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Date : 20130702

Dossier : IMM-10645-12

Référence : 2013 CF 730

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 2 juillet 2013

En présence de madame la juge Gagné

 

 

ENTRE :

 

IKROM AHMEDOV

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision rendue le 11 octobre 2012 par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Le demandeur allègue que l’agent a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi du Canada du demandeur prévu pour le 23 octobre 2012, conformément à l’article 48 de la LIPR. Le demandeur affirme que l’agent n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable et qu’il a fait preuve de partialité.

 

 

I.          Contexte

[2]               Né en 1974, le demandeur est un citoyen de l’Ouzbékistan qui est entré au Canada au moyen d’un visa de visiteur le 5 avril 1999, date à laquelle remontent ses longs antécédents en matière d’immigration. Au fil des ans, le demandeur a présenté une demande d’asile, une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) et une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH). Les demandes ont été rejetées le 17 octobre 2000, le 24 septembre 2003 et le 25 septembre 2008, respectivement.

 

[3]               À deux reprises, le 13 décembre 1999 et le 16 janvier 2002, le demandeur s’est vu accorder un permis de travail d’un an. Le 17 août 2003, il a demandé un troisième permis de travail, mais il n’y était pas admissible parce qu’une mesure de renvoi avait été prise à son endroit par l’ASFC.

 

[4]               Depuis 2007, le demandeur possède une entreprise enregistrée de carrelage et, depuis l’expiration de son dernier permis de travail en 2003, il a travaillé sans interruption au Canada sans autorisation. Il n’a jamais déclaré son revenu aux autorités fiscales canadiennes ni payé d’impôt sur le revenu, même s’il savait qu’il aurait dû le faire.

 

[5]               Le 1er septembre 2006, le demandeur a épousé une citoyenne canadienne. Ils ont eu un fils, né à Ottawa le 27 octobre 2007, et ils ont divorcé le 15 novembre 2008. L’ex‑épouse du demandeur est allée vivre en Turquie avec leur fils et s’est remariée. En février 2012, elle est revenue au Canada avec le fils du demandeur et, en septembre 2012, le demandeur a autorisé son fils à retourner temporairement en Turquie avec sa mère.

 

[6]               Le demandeur a épousé une autre citoyenne canadienne – qui avait un fils de 14 ans né d’un mariage précédent – lors d’une cérémonie religieuse tenue le 1er octobre 2011. Leur mariage a été légitimé le 2 mars 2012.

 

[7]               Dans une lettre datée du 29 février 2012, le demandeur a été enjoint de se présenter à l’agent pour une entrevue préalable au renvoi.

 

[8]               Le 5 mars 2012, l’agent a ordonné au demandeur de faire une demande de passeport au Consulat général de la République d’Ouzbékistan à New York en prévision de son renvoi imminent du Canada. Comme le consulat de l’Ouzbékistan ne délivre pas de passeports depuis l’étranger, le demandeur a demandé à obtenir un titre de voyage temporaire. Il a communiqué avec le Consulat général et s’est fait dire que, d’après l’information au dossier, il était incarcéré au Canada en attente de son renvoi.

 

[9]               Le 5 avril 2012, le demandeur a fait une demande de résidence permanente parrainée par son épouse (demande parrainée par son épouse).

 

[10]           Au cours d’une deuxième entrevue avant renvoi survenue le 25 septembre 2012, le demandeur a signé une convocation en vue de son renvoi le 23 octobre 2012.

 

[11]           Le 4 octobre 2012, le demandeur et un assistant juridique au service de son conseil ont rencontré l’agent, lequel a reconnu que les documents de voyage peuvent être délivrés plus rapidement si la personne visée par une mesure de renvoi est incarcérée, mais a nié avoir dit au consulat de l’Ouzbékistan que le demandeur était incarcéré. Selon le demandeur, l’agent lui aurait alors affirmé qu’il était impossible de demeurer au Canada, car la demande parrainée par son épouse était vouée à l’échec.

 

[12]           Dans son affidavit, l’agent nie avoir fait cette déclaration et avoir menti au consulat de l’Ouzbékistan.

 

[13]           Le 5 octobre 2012, le demandeur a fait une demande de report de renvoi.

 

[14]           Le 9 octobre 2012, le consulat de l’Ouzbékistan a délivré un titre de voyage temporaire au demandeur, valide jusqu’au 8 décembre 2012.

 

[15]           Le 11 octobre 2012, le demandeur et son épouse ont rencontré l’agent en l’absence du conseil, s’étant fait dire qu’il ne s’agirait que d’un contrôle de routine. Selon le demandeur, l’agent lui aurait alors conseillé de ne pas communiquer avec le consulat de l’Ouzbékistan parce que personne ne révélerait la source de l’erreur quant à son statut, et l’agent aurait réitéré que la demande parrainée par son épouse serait rejetée, probablement dès la semaine suivante; l’agent dément également ces allégations.

 

[16]           L’agent aurait accusé l’épouse de [traduction] « vivre aux crochets du système canadien » et lui aurait dit de se trouver un emploi, même si elle était enceinte de sept mois (dossier du demandeur [DD], à la page 86).

 

[17]           Durant cette rencontre, le demandeur a signé une déclaration des revenus qu’il tirait de son travail non autorisé (la déclaration). Il affirme qu’il avait informé l’agent de sa situation d’emploi auparavant, mais que celui‑ci ne lui avait jamais conseillé de cesser de travailler. Il allègue qu’il a signé la déclaration en l’absence de son conseil et dans un état de vive anxiété. 

 

[18]           L’agent nie qu’il y ait eu des manœuvres d’intimidation ou de contraintes et que le demandeur ait ressenti de la crainte, et il affirme que le demandeur n’avait pas demandé à s’entretenir avec son conseil.

 

[19]           Le 11 octobre 2012, un rapport a été envoyé à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), dans lequel il était expliqué que le demandeur était interdit de territoire aux termes du paragraphe 30(1) et de l’article 41 de la LIPR parce qu’il travaillait sans autorisation (DD, précité, aux pages 77 et 78).

 

[20]           L’agent nie s’être ingéré dans le processus de traitement de la demande parrainée par son épouse.

 

[21]           Le 17 octobre 2012, le consulat de l’Ouzbékistan a fait savoir à l’agent qu’il n’y avait jamais rien eu dans les dossiers indiquant que le demandeur était incarcéré, que personne n’avait déclaré à quiconque que le demandeur était incarcéré, et qu’il importait peu qu’il soit détenu ou non de toute façon.

 

[22]           Le 19 octobre 2012, le juge Mosley a accueilli la requête présentée par le demandeur en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi fixée au 23 octobre 2012.

 

[23]           Au moment où a été rendue la décision en cause en l’espèce, l’épouse du plaignant était enceinte de leur enfant (le deuxième fils du demandeur) et devait accoucher autour du 10 décembre 2012. Le deuxième fils du demandeur est né le 13 décembre 2012.

 

 

II.        Décision contrôlée

[24]           L’agent a refusé d’exercer le pouvoir discrétionnaire limité qui lui est conféré conformément à l’article 48 de la LIPR (tel qu’il était libellé à l’époque) pour surseoir à la mesure de renvoi du demandeur. Il a expliqué qu’il aurait été tenu d’exécuter la mesure de renvoi dès que les circonstances le permettaient même s’il avait choisi d’exercer son pouvoir discrétionnaire.

 

[25]           Dans les motifs, il est question du fait que le demandeur a travaillé sans autorisation au Canada et qu’il n’a pas déclaré ses revenus aux autorités fiscales canadiennes. L’agent a constaté que, à quelques exceptions près, le demandeur a travaillé au Canada sans autorisation dès son arrivée. Selon l’agent, les demandes de permis de travail que le demandeur avait présentées antérieurement montrent qu’il savait qu’il devait obtenir une autorisation avant de travailler au Canada, conformément à la LIPR. L’agent a conclu que le défaut du demandeur de déclarer ses revenus aux autorités fiscales canadiennes et de payer de l’impôt sur le revenu ne concordait pas avec son allégation selon laquelle il était un membre respectueux des lois, indépendant et productif de la société canadienne.

 

[26]           L’agent n’a pas conclu que le renvoi du demandeur causerait un préjudice financier irréparable à sa famille. Premièrement, le demandeur n’avait pas le droit de travailler au Canada d’après l’alinéa 183(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [Règlement], et il ne pouvait pas soutenir financièrement les membres de sa famille. Deuxièmement, l’article 209 du Règlement invalide tout permis de travail délivré en vertu du Règlement lorsqu’une mesure de renvoi visant son titulaire devient exécutoire; il ne pouvait être tenu compte de l’aide financière apportée par le demandeur à sa famille dans le traitement de sa demande de report de renvoi. Troisièmement, même si le demandeur avait pu travailler légalement au Canada, il n’aurait pu être considéré comme une source de soutien financier pour sa famille étant donné que le revenu mensuel brut qu’il tirait de son entreprise de carrelage totalisait environ 1 250 dollars. L’agent a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur n’a pas présenté de documents pertinents à l’appui de ce prétendu revenu.

 

[27]           L’agent n’a pas estimé que le premier fils du demandeur subirait un préjudice irréparable par suite de son renvoi, car le demandeur jouait un rôle mineur dans la vie de son fils. L’agent n’était pas d’avis que le demandeur avait un contact direct ou une solide relation affective avec son premier fils parce que ce dernier vivait en Turquie depuis 2010. L’agent a insisté sur le fait que le demandeur avait déclaré que son ex‑épouse l’avait empêché de communiquer avec son premier fils et de jouer un rôle dans sa vie et que ce n’était qu’en avril 2012 qu’il avait appris qu’ils étaient temporairement de retour au Canada depuis février 2012. Le départ de son ex‑épouse pour la Turquie sans son consentement et le fait qu’il n’a pas sollicité une ordonnance de la cour pour obtenir la garde conjointe de son premier fils témoignaient également de son rôle restreint.

 

[28]           L’agent n’a pas non admis que le report de la mesure de renvoi s’imposait pour l’intérêt supérieur du premier fils du demandeur, de façon à permettre à celui‑ci de demander la garde conjointe comme il en avait l’intention. Citant la décision Khamis c Canada, 2010 CF 437, l’agent a conclu que le critère de l’intérêt supérieur de l’enfant exigeait que le demandeur considère l’intérêt supérieur de son premier fils à court terme. L’agent a conclu que ce serait effectivement servir l’intérêt de l’enfant que de renvoyer le demandeur en Ouzbékistan, où il pourrait obtenir un passeport et prendre le train pour la Turquie, comme il l’avait fait avant de venir au Canada. De plus, il n’était pas certain que son premier fils reviendrait au Canada un jour ni que le demandeur demanderait la garde conjointe comme il en avait l’intention.

 

[29]           En outre, l’agent n’a pas reconnu que le beau‑fils du demandeur subirait un préjudice irréparable. L’agent a estimé qu’une relation apportant un bien‑être affectif entre le demandeur et son beau‑fils ne pouvait être que relativement récente, car ils ne vivaient sous le même toit que depuis septembre 2011. L’intérêt supérieur de son beau‑fils ne serait pas non plus compromis d’une façon ou d’une autre, car le père biologique de ce dernier était toujours au Canada.

 

[30]           De l’avis de l’agent, ni l’épouse du demandeur ni son groupe familial ne subirait de préjudice irréparable parce que le demandeur n’avait aucun moyen légal de soutenir financièrement son épouse ou sa famille. L’agent a conclu que l’épouse du demandeur avait déjà dû se prévaloir de l’aide sociale dans le passé, ce qui laissait raisonnablement supposer qu’elle y recourrait de nouveau après la naissance de leur bébé. La relation entre le demandeur et son épouse (qui n’a aucune famille au Canada) était empreinte de soutien affectif, mais les liens étroits de son épouse avec la communauté au Canada suppléeraient à ses besoins en matière de soutien affectif.

 

[31]           L’agent n’a pas reconnu que l’enfant à naître subirait un préjudice irréparable. L’agent a conclu que le demandeur n’avait aucun moyen légal de subvenir à ses besoins ou à ceux de l’enfant, que l’épouse pourrait satisfaire aux besoins de l’enfant, et qu’il faudrait tout de même faire appel à des programmes sociaux pour répondre aux besoins du demandeur ou à ceux de son épouse si le demandeur n’était pas renvoyé.

 

[32]           L’agent a conclu que la demande parrainée par l’épouse ne lui permettait pas d’exercer son pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi parce que de telles demandes ne constituaient pas un motif de sursis à une mesure de renvoi conformément à l’article 50 de la LIPR. Qui plus est, reporter le renvoi pour ce motif contrevenait à l’exigence d’exécuter la mesure de renvoi dès que les circonstances le permettent. La décision relative à la demande parrainée par l’épouse n’était pas imminente en raison des longs délais de traitement. L’agent a également constaté que le demandeur avait présenté la demande parrainée par son épouse après avoir appris que son renvoi du Canada était imminent et qu’il semblait avoir pressenti qu’elle serait rejetée. Il était raisonnable de s’attendre à ce que la répondante du demandeur ne puisse pas parrainer le demandeur, car elle était probablement prestataire de l’aide sociale. Le fait que le consulat de l’Ouzbékistan refusait de délivrer des passeports depuis l’étranger permettait aussi de croire que le demandeur ne serait pas en mesure de fournir les titres de voyage valides qui auraient permis de faire approuver sa demande parrainée par son épouse.

 

[33]           Enfin, l’agent a conclu que le report du renvoi irait à l’encontre de son devoir d’exécuter la mesure de renvoi dès que les circonstances le permettaient, car les titres de voyage temporaires du demandeur arriveraient à échéance le 8 décembre 2012 et n’avaient été délivrés qu’après un long délai. Rien ne garantissait qu’un autre titre soit délivré par la suite. Il était impossible dans les circonstances de reporter le renvoi jusqu’à la naissance du deuxième fils puisque la dernière date « permise dans les circonstances » était le 8 décembre 2012.

 

III.       Questions en litige

 

1)         Était‑il raisonnable pour l’agent de renoncer à exercer son pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi du demandeur jusqu’à la naissance de son deuxième fils ou jusqu’à ce que la demande parrainée par son épouse ait été traitée?

 

2)                  Existe‑t‑il une crainte raisonnable de partialité?

 

3)                  Le demandeur avait‑il le droit de consulter un conseil lors de l’entrevue préalable au renvoi le 11 octobre 2012?

 

 

IV.       Dispositions législatives pertinentes

[34]           Voici les dispositions législatives pertinentes de la LIPR, telles qu’elles étaient libellées à l’époque :

48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

48. (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

 

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

 

V.        Position des parties

[35]           Le demandeur affirme que l’agent a exercé de manière déraisonnable son pouvoir discrétionnaire limité de reporter le renvoi jusqu’à ce que les circonstances permettent l’application de la mesure de renvoi. 

 

[36]           Plus particulièrement, le demandeur avance que l’agent n’était pas réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur à court terme de son deuxième fils. Il tire cette conclusion du commentaire selon lequel [traduction] « le nourrisson ne saura pas qui prend soin de lui, […] ce que [son épouse] est plus qu’en mesure de faire » et selon lequel l’enfant « pourra profiter de tous les programmes sociaux et soins de santé existants […] » (DD, précité, à la page 14). 

 

[37]           Le demandeur affirme que l’agent a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur les suppositions fausses ou infondées suivantes : i) le demandeur n’était pas un citoyen respectueux de la loi parce qu’il ne déclarait pas ses revenus aux autorités fiscales; ii) son épouse pourrait obtenir du soutien au sein de la collectivité; iii) son épouse ne pourra pas le parrainer parce qu’elle bénéficiera vraisemblablement de l’aide sociale; iv) il doit détenir et présenter des titres de voyage valides pour que sa demande parrainée par son épouse soit approuvée, et v) la décision relative à la demande parrainée par son épouse n’était pas imminente.    

 

[38]           Enfin, le demandeur fait valoir qu’il existe une crainte raisonnable de partialité parce que l’agent a préjugé l’affaire et n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve. À son avis, les éléments suivants témoignent de la partialité de l’agent : i) l’exigence que le demandeur signe la déclaration sans la présence de son avocat; ii) les commentaires stéréotypés et insensibles formulés à l’endroit de l’épouse du demandeur; iii) le fait qu’il aurait affirmé avec insistance que la demande parrainée par son épouse pourrait être rejetée dès la semaine suivante; iv) la transmission à CIC de la déclaration, pourtant signée dans un état de vive anxiété et en l’absence du conseil.

 

[39]           Le défendeur affirme que l’intervention de la cour n’est pas nécessaire parce que la question de la naissance imminente est théorique. La naissance imminente était le principal motif du report à court terme; ce facteur a perdu toute portée pratique lorsque le deuxième fils du demandeur est né.

 

[40]           Le défendeur ajoute que l’agent pouvait raisonnablement refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire, car l’intérêt à court terme de la famille du demandeur et la demande parrainée par son épouse ne justifiaient pas un report. 

 

[41]           En ce qui concerne la première question, le défendeur fait valoir ce qui suit : i) l’agent n’avait pas le pouvoir discrétionnaire d’examiner les motifs CH; ii) la séparation de la famille et les difficultés financières ne justifient pas le report d’un renvoi; iii) l’agent avait seulement le pouvoir discrétionnaire d’examiner l’intérêt supérieur à court terme du deuxième fils; iv) il était raisonnable de conclure que le demandeur ne peut être considéré comme une source de soutien financier; v) toute conclusion relative à des répercussions sur son fils aîné était hypothétique; vi) toute répercussion sur son beau‑fils serait minime; vii) il était raisonnable de conclure que l’épouse aurait obtenu du soutien affectif de la collectivité étant donné qu’elle résidait au Canada depuis dix ans.

 

[42]           Le défendeur avance en outre qu’il était raisonnable pour l’agent de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire compte tenu de la demande parrainée par l’épouse pour les raisons suivantes : i) les reports attribuables à un processus en cours, conformément à la LIPR, ne sont justifiables que si le défaut de reporter le renvoi exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain; ii) la demande parrainée par l’épouse ne peut être accueillie sauf si le demandeur retourne en Ouzbékistan pour obtenir un passeport ou un titre de voyage; iii) le demandeur n’a pas le droit d’être exempté de l’obligation de posséder un passeport ou des titres de voyage valides, et son affirmation selon laquelle cette exception pourrait être accordée pour des motifs CH relève de l’hypothèse; iv) l’agent pouvait raisonnablement conclure qu’une décision relative à la demande parrainée par l’épouse n’était pas imminente ou susceptible d’être rendue avant la date d’expiration des titres de voyage temporaires du demandeur; et v) l’exigence pour le demandeur de présenter de nouveau une demande parrainée par son épouse depuis l’étranger ne justifie pas le report du renvoi.  

 

[43]           Enfin, le défendeur avance que les faits ne soulèvent aucune crainte raisonnable de partialité, car les allégations du demandeur ne sont étayées par aucun élément de preuve pertinent.

 

VI.       Analyse

Norme de contrôle

[44]           Les parties conviennent du fait que la norme de contrôle relative à l’appréciation du pouvoir discrétionnaire d’un décideur de reporter un renvoi est la norme de la décision raisonnable. Elles conviennent également du fait que la crainte raisonnable de partialité est déterminée selon la norme de la décision correcte.

 

1)                  Était‑il raisonnable pour l’agent de renoncer à exercer son pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi du demandeur jusqu’à la naissance de son deuxième fils ou jusqu’à ce que la demande parrainée par son épouse ait été traitée?

 

[45]           Conformément à l’article 48 de la LIPR, l’agent était tenu d’exécuter la mesure de renvoi prise à l’endroit du demandeur dès que les circonstances le permettaient.

 

[46]           Le pouvoir discrétionnaire dont jouit l’agent d’exécution en matière de report de renvoi, aux termes de l’article 48, est limité (Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile c Shpati), 2011 CAF 286). Dans Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, le juge Nadon a défini l’étendue de ce pouvoir discrétionnaire relativement à l’obligation juridique du ministre d’exécuter la mesure de renvoi :

À la suite de ma décision dans l’affaire Simoes, précitée, mon collègue le juge Pelletier, alors juge à la Section de première instance de la Cour fédérale, a eu l’occasion, dans la décision Wang c. Canada (M.C.I.), [2001] 3 C.F. 682 (C.F.), dans le contexte d’une requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, d’aborder la question du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution de reporter le renvoi. Après avoir examiné attentivement et à fond les dispositions législatives applicables et la jurisprudence s’y rapportant, le juge Pelletier a circonscrit la portée du pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution en matière de report de renvoi. Dans des motifs que je ne puis améliorer, il a expliqué ce qui suit :

 

-          Il existe divers facteurs qui peuvent avoir une influence sur le moment du renvoi, même en donnant une interprétation très étroite à l’article 48. Il y a ceux qui ont trait aux arrangements de voyage, et ceux sur lesquels ces arrangements ont une incidence, notamment le calendrier scolaire des enfants et les incertitudes liées à la délivrance des documents de voyage ou les naissances ou décès imminents.

 

-          La loi oblige le ministre à exécuter la mesure de renvoi valide et, par conséquent, toute ligne de conduite en matière de report doit respecter cet impératif de la Loi. Vu l’obligation qui est imposée par l’article 48, on devrait accorder une grande importance à l’existence d’une autre réparation, comme le droit de retour, puisqu’il s’agit d’une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation imposée par la Loi. Dans les affaires où le demandeur a gain de cause dans sa demande CH, il peut obtenir réparation par sa réadmission au pays.

 

-          Pour respecter l’économie de la Loi, qui impose une obligation positive au ministre tout en lui accordant une certaine latitude en ce qui concerne le choix du moment du renvoi, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain. Pour ce qui est des demandes CH, à moins qu’il n’existe des considérations spéciales, ces demandes ne justifient un report que si elles sont fondées sur une menace à la sécurité personnelle.

 

-          Il est possible de remédier aux affaires où les difficultés causées à la famille sont le seul préjudice subi par le demandeur en réadmettant celui‑ci au pays par suite d’un gain de cause dans sa demande qui était en instance.

 

Je souscris entièrement à l’exposé du droit du juge Pelletier.

 

 

[47]           Premièrement, il est possible que le refus de surseoir à la mesure de renvoi en attendant la naissance du deuxième fils du demandeur ait été déraisonnable. Ce pourrait fort bien expliquer pourquoi le juge Mosley a accueilli la requête du demandeur en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à ce que la présente demande de contrôle judiciaire ait été tranchée. Toutefois, cette question est théorique, car le deuxième fils du demandeur est né le 13 décembre 2012. Dans Ramirez c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 500, le juge Near (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a déclaré qu’un argument relatif au report du renvoi fondé sur la naissance d’un enfant n’a plus d’objet une fois l’enfant né. Citant Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, le juge Near a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher la question au fond.

 

[48]           Deuxièmement, la décision est raisonnable en ce sens que l’agent était réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants du demandeur, tout comme il a tenu compte du soutien financier et affectif que le demandeur prodiguait à son épouse et au groupe familial.

 

[49]           Comme le juge Russell l’a déclaré dans Ren c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 1345, il ne relève pas de la compétence d’un agent d’exécution de procéder à une analyse en profondeur des considérations humanitaires relatives à l’intérêt supérieur d’un enfant touché par le renvoi; l’agent doit seulement considérer l’intérêt à court terme (au paragraphe 41). Le juge O’Keefe a également déclaré que « les agents d’exécution de la loi ne sont pas bien placés pour évaluer toute la preuve qui pourrait s’avérer pertinente dans le cadre d’une demande CH ». S’ils doivent traiter « leur intérêt immédiat [celui des enfants touchés par la décision] équitablement et avec sensibilité », ils ne sont pas tenus d’effectuer un examen approfondi de l’intérêt supérieur des enfants avant d’exécuter la mesure de renvoi (Fernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1131, au paragraphe 46).

 

[50]           Puisque l’agent n’était pas tenu de faire une analyse approfondie de l’intérêt supérieur des enfants, il importe peu de savoir s’il a tiré des conclusions erronées quant à la situation fiscale du demandeur ou au degré de soutien communautaire dont bénéficierait son épouse. La jurisprudence établit clairement qu’un individu visé par une mesure de renvoi ne peut éviter l’exécution de celle‑ci « simplement parce [qu’il est l’un des] parents d’enfants nés au Canada » (décision Ramirez, précitée, au paragraphe 20). Étant donné que l’agent dispose d’une compétence limitée en matière d’analyse des considérations d’ordre humanitaire, ces erreurs n’ont aucun effet sur le caractère raisonnable de la décision.

 

[51]           Même si l’agent avait été tenu de mener une analyse approfondie des considérations d’ordre humanitaire, son analyse aurait été raisonnable dans le contexte d’une décision de renvoi. Il y a lieu d’établir une analogie éclairante entre les propos du juge Near, dans la décision Ramirez, précitée, et la présente demande :

Dans la présente affaire, l’agent a bien examiné le fait que la mère continuerait de s’occuper des enfants. L’agent a également signalé que la famille savait que le demandeur était visé par une mesure de renvoi et que l’épouse et les enfants avaient accès à tous les programmes sociaux et à toutes les ressources offertes à tous les Canadiens s’ils avaient besoin d’aide. L’agent a agi raisonnablement dans les limites du pouvoir discrétionnaire dont il dispose.

 

 

[52]           Troisièmement, la demande parrainée par l’épouse n’était pas suffisante pour conférer le pouvoir discrétionnaire à l’agent. Dans l’arrêt Baron, précité, il est précisé que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires en instance où « le défaut de le faire [différer le renvoi] exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain » (au paragraphe 51). La Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit dans l’arrêt Shpati, précité : « La présente affaire est analogue à l’affaire Baron en ce sens que la Loi ne prévoit pas de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant qu’une décision soit rendue au sujet d’une demande CH ou d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’ERAR défavorable » (au paragraphe 42).

 

[53]           La pertinence de tenir compte des hypothèses fausses ou infondées que l’agent aurait faites au sujet de la demande parrainée par l’épouse est conditionnelle à la question de savoir si une telle demande suffisait à conférer le pouvoir discrétionnaire à l’agent. Étant donné que la demande elle‑même était insuffisante pour reporter le renvoi, il importe peu de déterminer si les hypothèses de l’agent quant à son imminence ou à la capacité du demandeur de répondre aux conditions étaient fausses ou infondées.

 

[54]           La question des prétendues hypothèses fausses ou infondées ne permet pas de trancher la présente affaire. Selon Ogiriki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 342, une décision qui est « raisonnable dans son ensemble […] devrait être maintenue, même si le demandeur y a décelé quelques “faiblesses” » (au paragraphe 13).

 

[55]           Quatrièmement, la décision n’est pas déraisonnable parce que le demandeur devra présenter une nouvelle demande de résidence permanente parrainée par son épouse depuis l’Ouzbékistan. Dans Artiga c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), 2011 CF 1294, le juge Shore a maintenu que cela n’aurait aucune incidence sur le caractère raisonnable de la décision de renvoi, car le demandeur savait qu’il faisait l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire et qu’il « aurait pu décider de présenter une demande de parrainage depuis l’étranger ou, sinon, depuis l’intérieur du Canada, une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (CH), lesquelles auraient toutes deux continué d’être traitées après son renvoi du Canada » (au paragraphe 53). Les faits de l’affaire Artiga, précitée, sont semblables à ceux de la présente demande, car la demande de parrainage à titre de conjoint a été présentée après que l’agent eut enjoint au demandeur de demander un nouveau passeport en vue de son renvoi imminent du Canada.

 

2)                  Existe‑t‑il une crainte raisonnable de partialité?

 

[56]           Dans Committee for Justice and Liberty c Canada (L’Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369, le juge de Grandpré a énoncé le critère général suivant permettant de déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » (À la page 394.)

 

[57]           Dans l’arrêt Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit sur les éléments nécessaires pour démontrer la partialité :

Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l’encontre d’un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l’intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme (au paragraphe 8).

 

[58]           Je ne crois pas qu’une personne bien renseignée, qui étudierait la décision de l’agent en profondeur, de façon réaliste et pratique, conclurait que, selon toute vraisemblance, l’agent, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste.

 

[59]           Pour ce qui est des allégations du demandeur selon lesquelles l’agent a démontré, par la façon dont il a traité le dossier du demandeur et lors des réunions du 4 et du 11 octobre 2012, qu’il avait préjugé de l’affaire, je me bornerai à dire que les éléments de preuve à cet égard sont hautement contradictoires. Comme les parties n’ont pas été contre‑interrogées sur leur affidavit, il m’est impossible de conclure que le demandeur a établi le bien‑fondé de ses allégations selon la prépondérance des probabilités.

 

[60]           Même si je privilégiais la version des faits du demandeur, cela ne suffirait pas à annuler la décision en l’espèce. 

 

[61]           Premièrement, les allégations selon lesquelles, lors de la rencontre du 4 octobre 2012, l’agent aurait maintenu avec force que la demande parrainée par l’épouse serait rejetée et que, lors de la rencontre du 11 octobre 2012, il aurait affirmé qu’elle pourrait être rejetée dès la semaine suivante, ne permettent pas de conclure à l’existence de partialité. La deuxième allégation n’est pas crédible étant donné que les motifs de l’agent reposaient largement sur sa conclusion selon laquelle la décision relative à la demande parrainée par l’épouse n’était pas imminente. Les motifs à l’origine d’une crainte raisonnable de partialité doivent être « sérieux » (arrêt Committee for Justice and Liberty c Canada, précité, au paragraphe 395). Ces allégations n’appuient pas l’inférence selon laquelle l’agent était à ce point sûr de sa décision que toute observation aurait probablement été inefficace.

 

[62]           Deuxièmement, aucun élément de preuve substantiel ne montrait que le consulat de l’Ouzbékistan possédait des renseignements indiquant que le demandeur était incarcéré, ou que l’agent avait transmis cette information erronée au consulat. Un courriel du vice‑consul de la République de l’Ouzbékistan permet de le confirmer : [traduction] « Le Consulat général de l’Ouzbékistan à New York ne possédait aucune information selon laquelle M. Ikrom Ahmedov était incarcéré ou non. De plus, selon la procédure du consulat, la secrétaire qui répond aux appels n’est pas une agente consulaire et elle n’aurait pu donner aucun renseignement sur les titres de voyages en traitement des citoyens ouzbeks parce qu’elle n’a pas accès à ces dossiers » (dossier du défendeur, à la page 40).

 

[63]           Troisièmement, le fait que l’agent a demandé au demandeur de signer la déclaration en l’absence de son conseil et dans un état de vive anxiété ne suffit pas à fonder une conclusion de partialité. Ces allégations reposent sur une simple hypothèse et n’établissent pas que l’agent avait un esprit fermé. En outre, la juge Snider a déclaré, dans Ghirmatsion c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 519, qu’un interrogatoire mené de manière agressive ne peut en soi donner lieu à une crainte raisonnable de partialité (au paragraphe 114). On pourrait en dire autant de l’allégation du demandeur relativement à l’ensemble de renseignements que l’agent devait nécessairement réunir pour évaluer le préjudice irréparable.

 

[64]           Enfin, l’envoi à CIC du rapport du 11 octobre 2012 ne constituait pas une faute. Comme il estimait que le demandeur était interdit de territoire, l’agent, en vertu du paragraphe 44(1), avait le pouvoir discrétionnaire de rédiger à l’intention du ministre un rapport exposant les faits pertinents. Le demandeur était sans permis de travail depuis 2003 et il a attendu d’être visé par une mesure de renvoi avant d’en faire la demande (à l’audience, il a déposé un permis de travail délivré le 9 avril 2013 et valide jusqu’au 25 mars 2014). Le demandeur n’a soumis aucune autre preuve substantielle à l’appui de son allégation selon laquelle l’agent s’était immiscé dans le processus de la demande parrainée par l’épouse. S’il appert à l’issue de cette demande qu’il y a eu interférence indue, le demandeur aura le droit de solliciter le contrôle judiciaire de cette décision auprès de la cour.

 

3)                  Le demandeur avait‑il le droit de consulter un conseil lors de l’entrevue préalable au renvoi le 11 octobre 2012?

 

[65]           Le demandeur a demandé à la Cour de certifier la question suivante :

[traduction]

 

Le droit à l’assistance d’un avocat du demandeur entre‑t‑il en jeu lorsque l’agent d’exécution interroge le demandeur pour recueillir de l’information qui pourrait avoir des répercussions sur sa demande de report de renvoi, et lorsque le demandeur a fait savoir au préalable à l’agent qu’il a retenu les services d’un conseil?

 

 

[66]           Le critère applicable à la certification est énoncé l’alinéa 74d) de la LIPR et au paragraphe 18(1) des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22. Pour qu’une question puisse être certifiée, il faut se demander s’il y a « une question grave de portée générale qui permettrait de régler un appel » (Zazai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, au paragraphe 11, citant Bath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF 1207).

 

[67]           La Cour d’appel fédérale a examiné la portée du droit à l’assistance d’un avocat lors des entrevues préalables au renvoi qui mènent à la préparation d’un rapport d’interdiction de territoire en application du paragraphe 44(2) dans l’arrêt Cha c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CAF 126.

 

[68]           Dans cet arrêt, il a été statué au paragraphe 54 qu’un intéressé (mis à part le droit, garanti par la Charte, d’être informé de son droit à l’assistance d’un avocat en cas d’arrestation ou de détention) n’a pas « le droit d’être avisé avant l’audience qu’il dispose du droit, en vertu de la loi ou de l’obligation d’agir équitablement, à l’assistance d’un avocat ». Si l’intéressé « est informé de manière suffisante de l’objet et des conséquences possibles de l’audience à venir » (au paragraphe 54), il n’y a aucune obligation d’équité procédurale consistant à informer l’intéressé de son droit à l’assistance d’un avocat dans le cadre d’une entrevue préalable au renvoi.

 

[69]           Premièrement, étant donné que la question a déjà été tranchée par la Cour d’appel fédérale, elle ne sera pas certifiée dans le cadre du présent jugement.

 

[70]           Deuxièmement, dans la présente affaire, le demandeur affirme qu’il n’a pas été informé de manière suffisante de l’objet de l’entrevue et qu’il se serait plutôt fait dire qu’il s’agissait d’un contrôle de routine. Il se pourrait que l’agent n’ait pas respecté l’obligation de l’informer de l’objet de l’entrevue et, comme il est dit de manière incidente dans Cha, la décision devrait être annulée pour cette seule raison. Toutefois, selon une autre remarque incidente formulée dans Cha, l’arrêt Mobil Oil Canada Ltd. c Office Canada–Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, de la Cour suprême du Canada laisse penser qu’il serait inapproprié d’accueillir la présente demande. Analysant les circonstances dans l’affaire Cha, précitée, au paragraphe 67, et la théorie appliquée dans l’arrêt Mobil Oil, précité, la Cour d’appel fédérale a déclaré que, comme « une nouvelle audience devant un autre agent d’immigration ne pourrait qu’aboutir, encore une fois, à la prise d’une mesure d’expulsion, il serait totalement inutile d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience ». Ce commentaire s’applique tout à fait à la présente demande, car le demandeur était déjà visé par une mesure de renvoi et que, dans les circonstances, la seule question soulevée qui aurait pu justifier un report du renvoi du demandeur était la naissance imminente de son second enfant, une question qui est désormais sans objet.

 

VII.     Conclusion

[71]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

 

 

« Jocelyne Gagné »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-10645-12

 

INTITULÉ :                                      IKROM AHMEDOV et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 1er mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                            La juge Gagné

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 2 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Arghavan Gerami

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Peter Nostbakken

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gerami Law Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 


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