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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20130627

Dossier : IMM-10882-12

Référence : 2013 CF 725

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

BAQAR MIRZA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur dépose la présente demande de contrôle judiciaire dans le but de faire annuler la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a refusé de lui accorder l’autorisation d’interjeter appel à l’égard d’une mesure d’exclusion pour les motifs d’ordre humanitaire (motifs CH). Malgré les arguments solides mis de l’avant par l’avocat, lorsque j’examine la décision dans son ensemble comme il se doit, je ne vois aucun motif me permettant d’annuler la décision. La présente demande doit par conséquent être rejetée.

 

Le contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen du Pakistan qui avait présenté une demande en vue d’immigrer au Canada à titre de travailleur qualifié en 1998. À cette époque, il n’avait pas de personnes à charge. Le demandeur s’était marié en 2000 et il avait eu son premier enfant en 2001. Il était arrivé au Canada en 2003 et, suivant les conseils d’un consultant, il n’avait pas déclaré le changement à sa situation familiale. Il a eu deux autres enfants depuis ce temps.

 

[3]               En 2006, il a présenté une demande de parrainage de son épouse et de ses enfants à titre de membres du regroupement familial. Ces derniers ont été déclarés inadmissibles au parrainage, en application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement de l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), parce que le demandeur n’en avait pas fait mention dans sa demande initiale de résidence permanente. Le demandeur a par la suite été déclaré interdit de territoire au Canada pour fausse déclaration, en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). Il a présenté une demande à la SAI pour qu’elle lui accorde, au titre des articles 67 et 68 de la Loi, une dispense discrétionnaire fondée sur des motifs CH à l’égard de la mesure d’exclusion.

 

[4]               La SAI a examiné les motifs CH pertinents, mais elle a conclu que ceux‑ci ne justifiaient pas l’accueil de l’appel ou l’octroi d’un sursis. La SAI a mentionné ce qui suit lorsqu’elle était parvenue à cette conclusion :

a)      La fausse déclaration n’était pas involontaire. Un consultant avait conseillé au demandeur de ne pas faire mention de sa famille.

b)      Le demandeur a exprimé des remords, mais ceux‑ci concernaient davantage les conséquences de l’expulsion plutôt que les incidences de sa fausse déclaration sur le système d’immigration.

c)      Le demandeur vivait au Canada en permanence depuis 2005; il a étudié ici et il travaillait dans l’industrie pétrolière et gazière. La SAI a considéré que ces facteurs favorables étaient atténués par le fait qu’il avait peu d’actifs ou d’autres attaches au Canada et parce qu’il avait des dettes importantes.

d)     Le demandeur est un membre bien connu et respecté de la collectivité musulmane locale; cependant, il garde des liens avec le Pakistan, car sa famille immédiate y vit toujours.

e)      Le demandeur travaillait comme ingénieur avant de quitter le Pakistan et il avait quitté son poste en bons termes avec son employeur.

f)       Les enfants du demandeur font leurs études dans une école privée britannique et ils participent à des activités parascolaires au Pakistan. Le demandeur a l’intention que ceux‑ci viennent au Canada pour faire leurs études postsecondaires.

 

La question en litige

[5]               La question en litige dans le contexte du présent contrôle judiciaire est de savoir si la SAI a examiné et pondéré l’établissement du demandeur au Canada de manière équitable. La norme de contrôle applicable à cette décision est la raisonnabilité. La SAI a le pouvoir discrétionnaire de déterminer ce qui constitue des motifs CH et de juger si ceux‑ci sont suffisants dans une affaire donnée : Khosa c Canada (MCI), 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, aux paragraphes 57, 58, et 61 à 63. La Cour suprême du Canada a récemment mis l’accent sur le fait que, dans l’examen des motifs d’une décision, les motifs doivent être lus comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes et Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54, et que l’on peut avoir recours au dossier pour combler les écarts ou les lacunes dans l’analyse lorsque la réponse est manifeste au vu du dossier : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers Association, 2011 SCC 61, [2011] 3 RCS 654.

 

Analyse

[6]               Le demandeur soumet deux arguments. Premièrement, il soutient que la SAI a commis une erreur en atténuant les facteurs favorables de l’établissement, y compris ses liens avec la collectivité, son éducation et ses antécédents professionnels, en raison de ses dettes et de son manque d’actifs corporels. Son deuxième argument repose sur l’erreur avouée de la commissaire relativement aux dates auxquelles le demandeur vivait au Canada. Il prétend que cette erreur entachait l’appréciation globale des facteurs de l’établissement effectuée par la commissaire.

 

[7]               En ce qui concerne le premier argument, il est loisible à la SAI de considérer que le manque d’actifs milite en défaveur de l’établissement. Cependant, le demandeur prétend que la commissaire a accordé un poids disproportionné à ce facteur et qu’elle a ensuite fait abstraction d’autres facteurs pertinents. La commissaire a de plus omis d’analyser les dettes et d’examiner pourquoi elles avaient été engagées. Ces dettes se rapportaient à des prêts étudiants (20 000 $) et à un nouveau véhicule (40 000 $). Le demandeur soutient qu’il s’agissait de dettes raisonnablement contractées et qu’un prêt étudiant est souvent perçu comme un investissement.

 

[8]               Bien que je convienne avec le demandeur que la commissaire aurait dû examiner la nature des dettes et tenir compte des raisons pour lesquelles elles avaient été engagées, son omission de ce faire n’a pas eu d’incidences sur la décision. Cette conclusion s’explique par deux raisons.

 

[9]               Premièrement, la commissaire a noté que le demandeur n’avait pas d’actifs corporels, comme une maison ou d’autres biens. Les dettes, sans égard à leurs origines, n’étaient qu’un seul aspect de sa situation financière globale. Autrement dit, selon mon interprétation des motifs, on ne reprochait pas au demandeur d’avoir des dettes; elles constituaient plutôt simplement un indice de l’absence d’établissement. Si la commissaire avait conclu que l’existence des dettes, en soi, était un facteur défavorable, j’aurais alors convenu avec le demandeur qu’il aurait incombé à la commissaire de se renseigner au sujet de la question de savoir pourquoi les dettes avaient été engagées et de les soupeser au regard des autres facteurs.

 

[10]           Deuxièmement, les considérations financières n’étaient que l’un des nombreux facteurs dont la commissaire a tenu compte, facteurs qui comprenaient aussi le lien du demandeur avec la collectivité, son âge lors de son arrivée au pays et l’endroit où vivent les membres de sa famille immédiate et ceux de sa famille étendue. À cet égard, la commissaire a aussi relevé que la décision de ne pas faire mention de l’existence de son épouse et de son enfant relevait d’un choix stratégique, et non d’une omission involontaire; qu’il occupait un emploi rémunéré au Pakistan et qu’il serait vraisemblablement capable de se trouver du travail à son retour, étant donné qu’il a maintenant davantage d’expérience et de formation; que son épouse et ses enfants vivent au Pakistan; qu’il a deux sœurs qui vivent au Pakistan, un frère qui vit aux Pays‑Bas ainsi qu’une sœur et un beau‑frère à Toronto. La commissaire a conclu que les relations du demandeur avec ses frères et sœurs ne seraient pas perturbées de manière importante s’il devait quitter le Canada et que ces relations ne donnaient pas en soi à penser que le demandeur avait un certain degré d’établissement au Canada.

 

[11]           Les dettes, lorsqu’on les replace dans le contexte élargi de tous les facteurs pertinents à l’égard de l’établissement, n’ont pas reçu un poids disproportionné ou n’ont pas par ailleurs fait pencher la balance dans une pondération minutieuse des critères pertinents.

 

[12]           Je m’attarde maintenant à la deuxième erreur.

 

[13]           La commissaire a manifestement commis une erreur dans l’appréciation d’un élément de la preuve. Le demandeur était arrivé au Canada le 14 janvier 2003 et il était retourné au Pakistan en décembre 2003. Il était revenu au Canada en 2005. À plusieurs endroits dans ses motifs, la commissaire emploie les expressions « quelques semaines » et « brièvement » pour décrire le premier séjour du demandeur au Canada. Ce n’était pas exact. Le demandeur avait passé près d’un an au Canada.

 

[14]           Cette erreur doit être replacée dans le contexte des autres conclusions tirées par la commissaire. Elle a aussi conclu que « […] le [demandeur] n’avait pas l’intention d’établir sa résidence au Canada après avoir obtenu le statut de résident permanent », en relevant que le demandeur avait gardé son emploi au Pakistan et qu’il avait attendu trois ans après son arrivée initiale en janvier 2003 avant de présenter une demande en vue de parrainer sa famille. La commissaire a conclu qu’il ne s’était pas établi en permanence au Canada avant son retour en 2005. Le dossier, lorsqu’on l’interprète correctement, mentionne que le demandeur avait été au Canada pendant 11 mois, puis qu’il s’était absenté pendant un an. Étant donné cette conclusion, l’erreur dans le calcul du temps qu’il avait passé au Canada avant l’année 2005 n’a aucune importance.

 

[15]           Le demandeur soutient aussi que la SAI a omis de tenir compte de la période importante qu’il avait passée au Canada depuis son arrivée en 2005. Cependant, la SAI a reconnu que le demandeur vivait au Canada en permanence depuis 2005.

 

[16]           La SAI a effectué une analyse détaillée de la situation du demandeur et l’a appréciée eu égard aux critères pertinents. La décision n’était pas fondée sur un seul facteur, et aucun facteur n’a été omis. Le fait que le demandeur avait des dettes n’était pas déterminant. Bien que le demandeur ait à juste titre relevé l’erreur concernant la date à laquelle il a quitté le Canada pour la première fois, lorsque l’on replace cette erreur dans le contexte des autres conclusions de fait, en particulier celle selon laquelle il s’était établi à temps plein au Canada uniquement en 2005, cette erreur ne compromet pas le caractère raisonnable de la décision. Les motifs appuient, en principe, la conclusion qui a été tirée : Newfoundland and Labrador Nurses Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, aux paragraphes 12 à 18.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge


 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-10882-12

 

INTITULÉ :                                      BAQAR MIRZA

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                            ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 24 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Rennie

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 27 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Magdalene Baczynski

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jamie Churchward

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Duncan & Craig LLP

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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