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Date : 20130703

Dossier : IMM-6124-12

 

Référence : 2013 CF 737

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2013

En présence de madame la juge Strickland

 

 

ENTRE :

 

DAVID BEN CHEKROUN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 26 avril 2012 par un agent chargé de l’examen des risques avant le renvoi (ERAR). L’agent a conclu que le demandeur ne serait pas exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé du Canada et, à l’instar de la Section de la protection des réfugiés, il a également conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) (IMM‑6124‑12). Le lendemain, le même agent a refusé la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par le demandeur en vertu de l’article 25 de la LIPR (IMM‑6125‑12). La Cour est également saisie d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Les deux demandes ont été présentées en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR.

 

[2]               Les faits à l’origine du litige sont essentiellement les mêmes dans le cas des deux demandes.

 

Faits à l’origine du litige

[3]               Le demandeur, M. Ben Chekroun, explique qu’il est né en 1966 en Algérie de parents juifs français. Son père, un Juif sépharade algérien, n’avait ni la citoyenneté française ni la citoyenneté algérienne jusqu’en 1944, année où un changement apporté à la loi lui a permis d’obtenir la citoyenneté française. À la suite d’un changement de gouvernement, sa citoyenneté lui a été retirée. Le demandeur croit donc qu’il est apatride et qu’il n’est citoyen ni de la France ni de l’Algérie.

 

[4]               Le demandeur raconte qu’à l’âge de dix ans, il a commencé à souffrir d’un trouble obsessivo-compulsif et qu’il se faisait harceler par les habitants de son village en raison de son comportement étrange. À l’âge de 12 ou 13 ans, il a commencé à vivre ses premières expériences sexuelles. Les gens ont appris qu’il était homosexuel, à la suite de quoi il a, selon ce qu’il raconte, été battu et harcelé. Une fois, on l’a traité de [traduction] « pédé » et on a jeté du café sur lui; une autre fois, on l’a battu et on lui a cassé le nez, et une autre fois, il a dû se faire hospitaliser pour se faire extraire des éclats de verre du pied parce qu’il avait dû se servir de son pied pour briser une porte en verre pour échapper à une bande de voyous.

 

[5]               À 18 ans, il a demandé une carte d’identité nationale qu’il n’a pu obtenir parce qu’il avait refusé de déclarer qu’il était musulman. Il a été détenu pendant quatre mois et torturé avec une forme de simulation de noyade. Il a par la suite commencé à souffrir d’un trouble de stress post-traumatique.

 

[6]               En 1992, la persécution des Juifs en Algérie et les actes de violence de l’armée islamique avaient atteint un seuil critique. Le demandeur a envisagé la possibilité de s’enfuir, mais ne voulait pas abandonner sa mère.

 

[7]               Le demandeur explique que, le 25 mars 1997, sa mère a obtenu la permission de se déplacer pour aller se recueillir sur la tombe de son père à Alger. L’autocar à bord duquel elle voyageait s’est fait arrêter à un barrage routier par des terroristes qui ont massacré et décapité bon nombre des passagers. Sa mère était au nombre des victimes.

 

[8]               Le demandeur, qui était alors âgé de 31 ans, n’avait plus aucune raison de demeurer en Algérie. Il s’est enfui et est arrivé finalement au Canada le 4 juin 1999. Il a demandé l’asile à l’aéroport Pearson de Toronto.

 

[9]               Le demandeur raconte qu’il s’est installé dans le quartier gay de Toronto et qu’il s’est fait des amis au sein de la communauté. Il s’est inscrit au 519 Community Centre et au YMCA, il rencontrait des hommes aux bains de vapeur du YMCA pour des rencontres sexuelles sans lendemain. Il a par la suite contracté des hémorroïdes et a commencé à s’inquiéter du SIDA. Au moment de sa demande d’ERAR et de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il vivait chastement depuis trois ans. Il souffre de dépression, d’un trouble de stress post-traumatique, d’un trouble obsessivo-compulsif et du syndrome de Tourette. Bien qu’il prenne des médicaments, ses troubles mentaux ont tendance à l’isoler des autres et à l’empêcher de travailler. Il a poursuivi ses études en s’inscrivant surtout à des cours en technologie de l’information et il a fait beaucoup de bénévolat auprès de nombreux organismes communautaires pendant une longue période de temps.

 

[10]           En juin 1999, le demandeur a présenté une demande d’asile fondée sur la persécution religieuse dont il affirmait avoir été victime en Algérie. La Section des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande dans une décision datée du 8 mars 2000. La Commission ne s’est pas prononcée sur sa nationalité, mais a expliqué que, lorsque la nationalité ne pouvait être clairement établie, les demandeurs d’asile étaient assimilés à des apatrides. La Commission a ensuite examiné sa situation en considérant qu’il résidait en Algérie. Il a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision, demande qui a été rejetée en janvier 2001.

 

[11]           Le demandeur affirme qu’il n’a pas révélé son orientation sexuelle et ses problèmes de santé mentale dans le Formulaire de renseignements personnels (FPR) qui accompagnait sa demande d’asile de 1999 parce qu’il avait honte. Il en a effectivement parlé à son avocat avant l’ouverture de l’audience relative à sa demande d’asile. L’ajournement qu’il avait demandé lui a été refusé, ce qui l’a empêché de témoigner au sujet de la discrimination dont il avait été victime sur le fondement de son orientation sexuelle et ses problèmes de santé mentale.

 

[12]           Entre 2000 et 2009, aucune démarche n’a été entreprise pour régulariser la situation du demandeur. Le 2 juillet 2009, le demandeur a présenté une demande en vue d’être autorisé à demeurer au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire et, le 16 décembre 2010, il a présenté une demande d’ERAR. Au soutien de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il a expliqué qu’il subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’il devait retourner en Algérie, ajoutant qu’il s’était depuis complètement établi au Canada. Sa demande d’ERAR était fondée sur le fait qu’il existait des éléments de preuve clairs et convaincants tendant à démontrer que le demandeur était exposé à de la persécution sur le fondement de sa religion et de son orientation sexuelle, qu’il était stigmatisé en raison de ses troubles de santé mentale et que l’État algérien et que les institutions locales étaient mal équipées pour lui offrir des soins adéquats et pour s’occuper de ses troubles mentaux.

 

[13]           La demande d’ERAR et la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ont toutes les deux été entendues par l’agent d’immigration R. Mekhael (l’agent) qui les a refusées respectivement les 26 et 27 avril 2012. La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision relative à l’ERAR et de la décision relative à la demande fondée sur les motifs d’ordre humanitaire.

 

Décision à l’examen – ERAR

 

[14]           L’agent a relevé les risques mentionnés par le demandeur, en l’occurrence le fait qu’il est gay et Juif et qu’il est aux prises avec une dépression, un trouble obsessivo-compulsif, un trouble de stress post-traumatique et le syndrome de Tourette. L’agent a fait observer que le demandeur s’attendait à ne pouvoir recevoir les soins médicaux appropriés en Algérie, qu’il deviendrait un sans-abri et qu’il serait stigmatisé.

 

[15]           L’agent a ensuite examiné le dossier du demandeur et a constaté que la demande d’asile de juin 1999 dont le demandeur avait été débouté était fondée sur la persécution religieuse en Algérie et que la Commission avait conclu qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve crédible permettant de croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était Juif. Pour cette raison, la Commission avait refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention.

 

[16]           L’agent a déclaré que la décision de la Commission ne liait pas l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire. L’agent a pris acte d’une lettre dans laquelle M. Alain Checroune précisait que Ben Chekroun était [traduction] « un nom juif de l’Afrique du Nord (algérien) ». Il a également pris acte des documents faisant état d’incidents de discrimination et de violence contre des Juifs algériens que le demandeur avait soumis à l’appui de sa demande d’ERAR. L’agent a toutefois conclu qu’il ne disposait toujours pas de suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour réfuter les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité et pour confirmer que le demandeur était de foi juive. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur était Juif et il a par conséquent conclu, à l’instar de la Commission, qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention. De plus, l’agent a estimé qu’il était plus probable que le contraire que le demandeur ne serait pas exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé du Canada en raison du fait qu’il était de foi juive et, par conséquent, l’agent a refusé de lui reconnaître la qualité de personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi.

 

[17]           L’agent a ensuite examiné les nouveaux éléments de preuve relatifs à l’orientation sexuelle, en rappelant le récit susmentionné que le demandeur avait fait de ses expériences et de ses activités homosexuelles dans l’affidavit du 6 janvier 2011 qui accompagnait sa demande d’ERAR et en prenant acte de la lettre confirmant qu’il était membre du 519 Church Street Community Centre. L’agent a estimé qu’on ne lui avait pas soumis suffisamment d’éléments de preuve personnels pour démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était d’orientation homosexuelle. Sans plus d’éléments de preuve corroborants, il était impossible de conclure que le demandeur était homosexuel et qu’il était personnellement exposé à un risque en Algérie.

 

[18]           L’agent a ensuite examiné l’état de santé mentale du demandeur, son argument portant qu’il n’était pas facile de se faire soigner pour des troubles mentaux en Algérie et que les communautés locales sont mal équipées pour offrir des soins adéquats. Se fondant sur ces nouveaux éléments de preuve, l’agent a accepté que le demandeur souffrait de dépression, d’un trouble obsessivo-compulsif, d’un trouble de stress post-traumatique et du syndrome de Tourette, mais a estimé qu’il était possible d’obtenir des soins médicaux en Algérie. L’agent a cité de larges extraits du rapport de 2011 de l’Agence frontalière du Home Office du Royaume-Uni sur la situation en Algérie. Il a estimé que cette recherche ne permettait pas de conclure que le demandeur ne pourrait pas obtenir des soins médicaux, même si ces derniers pouvaient être limités.

 

[19]           L’agent a également examiné le rapport le plus récent du Département d’État américain concernant les pratiques en matière de droits de la personne (Country Report on Human Rights Practices) et a conclu que la preuve n’était pas suffisante pour permettre de penser que le demandeur serait, en raison de ses troubles mentaux, exposé à un risque de persécution ou au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé en Algérie. L’agent a estimé que les assertions du demandeur étaient réfutées par l’absence d’éléments de preuve documentaire confirmant l’existence des pratiques évoquées.

 

[20]           L’agent a ajouté que le demandeur avait affirmé qu’il souffrait déjà de troubles mentaux lorsqu’il se trouvait en Algérie, mais qu’il n’avait pas soumis suffisamment d’éléments de preuve objectifs permettant de penser qu’il avait été victime de discrimination sociale ou qu’il s’était retrouvé sans abri de ce fait. Même si le demandeur avait été sans abri, il n’avait pas démontré que cette situation aurait été causée par sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un groupe social ou à ses opinions politiques au sens de l’article 96 de la LIPR ni qu’en raison de sa situation personnelle, il serait exposé à l’un des risques prévus à l’article 97 de la LIPR.

 

[21]           L’agent a conclu que le demandeur était exposé tout au plus à une simple possibilité d’être persécuté au sens de l’article 96 de la LIPR et qu’il était peu probable qu’il soit exposé à un risque de torture ou à une menace à sa vie ou qu’il soit exposé au risque de subir des traitements cruels ou inusités au sens de l’article 97 de la LIPR s’il retournait en Algérie. Le demandeur n’était donc ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

Décision à l’examen – Motifs d’ordre humanitaire

[22]           L’agent a fait observer que les motifs d’ordre humanitaire invoqués par le demandeur pour réclamer une mesure spéciale qui lui permettrait de demander la résidence permanente depuis le Canada étaient le fait qu’il s’était établi au Canada et les risques auxquels il serait exposé s’il retournait en Algérie.

 

[23]           L’agent a examiné le passé du demandeur, en particulier les nombreuses heures de bénévolat qu’il avait consacrées auprès de divers organismes, en l’occurrence, CANORAA, une agence de développement afro-canadienne, le Centre de loisirs Parkdale Activity, l’Auberge francophone, Food Share, les jardins du Parc Earlscourt, le STOP Community Food Centre, le Wychwood Open Door Drop In et le 519 Centre. L’agent a également fait observer que le demandeur avait poursuivi ses études en s’inscrivant à divers cours au Conseil scolaire de district de Toronto, au Collège George Brown, au Collège Seneca et au Centennial College, ajoutant que le tout était appuyé par des éléments de preuve corroborants.

 

[24]           L’agent a fait observer que le degré d’établissement du demandeur au Canada était modéré, qu’il ne disposait pas d’un réseau de soutien très solide en Algérie et que, comme il avait quitté l’Algérie il y a une quinzaine d’années, il risquait de connaître des difficultés s’il devait y retourner. L’agent a conclu que le demandeur ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’on lui permette de demeurer au Canada de façon permanente, compte tenu de ses antécédents en matière d’immigration. Il avait passé les 31 premières années de sa vie en Algérie et avait réussi à s’adapter à la société canadienne. Il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il ne pouvait retourner dans son pays de résidence habituelle, l’Algérie, et s’y réadapter.

 

[25]           L’agent a déclaré que, par ses propres agissements, le demandeur avait fait obstacle à son renvoi ou à son départ du Canada et qu’il devait assumer une part de responsabilité de ses gestes.

 

[26]           L’agent a déclaré qu’il avait examiné attentivement le témoignage des psychologues et des médecins qui avaient été entendus, mais que les médecins n’étaient pas des experts en ce qui concerne le système médical et le système de logement algériens. L’agent a cité un extrait du rapport de 2011 de l’Agence frontalière du Home Office du Royaume-Uni sur la situation dans le pays d’origine suivant laquelle l’Algérie était en train de mettre en place des installations publiques dans cinq capitales régionales pour faire face au nombre croissant de sans-abri. L’agent a fait observer que le demandeur avait réussi à se trouver du logement au Canada et a conclu que la preuve ne démontrait pas qu’il deviendrait probablement un sans-abri en Algérie en raison de ses problèmes de santé mentale.

 

[27]           L’agent a conclu qu’il ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le demandeur était bien établi au Canada à un point tel que l’obligation pour lui de quitter le Canada pour présenter une demande de résidence permanente lui ferait connaître des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, ajoutant qu’il n’y avait pas lieu, pour cette raison, d’accorder une mesure spéciale fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[28]           L’agent a ensuite examiné les allégations de risque en cas de retour du demandeur en Algérie. L’agent a relevé la conclusion tirée par la Commission dans sa décision du 8 mars 2011, suivant laquelle l’affirmation du demandeur qu’il était Juif n’était pas crédible, faisant observer que la Commission avait rejeté sa demande d’asile. L’agent a également mentionné la décision relative à la demande d’ERAR que l’agent avait rendue la veille. Même s’il n’était pas lié par les critères propres à l’ERAR ou la décision de la Commission, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas soumis suffisamment d’éléments de preuve pour réfuter les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité et sa conclusion suivant laquelle son affirmation qu’il était Juif n’était pas crédible. Les risques auxquels il affirmait être personnellement exposé en raison du fait qu’il était Juif n’étaient pas corroborés et la preuve n’appuyait pas sa prétention qu’il serait exposé à un préjudice qui équivaudrait à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’il était forcé de présenter sa demande de résidence permanente selon la méthode habituelle.

 

[29]           Le demandeur n’avait également pas soumis suffisamment d’éléments de preuve personnels pour démontrer qu’il était homosexuel ni suffisamment d’éléments de corroboration pour démontrer son homosexualité selon la prépondérance des probabilités (les éléments de preuve étant les mêmes que ceux qu’il avait soumis à l’appui de sa demande d’ERAR), de sorte qu’il n’avait pas démontré que, s’il devait retourner en Algérie, il serait exposé à une menace à sa vie qui équivaudrait à un préjudice suffisant pour satisfaire aux exigences applicables pour obtenir une mesure spéciale pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[30]           L’agent a accepté le diagnostic de trouble de stress post-traumatique complexe, trouble obsessivo-compulsif et de syndrome de Tourette. Il a toutefois conclu qu’il ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le demandeur n’avait pas pu ou ne pourrait pas se faire soigner en Algérie. De plus L’agent a cité un extrait du rapport de 2011 de l’Agence frontalière du Home Office du Royaume-Uni sur la situation dans le pays d’origine qui démontrait que, bien que limités, les soins médicaux existent en Algérie.

 

[31]           Malgré l’affirmation du conseil du demandeur suivant laquelle les personnes atteintes de maladie mentale sont activement condamnées et persécutées par les autorités de l’État en Algérie, l’agent a estimé que ces affirmations n’étaient pas confirmées par la preuve documentaire. Il n’y avait également pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour démontrer que, parce qu’il ne pouvait compter sur l’appui de sa famille, le demandeur se buterait à un refus de traitement de la part des autorités médicales en Algérie, et il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve corroborants pour démontrer que le demandeur avait déjà été sans abri en raison de ses troubles mentaux.

 

[32]           L’agent a conclu que le demandeur ne lui avait pas démontré qu’il connaîtrait des difficultés excessives en raison de ses troubles mentaux ou qu’il serait personnellement exposé à un risque qui entraînerait des difficultés excessives s’il devait retourner au Nigeria [sic] au point de constituer des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, et l’agent a par conséquent rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

Questions en litige

 

[33]           Décision relative à la demande d’ERAR :

 

1.                  L’agent a-t-il ignoré ou mal interprété des éléments de preuve se rapportant à la religion juive imputée au demandeur?

 

2.                  L’agent a-t-il commis une erreur en exigeant des éléments de preuve corroborant l’orientation sexuelle du demandeur?

 

3.                  L’agent a-t-il formulé des conclusions déguisées de crédibilité et manqué à l’équité procédurale en refusant la tenue d’une audience?

 

[34]           Décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire :

 

4.                  Le pouvoir discrétionnaire de l’agent a-t-il été entravé?

 

5.                  La décision de l’agent était-elle raisonnable?

 

6.                  L’agent a-t-il ignoré ou mal interprété les éléments de preuve concernant les difficultés et se rapportant à la prétention du demandeur qu’il est Juif ou au fait qu’il est perçu comme étant de confession juive?

 

7.                  L’agent a-t-il commis une erreur en exigeant des éléments de preuve corroborants?

 

Norme de contrôle

 

[35]           Il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à l’analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à la question dont elle est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au paragraphe 57).

 

[36]           Il a été jugé que la norme de contrôle qui s’applique dans le cas des décisions des agents chargés de l’ERAR et des agents chargés de statuer sur les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 799 [Wang], au paragraphe 11; Aleziri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 38, au paragraphe 11; Din c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 356, au paragraphe 5; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18). Lorsqu’elle contrôle ces décisions selon la norme de la décision raisonnable, la cour ne devrait intervenir que si l’agent a tiré une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable ou intelligible ou qui n’appartient pas aux issues possibles acceptables compte tenu de la preuve. La cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable ni apprécier de nouveau la preuve (Jiang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1511, aux paragraphes 28 à 31; Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa], au paragraphe 59).

 

[37]           La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Wang, précité, au paragraphe 11; Khosa, précité, au paragraphe 43, et Liu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 836 [Liu], au paragraphe 11). Il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers des auteurs des décisions sur ces questions (Dunsmuir, précité, au paragraphe 50).

 

[38]           La norme de contrôle qui s’applique dans le cas des erreurs de droit est également celle de la décision correcte (Liu, au paragraphe 10; Quann c Canada (Procureur général), 2013 CF 460, au paragraphe 21). Ainsi que la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 50, « il ne fait par ailleurs aucun doute que la norme de la décision correcte doit continuer de s’appliquer aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit ».

 

[39]           Dans le cas qui nous occupe, la jurisprudence a déjà établi de manière satisfaisante que la norme de contrôle qui s’applique aux première, deuxième, cinquième, sixième et septième questions, qui concernent toutes le traitement que l’agent a réservé à la preuve, est celle de la décision raisonnable (Brown c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1305, au paragraphe 14; Nagy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 640, aux paragraphes 21 et 22).

 

[40]           La norme de la décision raisonnable est également celle qui s’applique dans le cas des conclusions déguisées tirées au sujet de la crédibilité (Lopez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1022, aux paragraphes 20 et 24; Mares c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 297, au paragraphe 29) que l’on trouve dans la troisième question. La jurisprudence est flottante sur à la question de savoir si l’opportunité d’ordonner la tenue d’une audience constitue une question d’équité procédurale, la norme de contrôle applicable à cette question étant celle de la décision correcte, ou une question mixte de fait et de droit, laquelle appelle la norme de la décision raisonnable (voir, par exemple, le jugement Ponniah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 386 (le juge de Montigny), au paragraphe 24). À mon avis, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique parce que, comme le juge Shore a déclaré dans le jugement Ikechi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 361, au paragraphe 26, l’agent chargé de l’ERAR détermine s’il y a lieu de tenir une audience en examinant la demande d’ERAR en fonction des exigences énoncées à l’alinéa 113b) de la LIPR et des facteurs énumérés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). En conséquence, l’application de l’alinéa 113b) est essentiellement une question mixte de fait et de droit.

 

[41]           Telle que le demandeur l’a formulée, la quatrième question est celle de savoir si le pouvoir discrétionnaire de l’agent a été entravé du fait qu’on a exigé du demandeur qu’il démontre qu’il était raisonnable qu’il s’attende à ce qu’on lui permette de demeurer au Canada de façon permanente. Autrement dit, l’agent a mal appliqué un critère pour trancher cette question. Selon la jurisprudence, la norme de contrôle qui s’applique lorsqu’il s’agit de questions d’entrave à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire est celle de la décision correcte (Zaki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1066; Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461; Thamotharem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198).

 

 

Arguments et analyse – Décision relative à la demande d’ERAR

 

Thèse du demandeur

 

[42]           Le demandeur soutient que la preuve qu’il a présentée visait à démontrer non seulement qu’il est Juif, mais également qu’il serait perçu comme étant Juif en Algérie. Toutefois, l’agent s’est seulement demandé s’il était Juif. L’omission de l’agent d’examiner le risque relatif à l’appartenance religieuse imputée au demandeur étaye l’inférence que l’agent a ignoré ou mal interprété la preuve. Même s’il a mentionné des éléments de preuve, l’agent commet une erreur s’il ne les évalue pas en fonction de la raison pour laquelle ils ont été présentés. Dans le cas qui nous occupe, le risque visait quiconque est perçu comme un Juif et l’agent aurait dû analyser la preuve sous cet angle.

 

[43]           Le demandeur signale qu’il est bien établi en droit des réfugiés que le risque de persécution doit être examiné du point de vue du persécuteur. Or, du point de vue du persécuteur, il importe peu que le demandeur soit ou non un Juif pratiquant.

 

[44]           Le demandeur soutient que l’agent fait complètement fausse route en considérant que les déclarations du demandeur ne contiennent que des renseignements brefs et généraux au sujet de son homosexualité, alors que sa déclaration contient plusieurs paragraphes à ce sujet et comporte de nombreux détails précis. De plus, le demandeur s’identifie comme gay à deux reprises dans son affidavit : [traduction] « Je ne voulais pas dire à mon avocat que j’étais gay » et « parce que je suis Juif et gay. »

 

[45]           Le témoignage donné sous serment par le demandeur est tenu pour véridique, à moins qu’il n’existe une raison valable d’en douter. En l’espèce, l’agent ne cite aucune incohérence, contradiction ou invraisemblance dans le témoignage que le demandeur a donné sous serment. Il refuse tout simplement de croire le demandeur, en expliquant qu’il n’y a aucun document qui corrobore son homosexualité. Cette façon de procéder est déraisonnable et il s'agit d'une erreur justifiant notre intervention.

 

[46]           De plus, on peut s’interroger sur le genre de documents corroborants que l’agent aurait pu s’attendre à recevoir de la part du demandeur. Il n’est pas facile de prouver son orientation sexuelle, et ce, peu importe du demandeur en cause. En l’espèce, le demandeur n’a pas fréquenté quelqu’un assez longtemps pour pouvoir produire des lettres, des photos ou des affidavits d’un partenaire; en fait, il vit chastement depuis au moins trois ans. De plus, il est timide et il a de la difficulté à entrer en communication avec les autres.

 

[47]           Le demandeur affirme que l’agent a tiré des conclusions quant à sa crédibilité en se prononçant sur le témoignage qu’il avait donné sous serment et qu’il aurait donc dû le convoquer à une entrevue. Le défendeur ne peut dissimuler une conclusion voilée de crédibilité en prétextant que la preuve est insuffisante. Si l’agent avait ajouté foi au témoignage du demandeur, il y aurait eu suffisamment de preuves démontrant qu’il est un Juif gay. Comme l’agent n’a pas ajouté foi au témoignage du demandeur, il aurait dû le convoquer à une entrevue et lui faire part de ses réserves.

 

Thèse du défendeur

 

[48]           Le défendeur affirme que, pour obtenir gain de cause dans sa demande d’asile, le demandeur devait faire la preuve de son identité comme homme gay, comme Juif et comme personne souffrant de problèmes de santé mentale. Or, le demandeur a soumis des éléments de preuve tendant à démontrer qu’il était né de parents juifs, sans toutefois affirmer qu’il était un Juif pratiquant. Les seuls éléments de preuve qui ont été présentés au sujet de son apparente identité juive étaient le témoignage d’une autre personne qui affirmait que son nom de famille est considéré comme un nom de famille juif dans la région. Le demandeur a présenté des éléments de preuve suivant lesquels il avait, alors qu’il était plus jeune, eu des expériences homosexuelles tout en reconnaissant qu’il n’avait actuellement aucune relation sexuelle avec des personnes de même sexe, et il n’a pas affirmé qu’il s’identifiait actuellement comme un homme gay ou qu’il l’avait déjà fait dans le passé. Il a expliqué qu’il a des problèmes de santé mentale, mais il n’a soumis aucun élément de preuve démontrant qu’il ne pourrait recevoir en Algérie des soins, des médicaments ou de l’aide psychologique.

 

[49]           Le défendeur affirme que l’agent n’avait pas l’obligation de se demander si le demandeur serait perçu comme un Juif parce que la preuve n’établissait pas son identité en tant que Juif. Les deux seuls éléments de preuve permettant de penser qu’il pourrait être perçu comme un Juif était son affirmation en ce sens et une lettre dans laquelle il affirmait qu’il avait un nom de famille juif facilement identifiable. La lettre n’expliquait pas comment l’auteur savait qu’il s’agissait d’un nom juif ni si son identité serait perçue uniquement en fonction de son nom ou si son nom de famille serait considéré en soi comme une preuve concluante de l’identité juive attribuée au demandeur.

 

[50]           L’agent n’a pas ignoré les détails relatifs au témoignage donné par le demandeur au sujet de ses relations homosexuelles. Le demandeur a admis qu’il ne vivait pas actuellement une relation homosexuelle et qu’il n’avait jamais expressément déclaré qu’il s’identifiait comme un homme gay. À lui seul, son affidavit ne suffisait pas pour démontrer qu’il était gay. La conclusion de l’agent suivant laquelle le demandeur n’avait pas établi son identité comme homme gay était raisonnable compte tenu de la nature des éléments de preuve présentés.

 

[51]           Le défendeur soutient que l’agent n’a pas commis d’erreur en exigeant de plus amples éléments de preuve corroborant l’homosexualité du demandeur. Le demandeur aurait pu présenter des éléments de preuve démontrant qu’il se présente comme un homosexuel en public, mais il n’en a rien fait.

 

[52]           Le défendeur soutient que l’agent n’a pas tiré de conclusion au sujet de la crédibilité. Il y a deux concepts en jeu en ce qui concerne la preuve : la suffisance de la preuve et la vraisemblance de la preuve. Ce n’est qu’à l’égard de la vraisemblance que l’équité procédurale exige que l’agent exprime ses réserves à l’intéressé pour permettre à ce dernier de formuler des commentaires. Il n’est pas nécessaire de confronter le demandeur aux éléments de preuve qu’il a présentés et qui ne constituent pas des éléments de preuve suffisants. L’agent a accepté tels quels les éléments de preuve soumis par le demandeur, mais il a estimé qu’ils n’étaient pas suffisants pour prouver ses affirmations.

 

Analyse

 

1.         L’agent a‑t‑il ignoré ou mal interprété les éléments de preuve se rapportant à la religion juive imputée au demandeur?

 

[53]           La persécution et le risque qui découleraient du fait que le demandeur est perçu comme un Juif, s’il devait retourner en Algérie, ne constituait pas des motifs explicitement formulés au soutien de sa demande d’ERAR. La demande elle-même n’en fait aucune mention, pas plus que l’affidavit déposé à l’appui par le demandeur. La seule allusion à ce sujet se trouve dans les observations suivantes de son conseil : [traduction] « Compte tenu des nouveaux éléments de preuve qui confirment son identité comme Juif et son nom de famille, Ben Chekroun serait aisément identifié comme un Juif en Algérie, de sorte que, pour ce seul motif, M. Ben Chekroun a la qualité de réfugié au sens de la Convention. »

 

[54]           Les éléments de preuve dans lesquels cette question est abordée se résument à la lettre du 27 août 2009 de M. Alain Checroune (la lettre de M. Checroune). L’auteur de cette lettre affirme être né à Vilar, en Algérie, en 1935. Vilar est une ville située à l’est de Tiemcen, lieu de naissance de M. Ben Chekroun. Monsieur Checroune affirme : [traduction] « M. Ben Chekroun est un Juif d’Afrique du Nord (Algérien) et son nom est connu dans la région. »

 

[55]           Je ne puis accepter la thèse du défendeur suivant laquelle le demandeur devait tout d’abord établir son identité juive avant que l’agent ne soit tenu de se demander comment il serait perçu en Algérie. La question à laquelle il faut répondre n’est pas celle de savoir si un demandeur a des convictions, mais plutôt celle de savoir si d’éventuels persécuteurs attribueraient ces convictions au demandeur comme l’illustre bien l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 83. Ce point de vue est repris dans le jugement Kandiah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF no 1876 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 23, dans lequel il a également été jugé qu’indépendamment du motif de persécution allégué, la question doit être abordée du point de vue du persécuteur. De plus, dans le contexte de l’appartenance à un groupe ethnique, notre Cour a jugé que la question pertinente est celle de savoir si le demandeur d’asile est perçu comme appartenant à un groupe ethnique et s’il est victime de persécution pour cette raison (Avdullahi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 784, au paragraphe 30). De même, s’agissant de l’orientation sexuelle d’un demandeur, voir le jugement Ogunrinde c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 760 [Ogunrinde], au paragraphe 38.

 

[56]           Indépendamment de ce qui précède, le problème qui se pose selon moi dans le cas qui nous occupe est que ni la lettre de M. Checroune ni le conseil du demandeur n’ont expressément soulevé devant l’agent la question de l’apparente identité juive du demandeur. De plus, l’objet de la lettre de M. Checroune n’est pas clair : son auteur se contente de déclarer que le demandeur est un Juif d’Afrique du Nord (Algérie) et que son nom est bien connu dans la région.

 

[57]           Cette situation est regrettable lorsqu’on tient compte de la réalité historique de la persécution des Juifs en Algérie dont il est question dans les documents soumis à l’appui par le demandeur. Il s’ensuit toutefois que l’agent n’a pas commis d’erreur justifiant notre intervention en n’abordant pas un risque qui, dans le meilleur des scénarios, ne lui avait été soumis que de façon implicite.

 

[58]           Quoi qu’il en soit, même si l’agent avait considéré que la lettre de M. Checroune constituait un élément de preuve démontrant l’appartenance religieuse imputée au demandeur, comme il s’agit d’un document non assermenté qui n’affirmait pas expressément que le nom du demandeur serait considéré comme un nom juif en Algérie et qui n’expliquait pas la raison pour laquelle il en est ainsi ou comment l’auteur de la lettre sait qu’il en est ainsi, ce document n’aurait qu’une valeur probante faible pour établir ce fait.

 

2.         L’agent a-t-il commis une erreur en exigeant des éléments de preuve corroborant l’orientation sexuelle du demandeur?

 

[59]           L’agent mentionne les nouveaux éléments de preuve présentés à l’appui de la prétention du demandeur suivant laquelle il serait exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé du Canada du fait de son orientation sexuelle, un motif qui n’était pas invoqué dans sa demande d’asile de 1999. Ces éléments de preuve consistaient en l’affidavit souscrit par le demandeur le 6 janvier 2011 à l’appui de sa demande d’ERAR et la lettre du 519 Community Centre confirmant qu’il est membre de ce centre depuis avril 2010. L’agent explique : [traduction] « À l’exception des affirmations brèves et générales susmentionnées et d’une seule lettre préparée par le Church Street Community Centre, on ne m’a pas soumis suffisamment d’éléments de preuve personnels pour démontrer, selon la prépondérance des probabilités, l’orientation homosexuelle du demandeur. » L’agent signale que la lettre du Church Street Community Centre n’établit pas l’orientation sexuelle du demandeur. De plus, il signale en outre qu’aucun dossier hospitalier n’a été soumis pour confirmer les sévices que le demandeur aurait subis en Algérie, ajoutant que [traduction] « le demandeur n’a pas soumis suffisamment d’éléments de preuve pour corroborer sa demande d’ERAR et pour établir, selon la prépondérance des probabilités, son homosexualité ». L’agent a estimé qu’à défaut de ces éléments de preuve corroborants, la situation qui existait présentement en Algérie ne permettait pas de penser que le demandeur serait personnellement exposé à un risque en Algérie.

 

[60]           L’affidavit du 6 janvier 2011 expose avec passablement de détails le passé du demandeur dans le contexte de son homosexualité, y compris ses premières expériences à l’âge de 12 ou 13 ans, les agressions dont il a été victime en raison de son orientation sexuelle, y compris l’une au cours de laquelle le demandeur [traduction] « a abordé un gars et lui a parlé parce qu’il le trouvait attirant et voulait le draguer », le fait qu’à son arrivée au Canada, il avait honte de ce qu’il était et qu’il ne voulait pas dire à son avocat qu’il était gay ou qu’il avait des problèmes de santé mentale, le fait qu’il rencontrait des hommes aux bains de vapeur du YMCA pour des rencontres sexuelles sans lendemain, le fait qu’il n’avait pas eu de relations sexuelles avec d’autres hommes depuis trois ans parce qu’il souffrait d’hémorroïdes et qu’il avait peur de contracter des maladies et, le fait que s’il retournait en Algérie, il serait tué [traduction] « parce que je suis Juif et gay ».

 

[61]           Compte tenu de ce qui précède, je ne crois pas que la conclusion de l’agent suivant laquelle l’affidavit du demandeur ne comportait pas suffisamment de détails pour établir son orientation sexuelle était raisonnable. Et, comme la Cour l’a déclaré dans le jugement Ogunrinde, précité, aux paragraphes 41 et 42 :

[41]           La Cour est attentive aux difficultés que rencontrent les agents d’ERAR lorsqu’un demandeur allègue un risque de préjudice en raison de son orientation sexuelle. Les demandeurs ont l’obligation de convaincre l’agent qui examine leur demande qu’ils correspondent à un profil qui les exposera à des risques.

[42]           Les actes et les comportements permettant d’établir l’homosexualité d’un demandeur sont de nature intrinsèquement privée. Lorsqu’ils évaluent des demandes fondées sur l’orientation sexuelle, les agents doivent avoir à l’esprit les difficultés inhérentes de prouver qu’un demandeur s’est livré à des activités sexuelles particulières. Il se peut que des demandeurs n’aient plus de liens avec d’anciens partenaires sexuels pour diverses raisons, par exemple, une rupture, la distance ou simplement le passage du temps.

 

[62]           L’agent ne donne par ailleurs aucune raison pour expliquer pourquoi il doute de la véracité des éléments de preuve fournis par le demandeur au sujet de son orientation sexuelle. Comme le soutient le demandeur, l’agent ne cite aucune incohérence, contradiction ou invraisemblance dans le témoignage qu’il a donné sous serment. Il refuse tout simplement d’accepter que le demandeur est homosexuel ou refuse de croire l’affirmation de ce dernier qu’il est homosexuel au motif qu’il n’y a pas de documents corroborants.

 

[63]           Cette façon de faire est, à mon avis, erronée. Comme le juge Near l’a expliqué dans le jugement Ayala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 611, aux paragraphes 20 et 21 :

[20]      Ce raisonnement ne concorde pas avec la jurisprudence de la Cour et il est déraisonnable, car il justifie l’absence de crédibilité par le manque de preuve documentaire, au lieu d’utiliser le manque de preuve documentaire pour renforcer une conclusion antérieure défavorable quant à la crédibilité. La Commission ne donne aucune autre raison de ne pas croire le témoignage du demandeur. Comme le soutient le défendeur, lorsque le récit d’un demandeur est par ailleurs considéré comme non crédible, l’absence de preuve documentaire peut être un élément à prendre en compte. Par exemple, dans le jugement Bin, précité, invoqué par le défendeur, le juge Denis Pelletier a déclaré au paragraphe 22 :

 

[22] En l’espèce, un certain nombre de contradictions et d’incohérences internes avaient jeté des doutes sur la revendication du demandeur. Par conséquent, la SSR pouvait tenir compte du défaut du demandeur de produire des éléments de preuve corroborant son récit lorsqu’elle a évalué sa crédibilité.

 

[21]      La Commission pouvait conclure que l’explication fournie par les demandeurs pour justifier leur défaut de fournir les documents était déraisonnable. La Commission ne pouvait cependant pas discréditer l’ensemble de leur demande simplement à cause de cette omission. Cela reviendrait à écarter la ratio decidendi, maintes fois citée, du jugement Maldonado, précité.

 

[64]           L’agent cite le jugement Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, pour affirmer qu’il incombe au demandeur d’asile de démontrer qu’il est exposé à un risque. C’est exact. Toutefois, comme le demandeur le souligne, dans l’affaire Ferguson, les seuls éléments présentés au sujet de l’orientation sexuelle de la demanderesse étaient la déclaration de son conseil. Contrairement à la situation qui existe en l’espèce, la demanderesse n’avait pas souscrit d’affidavit pour confirmer ce fait.

 

[65]           Il est de jurisprudence constante que tout témoignage rendu sous serment par un demandeur d’asile est présumé véridique à moins qu’il n’existe des raisons valables d’en douter (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA), au paragraphe 5). En l’absence de telles raisons, j’estime que le demandeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir son orientation sexuelle en présentant son affidavit. Par conséquent, l’agent a agi de façon déraisonnable en exigeant des éléments de preuve corroborant ce fait.

 

3.         L’agent a-t-il tiré des conclusions déguisées de crédibilité et manqué à l’équité procédurale en refusant la tenue d’une audience?

 

[66]           Le fait de présenter une demande d’ERAR ne permet pas d’exiger de plein droit la tenue d’une audience. L’alinéa 113b) de la LIPR prévoit qu’une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis, compte tenu des facteurs réglementaires. Les facteurs réglementaires sont énoncés à l’article 167 du Règlement :

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 

[67]           Notre Cour a examiné l’alinéa 113b) de la LIPR ainsi que l’article 167 du Règlement dans le jugement Strachn c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 984. Voici ce qu’elle a jugé, au paragraphe 34 :

[34]      Le critère prévu par cette disposition a été interprété comme étant un critère conjonctif, c’est‑à‑dire que la tenue d’une audience est généralement requise si des éléments de preuve importants pour la prise de la décision soulèvent des doutes quant à leur crédibilité et que ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande soit accueillie : Ullah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 221. Si la Cour a reconnu qu’il existe une différence entre une conclusion défavorable concernant la crédibilité et une conclusion d’insuffisance de la preuve, elle a aussi parfois conclu qu’un agent avait incorrectement formulé de véritables conclusions relatives à la crédibilité comme s’il s’agissait de conclusions d’insuffisance de la preuve et que, en conséquence, la tenue d’une audience aurait dû être accordée : Zokai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1103, au paragraphe 12; Liban c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1252, au paragraphe 14; Haji c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 889, aux paragraphes 14 à 16.

 

[68]           En l’espèce, l’agent a déclaré qu’il ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour établir l’orientation sexuelle du demandeur. Or, il n’explique pas pourquoi l’affidavit du demandeur ne suffit pas à lui seul à établir ce fait et, comme nous l’avons déjà signalé, il n’y avait aucun élément de preuve contradictoire ou incohérence justifiant de remettre en question le témoignage du demandeur.

 

[69]           À mon avis, la présente espèce ressemble à l’affaire Liban c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1252, dans laquelle l’agent l’agent avait examiné les éléments de preuve présentés par M. Liban au sujet des rapports qu’il entretenait avec un autre homme et conclu qu’il n’avait pas soumis suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour appuyer ces déclarations au sujet de cette relation. La Cour a jugé au paragraphe 14 :

[14]      À mon avis, lorsque l’agent a déclaré qu’il n’y avait pas [traduction] « suffisamment d’éléments de preuve objectifs » permettant d’appuyer les affirmations de M. Liban, ce qu’il disait en fait c’est qu’il ne croyait pas M. Liban et que ce n’est que si M. Liban avait présenté des éléments de preuve objectifs pouvant corroborer ses affirmations qu’il les aurait crues. À mon avis, ces conclusions portent sur la crédibilité de M. Liban. Elles constituaient des éléments importants pour sa demande. L’agent, s’il avait cru M. Liban, compte tenu des éléments de preuve documentaire qu’il a admis, aurait vraisemblablement conclu que M. Liban était exposé à des risques.

 

[70]           Dans le cas qui nous occupe, tout comme dans l’affaire Liban, précitée, la conclusion de l’agent quant à l’insuffisance de la preuve était en fait une conclusion portant sur la crédibilité du demandeur qui était peut-être influencée par l’audience à l’issue de laquelle l’asile lui avait été refusé treize ans auparavant, mais qui ne portait que sur la question de savoir si le demandeur était de confession juive.

 

[71]           Par conséquent, l’affidavit souscrit par le demandeur soulève une question importante en ce qui concerne sa crédibilité. Les éléments de preuve concernant son orientation sexuelle étaient importants pour la demande dans laquelle il affirmait être persécuté ou être exposé à un risque en raison de ce fait et pour la décision que devait prendre l’agent à cet égard. L’agent a déclaré qu’à défaut d’éléments de preuve suffisants démontrant que le demandeur était homosexuel, son examen de la situation qui existait actuellement en Algérie ne permettait pas de conclure que le demandeur était personnellement exposé à un risque en Algérie. Vraisemblablement, compte tenu des éléments de preuve documentaires versés au dossier au sujet de la situation au pays, il faut en conclure que le témoignage du demandeur, à supposer qu’il soit admis, justifierait que la protection lui soit accordée. Compte tenu de la présence des facteurs énumérés à l’article 167, l’agent avait l’obligation de tenir une audience.

 

[72]           Par ailleurs, par le biais de son conseil, le demandeur avait réclamé une audience advenant le cas où sa crédibilité serait remise en cause. Pourtant, rien dans la décision relative à la demande d’ERAR n’indique que l’agent a tenu compte de cette demande. Compte tenu de ce fait et de ma conclusion qu’il tirait en fait une conclusion sur la crédibilité, l’agent avait l’obligation d’examiner cette demande. Son omission à cet égard était déraisonnable, ainsi qu’il a été jugé dans la décision Zokai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1103, aux paragraphes 11 et 12 :

[11]      Je reconnais avec le demandeur que les faits de l’espèce indiquent qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Dans sa demande ERAR, le demandeur a présenté une demande détaillée en vue d’obtenir une audience, en faisant référence expressément aux facteurs énumérés à l’article 167 du Règlement. L’agent ERAR n’a toutefois aucunement mentionné ces facteurs, ni les autres facteurs qui l’ont amené à décider de ne pas tenir une audience, malgré la demande en ce sens présentée par écrit. En fait, il n’existe aucun élément qui indique que l’agent a examiné l’opportunité de tenir une audience.

 

[12]      Qui plus est, il est évident, malgré les observations contraires présentées par le défendeur, que la crédibilité a joué un rôle central dans la décision ERAR défavorable. En refusant d’accorder toute force probante au récit du demandeur en l’absence de preuve le corroborant, l’agent ERAR a en fait conclu que le demandeur n’était pas digne de foi. J’estime que, compte tenu de ses doutes en matière de crédibilité, il incombait à l’agent d’examiner la demande d’audience et de motiver le refus d’en accorder une. L’omission par l’agent d’agir de cette façon en l’espèce constitue un manquement à l’équité procédurale. En outre, compte tenu des circonstances spéciales de la présente affaire pour ce qui est de la crédibilité, la Cour estime qu’une audience est appropriée.

 

[73]           Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire de la décision relative à la demande d’ERAR est accueillie.

 

Arguments et analyse – Décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire

 

Thèse du demandeur

 

[74]           Le demandeur soutient qu’en 2000, la Commission avait conclu que l’on ne pouvait se prononcer sur sa nationalité et l’avait considéré comme étant apatride. L’agent a pris acte de ce fait dans sa décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en indiquant qu’il est « apatride ». Comme l’agent a accepté que le demandeur était apatride que, dans l’affidavit souscrit le 19 juillet 2012 à l’appui de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire le demandeur déclarait que, s’il était renvoyé en Algérie, il ne serait pas reconnu comme un citoyen et qu’on refuserait de l’admettre, il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure que les agissements du demandeur l’empêchaient de se rendre en Algérie.

 

[75]           L’agent a affirmé à deux reprises que, pour démontrer son établissement au Canada, le demandeur devait soumettre suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’on lui permette d’y demeurer de façon permanente. On ne trouve nulle part ce critère dans le guide IP‑5 ou dans la jurisprudence. La conclusion de l’agent suivant laquelle le demandeur n’avait pas satisfait à cette exigence a eu pour effet d’entraver de façon déraisonnable et injuste l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Comme l’agent a mentionné de façon répétée cette attente, on peut raisonnablement craindre que l’agent ait considéré qu’il s’agissait là d’une condition préalable ou d’un facteur essentiel à respecter pour pouvoir obtenir une mesure spéciale pour des motifs d’ordre humanitaire. De plus, ce que l’agent voulait dire par là était qu’on ne devait pas permettre au demandeur de profiter du fait qu’il se trouvait au Canada depuis si longtemps sans avoir pris les mesures nécessaires pour régulariser son statut d’immigrant.

 

[76]           Selon le demandeur, dès lors que l’agent avait accepté qu’il souffrait de dépression, d’un trouble obsessivo-compulsif, d’un trouble de stress post-traumatique et du syndrome de Tourette et qu’il ne pouvait, de ce fait, travailler au Canada, il était déraisonnable de sa part de conclure qu’il pourrait se trouver un logement en Algérie. Cette conclusion reposait sur des documents portant sur des projets à venir du gouvernement algérien plutôt que sur des éléments de preuve concrets portant sur la situation actuelle. Les tentatives, les projets et la bonne volonté dans le contexte analogue de la protection de l’État ne suffisent pas. L’agent n’a fourni aucune analyse portant sur la question de savoir si les infrastructures envisagées pour venir en aide aux sans-abri atteints de troubles mentaux avaient été effectivement mises en place et il n’a pas analysé la situation actuelle. Il convient de signaler qu’une déclaration presque identique portant sur des projets semblables avait été formulée dans le rapport précédent de 2008 du Home Office du Royaume-Uni, ce qui démontre vraisemblablement qu’aucun de ces projets ne s’est concrétisé entre 2008 et 2011. L’agent a mal interprété la preuve et, par conséquent, a conclu, de façon déraisonnable que le demandeur serait en mesure de se trouver un logement en Algérie.

 

[77]           Quant à la question de savoir si l’agent a ignoré ou mal interprété les éléments de preuve relatifs aux difficultés imputables au fait qu’il est Juif, le demandeur reprend essentiellement l’argument qu’il avait formulé dans sa demande d’ERAR en ce qui concerne les risques qui ont déjà été mentionnés. En d’autres termes, l’agent s’est uniquement demandé si le demandeur était Juif et non si les Algériens le percevraient comme un Juif. L’agent n’a pas examiné la lettre de M. Checroune dans ce contexte et il n’a donc pas analysé sous cet angle les difficultés auxquelles le demandeur pourrait être confronté. « Ben », qui signifie « fils de », fait partie d’un patronyme juif et est employé dans le même sens que « Bar » et, dans le cas des filles, « Bat ».

 

[78]           Quant aux éléments de preuve corroborant l’orientation sexuelle du demandeur exigés par l’agent, le demandeur reprend essentiellement les arguments qu’il a formulés au sujet de la deuxième question que nous avons déjà mentionnée.

 

Thèse du défendeur

 

[79]           Le défendeur soutient qu’il n’y a aucun élément de preuve objectif démontrant que le demandeur est apatride. Le demandeur n’a soumis aucune preuve concluante démontrant ce fait, par exemple, un document des autorités algériennes confirmant qu’elles ne reconnaissent pas sa citoyenneté. Par ailleurs, à la suite du rejet de sa demande d’asile en 2000, le demandeur n’a entrepris aucune démarche pour retourner en Algérie ou pour s’assurer que sa situation au Canada est en règle. Le demandeur n’a donc pas démontré que son degré d’établissement dépendait d’une situation indépendante de sa volonté ou qu’il pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’on lui permette de demeurer au Canada de façon permanente.

 

[80]           Le défendeur affirme que l’agent n’a pas créé une nouvelle exigence à laquelle le demandeur devait satisfaire pour pouvoir obtenir une mesure spéciale fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en déclarant que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’il pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’on lui permette de demeurer au Canada de façon permanente. L’agent formulait simplement une observation, ce qui était conforme avec les principes sous-jacents en matière de motifs d’ordre humanitaire suivant lesquelles cette mesure est exceptionnelle et discrétionnaire.

 

[81]           Le défendeur soutient qu’il incombait au demandeur de démontrer qu’il serait sans-abri en Algérie. Il affirme également que les éléments de preuve documentaires présentés par le demandeur n’ont pas convaincu l’agent parce qu’ils étaient insuffisants. La lettre du médecin canadien du demandeur ne précisait pas la raison pour laquelle le demandeur affirmait qu’il deviendrait probablement un sans-abri, et le médecin n’était pas un expert en ce qui concerne le système médical ou le système de logement algériens. Par conséquent, les conclusions tirées par l’agent sur cette question étaient raisonnables. De plus, l’agent n’était pas tenu d’aborder expressément la question de savoir si le demandeur deviendrait sans-abri en Algérie, mais seulement s’il avait présenté des éléments de preuve démontrant qu’il serait confronté à des difficultés excessives. La preuve documentaire versée au dossier n’a pas été mal interprétée; elle indiquait plutôt qu’il existait en Algérie des établissements offrant des soins en santé mentale. L’argument du demandeur suivant lequel il faut évaluer l’efficacité opérationnelle des établissements de santé mentale contredit la jurisprudence et ne s’applique pas.

 

[82]           Le défendeur affirme que les seuls éléments de preuve qui ont été présentés au sujet de la présumée identité juive du demandeur étaient ses propres assertions ainsi que la lettre de M. Checroune. Dans sa décision relative à la demande d’ERAR, l’agent a accepté que la lettre de M. Checroune indiquait que [traduction] « le nom [du demandeur] est un nom juif de l’Afrique du Nord (Algérie) »; l’agent a toutefois estimé que cela n’était pas suffisant pour démontrer que le demandeur serait pour autant exposé à un risque. On ne peut reprocher à l’agent de ne pas avoir examiné plus à fond un argument fondé sur l’apparente identité juive du demandeur alors que la preuve ne démontrait pas l’existence de cette identité.

 

[83]           De plus, les arguments formulés au sujet des motifs d’ordre humanitaire ne mentionnent pas le fait qu’à lui seul, le nom de famille du demandeur permettrait de l’identifier comme Juif, et cette question n’avait de toute façon pas été portée à l’attention de l’agent. Vu l’ensemble de la preuve, l’analyse que l’agent a faite de l’identité religieuse du demandeur était raisonnable.

 

[84]           Le défendeur reprend essentiellement les arguments susmentionnés formulés au sujet de la deuxième question de la demande d’ERAR, en l’occurrence le fait que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir son orientation sexuelle et que son affidavit à lui seul n’était pas suffisant. Même si un témoignage est donné sous serment, l’agent peut quand même estimer qu’il n’est pas suffisant pour établir les faits pour lesquels il est soumis, et ce, sans pour autant se prononcer sur la crédibilité. L’agent n’a pas formulé de conclusion au sujet de la crédibilité, mais a estimé que la preuve était insuffisante. Les conclusions de l’agent portaient sur la valeur de la preuve.

 

Analyse

 

4.         Le pouvoir discrétionnaire de l’agent a-t-il été entravé?

[85]           La question qui se pose est celle de savoir si l’agent a entravé de façon déraisonnable l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en exigeant du demandeur qu’il démontre qu’il pouvait « raisonnablement s’attendre » à ce qu’on lui permette de demeurer au Canada de façon permanente, ainsi que le passage suivant des déclarations de l’agent le laisse entrevoir : [traduction] « [...] Je ne suis pas convaincu que le demandeur peut raisonnablement s’attendre à ce qu’on lui permette de demeurer au Canada de façon permanente, compte tenu de ses antécédents en matière d’immigration » et : « On ne m’a pas soumis suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’on lui permette de demeurer au Canada de façon permanente ».

 

[86]           Quiconque réclame la mesure exceptionnelle et discrétionnaire qui peut être accordée en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR doit justifier cette mesure par des considérations d’ordre humanitaire se rapportant à sa situation. À cet égard, le demandeur doit démontrer qu’il serait confronté à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’il devait retourner dans son pays d’origine (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 11, au paragraphe 38; Chandidas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 258, au paragraphe 81). La présentation d’éléments de preuve tendant à démontrer que le demandeur « s’attendait raisonnablement » à ce qu’on lui permette de demeurer au Canada ne constitue pas une condition préalable ou un critère fondamental, pas plus qu’une condition que le demandeur doit respecter pour démontrer qu’il serait confronté à des difficultés. Par conséquent, si l’agent avait considéré qu’il s’agissait là d’une condition ou d’un critère et avait refusé la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire pour cause d’insuffisance d’éléments de preuve établissant l’existence d’une telle attente raisonnable, l’agent aurait commis une erreur de droit.

 

[87]           Cependant, après avoir examiné l’ensemble de la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, je ne suis pas convaincue que l’agent a appliqué un critère d’« attente raisonnable » comme condition préalable ou critère à satisfaire pour en arriver à la conclusion qu’il ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve démontrant que le demandeur avait réussi son établissement au Canada au point où il subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’il devait être obligé de quitter le Canada pour présenter sa demande de résidence permanente. J’estime plutôt que, compte tenu des antécédents en matière d’immigration du demandeur et de son degré d’établissement au Canada, l’agent constatait que le demandeur n’avait entrepris aucune démarche pour démontrer qu’il était apatride. S’il l’avait fait, l’agent aurait alors pu tenir compte de ce facteur d’intégration favorable, en supposant que le demandeur ait démontré que la situation qui l’obligeait à demeurer au Canada était indépendante de sa volonté.

 

[88]           Il est vrai que la formulation choisie par l’agent aurait pu être plus heureuse, mais l’agent n’a pas, à mon avis, entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en tenant compte du degré d’établissement du demandeur au Canada.

 

5.         La décision de l’agent était-elle déraisonnable?

 

[89]           S’agissant d’évaluer le degré d’établissement du demandeur au Canada et des risques qu’il se retrouve sans abri en Algérie, l’agent a reconnu et accepté que le demandeur se trouvait au Canada depuis 1999, qu’il avait fait beaucoup de bénévolat au cours des ans et qu’il avait présenté des éléments de preuve corroborant ces faits. Il a également reconnu et accepté que le demandeur avait forgé des liens avec la collectivité au Canada et qu’il ne pouvait compter sur aucun soutien ni aucune famille en Algérie. Enfin, il a reconnu qu’en raison de ces problèmes de santé mentale, le demandeur ne pouvait travailler et qu’il comptait sur l’assistance sociale.

 

[90]           Compte tenu des conclusions que je tire plus loin au sujet de la septième question, j’estime que l’agent n’a pas conclu de façon raisonnable que le demandeur ne serait pas confronté à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’il devait retourner en Algérie.

 

6.         L’agent a-t-il ignoré ou mal interprété les éléments de preuve concernant les difficultés et se rapportant à la prétention du demandeur qu’il est Juif ou au fait qu’il est perçu comme étant de confession juive?

 

 

[91]           Pour apprécier le facteur de risque auquel le demandeur est exposé en raison de son appartenance religieuse, l’agent a renvoyé à la décision rendue en 2000 par la Commission ainsi qu’à sa propre décision sur la demande d’ERAR et a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il était de religion juive. Toutefois, ni la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire du demandeur ni les arguments présentés par son conseil le 24 septembre 2009 à l’appui de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne soulevaient les préoccupations qui sont maintenant plaidées, en l’occurrence que le demandeur, qu’il adhère ou non à la foi juive, sera perçu comme un Juif et qu’il risque par conséquent d’être confronté à des difficultés s’il devait retourner en Algérie.

 

[92]           La seule allusion à la lettre de M. Checroune que l’on trouve dans la demande est une note infrapaginale dans laquelle on trouve la phrase suivante : [traduction] « Après la mort de son père, alors qu’il était encore jeune, sa mère, son frère et lui-même ont tenté de quitter l’Algérie, mais n’ont pas été autorisés à le faire en raison du fait que sa famille était juive1 »

1 Lettre du rabin Alain Checroune.

27 août 2009

 

[93]           Vu ce qui précède, je ne puis accepter que la lettre de M. Checroune a été soumise dans le but que prétend maintenant le demandeur, ni que l’agent a ignoré ou mal interprété les éléments de preuve concernant les difficultés et se rapportant à l’argument du demandeur suivant lequel il est ou serait perçu comme étant Juif.

 

7.         L’agent a-t-il commis une erreur en exigeant des éléments de preuve corroborants?

[94]           Tout comme dans la décision rendue par l’agent au sujet de la demande d’ERAR, l’agent a conclu que, comme les éléments de preuve étaient identiques dans le cas des deux demandes, le demandeur n’avait, là encore, pas présenté au soutien de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, suffisamment d’éléments de preuve personnels pour démontrer son orientation homosexuelle et qu’il n’avait pas soumis suffisamment d’éléments de preuve corroborant son homosexualité selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, l’agent n’a pas été en mesure de conclure que le demandeur serait confronté à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[95]           Pour les motifs que j’ai déjà énoncés au sujet de la décision relative à la demande d’ERAR, j’estime, compte tenu des circonstances de la présente affaire, que l’agent a commis une erreur en rejetant l’affidavit présenté par le demandeur au sujet de sa sexualité et en exigeant des éléments corroborant son orientation sexuelle.

 

[96]           Bien que l’agent ne mentionne pas les éventuelles difficultés auxquelles le demandeur pourrait être confronté en tant qu’homosexuel s’il devait retourner en Algérie, le rapport de 2011 de l’Agence frontalière du Royaume-Uni sur les renseignements concernant le pays d’origine (Algérie) que l’agent avait par ailleurs cité, indique que les relations homosexuelles sont illégales en Algérie, qu’un rapport de juin 2003 d’Amnistie Internationale indique que les homosexuels sont susceptibles d’être harcelés par les forces de l’ordre et par la société en général, citant l’extrait suivant de la Réponse à la demande d’information de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada en date du 30 juillet 2007 :

[...] Un article paru dans QX Magazine déclare que la police algérienne ne protège pas les [traduction] « sodomites » contre la violence (18 janv. 2005). Selon un article du UK Gay News, la police et l’armée [traduction] « harcèle[raient] et brutalise[raient] les gays en toute impunité » (21 févr. 2005). En outre, le viol, le passage à tabac et la torture des gays seraient courants dans les prisons civiles et militaires (QX Magazine 18 janv. 2005; UK Gay News 21 févr. 2005; Behind the Mask 21 févr. 2005).

 

[97]           Il y a par conséquent lieu de croire que le demandeur serait exposé à des difficultés qui pourraient être suffisamment graves pour être considérées comme des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives en raison de son homosexualité s’il devait retourner en Algérie.

 

[98]           Le Manuel IP‑5 oblige l’agent à ne pas examiner isolément les circonstances d’ordre humanitaire qu’aurait le demandeur. La décision qui sera prise relativement aux difficultés doit découler de l’examen global des circonstances d’ordre humanitaire invoquées par le demandeur. Les difficultés sont évaluées en soupesant ensemble toutes les circonstances d’ordre humanitaire soumises par le demandeur (Garas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1247, au paragraphe 30; Webb c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1060, au paragraphe 19).

 

[99]           Dans le cas qui nous occupe, l’agent a accepté que le demandeur souffrait d’un trouble obsessivo-compulsif, d’un trouble de stress post-traumatique et du syndrome de Tourette. L’agent a accepté que, en raison de ses problèmes de santé mentale, le demandeur ne peut travailler et dépend de l’aide sociale pour subvenir à ses besoins. L’agent a accepté que le demandeur se trouve au Canada depuis 1999 et il a accepté les éléments de preuve corroborant le travail considérable de bénévolat effectué par le demandeur au cours des ans. L’agent a reconnu que le demandeur avait tissé des liens au sein de sa collectivité et qu’il ne pouvait compter sur aucun soutien en Algérie, notamment sur aucun soutien familial. L’agent a déraisonnablement refusé d’accepter les éléments de preuve présentés par le demandeur au sujet de son homosexualité.

 

[100]       Vu l’ensemble de la preuve et les motifs que j’ai exposés, je ne puis conclure que la conclusion de l’agent suivant laquelle le demandeur ne serait pas exposé à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’il devait retourner en Algérie était raisonnable.

 

[101]       La demande de contrôle judiciaire de la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est également accueillie et les deux affaires sont renvoyées à Citoyenneté et Immigration Canada pour qu’elles soient jugées à nouveau par un ou plusieurs autres agents. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée en vue d’être certifiée et la présente affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire de la décision relative à la demande d’ERAR et de la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et RENVOIE les deux affaires à Citoyenneté et Immigration Canada pour qu’elles soient jugées à nouveau par un ou plusieurs autres agents. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée en vue de sa certification et la présente affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6124-12

 

INTITULÉ :                                      DAVID BEN CHEKROUN c MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 6 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 3 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Carole Simone Dahan

 

POUR LE DEMANDEUR

Evan Duffy

Martin Anderson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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