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Date : 20130627

            Dossier : T-1720-11

 

Référence : 2013 CF 719

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Montréal (Québec), le 27 juin 2013

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

VICTOR FELIX MACDONNELL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Monsieur MacDonnell était soupçonné de faire le commerce de crack et d’en consommer. Il risquait donc de perdre son habilitation de sécurité à l’Aéroport international Stanfield de Halifax. Transports Canada lui a transmis tous les renseignements obtenus à son sujet et l’a invité à s’expliquer. Il s’est contenté de dire qu’il allait régulièrement au Nouveau-Brunswick pour visiter sa mère malade, et non pour acheter de la cocaïne contrairement à ce qui était allégué, et qu’il n’avait jamais consommé de crack; pour le reste, il a tout nié. De fait, son avocat a dit : « Prouvez-le ».

[2]               Son habilitation de sécurité a été révoquée en application de la politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport de Transports Canada, dont l’un des objectifs est « de prévenir l'entrée non contrôlée dans les zones réglementées d'un aéroport énuméré dans le cas de toute personne qui, selon le ministre et les probabilités, est sujette ou peut être incitée à : 

a.       commettre un acte d'intervention illicite pour l'aviation civile; 

b.      aider ou inciter toute autre personne à commettre un acte d'intervention illicite pour l'aviation civile ». (1.4)

 

[3]               La décision de révoquer l’habilitation de sécurité a été prise par Erin O’Gorman, directeur général, sûreté de l’aviation, au nom de l’honorable Denis Lebel, ministre des Transports, des Infrastructures et des Collectivités sur l’avis de l’Organisme consultatif d'examen d'habilitation de sécurité en matière de transport. On peut y lire ce qui suit :

[traduction] L’Organisme consultatif a recommandé à l’unanimité d’annuler l’habilitation de sécurité en matière de transport. Un examen approfondi du dossier, comprenant plusieurs rapports de police récents sur des activités relatives à la drogue, a convaincu l'Organisme consultatif que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur est sujet ou peut être incité à commettre un acte d'intervention illicite pour l'aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un tel acte. Ses explications écrites ne contenaient aucune information susceptible de convaincre l’Organisme consultatif de recommander le maintien de son habilitation.

 

[4]               La Cour est saisie du contrôle judiciaire de cette décision.

 

Politique relative aux habilitations de sécurité

[5]               L’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, LRC 1985, c A-2, dispose que « le ministre peut, pour l'application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité ».

 

[6]               Aux termes des articles 39 et 46.1 du Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne, DORS/2011-318, il est interdit à toute personne d’entrer dans une zone réglementée à moins qu’elle ne soit titulaire d’une carte d’identité de zone réglementée. Pour obtenir une telle carte, la personne doit d’abord détenir une habilitation de sécurité.

 

[7]               La politique a été élaborée après l’attentat perpétré contre le vol d’Air India en 1985 afin de guider le ministre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. À moins d’être révoquée, une habilitation de sécurité n’est valide que pour cinq ans et doit être renouvelée. La vérification des antécédents comprend un prélèvement des empreintes digitales et une vérification de casier judiciaire auprès de la GRC, un contrôle du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et un examen des dossiers pertinents de divers organismes d’application de la loi. Selon Paul Renaud, surintendant de la Direction des programmes de filtrage de sécurité de Transports Canada, les personnes impliquées dans la criminalité ou qui ont été associées à des criminels sont considérées comme des menaces potentielles à la sécurité. Le surintendant Renaud, qui, plus tôt dans sa carrière, a servi pendant trente ans dans la GRC, a réuni un dossier sur M. MacDonnell qu’il a présenté à l’Organisme consultatif susmentionné. En l’occurrence, l’Organisme consultatif a recommandé au ministre de révoquer l’habilitation de sécurité de M. MacDonnell. Le délégué du ministre a retenu cette recommandation.

 

La preuve contre M. MacDonnell

[8]               Monsieur McDonnell a obtenu une habilitation de sécurité avant l’an 2000, ainsi qu’en 2000 et en 2005. En 2010, il s’est vu délivrer une nouvelle habilitation de sécurité sous réserve de l’examen de la Section du filtrage sécuritaire de la GRC.

 

[9]               M. Renaud savait que M. MacDonnell avait déjà été condamné à trois reprises pour des infractions mineures dans un passé lointain et qu’il était sous le coup d’un chef d’accusation de conduite avec une alcoolémie trop élevée. Ce n’est pas à cause de ces incidents qu’il a renvoyé le dossier à l’Organisme consultatif. S’il ne peut manifestement pas en parler, la décision montre clairement que sa préoccupation était liée à la drogue.

 

[10]           En mai 2011, la GRC a transmis à M. Renaud des renseignements confidentiels jugés fiables. La Section de la lutte contre la drogue de la GRC à Halifax disait avoir reçu, le 24 juin 2008, des renseignements selon lesquels M. MacDonnell consommait du crack et en achetait de deux hommes, les sujets 1 et 2. Les casiers judiciaires de ces deux hommes ont été décrits.

 

[11]           Le 11 novembre 2009, le SCRS a communiqué des renseignements selon lesquels M. MacDonnell était approvisionné en cocaïne par un sujet masculin connu (le sujet 3) et qu’il en vendait dans la région de Kennetcook. M. MacDonnell était associé à un autre homme, le sujet 4, qui travaillait avec lui et qui était soupçonné de vendre du cannabis. Les casiers judiciaires des sujets 3 et 4 ont été fournis.

 

[12]           Le détachement de la GRC à Enfield, Nouvelle-Écosse, près de l’aéroport, a rapporté le 6 octobre 2009 que M. MacDonnell vendait de la cocaïne dans la région de Kennetcook. Le 6 janvier 2009, le détachement a communiqué d’autres renseignements selon lesquels M. MacDonnell continuait de vendre de la cocaïne et qu’il se rendait au Nouveau-Brunswick aux deux semaines où il obtenait sa cocaïne d’un fournisseur inconnu. Apparemment, il habitait alors avec un homme, le sujet 5, après une rupture récente avec sa petite amie. Le casier judiciaire du sujet 5 faisait aussi partie du dossier.

 

[13]           Ces renseignements ont été communiqués textuellement à M. MacDonnell.

 

La défense de M. MacDonnell

 

[14]           Outre ses explications concernant les voyages de son client au Nouveau-Brunswick et le fait que celui‑ci nie consommer du crack, voici ce que l’avocat du demandeur a dit dans sa lettre du 11 août 2001 :

[traduction] Vous laissez aussi entendre que M. MacDonnell devrait fournir des renseignements plus détaillés sur les accusations formulées dans votre correspondance, et ce, avant l’audience de l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport sur cette affaire. M. MacDonnell n’a absolument aucune obligation ni aucun devoir de le faire et, de fait, il ne le fera pas parce que l’Organisme en question n’a pas compétence pour se pencher sur l’affaire que vous avez décrite. Son mandat est clairement énoncé et limité au contenu de l’article 1.4 de la politique relative au Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport.

 

[15]           M. MacDonnell concède qu’il ne s’agit pas d’une affaire criminelle et estime que le fardeau incombe à Transports Canada de prouver ses allégations hors de tout doute raisonnable. Il admet que si les allégations étaient avérées, un vendeur et consommateur de drogue représenterait effectivement un risque pour la sécurité. Toutefois, il affirme que les faits n’ont pas été établis contre lui selon la prépondérance des probabilités, la norme générale en matière civile.

 

[16]           Il dit qu’il incombait à M. Renaud de vérifier les renseignements obtenus de la GRC et du SCRS. Celui‑ci aurait dû obtenir des détails, notamment l’identité des cinq sujets et les dates précises auxquelles on l’aurait vu utiliser ou vendre du crack. Aucune preuve n’indique que l’un ou l’autre de ces cinq sujets ont été inculpés. Cependant, il convient de souligner qu’il n’a jamais été dit que ces sujets eux-mêmes faisaient le commerce du crack.

 

[17]           Depuis l’envoi de la lettre de son avocat, M. MacDonnell essaie de descendre de ses grands chevaux. M. Renaud a été contre-interrogé concernant son affidavit. Il a admis avoir simplement transmis les renseignements reçus sans en vérifier lui-même l’exactitude. Ni lui ni Transports Canada n’ont obtenu les noms des cinq sujets.

 

[18]           Le dossier n’indique pas que M. MacDonnell ne connaissait pas les cinq sujets. En réalité, il devait en connaître au moins un puisqu’il logeait chez lui depuis sa rupture avec sa petite amie. Il n’a fourni aucune information expliquant pourquoi on ne pouvait se fier aux renseignements fournis par le sujet 5.

 

[19]           M. MacDonnell travaillait avec l’un des sujets. Cependant, il n’a pas identifié toutes les personnes avec lesquelles il travaillait ni expliqué pourquoi les renseignements qu’elles pouvaient avoir fournis n’étaient pas dignes de foi.

 

[20]           Le sujet 3 est le seul ayant été déclaré coupable de trafic de stupéfiants. Au cours de l’audience, M. MacDonnell s’est plaint de ne pouvoir contester les dires de celui-ci parce qu’il est mort. S’il sait qu’il est mort, il sait sans aucun doute qui il était.

 

[21]           Si M. MacDonnell avait demandé des détails plus précis, par exemple des dates déterminées, il aurait pu fournir un alibi, par exemple qu’il était en vacances à l’extérieur du pays. Or, il n’en a rien fait.

 

Analyse

[22]           La présente demande soulève deux questions. La première concerne le degré de déférence dont la Cour doit faire preuve à l’égard du décideur, la deuxième, le fardeau de la preuve.

 

[23]           M. MacDonnell soutient que la décision était inéquitable sur le plan procédural. Si c’est le cas, la Cour n’a pas à faire preuve de déférence (Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 RCS 539).

 

[24]           Monsieur MacDonnell prétend aussi que le décideur s’est trompé en appliquant le fardeau de la preuve. Le fardeau de la preuve est une question d’importance générale en plus d’être d’application étendue en ce qu’il touche toutes sortes d’actions en justice et de contrôles judiciaires. À ce titre, il ne s’agit pas simplement d’une question d’organe décisionnel qui applique sa propre loi de sorte que l’on doit faire preuve à son égard de la norme déférente de la raisonnabilité. La norme de contrôle applicable serait donc celle de la décision correcte.

 

[25]           Sinon, la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9).

 

[26]           L’affirmation selon laquelle la procédure était inéquitable n’est nullement fondée. En plus de ce que j’ai déjà dit, bien que M. MacDonnell n’ait pas été interrogé en personne, il n’a pas réclamé un tel entretien. Il n’y a pas d’obligation automatique à cet égard. Quant au fardeau de la preuve, comme le juge Rothstein l’a dit dans l’arrêt Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 1, [2005] 3 RCF 239, au paragraphe 9, alors qu’il siégeait à la Cour d’appel fédérale , « [s]auf disposition contraire d'une loi ou sauf dans certaines circonstances impératives, la norme de preuve en matière civile est toujours celle de la probabilité la plus forte [également appelée la prépondérance des probabilités] ».

 

[27]           Cependant, il a ajouté : « il ne faut pas confondre norme de preuve et critère objectif ». Il mentionne que cette distinction a été faite par le juge MacGuigan dans l’arrêt Adjei c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680, dans le contexte d'une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention et de ce qui est aujourd'hui l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Comme le juge McGuigan l’a dit, à la page 682 de l’arrêt Adjei, cité au paragraphe 11 de l’arrêt Li :

Il n'est pas contesté que le critère objectif ne va pas jusqu'à exiger qu'il y ait probabilité de persécution. En d'autres termes, bien que le requérant soit tenu d'établir ses prétentions selon la prépondérance des probabilités, il n'a tout de même pas à prouver qu'il serait plus probable qu'il soit persécuté que le contraire. [Non souligné dans l'original]

 

[28]           La Loi sur l’aéronautique n’établit pas le fardeau de la preuve applicable. Dans le contexte qui nous occupe, il est question de sécurité de l’aviation. L’objectif de la politique est énoncé à l’article 1.4, cité au paragraphe 2 ci-dessus.

 

[29]           La politique est prospective; autrement dit, elle tient de la prédiction. La politique n’exige pas que le ministre croie selon la prépondérance des probabilités qu’un individu « commettra » un acte qui « constituera » un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou qu’il « aidera ou incitera » toute autre personne à commettre un acte qui « constituerait » une intervention illicite pour l’aviation civile, mais seulement qu’il soit « sujet » à le faire.

 

[30]           Au vu de l’ensemble de la Loi sur l’aéronautique et de son règlement d’application, la politique s’inscrit dans la logique de ceux‑ci. Contrairement à ce que prétend M. MacDonnell, l’Organisme n’a pas outrepassé son mandat.

 

[31]           La Cour a toujours confirmé la validité de la politique. Il n'est pas nécessaire de citer chacune des décisions concernées. Comme le juge Shore l’a dit dans la décision Fontaine c Canada (Transports), 2007 CF 1160, au paragraphe 75, « [l]a fiabilité de l’information obtenue de la GRC est suffisante aux fins du processus de vérification […] », même s’il s’agissait de ouï-dire.

 

[32]           Par ailleurs, comme le juge Barnes l’a souligné dans la décision Clue c Canada (Procureur général), 2011 CF 323, au paragraphe 17, Transports Canada n’était pas tenu de divulguer l’identité des informateurs et, dans cette affaire, comme en l’espèce, le demandeur « n’a pas expliqué comment l’absence de renseignements à cet égard aurait limité sa capacité de répondre aux allégations portées contre lui ».

 

[33]           Le juge Barnes ajoute, au paragraphe 20, qu’il suffit de croire, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne est sujette [ou peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile].

 

[34]           Le dossier transmis à M. MacDonnell, comme il n’y a pas répondu, était suffisant pour justifier la révocation de son habilitation de sécurité. Le fardeau reposait alors sur lui (Kruger Inc c Baltic Shipping Co., [1988] 1 CF 262, 11 FTR 80, confirmée par (1989) 57 DLR (4th) 498, 1989 ACF n229 (QL)). La décision de l’Organisme consultatif selon laquelle la réponse de M. MacDonnell est insuffisante pour faire porter de nouveau le fardeau de la preuve au ministre était raisonnable.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE QUE, pour les motifs énoncés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens de 3 000 $, tout compris.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1720-11

 

INTITULÉ :                                      VICTOR FELIX MACDONNELL et

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 11 juin 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 27 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Roberg Cragg

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kelly Peck

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cragg Law

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Willam F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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