Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20130612

Dossier : T‑452‑12

Référence : 2013 CF 644

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2013

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

SHIV CHOPRA

et

MARGARET HAYDON

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

Le procureur général du Canada

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par Shiv Chopra et Margaret Haydon (les demandeurs), visant une décision rendue le 31 janvier 2012 par le commissaire à l’intégrité du secteur public [CISP], Mario Dion. Dans cette décision, le CISP a statué qu’il ne reviendrait pas sur la décision, en date du 9 octobre 2009, par laquelle sa prédécesseure, la commissaire Christiane Ouimet, avait rejeté la divulgation des demandeurs d’actes répréhensibles qu’ils attribuaient à leur employeur, Santé Canada.

 

Requête pour rayer Gérard Lambert comme demandeur

 

[2]               Le 9 avril 2013, une requête conjointe a été déposée par le demandeur Gérard Lambert et le procureur général du Canada pour faire rayer Gérard Lambert comme demandeur. La Cour a décidé d’instruire cette requête dans le cadre de la présente décision. La requête est accueillie et l’intitulé de la cause est modifié en conséquence.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

II.        Contexte et faits

 

[4]               Les demandeurs travaillaient comme évaluateurs des médicaments à la Direction des médicaments vétérinaires [DMV] de Santé Canada. À ce titre, ils étaient chargés de l’évaluation des présentations de médicaments déposées par les fabricants qui demandent des avis de conformité [AC] pour commercialiser des médicaments vétérinaires, conformément à la Loi sur les aliments et drogues, LRC 1985, c F‑27 [la LAD] et au Règlement sur les aliments et drogues, CRC, c 870 [le Règlement].

 

[5]               En 2002, les demandeurs et leur collègue aujourd’hui décédé, Cris Bassude, ont déposé une plainte devant l’agent de l’intégrité de la fonction publique [AIFP] (le prédécesseur du CISP).

 

[6]               L’AIFP résumait comme suit les allégations des demandeurs :

[traduction]

a.                   des avis de conformité pour cinq produits comprenant des « composants avec Tylan » (« Components with Tylan ») ont été délivrés en l’absence de données sur l’innocuité pour les humains, contrairement aux dispositions de la LAD et du Règlement;

b.                   des évaluateurs de médicaments de la DMV subissaient les pressions des superviseurs qui voulaient approuver ou laisser sur le marché les avis de conformité relatifs à une série de médicaments en l’absence des données requises sur l’innocuité pour les humains;

c.                   des évaluateurs de médicaments risquaient de se voir imposer des mesures disciplinaires par le ministère s’ils ne suivaient pas les instructions de la direction pour favoriser le lobby pharmaceutique dans le cadre du processus d’approbation de médicaments vétérinaires.

 

[7]               Après son enquête, l’AIFP a publié son rapport le 21 mars 2003. Il concluait qu’aucune des allégations n’était fondée.

 

[8]               Les demandeurs ont demandé le contrôle judiciaire de la décision de l’AIFP. Dans la décision Chopra c Canada (Procureur général), 2005 CF 595 [Chopra], aux paragraphes 72 et 73, le juge O’Keefe a accueilli la demande, annulé le rapport et a renvoyé l’affaire à l’AIFP pour qu’il procède à un nouvel examen. Le juge O’Keefe a conclu que l’AIFP s’était engagé à analyser le processus d’approbation d’au moins huit médicaments, mais qu’il avait effectué l’analyse uniquement à l’égard de produits appelés « composant avec Tylan » (« Component with Tylan ») :

[72] Il ressort d’un examen du rapport d’enquête qu’en ce qui concerne la première allégation, l’AIFP n’a analysé que les produits appelés « Component with Tylan ». Les demandeurs avaient toutefois fait valoir devant l’AIFP qu’il y avait des problèmes dans le processus d’approbation des médicaments suivants : Revalor H, Synergistin Injectable Suspension, Baytril, STbr (rBGH), Carbodex et Eugenol.

 

[73] Bien que l’AIFP puisse décider si une question relève de sa compétence, lorsqu’il décide que oui, il est tenu de faire enquête sur cette question. La correspondance échangée me convainc que l’enquête devait porter, notamment, sur les processus relatifs à d’autres produits que ceux qui contenaient du Component with Tylan. La question des autres médicaments a clairement été soumise à l’AIFP et devait être tranchée. Je n’ai aucun moyen de savoir quelles auraient été les conclusions de l’AIFP si ces autres questions avaient été prises en considération.

 

[9]               Le juge O’Keefe concluait en ces termes ses motifs : « En raison de ma conclusion sur cette question, je n’ai pas à examiner les autres questions soulevées par les demandeurs » (décision Chopra, précitée, au paragraphe 77).

 

[10]           Par suite de la décision Chopra, l’AIFP a nommé un autre enquêteur afin que ce dernier reprenne l’enquête sur la plainte. En mai 2005, le nouvel enquêteur a informé les demandeurs que la nouvelle enquête porterait uniquement sur les aspects qui, selon le juge O’Keefe, n’avaient pas été abordés dans le cadre de la première décision.

 

[11]           En novembre 2005, l’enquêteur a invité les demandeurs à déposer des éléments de preuve complémentaires ou supplémentaires nouveaux qui étaieraient leurs allégations de même que des renseignements relatifs au processus d’approbation des médicaments sur lequel l’enquête devait porter. Il les aussi invités à répondre à plusieurs questions. Les demandeurs ont refusé de répondre aux questions telles qu’elles étaient posées, mais ils ont invité l’enquêteur à se reporter au dossier, en indiquant les documents qui répondaient aux questions.

 

[12]           En 2007, l’AIFP a été remplacé par le CISP par suite de l’adoption de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, LC 2005, c 46 [LPFDAR].

 

[13]           La LPFDAR contient une disposition transitoire (l’article 54.3) qui prévoit ce qui suit : « Toute divulgation engagée, à l’entrée en vigueur du présent article, aux termes de la politique du Conseil du Trésor intitulée Politique sur la divulgation interne d’information concernant des actes fautifs est continuée conformément à la présente loi ».

 

[14]           Mme Christiane Ouimet était la première CISP nommée en vertu de la LPFDAR. Elle a poursuivi l’enquête de l’AIFP avec le même enquêteur. En mars 2008, l’enquêteur a remis son rapport préliminaire. Les demandeurs ont été invités à formuler des commentaires, ce qu’ils ont fait en mai 2008.

 

[15]           Le 8 octobre 2009, la CISP a rendu sa décision. Mme Ouimet a décidé d’interrompre l’enquête en s’appuyant sur l’alinéa 24(1)e) de la LPFDAR. La CISP concluait que l’alinéa 24(1)e) [traduction] «  a une portée suffisamment large pour englober le débat de principe actuel relatif à l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel en vertu de la LAD et du Règlement. Il convient de souligner que l’AIFP ne pouvait pas se prévaloir d’une disposition semblable à celle de l’alinéa 24(1)e) en vertu de la politique antérieure ». La commissaire poursuivait en ces termes : [traduction] « l’existence du pouvoir discrétionnaire ministériel dans le Règlement reflète l’intention du législateur d’accorder au ministre une marge de manœuvre suffisante pour prendre des décisions éclairées sur des questions précises. Je ne pense pas que le législateur souhaitait que le Commissariat fasse enquête et formule des recommandations sur l’à‑propos et le caractère suffisant de l’exercice du pouvoir discrétionnaire accordé à un ministre dans une loi fédérale » (décision de la CISP datée du 8 octobre 2009, dossier de demande des demandeurs, volume XVI, page 5214).

 

[16]           La CISP a aussi conclu que les trois allégations étaient intimement liées entre elles et qu’elles découlaient d’un différend à caractère scientifique entre les parties relativement au caractère suffisant des données sur l’innocuité pour les humains que Santé Canada reçoit des fabricants dans les présentations de drogues nouvelles [PDN]. Elle soulignait que 12 autres scientifiques de la DMV, qui ne partageaient pas l’opinion scientifique des demandeurs, avaient envoyé une lettre à M. Steve Hindle, président de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, dans laquelle ils affirmaient n’avoir jamais senti de pressions indues pour approuver ou refuser des médicaments vétérinaires.

 

[17]           Enfin, la CISP a aussi tiré les conclusions suivantes :

[traduction]

 

[...] Le processus d’enquête qui a débuté en 2005 était fondé sur l’hypothèse selon laquelle l’AIFP, maintenant le Commissariat, en poursuivant l’enquête, pourrait établir la validité des allégations des divulgateurs selon lesquelles des données sur l’innocuité pour les humains auraient dû être obtenues avant l’approbation des médicaments. À mon avis, l’objet de la divulgation plaçait l’AIFP, et maintenant le Commissariat, dans la position difficile de tenter d’évaluer et de soupeser des éléments de preuve scientifiques et, en bout de piste, de trancher un différend à caractère scientifique entre les parties.

 

Je ne peux tirer de conclusion de fait sur la question de savoir s’il y a eu acte répréhensible ou formuler des recommandations éclairées à la haute direction lorsque l’objet de la divulgation concerne un débat d’orientation qui relève d’une situation visée à l’alinéa 24(1)e). (décision de la CISP datée du 8 octobre 2009, dossier de demande des demandeurs, volume XVI, page 5215)

 

[18]           Les demandeurs n’ont pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision de la CISP.

 

[19]           La commissaire Ouimet a quitté ses fonctions en octobre 2010 et M. Mario Dion est devenu le nouveau CISP le 20 décembre 2010. Il a ordonné un examen indépendant de tous les dossiers de divulgation d’actes répréhensibles et de plaintes relatives à des représailles fermés entre le 15 avril 2007 et le 19 décembre 2010 afin de décider s’il y avait lieu d’en rouvrir certains. Le CISP a confié à Deloitte & Touche LLP cet examen, dont l’objet était d’établir [traduction] « [...] si le travail effectué au cours de l’analyse des dossiers ou dans le cadre des enquêtes originales avait permis d’examiner de façon correcte et complète les questions soulevées dans la divulgation ou la plainte originale. Si l’examen d’un dossier révèle que l’analyse et/ou la collecte d’éléments de preuve ont été insuffisantes ou si la justification d’une décision n’est pas claire, le commissaire par intérim en est informé et il a le pouvoir d’ordonner la prise de mesures supplémentaires » (dossier de demande des demandeurs, volume XVI, page 222).

 

[20]           En ce qui concerne le dossier des demandeurs, Mme Holly Holtman, conseillère spéciale du commissaire Dion, a formulé la recommandation suivante :

[traduction]

 

L’objectif du processus d’examen des dossiers est d’évaluer la décision du CISP et d’établir si elle est conforme aux dispositions de la LPFDAR. Dans le cas présent, la commissaire de l’époque a cessé l’enquête en s’appuyant sur l’alinéa 24(1)e), concluant que l’objet de la divulgation ou de l’enquête concernait une affaire qui résultait de la mise en application d’un processus décisionnel équilibré et informé sur une question d’intérêt public. Le processus de prise de décision, établi dans le Règlement sur les aliments et drogues, accordait au ministre de la Santé le pouvoir discrétionnaire de fixer le degré de connaissance scientifique requis pour satisfaire aux exigences du processus d’approbation menant à l’octroi d’un avis de conformité pour des médicaments vétérinaires.

 

À mon avis, cette évaluation était correcte. En effet, l’établissement du degré de connaissance scientifique requis relève du pouvoir discrétionnaire du ministère en vertu de la Loi sur les aliments et drogues et du Règlement sur les aliments et drogues pris en vertu de cette loi. Par conséquent, la commissaire de l’époque a exercé de façon raisonnable son pouvoir discrétionnaire pour interrompre l’enquête en s’appuyant sur l’alinéa 24(1)e).

 

Elle poursuivait en ces termes :

 

[traduction]

 

Après examen complet des documents au dossier relatifs au complexe processus d’approbation des médicaments vétérinaires, je reconnais que la décision concernant les allégations nos 2 et 3 – soit que les scientifiques subissaient des pressions indues et risquaient des sanctions s’ils ne tiraient pas une conclusion favorable à l’industrie pharmaceutique et conforme aux attentes de leur gestionnaire – est « intrinsèquement liée à l’examen de la première allégation, parce qu’elles sont fondées sur la même opinion scientifique des divulgateurs selon laquelle il n’avait pas été tenu compte des données sur l’innocuité pour les humains ». Par conséquent, j’admets que la décision de cesser l’enquête sur ces allégations sur le fondement de l’alinéa 24(1)e) de la LPFDAR était correcte. (dossier de la demande des demandeurs, volume XIX, pages 5965 et 5966, recommandation au commissaire relativement au dossier D‑015)

 

[21]           Le 31 janvier 2012, le commissaire Dion a envoyé aux demandeurs une lettre les informant qu’il ne rouvrirait pas leur dossier. Le CISP concluait en ces termes :

[traduction]

[...] l’évaluation de l’ex‑commissaire était correcte. L’établissement du degré de connaissance scientifique requis relève du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu de la Loi sur les aliments et drogues et du Règlement établi sous le régime de cette loi. Par conséquent, la commissaire de l’époque a agi de façon raisonnable en exerçant son pouvoir discrétionnaire pour mettre un terme à l’enquête sur le fondement de l’alinéa 24(1)e) de la [LPFDAR]. (dossier de demande des demandeurs, volume I, page 33)

 

[22]           Le commissaire Dion a reconnu [traduction] « l’existence de lacunes sur le plan procédural au moment où l’enquête a été interrompue à l’automne 2008 », mais il a soutenu qu’elles n’avaient qu’une portée limitée et qu’elles [traduction] « n’avaient joué aucun rôle dans l’issue de la cause » (dossier de demande des demandeurs, volume I, page 33).

 

III.       Dispositions législatives pertinentes

 

[23]           Les dispositions applicables de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, LC 2005, c 46, sont annexées à la présente décision.

 

IV.       Questions en litige et norme de contrôle

 

A.        Questions en litige

 

[24]           Les parties ont adopté des points de vue différents sur les questions soulevées en l’espèce.

 

[25]           Les demandeurs ont relevé les questions suivantes :

 

1.                  Est‑ce que le CISP a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’intérêt public?

2.                  Est‑ce que l’AIFP/le CISP a agi de façon contraire à la décision de la Cour fédérale relativement à ces questions?

3.         Est‑ce que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire peut constituer un acte répréhensible en vertu de la LPFDAR?

4.         Est‑ce que l’acte répréhensible en question est soumis à un processus décisionnel équilibré et informé relativement à une question d’intérêt public?

5.                  Est‑ce que le processus qui a débouché sur les décisions de l’AIFP/du CISP était équitable?

 

[26]           Le défendeur a soulevé les questions suivantes :

 

1.                  Quelle est l’étendue du pouvoir discrétionnaire que le CISP peut exercer en vertu du paragraphe 24(1) de la LPFDAR?

2.                  Est‑ce que, dans la présente affaire, la décision de ne pas rouvrir le dossier devrait être annulée?

 

[27]           Ce qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire est la décision du CISP, datée du 31 janvier 2012, de ne pas rouvrir l’enquête interrompue par la commissaire Ouimet. Par conséquent, la Cour estime que la seule question en litige en l’espèce est la suivante :

 

                    i.                                                 Le CISP a‑t‑il commis une erreur en ne rouvrant pas l’enquête sur les allégations des demandeurs interrompue par la commissaire Ouimet?

 

B.        Norme de contrôle

 

[28]           Les demandeurs soutiennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte étant donné que le commissaire, en prenant sa décision, a commis des erreurs de droit importantes et a omis d’appliquer certaines dispositions de la loi. À leur avis, ces questions revêtent une importance fondamentale vu l’intérêt public en jeu en l’espèce. Par conséquent, c’est la norme de la décision correcte qui doit s’appliquer. Ils ont notamment renvoyé la Cour aux décisions suivantes : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, aux paragraphes 39 à 46, et Shire c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 97.

 

[29]           Selon le défendeur, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique étant donné que la question soulevée dans la présente demande est une décision du commissaire Dion de ne pas rouvrir un dossier. À cet effet, le défendeur s’appuie sur une décision récente de la Cour, Detorakis c Canada (Procureur général), 2010 CF 39, où il a été jugé que c’est la norme de la décision raisonnable qui devait s’appliquer à une décision des commissaires de ne pas poursuivre une enquête en application de l’alinéa 24(1)a) de la LPFDAR.

 

[30]           En l’absence de dispositions législatives à l’effet contraire, un organisme non juridictionnel a le pouvoir discrétionnaire de réexaminer une de ses décisions (voir Kurukkal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 230, au paragraphe 4; Noor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 308, au paragraphe 27; Trivedi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 422, au paragraphe 17; Nouranidoust c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 172 FTR 115, au paragraphe 24; et Zutter c British Columbia (Council of Human Rights), 1995 CanLII 1234 (C.A. C. –B.), au paragraphe 34). C’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique aux décisions à caractère discrétionnaire (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 51 et 53).

 

V.        Observations des parties

 

A.        Observations des demandeurs

 

            (i)         La décision du CISP est incompatible avec la décision de la Cour fédérale

 

[31]           Les demandeurs soutiennent que la décision du CISP relative à la réouverture de la décision est incompatible avec la décision Chopra, précitée, rendue par le juge O’Keefe. Ils allèguent que ni l’AIFP ni le CISP n’ont mené leur enquête conformément aux directives données par la Cour dans la décision Chopra. De plus, les demandeurs font valoir que les inquiétudes de la Cour concernant l’enquête initiale de l’AIFP dépassaient le défaut de ce dernier d’examiner le processus d’approbation de certains médicaments.

 

[32]           Les demandeurs affirment que la Cour, dans la décision Chopra, précitée, a mentionné expressément qu’un examen du processus d’approbation des médicaments n’ayant pas fait l’objet d’une enquête pourrait avoir des effets sur la deuxième allégation, relative aux pressions exercées en vue de faire approuver des médicaments. Selon les demandeurs, cet examen aurait sûrement eu des répercussions sur la troisième allégation et toutes ces questions étaient reliées entre elles. Étant donné que les autres allégations n’avaient jamais fait l’objet d’une enquête complète, la réouverture de la décision ne peut se justifier.

 

(ii)        L’exercice du pouvoir discrétionnaire peut constituer un acte répréhensible

 

[33]           Le CISP a justifié la fermeture du dossier en expliquant qu’il ne lui incombait pas de réévaluer l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel. Les demandeurs soulèvent un certain nombre de questions relativement à ce raisonnement. Premièrement, ils soulignent que, malgré le fait que Santé Canada s’est appuyé sur cet argument dans la décision Chopra, précitée, la Cour a néanmoins ordonné une enquête plus détaillée et plus poussée sur leurs allégations.

 

[34]           Deuxièmement, ils affirment que l’acceptation d’une telle proposition débouche inévitablement sur la conclusion que le pouvoir discrétionnaire ministériel ne devrait jamais équivaloir à un acte répréhensible et qu’il devrait toujours être à l’abri de toute forme d’examen.

 

[35]           Troisièmement, selon le raisonnement du CISP, il faut aussi supposer que l’acte répréhensible en question est limité au moment auquel le ministère a exercé son pouvoir discrétionnaire pour accorder l’AC. Or, les demandeurs soutiennent que l’existence d’un acte répréhensible pourrait aussi être constatée dans un certain nombre des étapes qui ont amené le ministre à décider d’accorder l’AC. Par exemple, ils mentionnent la décision initiale, prise en 1998, de renoncer à l’exigence quant à l’obtention de données relatives à l’innocuité pour les humains.

 

[36]           Quatrièmement, les demandeurs allèguent qu’il serait révoltant qu’une décision qui pourrait avoir des répercussions importantes sur la santé et la sécurité des Canadiens soit à l’abri de toute forme d’examen en vertu de la LPFDAR en raison de l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel à la fin du processus réglementaire.

 

[37]           Cinquièmement, le statut de la LPFDAR, en tant que loi d’intérêt public, doit nous obliger à conclure que l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel peut être considéré comme un acte répréhensible en vertu de cette même loi. En fait, l’alinéa 8d) de la LPFDAR mentionne expressément que la loi s’applique au « fait de causer — par action ou omission — un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement, à l’exception du risque inhérent à l’exercice des attributions d’un fonctionnaire ». Selon les demandeurs, le libellé de cette disposition ne donne pas à penser qu’il existe une limite protégeant l’exercice du pouvoir discrétionnaire contre toute forme d’examen.

 

[38]           Les demandeurs soutiennent que la question de l’existence du pouvoir discrétionnaire est non pertinente. En effet, pour garantir la santé et la sécurité du public, l’AIFP était tenu d’établir si l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire avait été approprié.

 

[39]           Selon les demandeurs, la faille dans l’approche du CISP est illustrée par les faits de l’espèce. Les demandeurs confirment que l’utilisation de la tylosine sur les animaux destinés à la consommation humaine est nocive parce qu’elle contribue à la résistance antimicrobienne chez les humains et qu’elle pourrait aussi avoir d’autres effets négatifs. Le législateur n’aurait jamais eu l’intention de laisser passer ce genre de situation simplement parce que la décision d’approuver les médicaments a été prise dans le cadre d’un pouvoir discrétionnaire du ministre.

 

[40]           Les demandeurs soutiennent qu’il n’existe aucun doute quant au fait que le composant avec Tylan a été approuvé en l’absence de données sur l’innocuité pour les humains. Même s’il était allégué que de telles données avaient été examinées, l’AIFP/le CISP aurait dû établir si elles étaient suffisantes ou non. De plus, même si l’AIFP a eu raison de souligner que la ligne directrice intitulée Préparation des présentations de drogues nouvelles vétérinaires (la ligne directrice), publiée par Santé Canada, n’a pas un caractère obligatoire, il aurait quand même dû chercher à savoir pour quelles raisons la pratique recommandée en vue de l’approbation de médicaments a été contournée en l’espèce. En d’autres termes, il aurait dû vérifier si la renonciation à l’application des exigences normales était justifiable ou si elle avait été influencée par des motifs non appropriés. Ils soutiennent que la décision du CISP est particulièrement déconcertante étant donné que l’AIFP avait non seulement entrepris à l’origine d’établir la nature du pouvoir discrétionnaire exercé, mais qu’il s’était aussi penché sur la question de savoir s’il avait été utilisé de façon appropriée en l’espèce.

 

[41]           Les demandeurs allèguent que le courriel de deux phrases reproduit ci‑après constitue la seule justification de la décision de ne pas demander de données sur l’innocuité pour les humains :

[traduction]

Bonjour Joy : la quantité de tartrate de tylosine (29 mg) utilisée comme antimicrobien local pour l’implant ne posera aucun risque supplémentaire pour la santé des consommateurs. Il n’est pas nécessaire que la Division de l’innocuité pour les humains passe en revue les présentations. Man Sen (dossier de demande des demandeurs, volume V, page 1368)

 

[42]           Les demandeurs soutiennent que cette affirmation est loin de constituer une justification valable de l’omission de mettre en œuvre une pratique bien établie et de ne pas demander de données sur l’innocuité pour les humains.

 

[43]           Outre cette préoccupation, les demandeurs font valoir que l’AIFP/le CISP a omis d’aborder plusieurs autres questions qu’ils ont soulevées, notamment : 1) les pressions exercées pour faire approuver ou laisser sur le marché des médicaments dont l’efficacité est douteuse; 2) les nombreux exemples de représailles qu’ils ont subies; 3) leurs préoccupations à caractère systémique au sujet de la culture du ministère qui décourageait les débats et encourageait les approbations.

 

[44]           Ils affirment que le point de vue du CISP selon lequel les deuxième et troisième allégations ne devraient pas faire l’objet d’un examen parce qu’elles sont [traduction] « intimement liées » à la première n’a aucun fondement logique. Premièrement, l’allégation relative aux pressions exercées en vue de l’approbation de médicaments est indépendante de la question de l’approbation de la tylosine. En effet, les demandeurs ont soutenu qu’il existait une culture de l’organisation qui favorisait l’approbation de médicaments plutôt que l’examen scientifique rigoureux des présentations des nouveaux médicaments. Deuxièmement, le CISP ne pouvait pas conclure que la première allégation était intimement liée à la deuxième et à la troisième parce qu’il n’avait pas effectué l’examen de tous les médicaments en cause. Étant donné que l’AIFP/le CISP n’a pas enquêté sur les médicaments en cause dans la décision Chopra, précitée, comme le lui enjoignait de le faire la Cour dans cette décision, il ne pouvait pas conclure qu’il n’existait pas d’éléments de preuve à l’intérieur du processus d’approbation de médicaments qui établissaient l’existence de représailles.

 

[45]           Le défaut d’enquêter sur ces allégations représente un échec complet quant à l’objet et à l’esprit de la LPFDAR.

 

(iii)       La CISP a commis une erreur en s’appuyant sur l’alinéa 24(1)e) de la LPFDAR

 

[46]           La commissaire Ouimet a refusé de donner suite à la divulgation des demandeurs en s’appuyant sur l’alinéa 24(1)e) de la LPFDAR parce qu’elle estimait que la divulgation [traduction] « concernait une affaire qui résultait de la mise en application d’un processus décisionnel équilibré et informé portant sur une question d’intérêt public ». Selon les demandeurs, pour justifier une décision fondée sur cette disposition, la commissaire Ouimet était tenue de tirer une conclusion de fait selon laquelle il était satisfait à toutes les conditions contenues dans ladite disposition législative, ce qu’elle n’a pas fait. Le CISP n’a relevé aucun [traduction] « processus formel de prise de décision » dans le cadre duquel auraient été abordées les questions soulevées par les demandeurs. En effet, la commissaire Ouimet semble plutôt avoir simplement supposé qu’un tel processus avait effectivement été engagé étant donné que les questions avaient fait l’objet d’un certain débat et qu’il en avait discuté publiquement.

 

[47]           Les demandeurs soutiennent que même si la Cour conclut que la commissaire Ouimet s’est appuyée à bon droit sur l’alinéa 24(1)e) pour décider d’interrompre l’enquête sur les allégations relatives à certains médicaments, rien dans sa décision ne permet de conclure que les deux autres allégations, concernant une affaire résultant de la mise en application d’un processus décisionnel équilibré et informé sur une question d’intérêt public, sont interreliées.

 

(iv)       Le CISP n’a pas tenu compte de l’intérêt public ou du statut quasi constitutionnel de la LPFDAR

 

[48]           La commissaire Ouimet n’a pas reconnu le statut quasi constitutionnel de la loi qu’elle appliquait ou le fait que sa décision limitait réellement les droits des demandeurs à cet égard.

 

B.        Observations du défendeur

 

[49]           Le défendeur a invité la Cour à se pencher sur le régime de la LPFDAR et sur son préambule, qui indiquent clairement que la loi cherche à établir un équilibre pertinent entre deux principes importants. Dans ce contexte, le commissaire a obtenu le pouvoir discrétionnaire d’interrompre une enquête ou de donner suite à une divulgation dans les circonstances décrites à l’article 24 de la LPFDAR.

 

[50]           La décision du CISP d’interrompre une enquête sur une divulgation pour un des motifs énoncés au paragraphe 24(1) de la LPFDAR a un caractère nettement discrétionnaire. En effet, le commissaire « peut refuser de donner suite à une divulgation ou de commencer une enquête et de la poursuivre, s’il estime, selon le cas » qu’une des situations énumérées s’applique. Selon le défendeur, le paragraphe 24(1) de la LPFDAR confère au commissaire un rôle de gardien et lui accorde le pouvoir discrétionnaire qui lui permet de décider s’il convient ou non de faire enquête sur une plainte.

 

[51]           Le défendeur affirme aussi que l’exercice du pouvoir discrétionnaire du commissaire n’a pas été limité par la décision Chopra, précitée. En effet, la Cour a demandé dans Chopra un nouvel examen de l’affaire et non un résultat en particulier. Le défendeur soutient que l’AIFP a respecté les directives de la Cour et a repris l’enquête sur les médicaments qu’il avait négligé d’examiner précédemment.

 

[52]           Qui plus est, selon le défendeur, l’ordonnance de la Cour était antérieure à l’adoption de la LPFDAR. En effet, l’article 54.3 de la Loi, sa disposition transitoire, prévoit que toute divulgation engagée avant l’entrée en vigueur de la Loi « est continuée conformément à la présente loi ». Par conséquent, tant la commissaire Ouimet que le commissaire Dion pouvaient légitimement s’appuyer sur l’alinéa 24(1)e) pour rendre leurs décisions respectives.

 

[53]           Le défendeur fait aussi valoir que la décision de la commissaire Ouimet était raisonnable. Comme cette dernière l’a expliqué dans sa décision, la divulgation portait sur des divergences à caractère scientifique entre les demandeurs et leur employeur relativement à l’interprétation de la LAD et du Règlement. Il s’agit de divergences sur lesquelles elle n’avait pas la capacité de se prononcer, particulièrement compte tenu du fait que la législation applicable accorde au ministre de la Santé un vaste pouvoir discrétionnaire en matière d’établissement de normes réglementaires.

 

[54]           Le défendeur souligne aussi le fait que la commissaire Ouimet s’est appuyée à bon droit sur le rapport préliminaire produit par le nouvel enquêteur affecté au réexamen de la divulgation en conformité des directives de la Cour dans la décision Chopra, précitée. En ce qui a trait à la première allégation, le rapport a établi que les médicaments en question soit avaient été approuvés sur la foi des données nécessaires, soit n’avaient pas été approuvés du tout. L’enquêteur a conclu qu’aucun des médicaments en cause n’avait été approuvé dans le cadre d’un processus qui contrevenait aux dispositions de la LAD ou de son Règlement.

 

[55]           En ce qui a trait à la deuxième allégation, l’enquêteur a estimé que la preuve dont il avait pris connaissance ne lui permettait pas de conclure que les médicaments avaient été approuvés par suite de pressions exercées sur les demandeurs.

 

[56]           En ce qui concerne la troisième allégation, l’enquêteur a passé en revue des exemples de mesures disciplinaires et des documents connexes et a conclu, vu le caractère général des assertions des demandeurs et l’absence de renseignements plus précis à l’appui, que l’allégation était non fondée et qu’aucune autre enquête n’était justifiée.

 

[57]           Soulignant le fait que ni la commissaire Ouimet ni le commissaire Dion n’avaient jugé que l’enquête avait été parfaite, le défendeur soutient que la commissaire Ouimet s’est demandé, avec raison, si la poursuite de l’enquête aurait une utilité quelconque. Elle a conclu par la négative parce que l’objet des trois allégations était lié à des divergences d’opinions scientifiques sur le caractère adéquat et suffisant des dispositions de la LAD et de son Règlement. Selon le défendeur, il était loisible à la commissaire de tirer cette conclusion.

 

[58]           Le défendeur souligne aussi le fait que les demandeurs n’ont pas contesté la conclusion du commissaire Dion selon laquelle les manquements à caractère procédural n’avaient pas eu de répercussions sur l’issue de la cause.

 

[59]           Contrairement aux assertions des demandeurs contenues dans leur mémoire, le défendeur soutient que la commissaire Ouimet n’était pas tenue de tirer la conclusion de fait explicite qu’il avait été satisfait à toutes les exigences de l’alinéa 24(1)e). Le commissaire Dion n’avait pas non plus à le faire dans sa décision de ne pas rouvrir le dossier, soit la décision en cause en l’espèce. Citant l’arrêt de la Cour suprême du Canada Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, le défendeur affirme que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule d’annuler une décision.

 

[60]           Selon le défendeur, le commissaire Dion a décidé de ne pas rouvrir le dossier des demandeurs parce qu’il estimait que la commissaire Ouimet avait effectué une évaluation correcte des faits en appliquant l’alinéa 24(1)e) de la LPFDAR. Il était tout à fait raisonnable qu’il tire cette conclusion.

 

 

VI.       Analyse

 

[61]           La décision qui fait l’objet du contrôle en l’espèce est celle qu’a rendue le commissaire Dion le 31 janvier 2012. Il a décidé de ne pas rouvrir l’enquête sur le dossier des demandeurs après avoir fait effectuer de son propre chef une révision générale de l’ensemble des dossiers fermés par l’ex‑commissaire entre le 15 avril 2007 et le 19 décembre 2010. La présente instance ne constitue donc pas le contrôle judiciaire de la décision qu’a prise la commissaire Ouimet en 2009 d’interrompre l’enquête en vertu de l’alinéa 24(1)e) de la LPFDAR. Les demandeurs n’ont pas contesté cette décision à l’intérieur du délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

 

[62]           La décision de procéder à l’examen d’un dossier afin d’établir si la décision rendue par la commissaire Ouimet en 2009 tombait sous le coup de la LPFDAR a une portée plus limitée. En effet, la capacité d’un organisme administratif de rouvrir une décision, en l’absence d’un pouvoir législatif explicite à cette fin, est généralement limitée par le principe du functus officio.

 

[63]           La Cour suprême du Canada a discuté des fondements du principe du functus officio et son application aux tribunaux administratifs dans l’arrêt Chandler c Alberta association of architects, 1989 CanLII 41 (CSC), [1989] 2 RCS 848 [Chandler] :

19  La règle générale portant qu’on ne saurait revenir sur une décision judiciaire définitive découle de la décision de la Court of Appeal d’Angleterre dans In re St. Nazaire Co. (1879), 12 Ch. D. 88. La cour y avait conclu que le pouvoir d’entendre à nouveau une affaire avait été transféré à la division d’appel en vertu des Judicature Acts. La règle ne s’appliquait que si le jugement avait été rédigé, prononcé et inscrit, et elle souffrait deux exceptions :

 

1.         lorsqu’il y avait eu lapsus en la rédigeant ou,

 

2.         lorsqu’il y a une erreur dans l’expression de l’intention manifeste de la cour. Voir Paper Machinery Ltd. v. J. O. Ross Engineering Corp., [1934] R.C.S. 186.

 

[...]

 

21  Le principe du functus officio s’applique dans cette mesure. Cependant, il se fonde sur un motif de principe qui favorise le caractère définitif des procédures plutôt que sur la règle énoncée relativement aux jugements officiels d’une cour de justice dont la décision peut faire l’objet d’un appel en bonne et due forme. C’est pourquoi j’estime que son application doit être plus souple et moins formaliste dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur une question de droit. Il est possible que des procédures administratives doivent être rouvertes, dans l’intérêt de la justice, afin d’offrir un redressement qu’il aurait par ailleurs été possible d’obtenir par voie d’appel.

 

22  Par conséquent, il ne faudrait pas appliquer le principe de façon stricte lorsque la loi habilitante porte à croire qu’une décision peut être rouverte afin de permettre au tribunal d’exercer la fonction que lui confère sa loi habilitante. C’était le cas dans l’affaire Grillas, précitée.

 

23  De plus, si le tribunal administratif a omis de trancher une question qui avait été soulevée à bon droit dans les procédures et qu’il a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habilitante, on devrait lui permettre de compléter la tâche que lui confie la loi. Cependant, si l’entité administrative est habilitée à trancher une question d’une ou de plusieurs façons précises ou par des modes subsidiaires de redressement, le fait d’avoir choisi une méthode particulière ne lui permet pas de rouvrir les procédures pour faire un autre choix. Le tribunal ne peut se réserver le droit de le faire afin de maintenir sa compétence pour l’avenir, à moins que la loi ne lui confère le pouvoir de rendre des décisions provisoires ou temporaires. Voir Huneault c. Société centrale d’hypothèques et de logement (1981), 41 N.R. 214 (C.A.F.).

 

24  Dans l’affaire qui nous intéresse, la Commission n’a pas statué sur la question dont elle était saisie d’une manière permise par l’Architects Act. La Commission a voulu rendre une décision définitive, mais cette décision est nulle de nullité absolue, ce qui équivaut en droit à une absence totale de décision. Traditionnellement, le tribunal dont la décision est nulle a été autorisé à réexaminer la question dans son entier et à prononcer une décision valide. [...]

 

25  Si l’erreur qui a pour effet de rendre nulle la décision entache la totalité des procédures, le tribunal doit tout recommencer. Les arrêts Ridge v. Baldwin, [1964] A.C. 40 (H.L.), Lange v. Board of School Trustees of School District No. 42 (Maple Ridge) (1978), 9 B.C.L.R. 232 (C.S.C.‑B.), et Posluns v. Toronto Stock Exchange, [1968] R.C.S. 330, se situent dans cette catégorie. Dans chaque cas, il s’agissait d’un déni de justice naturelle qui avait pour effet de vicier toute l’instance. Le tribunal était tenu de tout recommencer afin de remédier à ce vice. (arrêt Chandler, précité, aux paragraphes 19 et 21 à 25)

 

[64]           Selon l’arrêt Chandler, précité, les tribunaux administratifs ont, dans les situations suivantes, le pouvoir de rouvrir une décision à l’égard de laquelle il n’existe aucun droit d’appel : 1) il est toujours possible de rouvrir une instance s’il y a eu déni de justice naturelle ayant eu pour effet de la vicier ou de la rendre nulle (voir Chandler, au paragraphe 25; et Nazifpour c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 35, au paragraphe 36); 2) « la loi habilitante porte à croire qu’une décision peut être rouverte afin de permettre au tribunal d’exercer la fonction que lui confère sa loi habilitante » (l’existence de nouveaux éléments de preuve) (Chandler au paragraphe 22); 3) l’erreur de compétence (Chandler, au paragraphe 24); et 4) le défaut du tribunal administratif « de trancher une question qui avait été soulevée à bon droit dans les procédures et qu’il a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habilitante » (Chandler, au paragraphe 23).

 

[65]           À défaut d’une intention du législateur à l’effet contraire, il est évident qu’un tribunal administratif peut rouvrir une instance dans les cas de déni de justice naturelle, d’erreur de compétence ou de défaut d’aborder une question soulevée à bon droit dans le cadre de l’instance.

 

[66]           En l’espèce, le CISP a décidé de faire réexaminer tous les dossiers relatifs à des plaintes d’actes répréhensibles et à des représailles fermés entre le 15 avril 2007 et le 19 décembre 2010 afin d’établir si certains d’entre eux devaient être rouverts. Il n’existe aucun droit d’appel à l’égard d’une décision du CISP de fermer une enquête. En effet, ni la LPFDAR ni les Règles de pratique du Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, DORS/2011‑170, n’autorisent le CISP à rouvrir des dossiers relatifs à des plaintes qui ont été fermés. Comme il a été souligné dans la décision Kurukkal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 695, au paragraphe 60, confirmée par 2010 CAF 230, le silence de la loi quant au pouvoir de rouvrir une décision de nature non juridictionnelle n’indique pas forcément que l’intention du législateur était de ne pas permettre le réexamen de la décision. De plus, la Cour estime qu’il faut plus que le silence (c.‑à‑d., une volonté expresse du législateur) pour exclure les exceptions bien reconnues en common law à l’application du principe du functus officio décrites dans l’arrêt Chandler, précité. Le CISP a le pouvoir de rouvrir une enquête pour les motifs décrits dans cet arrêt.

 

[67]           Comme il a été souligné précédemment, le CISP a décrit en ces termes ce que le processus de l’examen avait pour objet d’établir :

[traduction]

[...] si le travail effectué au cours de l’analyse des dossiers ou dans le cadre des enquêtes originales avait permis d’examiner de façon correcte et complète les questions soulevées dans la divulgation ou la plainte originale. Si l’examen d’un dossier révèle que l’analyse et/ou la collecte d’éléments de preuve ont été insuffisantes ou si la justification d’une décision n’est pas claire, le commissaire par intérim en est informé et il a le pouvoir d’ordonner la prise de mesures supplémentaires. (dossier de demande des demandeurs, volume XVI, page 5222)

 

[68]           Plusieurs des questions soulevées dans cet extrait sont considérées par la jurisprudence comme des motifs acceptables pour la réouverture d’une décision. Par exemple, le fait de vérifier si l’enquête a porté sur l’ensemble des questions soulevées dans la plainte originale correspond à l’exception suivante décrite dans l’arrêt Chandler, précité : « [omettre] de trancher une question qui avait été soulevée à bon droit dans les procédures et [que le tribunal administratif] a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habilitante ».

 

[69]           Dans sa décision datée du 31 janvier 2012 (la « décision sur la réouverture »), le CISP formulait le commentaire suivant :

[traduction]

Dans ses observations supplémentaires soumises le 13 juin 2011, votre avocat a relevé certaines inquiétudes qu’il entretenait relativement à des aspects procéduraux de l’enquête. Après avoir fait un examen approfondi du rapport préliminaire de l’enquête du CISP, je reconnais l’existence de lacunes sur le plan procédural au moment où l’enquête été interrompue à l’automne 2008. (dossier de demande des demandeurs, volume XVI, page 5236)

 

[70]           Même en reconnaissant l’existence de certains problèmes en matière d’équité procédurale dans l’enquête de l’AIFP/de la CISP, le CISP a conclu que ces problèmes n’avaient pas eu de répercussions sur l’issue de la cause.

[traduction]

La commissaire qui occupait le poste précédemment a décidé d’interrompre l’enquête étant donné qu’elle était d’avis que l’objet de l’enquête concernait une affaire qui résultait de la mise en application d’un processus décisionnel équilibré et informé sur une question d’intérêt public. L’ancienne commissaire n’a pas pris sa décision en s’appuyant sur les conclusions préliminaires d’une enquête incomplète. Par conséquent, à mon avis, les lacunes du processus d’enquête n’ont joué aucun rôle dans l’issue de la cause. (dossier de demande des demandeurs, volume XVI, page 5236)

 

Cette conclusion n’est pas contestée par les demandeurs.

 

[71]           Ayant conclu que le commissaire Dion avait le pouvoir d’ordonner le réexamen de la décision de la commissaire Ouimet, la Cour, appliquant la norme de contrôle appropriée, doit maintenant décider s’il était raisonnable qu’il conclue que la commissaire Ouimet s’est appuyée à bon droit sur l’alinéa 24(1)e) de la LPFDAR pour interrompre l’enquête sur la plainte d’actes répréhensibles imputés à Santé Canada par les demandeurs.

 

                    i.                                                 Le CISP a‑t‑il commis une erreur en ne rouvrant pas l’enquête sur les allégations des demandeurs interrompue par la commissaire Ouimet?

 

[72]           Le rôle de la Cour ne consiste pas à apprécier à nouveau la preuve qui avait été présentée au commissaire Dion, mais plutôt d’établir s’il a commis une erreur en évaluant le dossier dont il disposait.

 

[73]           Pour les motifs suivants, la Cour estime qu’aucune erreur de cette nature n’a été commise.

 

[74]           Dans la preuve soumise par les demandeurs au sujet du réexamen en question, la Cour ne peut déceler aucune omission. Les demandeurs soutiennent que la commissaire Ouimet ne pouvait pas s’appuyer sur l’alinéa 24(1)e) pour interrompre l’enquête parce que cette décision est contraire à l’esprit de la LPFDAR et en raison du statut quasi constitutionnel de cette loi. La Cour n’est pas d’accord. Premièrement, il ne ressort nulle part dans la jurisprudence que la LPFDAR a un statut quasi constitutionnel. En effet, il ne fait aucun doute, dès le préambule de la LPFDAR, que cette loi a pour objet d’établir un équilibre entre les obligations d’un fonctionnaire à l’égard de son employeur et son droit à la liberté d’expression garanti par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 [la Charte]. Le fait qu’un droit garanti par la Charte soit en jeu ne confère pas à la loi en cause un statut quasi constitutionnel. Dans l’arrêt Lavigne c Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, au paragraphe 23, la Cour suprême a cité l’extrait suivant de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c Viola, [1991] 1 CF 373, à la page 386, pour définir les caractéristiques qui doivent être présentes pour qu’une loi revête un statut quasi constitutionnel :

La Loi sur les langues officielles de 1988 n’est pas une loi ordinaire. Elle reflète à la fois la Constitution du pays et le compromis social et politique dont il est issu. Dans la mesure où elle est l’expression exacte de la reconnaissance des langues officielles inscrite aux paragraphes 16(1) et 16(3) de la Charte canadienne des droits et libertés, elle obéira aux règles d’interprétation de cette Charte telles qu’elles ont été définies par la Cour suprême du Canada. Dans la mesure, par ailleurs, où elle constitue un prolongement des droits et garanties reconnus dans la Charte, et de par son préambule, de par son objet défini en son article 2, de par sa primauté sur les autres lois établies en son paragraphe 82(1), elle fait partie de cette catégorie privilégiée de lois dites quasi‑constitutionnelles qui expriment «  certains objectifs fondamentaux de notre société » et qui doivent être interprétées « de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui (les) sous‑tendent ».

 

[75]           La Cour n’estime pas que la LPFDAR possède les caractéristiques qui permettraient de lui accorder un statut quasi constitutionnel.

 

[76]           Les demandeurs soutiennent que la commissaire Ouimet a commis une erreur en appliquant l’alinéa 24(1)e) et que le commissaire Dion en a aussi commis une en concluant qu’une telle décision était possible étant donné que toutes les décisions comportent l’exercice d’un certain pouvoir discrétionnaire; par conséquent, il faudrait en déduire que toutes les décisions prises par une personne exerçant un certain pouvoir pourraient théoriquement être exclues de toute forme d’examen. Selon les demandeurs, cette façon d’appliquer la Loi prive cette dernière de toute efficacité.

 

[77]           La Cour n’accepte pas cette interprétation. Le commissaire Dion a dit très précisément : [traduction] « l’établissement du degré de connaissance scientifique requis relève du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu de la Loi sur les aliments et drogues... ». Pour parvenir à cette affirmation, la commissaire devait nécessairement se demander si les décisions du ministre relativement à l’approbation des médicaments en cause et son évaluation de la portée de la preuve scientifique nécessaire permettant de justifier lesdites approbations respectaient le Règlement. À ce sujet, voici les commentaires de la Cour dans la décision Chrétien c Canada, 2002 CFPI 506, au paragraphe 24 :

[24] La Cour suprême sous la plume du juge McIntyre traite de la déférence que les cours doivent avoir lorsqu’il y a prise de décision sous l’angle d’un pouvoir discrétionnaire. Voir Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, à la page 7 : C’est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s’ingérer dans l’exercice qu’un organisme désigné par la loi fait d’un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la Cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

 

[78]           Contrairement à la prétention des demandeurs, il ressort clairement de ce qui précède qu’il existe des cas où les cours de justice sont autorisées à intervenir et interviennent.

 

[79]           De plus, en examinant le pouvoir discrétionnaire accordé au commissaire en vertu de l’article 24, la Cour estime évident que ce dernier énumère plusieurs motifs sur lesquels il peut s’appuyer pour refuser de traiter une divulgation. En résumé, la Loi accorde au commissaire un vaste pouvoir discrétionnaire. Dans la décision Detorakis c Canada (Procureur général), 2010 CF 39, au paragraphe 106, la Cour a déclaré ce qui suit :

[. . . ]

 

i.                    Le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 24(1) a une très large portée. Il semble qu’il vise à permettre au commissaire de décider s’il est dans l’intérêt du public de faire enquête sur la plainte ou de déterminer, sur la foi des renseignements fournis par le plaignant, si l’affaire pourrait avantageusement être instruite sous le régime d’une autre loi. Il y a lieu de présumer que le Commissariat possède une certaine expertise en la matière.

 

[. . . ]

 

[80]           En l’espèce, ce pouvoir discrétionnaire a été exercé en 2009 en tenant compte du fait que l’article 24 s’appliquait maintenant à la plainte des demandeurs vu la disposition transitoire de l’article 54.3.

 

[81]           Selon les demandeurs, pour que la commissaire refuse de traiter leur divulgation sur le fondement de l’alinéa 24(1)e) de la LPFDAR parce qu’elle estimait que son objet « concernait une affaire qui résultait de la mise en application d’un processus décisionnel équilibré et informé sur une question d’intérêt public », elle était tenue de tirer la conclusion de fait que toutes les conditions requises pour l’application de l’alinéa étaient réunies, ce qu’elle n’a pas fait.

 

[82]           Au vu de la preuve soumise à la commissaire, la Cour peut constater que cette dernière était aux prises avec les opinions scientifiques très divergentes des demandeurs, de leur employeur et de certains de leurs confrères et collègues de travail. Elle avait aussi consulté le Règlement, la LAD et les normes pertinentes. Après examen des motifs du commissaire Dion et de sa décision de maintenir le dossier fermé, la Cour juge évident que tous ces documents avaient été pris en compte et qu’une conclusion de fait implicite avait été tirée. Cette décision faisait partie des issues possibles acceptables étant donné que le commissaire n’était pas en mesure de trancher le débat scientifique en cause.

 

[83]           Les demandeurs soutiennent aussi que la Cour, dans la décision Chopra, précitée, avait estimé qu’une enquête appropriée sur les processus d’approbation de tous les médicaments mentionnés dans la divulgation aurait pu avoir des répercussions sur l’évaluation de leur dossier. La Cour n’est pas d’accord. La ratio decidendi de la décision dans Chopra était que l’AIFP s’était engagé à faire l’examen de la procédure d’approbation de huit médicaments vétérinaires, mais qu’il n’avait examiné que la procédure visant les médicaments contenant le composant avec Tylan. Même si l’AIFP avait conclu que le pouvoir discrétionnaire ministériel avait été exercé correctement à l’égard des  médicaments contenant le composant avec Tylan, la Cour n’avait « aucun moyen de savoir quelles auraient été les conclusions de l’AIFP si ces autres questions avaient été prises en considération » (Chopra, au paragraphe 73).

 

[84]           Après le prononcé de la décision Chopra, précitée, l’AIFP a fait enquête sur les processus d’approbation des autres médicaments énumérés dans la divulgation des demandeurs et a conclu, dans son rapport préliminaire, que le pouvoir discrétionnaire ministériel avait été correctement exercé.

 

[85]           M. Ron Calvert, l’enquêteur assigné au dossier, juge qu’aucun médicament n’a été approuvé d’une façon contraire aux dispositions de la LAD et de son Règlement, et que l’enquête ne lui a pas permis de conclure que des médicaments vétérinaires avaient été approuvés en l’absence de données sur l’innocuité pour les humains par suite de pressions exercées sur les divulgateurs à Santé Canada ou que les évaluateurs de médicaments ont fait l’objet de mesures disciplinaires pour omission de suivre les instructions de la direction de favoriser le lobby des médicaments pharmaceutiques vétérinaires (voir le rapport d’enquête préliminaire daté du 12 mars 2008, dossier de demande des demandeurs, volume XIII, page 4312). Cette conclusion concile clairement les décisions des commissaires et celle du juge O’Keefe. M. Calvert est parvenu aux conclusions susmentionnées après avoir fait l’examen du processus d’approbation relatif aux médicaments qui, selon le juge O’Keefe, n’avait pas été effectué.

 

[86]           Tant la commissaire Ouimet que le commissaire Dion disposaient de conclusions selon lesquelles le ministre avait agi dans le cadre des pouvoirs qui lui sont délégués.

 

[87]           Il s’agit en l’espèce d’établir si l’enquête sur les processus d’approbation était suffisamment approfondie. Nous sommes bien loin de la situation dont il était question dans la décision Chopra, précitée, où il n’y avait pas eu enquête. La commissaire Ouimet a décidé qu’une enquête plus poussée ne modifierait pas sa conclusion étant donné que la même question des divergences entre scientifiques est, pour chaque médicament, au centre du processus d’approbation. Cette conclusion était raisonnable et il lui était loisible de la tirer vu la preuve au dossier. À son tour, le commissaire Dion a exercé de façon raisonnable son pouvoir discrétionnaire en décidant de ne pas rouvrir le dossier des demandeurs étant donné qu’il a tiré une conclusion semblable à partir de la preuve au dossier.

 

[88]           Dans la mesure où les demandeurs invoquent comme motif le fait que la commissaire Ouimet a omis de trancher une question qui était équitablement soulevée dans l’instance en n’examinant pas correctement les deuxième et troisième demandes, leur argument doit être rejeté. En effet, ce motif de réouverture s’applique lorsqu’un décideur administratif omet de trancher une question et non dans les cas où elle n’a pas été tranchée de façon appropriée. De plus, il était loisible au commissaire Dion de conclure que les questions étaient liées entre elles eu égard à la preuve qui lui avait été soumise par les demandeurs, selon laquelle ces derniers subissaient des pressions à cause de leurs convictions sur le plan scientifique et à cause des représailles qui auraient été exercées contre eux.

 

[89]           La Cour estime que la décision du commissaire Dion était raisonnable étant donné qu’il a pris en compte tous les éléments à sa disposition et qu’il a conclu que la décision de sa prédécesseure était à bon droit fondée sur l’alinéa 24(1)e). Selon la preuve au dossier, il était raisonnable de leur part de parvenir à une telle conclusion.

 

[90]           Étant donné que les demandeurs n’ont pas réussi à établir que le commissaire Dion a commis une erreur susceptible de révision lorsqu’il a évalué la décision de sa prédécesseure d’interrompre l’enquête relative à leur plainte, la Cour rejette la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens.

 

[91]           Se fondant sur le montant des dépens à payer proposé par les parties, peu importe la partie qui a gain de cause, la Cour adjuge des dépens de 5 000 $ au défendeur.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et les demandeurs doivent verser des dépens de 5 000 $ au défendeur.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


Annexe

 

Voici le libellé de l’article 8, du paragraphe 24(1) et de l’article 54.3 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, LC 2005, c 46 :

 

Actes répréhensibles

 

8. La présente loi s’applique aux actes répréhensibles ci‑après commis au sein du secteur public ou le concernant :

 

a) la contravention d’une loi fédérale ou provinciale ou d’un règlement pris sous leur régime, à l’exception de la contravention de l’article 19 de la présente loi;

 

b) l’usage abusif des fonds ou des biens publics;

 

c) les cas graves de mauvaise gestion dans le secteur public;

 

d) le fait de causer — par action ou omission — un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement, à l’exception du risque inhérent à l’exercice des attributions d’un fonctionnaire;

 

e) la contravention grave d’un code de conduite établi en vertu des articles 5 ou 6;

 

f) le fait de sciemment ordonner ou conseiller à une personne de commettre l’un des actes répréhensibles visés aux alinéas a) à e).

 

Wrongdoings

 

8. This Act applies in respect of the following wrongdoings in or relating to the public sector:

 

(a) a contravention of any Act of Parliament or of the legislature of a province, or of any regulations made under any such Act, other than a contravention of section 19 of this Act;

 

(b) a misuse of public funds or a public asset;

 

(c) a gross mismanagement in the public sector;

 

(d) an act or omission that creates a substantial and specific danger to the life, health or safety of persons, or to the environment, other than a danger that is inherent in the performance of the duties or functions of a public servant;

 

 

(e) a serious breach of a code of conduct established under section 5 or 6; and

 

 

(f) knowingly directing or counselling a person to commit a wrongdoing set out in any of paragraphs (a) to (e).

 

 

 

 

 

Refus d’intervenir
 

 (1) Le commissaire peut refuser de donner suite à une divulgation ou de commencer une enquête ou de la poursuivre, s’il estime, selon le cas :

 

 

a) que l’objet de la divulgation ou de l’enquête a été instruit comme il se doit dans le cadre de la procédure prévue par toute autre loi fédérale ou pourrait l’être avantageusement selon celle‑ci;

 

 

b) que l’objet de la divulgation ou de l’enquête n’est pas suffisamment important;

 

c) que la divulgation ou la communication des renseignements visée à l’article 33 n’est pas faite de bonne foi;

 

d) que cela serait inutile en raison de la période écoulée depuis le moment où les actes visés par la divulgation ou l’enquête ont été commis;

 

 

e) que les faits visés par la divulgation ou l’enquête résultent de la mise en application d’un processus décisionnel équilibré et informé;

 

 

f) que cela est opportun pour tout autre motif justifié.

 

Right to refuse
 

 (1) The Commissioner may refuse to deal with a disclosure or to commence an investigation — and he or she may cease an investigation — if he or she is of the opinion that

 

(a) the subject‑matter of the disclosure or the investigation has been adequately dealt with, or could more appropriately be dealt with, according to a procedure provided for under another Act of Parliament;

 

(b) the subject‑matter of the disclosure or the investigation is not sufficiently important;

 

(c) the disclosure was not made in good faith or the information that led to the investigation under section 33 was not provided in good faith;

 

(d) the length of time that has elapsed since the date when the subject‑matter of the disclosure or the investigation arose is such that dealing with it would serve no useful purpose;

 

(e) the subject‑matter of the disclosure or the investigation relates to a matter that results from a balanced and informed decision‑making process on a public policy issue; or

 

(f) there is a valid reason for not dealing with the subject‑matter of the disclosure or the investigation.

 

 

 

 

 

 

 

 

Continuité
 
 Toute divulgation engagée, à l’entrée en vigueur du présent article, aux termes de la politique du Conseil du Trésor intitulée Politique sur la divulgation interne d’information concernant des actes fautifs est continuée conformément à la présente loi.
Continuation
 
 Disclosures under the Treasury Board Policy on the Internal Disclosure of Information Concerning Wrongdoing in the Workplace that are being dealt with on the coming into force of this section are to be continued as though they had been made under this Act.

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑452‑12

 

INTITULÉ :                                      SHIV CHOPRA et MARGARET HAYDON

                                                            c

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 23 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 12 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Yazbeck

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Catherine Lawrence

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron, Ballantyne et Yazbeck LLP∕ s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.