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Date : 20130618

Dossier : T-841-12

Référence : 2013 CF 678

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 18 juin 2013

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

ROBERT MCILVENNA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LA BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE (LA BANQUE SCOTIA)

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Robert McIlvenna, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision du 14 mars 2012 par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne a rejeté, en application de l’alinéa 41(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6, é la plainte du demandeur contre l’intimée, la Banque de Nouvelle-Écosse (la Banque Scotia).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la demande, avec dépens.

 

LES FAITS

[3]               Le demandeur est un enseignant à la retraite. Pour acheter une maison à Sudbury, en Ontario, que nous appellerons la maison de la rue Noël, il a contracté un prêt hypothécaire auprès de l’intimée, la Banque Scotia. Par la suite, la Banque a dénoncé le contrat de prêt hypothécaire dans des circonstances qui ont amené le demandeur à déposer une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne. L’essentiel de la plainte est résumé aux paragraphes 9 à 12 :

 

[Traduction]

9.                  Je crois que la Banque a exigé le remboursement immédiat du prêt parce qu’elle a appris que du cannabis est cultivé dans la propriété; sinon, elle n’aurait pas dénoncé mon contrat de prêt hypothécaire.

 

10.              Je sais que les prêteurs ont éprouvé des problèmes relativement aux propriétés résidentielles utilisées pour la culture illégale du cannabis; ces problèmes ont toujours résulté d’opérations clandestines, dans des installations mal construites qui ne respectaient pas les dispositions du code du bâtiment. Par conséquent, les immeubles n’étaient pas dotés de systèmes de ventilation efficaces, ce qui provoquait une humidité excessive, de la moisissure et des problèmes connexes. Ces éléments entraînaient ensemble une baisse de la valeur des propriétés, ce qui inquiétait à juste titre les prêteurs.

 

11.              Ces problèmes sont totalement absents de la maison de la rue Noël, mais ni l’évaluateur, ni les employés de la Banque n’ont daigné s’informer au sujet des moyens efficaces mis en place pour éviter des problèmes potentiels grâce à une bonne ventilation et à une bonne gestion de l’humidité. Dès que la Banque a su que du cannabis était cultivé à la maison, elle a simplement conclu que le contrat de prêt devait nécessairement être dénoncé.

 

12.              Je pense que les mesures prises par la Banque dans la présente affaire et, semble-t-il, ses politiques également, s’appliquent de façon discriminatoire contre les personnes qui souffrent d’une déficience dans les cas où cette déficience exige l’utilisation (et la culture) du cannabis. Le personnel de la Banque n’a pas semblé tenir compte du fait que les occupants de la maison devaient tous les deux consommer du cannabis par suite d’une ordonnance de leur médecin respectif et que tous les deux possédaient un permis de Santé Canada pour détenir et cultiver du cannabis.

 

[4]               Sur réception de la plainte, la Commission a entamé son enquête. Un fonctionnaire de la Commission a écrit à la Banque le 3 novembre 2010 pour lui poser un certain nombre de questions, notamment : pourquoi le remboursement a-t-il été demandé au plaignant? Est-ce que la déficience de l’occupant de la maison ‑ le fils du plaignant ‑ avait quelque chose à voir avec cette décision? Dans une lettre datée du 6 décembre 2010, la Banque a fourni une longue réponse dans laquelle elle soulignait notamment que le contrat de prêt hypothécaire avait été dénoncé à cause des modifications importantes apportées à la maison et de son mauvais entretien et que la déficience du fils n’avait rien à voir avec la décision. Le 22 septembre 2011, la Commission a répondu qu’elle examinerait l’affaire afin d’établir si elle avait la compétence requise pour aborder ces questions. Le demandeur (par l’intermédiaire de son avocat, Me Hennessy) et la Banque ont formulé des observations écrites quant à la compétence de la Commission.

 

[5]               J’ai résumé les faits brièvement parce que, selon le certificat de la Commission, aucune des pièces de correspondance susmentionnées, sauf la plainte initiale, ne faisait partie du dossier de la Commission lorsqu’elle a rendu sa décision. La Commission a statué à partir d’un rapport d’un membre de la Division des services de règlement qui résumait les observations antérieures des parties et formulait une recommandation. Une copie de ce rapport a été envoyée à l’avocat du demandeur et à l’avocat de la Banque Scotia et chacun d’eux a formulé des observations à la suite du rapport. La Commission avait aussi en main ces observations lorsqu’elle a rendu sa décision.

 

[6]               Il importe de préciser que des enquêtes initiales ont été effectuées relativement à l’affaire. Le résultat de ces enquêtes a été pris en compte et résumé dans le rapport et chacune des parties a formulé des observations relatives au rapport. La Commission n’a donc pas rendu sa décision uniquement sur la foi de la plainte; elle disposait du rapport de même que des observations des parties concernant le rapport.

 

[7]               Le rapport résumait comme suit les observations des parties :

 

[Traduction]

Renseignements obtenus auprès des parties

 

9.                  Les parties ont été invitées à exposer leur thèse relativement aux questions à trancher. Il leur a été demandé d’aborder les facteurs pertinents pour la décision des commissaires, y compris les facteurs susmentionnés.

 

Thèse de l’intimée

 

10.              L’intimée soutient qu’elle exerçait son droit contractuel de dénoncer le contrat de prêt hypothécaire étant donné que le plaignant a enfreint les conditions normalisées de prêt (les conditions) et qu’il n’y a pas eu pratique discriminatoire. Elle souligne qu’en juin 2010, le plaignant a demandé une augmentation de sa marge de crédit pour terminer des rénovations qui dépassaient le montant des fonds dont il disposait; il avait aussi soumis un plan de rénovation. Étant donné que les rénovations avaient été effectuées sans préavis à la Banque, comme le prévoyaient les conditions, une évaluation a été demandée. L’évaluation s’est déroulée le 24 juin 2010. L’intimée souligne que l’évaluateur a estimé que la maison était en mauvais état, à l’exception de sa charpente, qu’il n’y avait pas de fenêtres et que la toiture était faite de contreplaqué non recouvert. Il est allégué que l’occupant de la maison a informé l’évaluateur que les rénovations avaient pour objet d’aménager une installation de culture de cannabis améliorée et plus grande qui abriterait 500 plants de marijuana utilisée à des fins médicales. L’évaluateur a également jugé que les travaux ne correspondaient pas au plan qui avait été soumis et il a été informé que le propriétaire n’avait pas l’intention de faire approuver des plans révisés par la municipalité. Dans son rapport à l’intimée, l’évaluateur l’informait de l’existence des plants de marijuana et soulignait que quelque 40 p. 100 des rénovations avaient été effectuées.

 

11.              Selon l’intimée, certaines obligations figurant dans les conditions n’avaient pas été respectées : maintenir la propriété en bon état; informer la Banque de toute amélioration proposée, soumettre un plan et le respecter. L’intimée souligne que ce non-respect l’autorisait à dénoncer le contrat de prêt hypothécaire et/ou à prendre possession de la propriété. Elle souligne aussi que deux facteurs supplémentaires l’ont autorisée à exiger le remboursement du solde complet du prêt : la valeur de la propriété était réduite à un niveau que la Banque jugeait inacceptable et un article des conditions selon lequel le remboursement du prêt serait exigé « si tout autre événement, à notre avis, provoquait une diminution de votre capacité de remboursement ou constituait une menace pour la propriété ». À cause de l’inachèvement des rénovations, la propriété avait perdu 47 000 $ de sa valeur, de sorte que cette nouvelle valeur s’établissait alors à 8 990 $ de moins que le solde à payer. Donc, en août 2010, l’intimée a exigé du plaignant qu’il rembourse le prêt hypothécaire au complet dans les deux semaines.

 

12.              L’intimée soutient qu’à cause de l’état de la propriété au moment de l’évaluation, elle « [...] craignait avec raison que la garantie de prêt soit menacée » et que, étant donné que le prêt n’était pas assuré par la Société canadienne d’hypothèques et de logement, « [...] toute perte subie par suite de la valeur insuffisante de la propriété serait assumée par la Banque ».

 

13.              En réponse à la question de savoir si l’intimée avait cherché à s’informer au sujet de la ventilation et la régulation de l’humidité dans la propriété, celle-ci a répondu ce qui suit : « L’évaluateur a remarqué au cours de l’inspection la présence d’une nouvelle chaudière à gaz naturel à air forcé et d’un échangeur qui semblaient plus grands que la normale. Cependant, aucun test particulier n’a été effectué à l’époque étant donné l’état de l’immeuble, qui n’était que charpente ». Invitée à préciser si elle avait tenu compte des déficiences des occupants avant d’accorder le prêt hypothécaire, l’intimée a répondu en ces termes : « Les déficiences alléguées des occupants n’ont joué aucun rôle dans la décision de la Banque de dénoncer le contrat de prêt hypothécaire. En fait, la Banque n’est pas du tout au courant des déficiences alléguées des occupants. Pour la Banque, les débiteurs hypothécaires relativement à la propriété étaient Robert et Jocelyn McIlvenna. C’est la valeur de leur garantie qui avait considérablement baissé et c’est pour cette raison que la Banque exigeait le remboursement. »

 

14.              L’intimée ajoute que depuis qu’elle a dénoncé le contrat de prêt hypothécaire, le plaignant a commis une autre violation des conditions en enregistrant un second contrat de prêt hypothécaire sur la propriété sans d’abord obtenir son consentement écrit. Par suite de la conclusion de ce deuxième contrat de prêt hypothécaire, la priorité de la Banque relativement aux autres charges qui auraient pu grever la propriété a été compromise.

 

Thèse du plaignant

 

15.              Voici un extrait des commentaires du plaignant : « Au moment où l’évaluateur a été informé que de la marijuana était cultivée dans la maison, l’inspection a pris fin brusquement. Très peu de temps après (quelques jours au maximum), la Banque a téléphoné aux McIlvenna pour les rencontrer. Ils ont appris à ce moment-là que leur contrat de prêt hypothécaire, à l’égard duquel les paiements étaient à jour, était dénoncé [...]. Ils ont été informés que la Banque n’autorise pas la culture de la marijuana dans les maisons qui constituent une garantie d’un de leurs prêts. »

 

16.              Le plaignant reconnaît que son fils et sa belle-fille ne sont pas liés par le contrat de prêt hypothécaire conclu avec l’intimée. Cependant, il souligne que ce sont leurs déficiences qui ont donné lieu aux ordonnances médicales qui prescrivaient la consommation de marijuana; c’est la culture de cette substance qui a indisposé les employés de l’intimée au point d’entraîner la dénonciation du contrat de prêt hypothécaire.

 

[8]               Voici la portion Analyse et conclusions du rapport :

 

[Traduction]

Analyse

 

Lien avec un des motifs

 

36.              Comme il a été mentionné précédemment, il semble que la pratique en cause pourrait être discriminatoire si elle était liée à un motif de distinction illicite. Il semble aussi que la pratique ait eu des répercussions défavorables, notamment sur le plan financier, et qu’elle ait entraîné de l’humiliation. Les parties ne semblent pas contester le fait que les conditions n’ont pas été respectées. Cependant, en l’espèce, il s’agit de savoir si la décision de dénoncer le contrat de prêt hypothécaire était fondée exclusivement sur le non-respect des conditions ou si elle l’était, partiellement ou entièrement, sur un motif de distinction illicite.

 

37.              La décision de la Cour fédérale dans Hartjes c Canada (Procureur général), 2008 CF 830, précise au paragraphe 12 les cas où s’applique l’alinéa 41(1)c) de la Loi :

 

Selon ma lecture de l’alinéa 41(1)c), le mot « compétence » pourrait s’entendre de deux choses différentes. Par exemple, la plainte d’un détenu d’un établissement provincial pourrait sans doute être rejetée en vertu de l’alinéa 41(1)c); il s’agirait d’une « véritable question de compétence [...] Plus généralement, un plaignant pourrait protester contre certains actes qui, en tant que tels, n’entrent pas dans le mandat de la Commission, tout en affirmant qu’ils ont été commis en raison de sa race, de son origine ethnique, de sa déficience ou d’un autre motif de distinction illicite. Dans un tel cas, si le plaignant ne donne pas une version des faits qui permette d’établir un lien avec un motif de distinction illicite, alors les actes reprochés n’entrent pas dans le mandat de la Commission. Dans ce second exemple, le travail d’examen préalable requiert de se demander si la preuve produite est suffisante. [Caractère gras ajouté]

 

38.              La Cour, au paragraphe 23 de la décision Hartjes, ajoutait ce qui suit : « Bien que le niveau de la preuve requise puisse être faible, il appartient à un plaignant de donner une version des faits qui soit propre à persuader la Commission qu’il existe un lien entre les actes reprochés et un motif de distinction illicite. »

 

39.              De plus, la Cour fédérale a conclu que les décisions rendues en vertu de l’alinéa 41(1)c) de la LCDP appellent une norme plus élevée d’examen judiciaire. La Cour a déclaré qu’à ce stade hâtif de l’examen d’une plainte, la Commission doit simplement décider de ne pas traiter une plainte s’il est « clair et évident » que l’existence d’une situation de discrimination n’est pas établie à première vue. Voir par exemple Postes Canada c. Canada (Commission des droits de la personne) (1997), 130 F.T.R. 241, confirmée par (1999), 245 N.R. 397, Michon-Hamelin c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1258; [2007] A.C.F. no 1607 (Q.L.), et Leslie Hicks c. Procureur général du Canada, 2008 CF 1059. Ces décisions décrivent le critère qui oriente l’analyse et la prise de décisions à ce stade de la procédure suivie par la Commission. De plus, étant donné le caractère quasi constitutionnel de la Loi, il faut lui donner une interprétation équitable, large, libérale et téléologique (voir Robichaud c Canada (Conseil du Trésor) [1987], 2 RCS 84).

 

40.              Comme il a été mentionné précédemment, le critère que le plaignant doit respecter pour démontrer l’existence d’un lien avec un motif de distinction illicite n’est pas exigeant. Cependant, il ne semble pas qu’il ait été satisfait à ce critère en l’espèce. Plusieurs conditions du contrat de prêt hypothécaire n’ont pas été respectées et, dans ce contexte, l’intimée a exercé son droit de dénoncer le contrat de prêt hypothécaire. Il semble donc clair et évident que la décision de dénoncer le prêt hypothécaire n’était pas fondée sur un motif de distinction illicite.

 

41.              Vu les renseignements fournis par les parties et l’explication donnée par l’intimée, il semble clair et évident qu’il n’existe pas à première vue une discrimination liée à un des motifs de distinction illicite.

 

Statut du plaignant

 

42.              Même si la Commission tient pour acquis, sans toutefois statuer, que le plaignant est habilité à déposer la présente plainte, celle-ci n’est pas liée à un motif de distinction illicite étant donné que l’intimée exerçait ses droits contractuels à cause du non-respect des conditions du contrat de prêt hypothécaire.

 

Conclusion

 

43.              Il semble clair et évident que la plainte n’est pas liée à un motif de distinction illicite. L’intimée exerçait son droit contractuel en raison du non-respect des conditions du contrat de prêt hypothécaire.

 

Conclusion générale et recommandation

 

Conclusion

 

44.              Bien que l’intimée soit un fournisseur de services au sens de l’article 5 de la Loi, sa décision de dénoncer le contrat de prêt hypothécaire en raison du non-respect de plusieurs conditions du contrat de prêt hypothécaire ne semble pas être fondée sur un motif de discrimination illicite, mais plutôt sur la rupture de contrat.

 

Recommandation

 

45.              Il est recommandé que, en vertu de l’alinéa 41(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission ne se saisisse pas de la plainte

 

 

                     parce qu’elle n’est pas fondée sur un motif de distinction illicite énuméré à l’article 3 de la Loi.

 

 

[9]               Le 14 mars 2011, la Commission a rendu la décision qui fait l’objet du présent contrôle, soit adopter la recommandation du rapport et rejeter la plainte.

 

questions en litige

[10]           Les parties ont soulevé les questions suivantes :

 

1.      Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

2.      Dans le contexte de cette norme, la décision doit-elle être annulée?

 

NORME DE CONTRÔLE

[11]           Les deux parties soutiennent que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité. Au paragraphe 20 de la décision Hartjes c Canada (Procureur général), 2008 CF 830, la juge Snider de notre Cour a affirmé qu’une décision de la Commission relative à la question de savoir si les allégations d’un plaignant sont rattachées à un motif de distinction illicite doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la raisonnabilité. La Cour a suivi cette décision dans Boiko c Canada (Conseil national de recherches), 2010 CF 110, aux paragraphes 30 et 31.

 

La décision était-elle raisonnable?

[12]           Étant donné que la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité, la question qui se pose est celle de savoir si la décision qui fait l’objet du contrôle était raisonnable.

 

[13]           Il faut examiner attentivement la jurisprudence relative au rôle de la Commission dans le traitement d’une plainte en vertu de l’article 41. Je reproduis ci-après le libellé de l’alinéa 41(1)c), soit la disposition invoquée par la Commission en l’espèce :

 

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

[. . .]

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

 

 

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

. . .

 

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

 

 

[14]           Il importe de souligner qu’aucune étape dans le déroulement de l’affaire n’est considérée comme celle à laquelle la Commission doit rendre une telle décision. Contrairement, par exemple, à l’alinéa 221(1)a) des Règles de la Cour, aucune disposition de la Loi ne précise, le cas échéant, les éléments de preuve ou les renseignements, au-delà du contenu de la plainte, que la Commission peut prendre en compte. L’expression « à moins qu’elle estime » accorde à la Commission un vaste pouvoir discrétionnaire quant à l’évaluation de sa compétence relativement au traitement d’une plainte, à l’étape et à la façon de faire de son choix, sous réserve du respect des principes de justice naturelle.

 

[15]           Nous avons donc certaines décisions dans lesquelles les tribunaux ont statué sur le contrôle judiciaire de décisions de la Commission en appliquant le paragraphe 41(1), décisions qui étaient fondées uniquement sur le contenu de la plainte elle-même.

 

[16]           Par exemple, dans la décision Valookaran c Banque Royale du Canada, 2011 CF 276, la juge Snider effectuait le contrôle judiciaire d’une décision de la Commission qui s’était fondée uniquement sur la plainte. Voici un extrait de sa décision, aux paragraphes 13, 15 et 19 :

13    De plus, je remarque que l’al. 41(1)c) de la Loi confère à la Commission un pouvoir discrétionnaire considérable. Plus particulièrement, l’al. 41(1)c) prévoit que « la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable [parce que] la plainte n’est pas de sa compétence » [je souligne]. L’emploi des mots « elle estime » suppose l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.

 

[. . .]

 

 

15     L’équité procédurale n’oblige pas la Commission à effectuer une analyse approfondie de la plainte aux étapes initiales. Lorsque la Commission rejette une plainte avant l’ouverture d’une enquête, la substance des allégations doit être considérée comme vraie (voir Michon-Hamelin c. Canada (Attorney General), 2007 CF 1258, paragraphe 23). À supposer que les allégations soient vraies, s’il n’est pas évident aux yeux de la Commission que la plainte est visée par l’art. 41, il ne sera pas nécessaire de procéder à une enquête et la Commission pourra refuser de statuer sur la plainte (voir Société canadienne des postes c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1997), 130 F.T.R. 241, [1997] A.C.F. no 578 (QL) (1re inst.), paragraphe 3).

 

[. . .]

 

 

19     Je ne saurais conclure que la demanderesse n’a pas eu l’occasion de présenter ses arguments ou de répondre aux préoccupations de la Commission ou de la défenderesse.

 

[17]           Dans la décision Hartjes, précitée, la juge Snider faisait remarquer au paragraphe 14 que la Commission possède un « pouvoir discrétionnaire considérable » en ce qui a trait au traitement des questions visées par l’article 41 :

 

14        Finalement, j’observe que l’alinéa 41(1)c) de la LCDP confère à la Commission un pouvoir discrétionnaire considérable. Plus précisément, cet alinéa dispose que « la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants : [...] la plainte n’est pas de sa compétence » [non souligné dans l’original]. L’emploi des mots « elle estime celle‑ci irrecevable » suppose l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.

 

[18]           Les tribunaux ont établi que, règle générale, la Commission aborderait ces questions dès le début de l’instruction et qu’elle éliminerait celles qui peuvent l’être de façon « claire et évidente » et que, lorsqu’aucune enquête n’a eu lieu, les allégations formulées dans la plainte doivent être considérées comme véridiques. Voici les propos tenus par la juge Mactavish aux paragraphes 16 et 23 à 25 de la décision Michon-Hamelin c Canada (Procureur général), 2007 CF 1258 :

 

16     Dans la décision Société canadienne des postes c. Canada (Commission des droits de la personne) (1997), 130 F.T.R. 241, confirmé (1999), 245 N.R. 397, le juge Rothstein faisait observer ce qui suit :

 

paragraphe 3 La décision que la Commission rend en vertu de l’article 41 intervient normalement dès les premières étapes, avant l’ouverture d’une enquête. Comme la décision de déclarer la plainte irrecevable clôt le dossier sommairement avant que la plainte ne fasse l’objet d’une enquête, la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape que dans les cas les plus évidents [*] S’il n’est pas évident à ses yeux que la plainte relève d’un des motifs d’irrecevabilité énumérés à l’article 41, la Commission devrait promptement statuer sur elle.

 

[. . .]

 

23     Puisqu’aucune enquête n’a été menée sur le fond de la plainte de Mme Michon-Hamelin, les allégations contenues dans son formulaire de plainte doivent être tenues pour avérées. L’enquêteuse n’avait d’ailleurs devant elle aucune preuve ou information venant du défendeur et de nature à réfuter la version des faits donnée par Mme Michon-Hamelin.

 

24     Sur ce point, Mme Michon-Hamelin disait clairement dans sa plainte que les difficultés qu’elle disait avoir rencontrées dans sa demande de prestations pour accident du travail et de prestations d’invalidité avaient surgi parce que son employeur n’admettait pas qu’elle souffrait d’une déficience.

 

25     Par conséquent, la plainte de Mme Michon-Hamelin rattache manifestement la différence préjudiciable de traitement en milieu de travail dont parle la plainte à un motif de distinction illicite, et l’affaire est donc tout à fait du ressort de la Commission canadienne des droits de la personne.

 

[19]           La situation en l’espèce est différente. Les parties ont eu l’occasion dès le départ de présenter leur thèse de façon détaillée, ce qu’elles ont fait. Un rapport a été rédigé. Les parties ont eu tout le loisir de présenter des observations relatives au rapport et elles l’ont fait. C’est uniquement à la fin de ce processus qu’une décision a été rendue.

 

[20]           En plus de donner aux parties toutes les occasions voulues de formuler des observations, la Commission a pu profiter des résultats d’une enquête initiale qui ont été exposés dans le rapport, sur lequel elle a pu fonder sa décision. Comme l’écrivait le juge Sopinka dans l’arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989], 2 RCS 879, à la page 899, la Commission était en mesure de fournir une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante. Cette dernière décision a été citée et approuvée dans Cooper c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854. Voici ce qu’écrivait au paragraphe 53 le juge LaForest au nom de la majorité :

 

53     La Commission n’est pas un organisme décisionnel; cette fonction est remplie par les tribunaux constitués en vertu de la Loi. Lorsqu’elle détermine si une plainte devrait être déférée à un tribunal, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu’un juge effectue à une enquête préliminaire. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L’aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante. Le juge Sopinka a souligné ce point dans Syndicat des employés de production du Québec et de L’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la p. 899

 

     L’autre possibilité est le rejet de la plainte. À mon avis, telle est l’intention sous-jacente à l’al. 36(3)b) pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d’un tribunal en application de l’art. 39. Le but n’est pas d’en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante.

 

 

[21]           Le demandeur a invoqué des affaires où la Cour critiquait la Commission pour avoir rejeté des plaintes après examen préliminaire dans des cas où il n’y avait pas eu enquête ou bien lorsque le plaignant n’avait eu aucune occasion de formuler des observations. Or, en l’espèce, une enquête initiale a été menée et des observations ont été reçues des deux parties. Un rapport a été établi. Les parties ont eu l’occasion de formuler des commentaires au sujet du rapport et elles l’ont fait. La décision a été rendue à partir du contenu du rapport et des commentaires. Dans ces circonstances, la question à laquelle il nous faut répondre est celle de savoir si la décision était raisonnable.

 

[22]           J’estime que cette décision était raisonnable. Bien que la Banque Scotia ait sûrement été informée que les changements déjà effectués et les changements proposés avaient pour objet la culture de marijuana qui aurait été approuvée pour utilisation à des fins médicales, lesdits changements étaient importants et ils avaient été effectués sans le consentement de la Banque Scotia. De plus, ils entraînaient une diminution considérable de la valeur de la propriété. La Banque Scotia a déclaré que les déficiences alléguées du fils du demandeur n’avaient joué aucun rôle dans sa décision de dénoncer le contrat de prêt hypothécaire. Il était raisonnable que la Commission conclue qu’il n’y avait pas eu à cet égard discrimination contre le demandeur, soit le débiteur hypothécaire.

 

[23]           En ce qui concerne les dépens, les parties ont convenu que la partie qui a gain de cause a droit à des dépens fixés à hauteur de 4 000 $. J’accorderai cette somme à l’intimée, la Banque Scotia.

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS DANS LA DÉCISION,

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est rejetée.

 

2.                  Des dépens de 4 000 $ sont adjugés à la défenderesse.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-841-12

 

INTITULÉ :                                      ROBERT MCILVENNA c BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE (BANQUE SCOTIA)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

Date de l’audience :             Le 17 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 18 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Astritis

 

POUR LE DEMANDEUR

 

George G. Vuicic

Cheryl A. Waram

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Hicks Morley

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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