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Date : 20130628

Dossiers : T-412-12
T-413-12

 

Référence : 2013 CF 727

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

Entre :

 

CHANTAL HOULE-MRAK

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

Le procureur général du Canada

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

        Motifs du jugement et jugement

 

[1]               Les présentes demandes visent deux allégations de harcèlement et d’abus de pouvoir formulées contre le président et premier dirigeant de la Commission de révision agricole du Canada (la Commission), M. Don Buckingham. La demanderesse sollicite l’annulation de deux décisions rendues au dernier palier de la procédure de grief qui ont confirmé le règlement de ces plaintes de harcèlement.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, les demandes sont rejetées.

 

Les faits

 

            Le contexte

 

[3]               Au moment des allégations, la demanderesse travaillait pour Agriculture et Agroalimentaire Canada (le ministère) en qualité de greffière de la Commission. Il s’agit d’une Commission de petite taille, comptant trois employées : la demanderesse, la greffière adjointe, Rosemary Shannon, et la coordonnatrice des appels, Lise Sabourin.

 

[4]               M. Buckingham a été nommé à titre de nouveau président de la Commission le 2 juillet 2009. Peu après sa nomination, la demanderesse a pris un congé de maladie lié à sa grossesse et a par la suite amorcé son congé de maternité.

 

[5]               Avant son départ pour son congé de maternité, la demanderesse a nommé Mme Shannon, la greffière adjointe, au poste de greffière intérimaire. La demanderesse a déclaré à Mme Shannon qu’elle serait disponible pour l’aider pendant son congé. Par la suite, Mme Shannon a pris un congé de maladie de sept mois.

 

[6]               La demanderesse a dit à la personne qui la remplaçait et aux autres employées de [traduction] « ne rien changer » dans la façon de fonctionner du bureau pendant son congé. Cependant, M. Buckingham avait l’intention de mettre en œuvre de nouvelles politiques pour le bureau, assurant une gestion plus directe que son prédécesseur.

 

[7]               Selon le témoignage de Mme Shannon, M. Buckingham [traduction] « a fait valoir qu’il était le patron », gérant les demandes de congés et fixant les heures de travail. Par contraste, le président antérieur s’en remettait à la demanderesse pour les questions d’administration et de gestion. Mme Shannon se rappelle avoir entendu M. Buckingham dire que le style de la demanderesse ne plaisait pas à tout le monde. M. Buckingham a dit à Mme Shannon de ne pas communiquer avec la demanderesse pendant les heures de travail. Il a dit qu’il souhaitait que la demanderesse profite de son congé et qu’il estimait que sa participation continue était contraire à la gestion optimale du bureau.

 

[8]               Mme Sabourin, la coordonnatrice des appels, a reconnu que le style de M. Buckingham était différent de celui de l’ancien président qui [traduction] « était plus effacé ».

 

            La première allégation

 

[9]               La demanderesse et M. Buckingham ont connu plusieurs conflits pendant le congé de celle‑ci et immédiatement à son retour au bureau. Le 6 octobre 2010, peu après son retour au travail, elle a déposé sa première plainte. Essentiellement, les allégations étaient les suivantes :

a.       Au cours de son congé de maladie de sept semaines, M. Buckingham lui a téléphoné [traduction] « presque tous les jours » et lui a demandé de prononcer une allocution à [traduction] « l’entrée en fonction » de celui‑ci. Par la suite, il lui a demandé de retourner son téléphone, son BlackBerry, ses clés et son permis de stationnement. Elle a expliqué qu’elle a dit aux employés de lui téléphoner à n’importe quel moment pour obtenir des conseils. Il était [traduction] « furieux » contre elle et lui a dit de ne pas s’immiscer dans la gestion de la Commission.

b.      Le 18 janvier 2010, la demanderesse s’est rendue au bureau de M. Buckingham pour discuter de différents choix concernant le congé de maladie de Mme Shannon. M. Buckingham l’a rencontrée et était [traduction] « furieux », déclarant qu’elle n’avait aucune raison d’être au bureau alors qu’elle était en congé. Il lui a dit que son rôle serait très différent à son retour. La demanderesse a estimé que ces paroles étaient désobligeantes et humiliantes. Selon sa description, M. Buckingham [traduction] « tremblait », avait les bras et les jambes croisés, [traduction] « faisant beaucoup d’efforts pour se retenir ».

c.       En mars 2010, M. Buckingham a laissé des messages dans sa messagerie vocale lui disant de retourner les clés et le permis de stationnement, bien qu’elle l’ait déjà fait. La demanderesse lui a dit que Mme Shannon avait les clés et qu’il devait cesser de la harceler. Il a envoyé une lettre d’excuses. Plus tard au cours de ce mois, elle a tenté de consulter les affichages de postes dans Publiservice et a découvert que son compte de courriel avait été désactivé. M. Buckingham a confirmé qu’il ne voulait pas qu’elle ait accès à ses courriels pendant son congé de maternité. La demanderesse a décrit une vive dispute sur la question de savoir si elle pouvait communiquer avec les employés au bureau.

d.      Au premier jour de son retour au travail, soit le 10 septembre 2010, M. Buckingham lui a dit en criant qu’elle était en retard. Il l’avait informée par lettre datée du 1er septembre 2010 qu’elle devait commencer le travail à 8 h 30. Le 9 septembre 2010, la demanderesse a informé M. Buckingham qu’elle ne pouvait commencer avant 9 h 30 et est arrivée à 10 h en raison de problèmes à la maison et avec son enfant.

e.       Le 13 septembre 2010, la demanderesse a écrit à Andrea Lyon, sous‑ministre déléguée, et à John Knubley, sous‑ministre, pour expliquer son conflit avec M. Buckingham et indiquer ce qu’elle percevait comme étant son incompréhension de son rôle à titre de président de la Commission. Deux jours plus tard, M. Buckingham l’a confrontée sur la question de savoir si elle avait communiqué avec le ministère. La demanderesse a eu peur et a demandé la présence d’agents de sécurité. 

 

[10]           Selon le témoignage de Mme Sylvie Labelle, gestionnaire principale, Planification de la stratégie, Ressources humaines et Gestion financière, les employés ont le droit d’accéder aux offres d’emploi pendant qu’ils sont en congé. Ils peuvent le faire en se rendant au bureau ou en composant un numéro de téléphone. Elle a déclaré qu’il était pratique courante de désactiver à la fois le compte de courriel et le numéro de téléphone pendant un congé prolongé. Cette façon de faire est devenue une politique officielle le 30 avril 2010. M. Steven Robineau, consultant principal, Relations de travail, a convenu que M. Buckingham avait le droit d’annuler le compte de courriel de la demanderesse.

 

[11]           Concernant l’incident du 10 septembre 2010, Mme Shannon a indiqué dans son témoignage que M. Buckingham n’avait pas crié, mais elle a convenu qu’il [traduction] « semblait furieux ».

 

[12]           M. Buckingham a modifié la description d’emploi de la demanderesse. Dans une note de service datée du 1er septembre 2010, M. Buckingham a informé tous les membres du personnel qu’ils relèveraient maintenant directement de lui, plutôt que de la demanderesse. Le 10 septembre 2010, M. Buckingham a écrit à la demanderesse lui expliquant qu’il estimait que les modifications étaient nécessaires pour améliorer l’efficacité de la Commission et lui a demandé de consigner dans un rapport ses opinions sur la question. Il a également fixé ses heures de travail.

 

[13]           Le 6 octobre 2010, M. Buckingham a envoyé à tous les employés une note de service concernant les heures de travail et les pauses repas. Dans un courriel distinct adressé directement à la demanderesse, il a expliqué qu’elle ne pouvait combiner ses pauses du matin et de l’après-midi avec la période du repas, parce que ces pauses sont prévues aux fins de la santé et de la sécurité. Il déclarait qu’elle pouvait prendre une heure pour le repas du midi si elle prolongeait sa journée de travail de 30 minutes.

 

[14]           La demanderesse déclare qu’elle a commencé à souffrir d’anxiété et d’attaques de panique en raison de [traduction] « l’ambiance toxique » au travail. Elle a expliqué qu’elle avait fait preuve de dévouement exceptionnel, mais qu’elle avait été humiliée et traitée comme une débutante.

 

[15]           Le 15 octobre 2011, le médecin de la demanderesse a indiqué qu’elle souffrait d’anxiété situationnelle et de tension cervicale et que la principale cause était le harcèlement en milieu de travail.

 

            La deuxième allégation

 

[16]           Le 26 octobre 2010, la demanderesse a demandé à M. Buckingham la permission de suivre une formation destinée aux superviseurs et aux gestionnaires.

 

[17]           M. Buckingham a répondu que la structure hiérarchique de la Commission avait été modifiée en septembre 2010 et qu’elle n’était ni une superviseure ni une gestionnaire :

[traduction]

Premièrement, je dois répondre à votre commentaire selon lequel vous vous considérez comme une superviseure ou une gestionnaire. Vous avez fait une déclaration semblable dans votre plainte de harcèlement. Comme vous le savez, la structure hiérarchique de la Commission a été modifiée en septembre 2010. Aucun employé ne relève de vous et, depuis cette date, je ne vous ai délégué aucune responsabilité de supervision à cet égard. Ainsi, vous ne possédez aucun pouvoir de supervision ou de gestion.

 

 

[18]           Il n’a pas approuvé sa demande de formation, mais a déclaré qu’il pourrait revoir la question une fois que son plan d’apprentissage et sa description de travail seraient définitifs.

 

[19]           La demanderesse a déposé une deuxième plainte le 18 septembre 2011 concernant ce courriel. Elle alléguait ce qui suit :

a.       M. Buckingham a irrégulièrement et unilatéralement modifié sa description d’emploi, contrairement à la politique et aux lignes directrices applicables, et à sa convention collective.

b.      Le courriel était formulé de façon offensante, dénigrante et humiliante.

 

[20]           La demanderesse reconnaît qu’elle ne peut pas donner de conseils juridiques, mais elle s’est opposée au retrait de ses fonctions de gestion, notamment la gestion financière et celle des ressources humaines.

 

            Enquête concernant la première plainte

 

[21]           La Politique sur la prévention du harcèlement prévoit qu’un enquêteur présentera un rapport au gestionnaire délégué, soit Mme  Johanne Bélisle en l’espèce, la sous‑ministre adjointe. 

 

[22]           Le ministère a retenu les services de Charron Human Resources Inc pour mener l’enquête. Mme Deborah Jelly a interrogé des témoins et, en juillet 2011, elle a présenté un rapport à Mme O’Flaherty, directrice des Relations de travail chargée de conseiller Mme Bélisle.

 

[23]           Mme O’Flaherty a relevé ce qu’elle estimait être des erreurs ou des faiblesses dans le rapport, plus particulièrement l’acceptation du témoignage d’un témoin plutôt que celui d’un autre, sans explication. Elle estimait aussi que les conclusions n’étaient pas étayées. Mme O’Flaherty a informé l'enquêteuse qu’elle ne pouvait recommander le rapport sous sa forme actuelle et deux autres projets de rapport ont été finalement présentés à Mme O’Flaherty pour qu’elle les examine. Selon Mme O’Flaherty, son but n’était pas d’imposer une conclusion, mais plutôt de veiller à ce que tous les éléments de preuve pertinents soient pris en compte.

 

[24]           Toutefois, Mme Jelly a déclaré dans son témoignage qu’elle avait eu plusieurs discussions avec Mme O’Flaherty en ce qui a trait à ses conclusions, plus particulièrement celles concernant la question de savoir si M. Buckingham avait menacé la sécurité d’emploi de la demanderesse.

 

[25]           Le rapport final a été présenté à Mme Bélisle le 7 septembre 2011. L'enquêteuse a conclu que les quatre premières allégations n’étaient pas fondées, mais que la cinquième allégation était fondée en partie.

 

[26]           Mme Jelly a conclu que la preuve n’était pas concluante relativement à la rencontre du 18 janvier 2010. M. Buckingham s’est souvenu avoir dit à la demanderesse qu’à son retour, elle n’aurait plus le droit de donner des conseils juridiques ou de délivrer des assignations à comparaître, puisqu’elle n’était pas avocate. Il a nié lui avoir dit que son rôle serait [traduction] « radicalement différent ». Mme Jelly a conclu qu’il était raisonnable que M. Buckingham prenne des mesures pour veiller à ce que les procédures de la Commission respectent la loi.

 

[27]           En ce qui concerne le permis de stationnement, les clés et les appareils portables, Mme Jelly a conclu que la conduite de M. Buckingham relevait de ses pouvoirs de gestionnaire.

 

[28]           Mme Jelly a conclu que M. Buckingham n’avait pas harcelé la demanderesse relativement à son retard au travail, mais a estimé que sa conduite du 15 septembre 2010 constituait du harcèlement et un abus de pouvoir. Mme Jelly a conclu que M. Buckingham était en colère et frustré et qu’il avait interdit à la demanderesse de communiquer avec le ministère. Selon Mme Jelly, il y avait une menace implicite concernant le droit de la demanderesse de porter plainte.

 

[29]           Enfin, Mme Jelly a conclu qu’elle ne pouvait pas, selon la prépondérance des probabilités, conclure que M. Buckingham avait menacé la sécurité d’emploi de la demanderesse.

 

Les décisions relatives au harcèlement

 

[30]           Dans une lettre datée du 1er novembre 2011, Mme Bélisle a accepté le rapport, mais a rejeté la demande d’indemnité financière de la demanderesse. Mme Bélisle a déclaré que la Politique sur la prévention du harcèlement ne prévoyait pas de dommages‑intérêts compensatoires et qu’aucun élément de preuve ne montrait que l’incident de harcèlement confirmé avait causé la souffrance morale de la demanderesse.

 

[31]           Mme Bélisle a également renvoyé à la Politique sur les services juridiques et l’indemnisation du Conseil du Trésor, qui prévoit que des services juridiques ne seront pas fournis aux fonctionnaires de l’État dans le cadre d’un mécanisme de recours administratif interne, comme les plaintes de harcèlement.

 

[32]           Mme Bélisle a refusé la demande de la demanderesse visant à lui créditer à nouveau la totalité des 1 057,5 heures de congé de maladie, mais lui a crédité 187,5 heures afin que son solde ne soit pas négatif.

 

[33]           Mme Bélisle a également souligné que la demanderesse avait reçu une lettre d’excuses de la part de M. Buckingham.

 

[34]           Mme Bélisle a conclu que l’indemnisation quant au congé de maternité n’était pas appropriée puisque le harcèlement avait eu lieu après son retour au travail. Finalement, Mme Bélisle a conclu que la demanderesse devait recevoir un soutien à la réintégration et au perfectionnement professionnel.

 

[35]           Le 21 novembre 2011, la demanderesse a déposé un grief à l’encontre de la décision de Mme Bélisle, soutenant que celle-ci n’avait pas pris les mesures correctives appropriées. La demanderesse sollicitait le rétablissement de 1 057,5 heures de congé de maladie, 6 000 $ au titre des frais juridiques et 10 000 $ pour souffrance morale.

 

[36]           Dans une décision datée du 3 novembre 2011, Mme Bélisle a informé la demanderesse que les allégations de sa deuxième plainte ne répondaient pas aux critères du harcèlement et que, par conséquent, cette plainte ne serait pas traitée suivant le processus relatif aux plaintes de harcèlement.

 

[37]           La demanderesse a déposé un grief à l’encontre de cette décision le 14 novembre 2011, soutenant que Mme Bélisle avait omis de prendre en compte la question de savoir si l’objet de la plainte constituait un abus de pouvoir et qu’elle avait commis une erreur en concluant que les allégations ne répondaient pas aux critères applicables au harcèlement.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

 

[38]           Le 2 février 2012, M. Claude Carrière, le sous‑ministre délégué, a rendu une troisième décision de dernier palier à l’égard de chacun des deux griefs.

 

[39]           Dans la première décision, M. Carrière a déclaré que les mesures correctives prévues dans la décision de Mme Bélisle datée du 1er novembre 2011 étaient suffisantes et que les mesures supplémentaires n’étaient pas justifiées en l’espèce. Il a confirmé que la Politique sur la prévention du harcèlement ne prévoyait pas de dommages‑intérêts pour la souffrance morale ni le remboursement de frais juridiques, et il a de plus conclu qu’ils ne seraient pas justifiés même s’ils étaient autorisés.

 

[40]           Dans la deuxième décision, M. Carrière a confirmé que les allégations de la deuxième plainte de harcèlement de la demanderesse ne répondaient pas aux critères applicables au harcèlement et que, par conséquent, ces allégations ne pouvaient pas constituer un abus de pouvoir. M. Carrière a déclaré que même une décision de gestion viciée ne constituait pas, en règle générale, du harcèlement. En ce qui concerne le courriel en cause, il n’y avait aucune indication d’irrégularité. M. Carrière a aussi examiné l’allégation de la demanderesse selon laquelle le ministère s’était ingéré dans l’enquête de la plainte de harcèlement précédente et que M. Buckingham avait agi de façon discriminatoire à son endroit pendant son congé de maternité, mais il a conclu que ces arguments n’étaient pas pertinents quant au grief.

 

Les dispositions légales et les politiques

 

[41]           La loi habilitante de la Commission est l’article 4.1 de la Loi sur les produits agricoles au Canada, LRC 1985, c 20 (4e suppl). La Commission est un organisme indépendant quasi judiciaire qui révise les sanctions pécuniaires imposées par l’Agence canadienne d’inspection des aliments, l’Agence des services frontaliers du Canada et l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire en matière d’agriculture et d’agroalimentaire.

 

[42]           Le président et premier dirigeant est nommé par décret. Les employés sont des fonctionnaires fédéraux.

 

[43]           La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LRC 2003, c 22, existe pour faciliter la résolution de conflits de travail rapidement, de façon peu coûteuse et sans trop de formalités. Elle contient un régime de règlement des griefs exhaustif. Le paragraphe 66(1) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique prévoit qu’un employé doit exposer dans la formule prévue la nature de chaque action ou omission donnant lieu au grief.

 

[44]           Les articles 209 et 209.1 du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2, sont aussi pertinents. L’article 209 prévoit que les employés en congé ont le droit, sur demande écrite, d’être informés par écrit de toutes les possibilités d’emploi, d’avancement et de formation qui surviennent. L’article 209.1 prévoit que les employés en congé ont le droit de réintégrer l’emploi qu’ils ont quitté lorsqu'ils ont pris leur congé ou d’occuper un emploi comparable.

 

[45]           La Politique sur la prévention du harcèlement contient les définitions suivantes :

[traduction]

Harcèlement – tout comportement inopportun et injurieux, d’une personne envers une ou d’autres personnes en milieu de travail, et dont l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d’intimidation ou de menace. Il peut comprendre les remarques et les blagues humiliantes, les gestes railleurs ou insultants, l’étalage d’illustrations ou de documents blessants ainsi que toutes questions ou commentaires importuns sur la vie privée d’une personne. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne […]

 

L’abus de pouvoir est une forme de harcèlement. Il se produit lorsqu’une personne exerce de façon indue l’autorité ou le pouvoir inhérent à son poste afin de compromettre l’emploi d’une personne […] les gestionnaires doivent exercer leur pouvoir de façon légitime et de bonne foi. […] Pour déterminer si des allégations d’abus de pouvoir sont fondées ou non, l’enquêteur doit se demander s’il y a un fondement aux actions, observations ou conclusions auxquelles le gestionnaire est arrivé ou s’il y a une preuve d’une mauvaise intention de la part de l’accusé. Pour établir une constatation d’abus de pouvoir, le comportement doit également être visé par la définition de harcèlement.

 

 

Les questions en litige

 

            La demanderesse

 

[46]           Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est la norme de la raisonnabilité.

 

[47]           La demanderesse invoque les arguments suivants concernant la première décision :

a.       M. Carrière a commis une erreur en concluant que les mesures correctives étaient suffisantes.

b.      La Politique sur la prévention du harcèlement permet des mesures correctives qui doivent être interprétées de façon à inclure l’indemnisation.

c.       M. Carrière a commis une erreur en concluant que des dommages‑intérêts n’étaient pas justifiés.

d.      Il n’est pas nécessaire que l’allégation fondée quant au harcèlement soit la seule cause de sa souffrance morale, mais uniquement une cause qui y a contribué.

e.       La Politique sur la prévention du harcèlement prévoit que le gestionnaire délégué doit veiller à ce que les plaignants aient accès à de l’aide et à des conseils et aucune disposition de celle-ci ne prévoit que cela ne peut inclure des conseils juridiques. La Politique sur les services juridiques et l’indemnisation ne s’applique pas. 

 

[48]           La demanderesse invoque les arguments suivants concernant la deuxième décision :

a.       Le ton du courriel est sarcastique, malicieux et condescendant.

b.      Le témoignage de M. Steven Robineau, consultant principal, Relations de travail, confirme qu’une description de travail peut uniquement être modifiée en suivant certaines procédures. M. Buckingham ne pouvait pas modifier une description de travail de façon arbitraire. Les modifications [traduction] « n’avaient aucun lien avec la répartition des tâches. »

c.       M. Carrière a commis une erreur en ne tenant pas compte de la modification unilatérale apportée à cette description de travail et de la discrimination fondée sur le sexe (congé de maternité).

d.      M. Carrière a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’ingérence du ministère dans l’enquête de la première plainte. Mme O’Flaherty a joué un rôle actif en conseillant M. Buckingham sur des questions relatives à son congé et était donc en conflit d’intérêts.

e.       M. Carrière n'a pas examiné des éléments de preuve pertinents concernant la modification de son emploi et n'a pas tenu compte du droit applicable, à savoir les lois sur les droits de la personne.

[49]           En guise de mesures de réparation, la demanderesse demande le remboursement de ses crédits de congé de maladie et des dommages‑intérêts pour souffrance morale. Je souligne que ces mesures de réparation ne peuvent pas être accordées dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

            Le défendeur

 

[50]           En ce qui a trait à la première plainte, le défendeur fait valoir ce qui suit :

a.       La demanderesse ne satisfait pas au critère relatif aux dommages‑intérêts pour souffrance morale.

b.      La demanderesse aurait pu demander une indemnisation pour souffrance morale en vertu de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État.

c.       Le congé de maladie est un régime sans égard à la faute et le remboursement des crédits des jours de congé de maladie que la demanderesse a pris constituerait un enrichissement sans cause. La demanderesse n’a subi aucun préjudice puisqu’elle a reçu son plein salaire et ses avantages sociaux pendant son congé.

d.      L’article 6.1.11 de la Politique sur les services juridiques et l’indemnisation s’applique directement et empêche le paiement des frais juridiques de la demanderesse.

e.       Le ministère ne s’est pas ingéré dans l’enquête. 

[51]           Concernant la deuxième plainte, le défendeur soutient ce qui suit :

a.       La décision de ne pas mener d’enquête au sujet de la plainte était raisonnable.

b.      La demanderesse aurait dû déposer un grief à l’encontre de la décision de M. Buckingham de modifier ses fonctions plutôt que formuler des allégations de harcèlement. Si elle avait agi ainsi, la question aurait été tout à fait différente.

c.       Il est interdit de soulever de nouvelles questions au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. Dans son grief initial, la demanderesse n’allègue pas la discrimination fondée sur le sexe pendant son congé de maternité ni l’ingérence du ministère dans la première enquête.

d.      La demanderesse aurait pu déposer un grief concernant toute ingérence. 

 

Analyse

 

[52]           Comme je l’ai mentionné au départ, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[53]           La mesure de réparation appropriée à la suite d’une plainte de harcèlement fondée est une question de nature discrétionnaire. À mon avis, des excuses accompagnées du remboursement des crédits de 187,5 heures de congé de maternité étaient raisonnables. La demanderesse n’a pas déposé de grief à l’encontre de la décision de rejeter la majorité de ses allégations, ne laissant qu’un seul incident de harcèlement. Même si la Politique sur la prévention du harcèlement peut autoriser des dommages‑intérêts, il est raisonnable de conclure que des dommages‑intérêts ne seraient pas appropriés en l’espèce.

 

[54]           Bien qu’à mon avis, le niveau de participation du ministère à la préparation du rapport de l'enquêteuse soit troublant, cette question n’était pas visée par le grief de la demanderesse et, par conséquent, il ne peut y avoir de mesure de réparation dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Je suis d’accord avec les observations du défendeur portant que la demanderesse aurait pu déposer un grief distinct à l’égard de cette question.

 

[55]           De même, j’estime qu’il était raisonnable que le ministère refuse de mener une enquête concernant la deuxième plainte de la demanderesse. Je conviens avec le défendeur que la demanderesse aurait pu déposer un grief à l’égard d’une modification irrégulière de ses fonctions, entraînant l’application d’un critère différent de celui d’un cas de harcèlement. Des erreurs de gestion n’atteignent pas nécessairement le niveau du harcèlement. Aucun élément de preuve n’étaye les prétentions de la demanderesse selon lesquelles M. Buckingham n’avait aucune raison légitime de modifier ses fonctions.

 

[56]           Enfin, je suis d’accord avec le défendeur que la demanderesse n’a pas allégué la discrimination fondée sur le sexe avant la décision de dernier palier de la procédure de grief et que les allégations ne peuvent être dégagées de l’objet de la plainte initiale.

 

[57]           En ce qui a trait aux mesures de réparation, les gestionnaires possèdent un vaste pouvoir discrétionnaire en vertu de leur pouvoir général de gestion, de même qu’en vertu de la Politique sur la prévention du harcèlement pour corriger des plaintes sérieuses. Bien que la décision de dernier palier de la procédure de grief rendue par M. Carrière portant qu’il ne pouvait pas indemniser la demanderesse pour ses frais juridiques soit incorrecte, l’erreur est sans importance puisqu’il a expressément traité de la question et conclu qu’il n’indemniserait pas la demanderesse pour ses frais juridiques de toute façon. Cette décision est déraisonnable, compte tenu de l’objectif de la politique qui vise à encourager la résolution de conflits de travail d’une manière non contradictoire, et compte tenu du niveau de succès qu’a atteint la demanderesse.

 


JUGEMENT

la cour statue que la demande est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


cour fédérale

 

Avocats inscrits auX dossierS

 

 

DossierS :                                      T-412-12
                                                            T-413-12

 

Intitulé :                                      CHANTAL HOULE-MRAK c procureur général du CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 6 mai 2013

 

Motifs du jugement

et jugement :                            le juge RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 28 juin 2013

 

 

 

Comparutions :

 

Chantal Houle-Mrak

 

Pour la demanderesse

(pour son propre compte)

 

Martin Desmeules

Pour le défendeur

 

 

Avocats inscrits auX dossieRS :

 

William F. Pentney,

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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