparaissant sur l’acte de naissance. Cependant, le défendeur fait remarquer que lorsque le fils du demandeur avait initialement déclaré que Rizwan était son frère, il avait précisé sur ses formulaires d’immigration que ce dernier était né le 8 juillet 1983.

[26]           Le 24 mai 2011, les agents d’immigration ont envoyé une lettre relative à l’équité procédurale qui faisait part des doutes de l’agente au sujet de Rizwan. Le demandeur a répondu en affirmant que l’adoption était permise en vertu du droit coutumier et que le premier agent des visas avait été convaincu de l’authenticité de l’adoption.

[27]           Dans les notes du 7 décembre 2011, l’agente a inscrit ce qui suit :

[traduction]

J’ai examiné les observations du conseil et je conclus qu’ils ont fait des déclarations, mais qu’ils n’ont étayé aucune de leurs allégations. Il incombait au demandeur de présenter des éléments de preuve pour dissiper le doute selon lequel la loi leur interdit d’adopter. Ils n’ont fourni aucun élément de preuve pour appuyer les déclarations faites par le conseil. L’argument central du conseil est que l’adoption est autorisée par le droit coutumier en Inde; or, ils n’ont produit aucun élément de preuve établissant que cette adoption en particulier avait été reconnue par le système judiciaire indien (par une ordonnance de la cour). Dans l’ensemble, j’ai examiné l’intégralité du dossier et les arguments du conseil, et je conclus que les doutes ne sont pas dissipés.

 

 

[28]           Le défendeur affirme que l’agente avait raison de constater que le conseil n’avait pas fourni d’élément de preuve à l’appui de ses affirmations. Le conseil a déclaré que [traduction] « plusieurs experts » avaient été consultés au sujet de la loi indienne sur l’adoption, mais aucun de ces experts n’était nommé; aucun détail n’était donné non plus sur l’identité de ces personnes ou sur leurs connaissances au sujet des coutumes en matière d’adoption. Le conseil a également déclaré que la charia peut être juridiquement contraignante pour les musulmans en Inde, mais cette déclaration n’était confirmée par aucun expert. Aucune explication n’était donnée non plus quant aux coutumes qui avaient été respectées pour l’adoption de Rizwan ou aux mesures qui avaient été prises pour légaliser l’adoption.  

[29]           L’agente a également noté que, le 4 septembre 2006, lorsque le demandeur d’asile s’était fait demander pourquoi son répondant avait indiqué que Rizwan était son frère et que le demandeur d’asile ne l’avait pas présenté comme son fils, le demandeur d’asile n’avait pas répondu que Rizwan avait été adopté, mais plutôt : [traduction] « Je vais vérifier. » Deux jours plus tard, le 6 septembre 2006, un acte d’adoption était délivré. Selon le défendeur, il était raisonnable pour l’agente d’induire de ces faits que le demandeur d’asile tentait probablement de dissimuler sa relation avec Rizwan.

[30]           L’agente a aussi noté que le demandeur d’asile, son épouse et son conseil avaient chacun donné une date différente pour l’adoption de Rizwan. L’agente inscrit dans les notes du 7 décembre 2012 : [traduction] « Il ne m’apparaît pas crédible que des parents biologiques ne puissent faire la différence entre avoir donné leur bébé lorsqu’il était âgé de deux mois et demi, de cinq mois ou de six mois. »

[31]           L’agente a également accordé de l’importance au fait que le demandeur d’asile avait eu l’occasion d’amener Rizwan pour une entrevue, mais qu’il avait refusé de le faire. Rizwan aurait très bien pu présenter un témoignage convaincant dans lequel il aurait expliqué qu’il avait été élevé dans une autre ville par sa tante et son oncle, comme le demandeur le prétend. Rien n’indique que Rizwan n’est pas disposé à répondre à un interrogatoire, lui qui a fourni deux affidavits dans lesquels il tentait d’expliquer les divergences entre son acte de naissance et ses dossiers scolaires.

[32]           En somme, le défendeur conclut que l’agente avait raison de conclure que le demandeur d’asile était interdit de territoire parce qu’il avait fait une présentation erronée sur un fait important, compte tenu de tous les éléments de preuve présentés par le demandeur d’asile.

La réponse du demandeur

[33]           Le demandeur affirme que la Cour a seulement compétence pour trancher la question des fausses déclarations, comme il est exposé dans la lettre de rejet, et non la question de la validité de l’adoption de Rizvan. Si la question à trancher avait été celle de l’adoption, il aurait convenu qu’elle fasse l’objet d’un appel devant la SAI.

[34]           Pour ce qui est de la question soulevée au paragraphe 12 du mémoire du défendeur, soit pourquoi le fils du demandeur d’asile avait indiqué que Rizwan était son frère dans son formulaire de demande en 2000, le demandeur fait remarquer que son fils et lui avaient été interrogés sur ce point à maintes reprises par les agents d’immigration. Lors de l’entrevue du 26 février 2008, le demandeur d’asile avait dit qu’il ne savait pas pourquoi son fils avait mentionné que Rizwan était son frère. Le demandeur affirme qu’il s’agit d’une réponse tout à fait logique puisque rien n’indique que le demandeur d’asile ait eu quoi que ce soit à voir avec la préparation de la demande que son fils avait présentée en vue d’immigrer au Canada en 2000. Lorsque son fils s’était fait demander en entrevue pourquoi il avait fait état de Rizcan dans sa demande, il avait répondu : [traduction] « C’était une erreur, je ne savais pas que je n’aurais pas dû l’écrire. En fait, nous craignions qu’il y ait des problèmes dans mon dossier si nous ne le déclarions pas, car il est mon frère biologique. » Le demandeur soutient qu’il n’y a aucune raison de ne pas accepter les explications données par son fils et lui, étant donné qu’ils ont rempli leur formulaire respectif séparément et à des années d’intervalle.  

[35]           Le demandeur fait remarquer que le défendeur se contredit quand il affirme que l’agente n’a pas commis d’erreur en disant que le demandeur n’avait pas déclaré son fils, et qu’elle poursuit en notant que le demandeur avait joint à sa demande un affidavit dans lequel il mentionnait chacun de ses enfants. Le demandeur fait valoir que l’affidavit est un élément de la demande de résidence permanente au Canada et qu’il révèle clairement que Rizvan est son fils biologique. Le demandeur affirme en outre qu’il constitue la preuve irréfutable qu’il n’a pas fait de présentation erronée au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi en omettant de déclarer Rizvan dans sa demande.

[36]           Le demandeur convient avec le défendeur du fait que l’agente était libre de tirer ses propres conclusions quant à l’interdiction de territoire, mais il estime qu’elle ne devait pas pour autant ignorer les notes sur l’entrevue effectuée en 2008 par le premier agent d’immigration avec la famille du demandeur, d’autant plus que l’agente n’avait pas personnellement interrogé le demandeur et sa famille.

[37]           Le défendeur affirme que le demandeur était [traduction] « tout à fait au courant […] du fait que la question de Rizvan n’était pas résolue ». Le demandeur n’a pas été en mesure de retrouver de communication l’informant que la question de Rizvan n’avait pas été résolue. Une lettre relative à l’équité procédurale datée du 24 mai 2011 avait été envoyée au demandeur, et elle traitait principalement de questions relatives à la validité de l’adoption. On pouvait également y lire que l’agent estimait que la demande du demandeur aurait dû faire état de Rizvan, et que son absence pouvait constituer une fausse déclaration. 

[38]           Le défendeur souligne aussi le fait que le demandeur a eu l’occasion de présenter Rizvan à une entrevue, mais qu’il a refusé de le faire. Le demandeur indique toutefois que la correspondance avec le premier agent et avec la seconde agente ne fait aucunement mention d’une demande de convocation en entrevue de Rizvan. Lors de la première entrevue, l’agent a demandé au demandeur s’il avait amené Rizvan avec lui. Le demandeur a simplement répondu « non », et l’entrevue s’est poursuivie. À l’issue de la première entrevue, le demandeur s’est fait demander de fournir d’autres documents, ce à quoi il s’est plié. Le demandeur affirme que l’agent aurait pu exiger de faire passer une entrevue à Rizvan, mais qu’il ne l’a pas fait. En ce qui concerne l’agent qui a pris la décision, il a fait remarquer que Rizvan n’avait pas été interrogé, malgré le fait qu’aucun membre de la famille ne l’avait été.

 

ANALYSE

[39]           L’agente conclut que le demandeur n’a pas présenté assez d’éléments de preuve pour établir que l’adoption de Rizwan était un fait juridique. Après mention de quelques [traduction] « autres préoccupations », l’agente en vient à tirer la conclusion suivante :

[traduction]

Dans l’ensemble, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur a initialement omis de révéler des renseignements sur son fils à charge, Rizwan, et que, lorsqu’il a eu vent de nos doutes, il a tenté de montrer que l’adoption avait eu lieu.

 

 

Cet énoncé constitue le fondement à la conclusion de l’agente selon laquelle il y a eu fausses déclarations. Selon moi, les conclusions de l’agente sur ce point ne sont pas justifiées, transparentes ou intelligibles, et ne sont pas raisonnables.

[40]           Le dossier montre que le demandeur n’a pas refusé de communiquer des renseignements au sujet de Rizwan et qu’il n’a pas initialement dissimulé sa relation avec lui. Le dossier montre (DCT à la page 102) que le demandeur a, dans le cadre de sa demande initiale, présenté un affidavit dans lequel il expliquait que Rizwan, son enfant biologique, avait été adopté par son frère, Ishak Patel, qui n’avait pas de fils. Il expliquait que Rizwan vivait avec son frère comme son fils depuis de nombreuses années, que Rizwan est connu comme le fils de son frère et n’est plus considéré comme son propre fils.

[41]           Le demandeur a été très franc au sujet de sa relation avec Rizwan et il a expliqué la situation relative à l’adoption dès le départ. L’agent qui a examiné la première demande du demandeur a interrogé séparément tous les membres de la famille immédiate et, à la lumière des témoignages recueillis, a reconnu que l’adoption était authentique.

[42]           Le demandeur concède que l’agente qui a examiné sa seconde demande n’était pas tenue d’accepter les conclusions du premier agent sur les aspects juridiques de l’adoption. Toutefois, en remplissant les formulaires pour sa deuxième demande, le demandeur n’aurait évidemment pas indiqué que Rizwan était son fils puisque le premier agent avait reconnu que l’adoption était authentique. Le demandeur devait dissiper les doutes de la seconde agente au sujet de la légalité de l’adoption, mais il n’a pas tenté de dissimuler sa relation avec Rizwan, comme l’agente l’a affirmé. Il avait expliqué la situation en détail au premier agent qui avait reconnu l’authenticité de l’adoption. Les mesures qu’il a prises à l’égard de la seconde agente n’étaient qu’une tentative pour dissiper les doutes de l’agente à la question de savoir si, du point de vue juridique, une adoption avait bel et bien eu lieu.

[43]           Selon la conclusion de la seconde agente, étant donné que le demandeur ne pouvait pas dissiper ses doutes sur les aspects juridiques de l’adoption, il s’ensuit que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur a dû initialement dissimuler sa relation avec Rizwan. Le dossier montre cependant que le demandeur a fourni toutes les explications nécessaires sur sa relation avec Rizwan. La question de savoir s’il y avait eu adoption ou non, d’un point de vue légal, n’était pas la question en litige pour ce qui concerne les fausses déclarations. Le demandeur a soumis l’entièreté de la question au premier agent et cet agent a reconnu que l’adoption était authentique. Ainsi, il va de soi qu’au moment de présenter la seconde demande, le demandeur n’aurait pas indiqué que Rizwan était son fils. La seconde agente affirme qu’elle a [traduction] « examiné l’affaire dans son entier », mais elle ne mentionne jamais l’affidavit en question ni le fait que le demandeur avait exposé la situation de l’adoption au premier agent, ni le fait que le premier agent avait interrogé séparément les membres de la famille immédiate sur ce point, et qu’il reconnaissait dans l’ensemble que l’adoption était authentique. Rien n’indique que le demandeur a dissimulé des renseignements au premier agent. Cette conclusion est purement hypothétique et semble reposer essentiellement sur la conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur n’avait pas réussi à la convaincre qu’une adoption légale avait eu lieu.

[44]           L’agente fait aussi état [traduction] « d’autres préoccupations », mais l’examen de l’ensemble de la décision révèle que ces préoccupations auraient été tout autres si l’agente n’avait pas estimé que le fait qu’elle n’avait pas été convaincue de la légalité de l’adoption l’avait amenée à conclure qu’il y avait eu fausses déclarations, compte tenu de ce qui s’était produit avec le premier agent. 

[45]           Le fait que le demandeur a dit [traduction] « [j]e vais vérifier » au lieu d’avoir reconnu que Rizwan avait été donné en adoption est entièrement conforme avec la question de savoir pourquoi Rizwan avait été mentionné dans la demande du répondant et non dans celle du demandeur. Par ailleurs, la divergence quant à l’âge précis (cinq, six ou deux mois et demi) est accessoire, particulièrement lorsqu’il s’agit de se rappeler avec précision un fait qui remonte à vingt‑cinq ans.

[46]           Quant au fait que le répondant a présenté Rizwan comme son frère, j’ai examiné les documents et, s’ils ne permettent pas tout à fait de comprendre pourquoi Imran l’a fait, j’y vois le résultat d’une certaine confusion. Rizwan est le frère biologique d’Imran, et ce dernier, au fait des conséquences d’une fausse déclaration, tentait probablement d’assurer ses arrières. Quoi qu’il en soit, cette divergence ne peut à mon avis appuyer la conclusion selon laquelle le demandeur [traduction] « avait d’abord tenté de dissimuler ses liens avec Rizwan » si on l’examine à la lumière des échanges que le demandeur a eus avec le premier agent sur la question de l’adoption.  

[47]           La décision est déraisonnable et doit faire l’objet d’un nouvel examen. Les avocats conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier et la Cour est d’accord.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2124-12

 

INTITULÉ :                                      RAISAHMED MUSA INTWALA

 

                                                            -   et   -

 

                                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION                                                                                  

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 30 avril 2013

                                                           

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 11 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Gary L. Segal                                                                          DEMANDEUR

                                                                                                                    

Ildikó Erdei                                                                             DÉFENDEUR                                 

                               

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Gary L. Segal                                                                          DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                               

 

William F. Pentney                                                                 DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

 

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