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Date : 20130620

Dossier : IMM-8534-12

Référence : 2013 CF 691

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 juin 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

VICTORIA NENE AGIDI

 

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               À la fin de l’audience, j’ai informé les parties que la demande serait accueillie, puis j’ai dit que la question aurait dû être réglée par le ministre, sans audience. Voici les motifs pour lesquels je suis arrivé à cette conclusion.

 

[2]               Mme Agidi est citoyenne du Nigeria. Le 4 juin 2012, elle a demandé un visa de résident temporaire [VRT] en vue de passer les trois premières semaines d’août 2012 chez une amie, à Scarborough (Ontario). Sa demande a été rejetée par un agent des visas le 10 août 2012.

 

[3]               La décision de l’agent de refuser la demande de Mme Agidi a été communiquée dans une lettre‑type de refus. Il y est indiqué que les motifs suivants s’appliquent au cas de la demanderesse :

[traduction] Je ne suis pas convaincu que vous avez une raison légitime de venir au Canada, c’est pourquoi je ne vous considère pas comme une résidente temporaire qui quitterait le Canada.

[…]

Vous ne m’avez pas convaincu que vous satisfaites aux exigences prévues à l’article 179 du Règlement, à savoir que vous quitterez le Canada à la fin de la période temporaire si vous êtes autorisée à rester. Dans ma décision, j’ai tenu compte de vos attaches dans le pays de résidence ou de citoyenneté et les ai soupesées au regard d’autres facteurs qui pourraient vous inciter à rester au Canada.

Autres motifs : pas d’antécédents de voyage.

[Non souligné dans l’original]

 

[4]               De plus, le dossier certifié du tribunal contient quatre entrées du Système mondial de gestion des cas; toutefois, ces entrées sont de nature purement administrative et aucune d’entre elles ne fournit des motifs ou ne contient de notes inscrites par un agent évaluateur. Cela dit, une entrée pourrait expliquer pourquoi l’agent a rejeté si rapidement la demande de Mme Agidi :

[traduction] LA DEMANDERESSE A ÉTÉ PLACÉE DANS LA CATÉGORIE DES DOSSIERS ARRIÉRÉS À TRAITER RAPIDEMENT À LA MISSION – TRAITEMENT >70 JOURS.  POUR CETTE RAISON, UNE LETTRE DE REFUS A ÉTÉ PRODUITE MANUELLEMENT. LES MOTIFS DU REFUS COMPRENNENT TOUS LA RAISON DU VOYAGE ET LA PLUPART UNE ABSENCE D’ANTÉCÉDENTS DE VOYAGE, MAIS POURRAIENT INCLURE LE FAIT QUE L’ÉVÉNEMENT EST PASSÉ, LA NON-VÉRACITÉ, L’INSUFFISANCE DE FONDS OU TOUT AUTRE MOTIF JUSTIFIÉ DE REFUS. PEU DE CES DEMANDEURS, VOIRE AUCUN, AURONT DE LA FAMILLE AU CANADA – POSSIBILITÉ D’UN COUSIN DISTANT OU D’UN « FRÈRE » OU D’UNE « SŒUR » NON BIOLOGIQUE.  LES MOTIFS DU VOYAGE PEUVENT NE PLUS ÊTRE D’ACTUALITÉ OU LE VOYAGEUR D’AFFAIRES N’EST PAS DE BONNE FOI. [Non souligné dans l’original]

 

[5]               Dans la présente instance, l’agent qui a décidé du sort de la demande de VRT a fait une déclaration sous serment dans un affidavit. En plus de résumer les éléments qui se trouvent déjà dans le DCT, l’agent ajoute :

[traduction] 7. À part le fait que l’hôtesse était une « amie », aucune autre information n’a été fournie pour expliquer la relation entre la demanderesse et l’hôtesse.

8. Je n’étais pas convaincu que la raison du voyage au Canada était impérieuse et que la demanderesse quitterait le Canada quand viendrait le temps de le faire. En conséquence, j’ai refusé sa demande de visa de résident temporaire.  [Non souligné dans l’original]      

              

[6]               Ces paragraphes ne sont pas appropriés et l’affidavit n’est pas admissible. Dans cet affidavit, l’agent tente de manière inacceptable d’étoffer sa décision : voir, par exemple, Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, au paragraphe 41. À vrai dire, il est devenu beaucoup trop courant de voir des « motifs » insuffisants étoffés par de tels affidavits. La Cour devra‑t‑elle sévir en attribuant des dépens pour que le conseil comprenne?

 

[7]               Même si l’affidavit était accepté, je ne comprends pas très bien pourquoi l’agent affirme qu’il n’était pas convaincu que la raison du voyage de la demanderesse au Canada était « impérieuse » et pourquoi il considère que cela puisse justifier le refus d’une demande de VRT.  Le demandeur d’un VRT n’a pas à prouver qu’il a une raison « impérieuse » de venir au Canada. Au contraire, l’agent « délivre » un VRT si les conditions prévues à l’article 179 sont remplies. Dans le cas de la demande de contrôle judiciaire qui nous intéresse, la seule condition pertinente de l’article 179 veut que le demandeur du VRT établisse qu’il « quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée » : alinéa 179b). 

 

[8]               Dans ses observations écrites, la demanderesse fait valoir que l’agent a manqué à son obligation d’équité en ne fournissant pas de motifs suffisants pour justifier sa décision, et que la décision n’est pas raisonnable. Le défendeur fait rapidement remarquer, avec justesse, que le caractère adéquat des motifs n’est plus une raison justifiant à elle seule le contrôle judiciaire, à la lumière de ce que statue la Cour suprême dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland and Labrador Nurses’ Union], au paragraphe 14. Toutefois, je conviens que la décision rendue doit être raisonnable eu égard « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

 

[9]               La décision visée ici échoue à tous les points de vue. Elle n’est ni transparente ni intelligible, et elle n’offre aucune justification des résultats à la lumière du dossier présenté au décideur.

 

[10]           Mme Agidi souhaitait obtenir un VRT pour rendre visite à une amie au Canada. Sa demande était amplement soutenue par les documents suivants :

a.       un affidavit attestant l’invitation dûment faite sous serment par son amie, Rita Ezeakonobi, auquel sont jointes des copies certifiées du passeport et du permis de conduire canadiens de cette dernière;

b.      le certificat de mariage de la demanderesse;

c.       l’acte de naissance des deux enfants de la demanderesse;

d.      la preuve du paiement du billet aller-retour de la demanderesse pour le Canada, l’itinéraire de voyage et la police d’assurance‑voyage pour visiteur;

e.       la lettre d’offre d’emploi faite par DSV Pipetronix Limited à la demanderesse;

f.       une lettre confirmant que la demanderesse travaille pour DSV Pipetronix Limited;

g.      une lettre de présentation de DSV Pipetronix Limited, l’employeur de la demanderesse;

h.      les bordeaux de paie de la demanderesse;

i.        le formulaire de demande de congé de la demanderesse, où il est indiqué qu’elle sera en congé entre le mois de juillet 2012 et le 30 août 2012;

j.        les relevés bancaires de la demanderesse à la First Bank of Nigeria, faisant état de fonds équivalents à environ 13 000 $CAN;

k.      un relevé bancaire de ING Direct fourni par l’hôtesse de la demanderesse, Rita Ezeakonobi, faisant état de fonds de plus de 30 000 $CAN;

l.        un acte de cession d’une parcelle de terrain appartenant à la demanderesse au Nigeria.

 

[11]           En l’absence, eu égard au VRT, d’un quelconque motif réel expliquant pourquoi l’agent a affirmé ne pas avoir été convaincu par la demanderesse qu’elle quitterait le Canada à la fin du séjour prévu de trois semaines, la décision n’est pas raisonnable et doit être annulée. Bien que la Cour devrait d’abord chercher à compléter les motifs avant de tenter de les contrecarrer et qu’elle puisse se pencher sur le dossier pour ce faire (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, précité, au paragraphe 12), un examen du dossier fait ressortir presque exclusivement des facteurs – ceux mentionnés directement ci‑dessus – qui appuient fortement une conclusion contraire à celle tirée par l’agent; plus précisément, une amie canadienne l’a invitée pour des vacances de trois semaines (l’amie fournit un affidavit l’attestant), et elle laisse au Nigeria un emploi, un mari, deux enfants mineurs et un terrain. Comment peut‑on raisonnablement conclure de ces faits qu’elle n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle quitterait le Canada à la fin de la visite?

 

[12]           Pour ces motifs, j’accueille la présente demande et infirme la décision de l’agent. La décision rendue est si grotesque qu’elle en est perverse. Il est donc approprié que la Cour ordonne également que soit reflété le fait que le dossier de la demanderesse auprès du ministre a été annulé et qu’il est inopérant, et qu’il ne sera pas du tout pris en considération pour toute demande future présentée par Mme Agidi.

 

[13]           Aucune question n’a été proposée pour certification.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande est accueillie et la décision prise par un agent le 10 août 2012 est annulée.

 

2.                  La période pour laquelle la demande de visa de résident temporaire était demandée est passée; toutefois, si Mme Agidi souhaite obtenir un visa de résident temporaire au Canada, elle peut présenter à nouveau sa demande en fournissant les renseignements déjà présentés ou de nouveaux renseignements, et cette demande sera étudiée rapidement par un autre agent;

 

3.                  La décision qui a été rendue le 10 août 2012 et qui a été annulée ne sera prise en considération par aucun agent chargé d’étudier toute autre demande de visa de résident temporaire que pourrait présenter Mme Agidi.

 

4.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Geneviève Tremblay, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8534-12

 

 

INTITULÉ :                                      VICTORIA NENE AGIDI c LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 19 juin 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge ZINN

 

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 20 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Obuba Kalu 

 

 

                    POUR LA DEMANDERESSE

Nimanthika Kaneira

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

PETER OBUBA KALU   

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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