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Date : 20130626

Dossier : IMM-8122-12

Référence : 2013 CF 709

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

G.M.

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande, fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), visant à obtenir le contrôle judiciaire de la décision, datée du 14 août 2012 (la décision), par laquelle un agent d’exécution (l’agent) de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a rejeté la demande du demandeur de surseoir à son renvoi du Canada.

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Hongrie d’origine rome. En 2001, il est entré au Canada et a déposé une demande d’asile. En 2003, sa demande a été rejetée, et le demandeur a quitté le Canada en 2004.

[3]               Après être retourné en Hongrie, le demandeur a commencé à travailler pour une politicienne en vue et militante des droits des Roms qui a fini par être élue au Parlement européen. Ils ont travaillé en étroite collaboration, ont développé une relation intime et sont maintenant mariés. Après le mariage, le demandeur a pris le nom de son épouse.

[4]               Le demandeur et son épouse sont arrivés par avion au Canada en 2011. L’épouse est arrivée la première, avec ses enfants, et la famille a déposé une demande d’asile à son arrivée. À l’aéroport, l’épouse du demandeur a fourni aux agents de l’ASFC les renseignements sur le vol que devait prendre le demandeur et une copie du passeport de celui-ci, lequel comprenait son certificat de naissance et son nom marital. Elle a aussi expliqué que le demandeur arriverait dans trois jours, qu’il ne demanderait pas l’asile parce que sa demande précédente avait été refusée et qu’il demanderait à entrer au Canada en tant que visiteur. Le demandeur est arrivé trois jours plus tard et on lui a alors accordé un visa de visiteur, valide pour six mois. Normalement, le demandeur aurait fait une demande d’asile conjointement avec son épouse, mais sa demande d’asile précédente rendait irrecevable toute nouvelle demande de sa part.

[5]               En juin 2012, le demandeur a fait l’objet d’une mesure d’expulsion. Il a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) qui a été refusée le 30 juillet 2012. Le 10 août 2012, le demandeur a demandé à ce qu’il soit sursis à son renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard de la demande d’asile de son épouse. Sa demande de report a été refusée le 14 août 2012.

DÉCISION CONTRÔLÉE

 

[6]               La décision faisant l’objet du présent contrôle consiste en une lettre adressée au demandeur en date du 14 août 2012 (la lettre de refus) et des notes au dossier (les notes) rédigées par l’agent.

[7]               La lettre de refus rappelle que l’ASFC est tenue, en application du paragraphe 48(2) de la Loi, de donner suite aux ordonnances de renvoi dès que les circonstances le permettent. L’agent a estimé qu’un report du renvoi n’était pas approprié dans le cas du demandeur.

[8]               D’entrée de jeu, les notes font état des antécédents d’immigration du demandeur. L’agent note que le demandeur a changé de nom après avoir été renvoyé du Canada et qu’il y est revenu en utilisant ce nom. Il est revenu au Canada sans avoir obtenu l’autorisation de revenir au Canada (ARC).

[9]               L’avocat du demandeur a fait observer que l’épouse de ce dernier avait présenté une demande d’asile très solide, mais l’agent a indiqué qu’il ne pouvait procéder à une évaluation complémentaire de sa demande et qu’aucune date n’avait été fixée pour son audition. L’agent a indiqué que l’on ne pouvait surseoir indéfiniment à un renvoi et que le processus d’appel pouvait être très long dans le cas d’une demande d’asile.

[10]           Le demandeur a fait valoir que son épouse et ses filles comptaient sur son soutien financier et émotionnel, mais l’agent a fait observer que le demandeur n’était pas autorisé à exercer un emploi au Canada. Lorsqu’il a été arrêté par les agents de l’immigration, le demandeur a déclaré qu’il était sans emploi et qu’il comptait sur l’aide sociale de son épouse et de ses filles pour assurer sa subsistance. De plus, son épouse a déclaré qu’elle recevait de l’aide d’autres membres de sa famille au Canada.

[11]           Le demandeur a présenté une évaluation psychologique d’après laquelle son épouse souffre d’un trouble de stress post-traumatique, de dépression et de crises de panique, et qu’elle et les filles du demandeur risquent de souffrir émotionnellement et psychologiquement de son renvoi. L’agent a reconnu que le demandeur joue un rôle important dans la vie de sa famille et que la séparation est un aspect malheureux inhérent au processus de renvoi. Pourtant, l’épouse du demandeur a bien voulu être sa représentante non rémunérée auprès de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, ce qui prouve son aptitude fonctionnelle. De plus, elle était en attente d’une décision sur sa demande d’asile de sorte qu’elle pouvait se prévaloir de l’aide sociale.

[12]           L’agent a indiqué qu’il avait tenu compte des conséquences de la séparation de la famille et de l’intérêt supérieur des enfants et a fait observer que le demandeur avait commis une infraction importante à la Loi en changeant de nom et en revenant au Canada sans autorisation. N’étant pas convaincu que le report du renvoi était justifié, l’agent a rejeté la demande du demandeur.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[13]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Mesure de renvoi
 

 (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

 

Enforceable removal order
 

 (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[14]           Le demandeur soulève la seule question suivante dans la présente demande :

a)                  L’agent a-t-il erronément imputé au demandeur l’intention de contrevenir à la Loi du fait qu’il avait changé de nom?

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[15]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’était pas toujours nécessaire de procéder à une analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette recherche n’est pas fructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs qui constituent l’analyse de la norme de contrôle.

[16]           La décision d’un agent d’accepter de surseoir à un renvoi est éminemment discrétionnaire et la norme de contrôle applicable en cette matière est celle de la décision raisonnable (Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 980, au paragraphe 22).

[17]           Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, l’analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

ARGUMENTS

Les arguments du demandeur

 

[18]           Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en concluant qu’il avait changé de nom avant de revenir au Canada dans le but d’entrer illégalement au pays. Son épouse avait fourni aux autorités de l’immigration tous ses renseignements personnels, de même qu’une copie de son passeport, lequel contenait son nom à la naissance et son nom marital. Le demandeur s’était vu remettre un permis de séjour temporaire de six mois, permis dont il a demandé la prorogation. L’agent disposait de tous ces renseignements et ceux-ci démontrent que le demandeur croyait se trouver légalement au Canada.

[19]           L’agent a accordé une grande importance au changement de nom, estimant qu’il s’agissait d’une preuve que le demandeur avait commis une [traduction] « infraction importante » à la Loi. L’agent a souligné les commentaires sexistes formulés par les décideurs précédents lors des révisions des motifs de détention; ces décideurs avaient trouvé inhabituel le fait que le demandeur ait pris le nom de famille de son épouse.

[20]           Le demandeur soutient que l’agent a eu tort d’accorder de l’importance à ce facteur lorsqu’il a procédé à la pondération des intérêts impérieux dans cette affaire. Il est impossible de savoir comment l’agent aurait tranché l’affaire n’eût été de l’interprétation erronée des faits qui sous-tend la décision. Le demandeur affirme que cette erreur entache toute la décision et la rend déraisonnable.

Les arguments du défendeur

[21]           Dans ses observations écrites, le défendeur soutient qu’un examen du dossier certifié du tribunal (DCT) ne permet aucunement de confirmer que l’épouse du demandeur a informé les agents de l’ASFC à l’aéroport de l’arrivée imminente du demandeur. De fait, le document intitulé [traduction] « Rapport d’enquête », daté du 24 mai 2012, comprend une note sous la rubrique [traduction] « Consignation des renseignements » qui confirme que le demandeur s’est vu accorder le statut de résident temporaire sous son nouveau nom, mais le rapport critique son retour sans autorisation préalable.

[22]           L’avis d’arrestation du 24 mai 2012 indique que le demandeur a changé de nom et qu’il n’a pas pu expliquer pourquoi il avait pris le nom de son épouse et non l’inverse. Il est écrit, dans le document du 1er juin 2012 intitulé [traduction] « Examen du délégué du ministre », que le demandeur est [traduction] « revenu [sans] autorisation. Le sujet est d’accord avec l’allégation ». Rien dans le DCT n’indique que les agents de l’ASFC étaient au courant que le demandeur s’apprêtait à entrer au Canada en tant que personne précédemment expulsée, sous un nouveau nom.

[23]           Le défendeur soutient qu’étant donné la préoccupation exprimée par les agents de l’ASFC, à savoir que le demandeur était revenu au Canada après en avoir été expulsé, et ce, sans autorisation préalable, il est probable qu’au point d’entrée, le demandeur n’a pas révélé son ancien nom et ses antécédents d’immigration au Canada lorsqu’il a été admis à titre de visiteur sous le nom [G.M.]. Il est peu probable que les autorités l’auraient admis en tant que visiteur si elles avaient été au courant de ses antécédents.

[24]           Le demandeur affirme que les agents de l’ASFC ont fait des [traduction] « commentaires sexistes et stéréotypés » sur son changement de nom, mais lorsqu’on lui a donné l’occasion de s’expliquer, il a été incapable de le faire (voir les notes de l’agent Bean). Étant donné que le passeport a été obtenu juste avant le départ du demandeur pour le Canada, que le demandeur a omis d’obtenir une autorisation de retour et qu’il n’a probablement pas divulgué au point d’entrée qu’il avait déjà été expulsé du Canada sous un autre nom, il n’était pas déraisonnable pour les agents de l’ASFC d’interroger le demandeur sur son changement de nom. Le demandeur étant incapable de fournir une explication, il était raisonnable pour les agents de l’ASFC de tirer une conclusion négative quant à ses intentions, vu les circonstances de l’espèce.

[25]           Toutefois, même si l’on admet que l’épouse du demandeur a informé les agents de l’ASFC de l’arrivée imminente du demandeur, celui-ci était quand même tenu d’obtenir une autorisation avant de revenir au Canada. Comme la Cour fédérale le dit dans la décision Khakh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 710, aux paragraphes 15 à 17 :

Les demandeurs d’asile déboutés, tels que les demandeurs dans la présente affaire, sont passibles de renvoi après qu’une décision définitive a été rendue sur leur demande d’asile. L’article 223 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-27 (le Règlement), décrit trois genres de mesures de renvoi, à savoir les mesures d’interdiction de séjour, les mesures d’exclusion et les mesures d’expulsion.

 

Selon le paragraphe 224(2) du Règlement, l’étranger visé par une mesure d’interdiction de séjour doit quitter le Canada au plus tard 30 jours après que la mesure devient exécutoire, à défaut de quoi la mesure devient une mesure d’expulsion.

 

Cette conversion a son importance. Selon le paragraphe 224(1) du Règlement, l’étranger contre qui une mesure d’interdiction de séjour a été exécutée est dispensé de l’obligation d’obtenir l’autorisation prévue au paragraphe 52(1) de la Loi pour revenir au Canada. Cependant, après qu’une mesure d’interdiction de séjour devient une mesure d’expulsion exécutoire, le renvoi du Canada entraîne d’importantes conséquences. L’article 226 du Règlement, qui régit les mesures d’expulsion, dispose que la mesure d’expulsion oblige l’étranger à obtenir une autorisation écrite pour revenir au Canada à quelque moment que ce soit après l’exécution de la mesure.

 

 

[26]           La Cour a également précisé dans la décision Para Andujo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 731, aux paragraphes 26 à 30 :

Le paragraphe 52(1) de la LIPR prévoit que « [l]’exécution de la mesure de renvoi emporte interdiction de revenir au Canada, sauf autorisation de l’agent ou dans les autres cas prévus par règlement ». En exigeant une autorisation de revenir au Canada (ARC), l’article 52 de la LIPR envoie « un message clair aux personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire afin qu’elles la respectent », comme il est indiqué dans les lignes directrices suivantes :

 

[...] à défaut de quoi elles pourraient payer cher leur faute et être bannies définitivement du Canada. Ainsi, l’ARC ne devrait pas être utilisée comme un moyen courant de contourner cette mise au ban. Elle devrait plutôt servir dans les cas où l’agent juge que cette autorisation est justifiable en fonction des faits se rattachant au cas.

Les personnes qui demandent une ARC doivent démontrer qu’il existe des motifs impérieux pour que leur demande soit considérée, qui peuvent être mis en balance avec les circonstances qui ont nécessité la prise d’une mesure de renvoi. Elles doivent également démontrer qu’elles constituent un risque minime pour les Canadiens et la société canadienne. Le simple fait de répondre aux critères d’admissibilité au visa ne suffit pas pour accorder une ARC.

(Guide de CIC, « OP 1 Procédures », 28 août 2009).

 

La demanderesse ne peut pas justifier le non-respect de la mesure de renvoi par le fait qu’elle a décidé de rester au Canada et de bénéficier d’un ERAR et que l’avis prévu à l’article 160 du RIPR a été émis après que la mesure de renvoi est devenue une mesure d’expulsion. Dans Revich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 852, 180 FTR 201, la juge Danièle Tremblay-Lamer a conclu que le défendeur n’a pas agi de façon inéquitable lorsqu’il a avisé la demanderesse de son droit à présenter une demande d’ERAR après le moment où la mesure d’interdiction de séjour prise à son encontre était déjà devenue une mesure d’expulsion. Comme l’a affirmé le conseiller, la LIPR obligeait la demanderesse à obtenir une attestation de départ dans le délai prescrit, et l’ignorance de cette exigence ne justifie pas l’inobservation de celle-ci. La Cour s’appuie sur la décision du juge Blais dans Chazaro, précitée, au paragraphe 22.

 

[…]

 

La demanderesse a également affirmé que son acceptation sous le régime du certificat de sélection constitue normalement un motif convaincant pour revenir au Canada. Le défendeur n’a pas contesté cet argument. Toutefois, le fait d’avoir des motifs convaincants pour revenir au Canada relève du facteur relatif aux « Motifs de la demande de revenir au Canada ». Ce facteur est lui-même l’un des trois facteurs importants énumérés dans le guide OP1 (DD, p. 23). Les deux autres facteurs portent sur la gravité de l’infraction et les antécédents de collaboration avec les autorités de l’immigration. Le conseiller a estimé que ces deux facteurs l’emportent sur les motifs de la demande de revenir au Canada. Cette décision constituait une issue possible raisonnable selon les faits de l’espèce et la Cour ne doit pas intervenir.

 

 

[27]           Le paragraphe 226(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés oblige la personne ayant déjà été expulsée à obtenir une autorisation écrite avant de revenir au Canada. Le paragraphe 226(1) prévoit ce qui suit :

226 (1) Pour l’application du paragraphe 52(1) de la Loi, mais sous réserve du paragraphe (2), la mesure d’expulsion oblige l’étranger à obtenir une autorisation écrite pour revenir au Canada à quelque moment que ce soit après l’exécution de la mesure.

226. (1)            Deportation order – For the purposes of subsection 52(1) of the Act, and subject to subsection (2), a deportation order obliges the foreign national to obtain a written authorization in order to return to Canada at any time after the deportation order was enforced.

 

[28]           Ni le demandeur ni son épouse n’ont jamais affirmé qu’ils ne savaient pas que le demandeur devait obtenir une autorisation pour revenir au Canada. En fait, à l’une des audiences relatives au contrôle des motifs de détention, l’épouse a dit qu’il était impossible pour eux de demander l’autorisation nécessaire afin que le demandeur puisse revenir au Canada et qu’ils avaient donc décidé de venir au Canada à trois jours d’intervalle (voir l’affidavit de Jillian Schneider, pièce A, déclaration solennelle d’Eric Blenkarn). Le défendeur soutient que cette déclaration montre que le demandeur savait qu’il devait obtenir une autorisation, mais qu’il avait simplement choisi de passer outre et de revenir au Canada.

[29]           Les efforts déployés par l’épouse du demandeur pour informer les agents d’immigration que ce dernier était sur le point d’arriver au Canada ne sauraient servir d’excuse à son défaut d’obtenir une autorisation préalable, pas plus que le fait que les agents d’immigration ne se sont pas aperçus qu’il avait déjà été expulsé lorsqu’ils lui ont accordé un permis de séjour temporaire. Les raisons du changement de nom du demandeur sont superflues; le fait est que le demandeur était tenu d’obtenir une autorisation avant de revenir au Canada, et ce, sous n’importe quel nom. Le demandeur ne l’a pas fait, ce qui constitue une infraction importante à la Loi.

[30]           Dans la décision Chazaro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 966, aux paragraphes 20 à 22, la Cour a rappelé que les demandeurs ont l’obligation de comprendre les conséquences d’une mesure de renvoi, et que l’ignorance de ces conséquences n’est pas une excuse pour ne pas respecter la Loi :

Le demandeur soumet que l’agent aurait dû tenir compte du fait que son ancien procureur ne lui avait pas expliqué qu’il devait quitter le territoire et du fait qu’il n’avait pas reçu une lettre du Ministère pour l’avertir qu’il devait quitter parce que sa demande d’asile avait été rejetée.

 

En relisant la décision de l’agent, je suis convaincu que ce dernier a pris en considération les propositions du demandeur.

 

[traduction] Lorsque j’ai examiné cette demande, j’ai tenu compte des observations écrites du requérant, des documents versés au dossier de même que des notes d’entrevue. Je ne suis pas convaincu que l’argument du requérant selon lequel il n’avait pas compris les exigences rattachées à la mesure d’interdiction de séjour explique raisonnablement son défaut de quitter [le Canada] dans les 30 jours.

Je crois que l’agent avait raison de ne pas donner beaucoup de poids à l’argument du demandeur par rapport au fait qu’il ne savait pas qu’il devrait partir. Le demandeur avait en sa possession un document intitulé « Mesure d’interdiction de séjour ». Bien que ce document n’indique pas une date précise de départ, elle spécifie bien qu’elle « deviendra une mesure d’expulsion si aucune attestation de départ n’est délivrée au cours de la période applicable spécifiée dans le règlement ». Le demandeur avait connaissance de la mesure d’interdiction de séjour, il aurait dû savoir qu’il avait une obligation de partir après le rejet de sa demande de contrôle judiciaire.

Voir aussi la décision Sharpe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 843, au paragraphe 12.

[31]           Le demandeur ne conteste pas qu’il est revenu au Canada sans autorisation préalable. Il a dit aux agents de l’ASFC que son avocat lui avait dit qu’il avait le « droit » d’entrer au Canada et d’y faire une demande d’asile, mais comme la jurisprudence précitée le démontre, l’ignorance des conditions de la mesure de renvoi ne saurait justifier le non‑respect de ces conditions. Par conséquent, l’affirmation de l’agent selon laquelle le demandeur avait violé la Loi en changeant de nom et en revenant au Canada sans autorisation n’est pas une affirmation incorrecte ou erronée. Qui plus est, il ne s’agit pas de l’élément central sur lequel reposait la décision de l’agent, et le demandeur n’a invoqué aucune autre erreur dans la présente demande.

[32]           L’agent ne dispose que d’un pouvoir discrétionnaire très limité de surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi dans les situations comme la maladie, les obstacles aux déplacements, les demandes CH en instance, les raisons de santé, ou un enfant qui n’a pas terminé son année scolaire (Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, aux paragraphes 49 à 51). Comme l’affirme la Cour fédérale dans la décision Ramada c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1112, au paragraphe 7 :

J’éprouve quelques réticences à accueillir cette demande de contrôle judiciaire, soucieux de ne pas imposer aux agents d’exécution l’obligation de procéder à une analyse approfondie des circonstances personnelles des personnes visées par une mesure de renvoi. Évidemment, les agents ne sont pas en mesure d’évaluer tous les éléments de preuve qui pourraient être pertinents à une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Leur rôle est important, mais relativement limité. À mon avis, l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire ne devrait être mis en question par la Cour que dans les cas où ils ont omis de tenir compte d’un facteur important ou commis une erreur grave dans l’évaluation de la situation de la personne visée par une mesure de renvoi.

 

 

[33]           L’agent a pris en compte chacun des facteurs soulevés par le demandeur dans sa demande de report, y compris l’état psychologique de son épouse et le soutien que représente le demandeur pour sa famille.

[34]           Le seul aspect de la décision que le demandeur conteste est l’affirmation de l’agent selon laquelle le demandeur [traduction] « a commis une infraction importante à la LIPR du fait qu’il a changé de nom et est revenu au Canada sans autorisation ». Il n’y a aucune erreur dans cette affirmation; le demandeur a effectivement changé de nom et est effectivement revenu au Canada après avoir été expulsé, sans obtenir d’abord une ARC.

[35]           Non seulement l’affirmation de l’agent n’est pas erronée, mais un examen de la décision démontre que l’infraction à la Loi commise par le demandeur n’était que l’un des nombreux facteurs considérés. L’agent est parvenu à une décision raisonnable et il n’y a pas lieu de la changer.

La réplique du demandeur

[36]           Le demandeur soutient que l’agent ne disposait pas de l’affidavit de Jillian Schneider et que pour cette raison, son contenu ne devrait pas être pris en compte dans la présente demande (Ordre des architectes de l’Ontario c Assn. of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218). L’agent ne fait aucunement référence à cet élément de preuve dans la décision, et rien ne permet de croire qu’il en a tenu compte.

[37]           Le demandeur prétend que les termes utilisés par l’agent dans sa décision laissent fortement supposer que le demandeur a changé de nom dans le but de revenir illégalement au Canada. Le défendeur laisse entendre qu’il n’y a pas d’erreur parce que le fait que le demandeur a changé de nom et le fait qu’il est revenu au Canada sans autorisation préalable sont tous deux techniquement exacts. Le demandeur soutient que les deux faits ne peuvent être séparés comme le défendeur le laisse entendre et que l’[traduction]« infraction importante » constatée par l’agent était la combinaison du changement de nom et du retour sans autorisation. De toute évidence, l’agent a conclu que le demandeur avait changé de nom afin de contrecarrer les efforts visant à l’identifier lors de son retour au Canada.

[38]           Contrairement aux observations du défendeur, la conclusion de l’agent voulant que le demandeur ait commis une [traduction] « infraction importante » à la Loi a été un facteur déterminant dans sa décision. Il ressort clairement de l’exercice de mise en balance auquel se livre l’agent vers la fin de la décision que ce dernier a accordé une grande importance au fait que le demandeur avait changé de nom, puis était rentré au Canada sans autorisation. L’agent a privilégié une conclusion d’irrégularité qui n’était pas étayée par la preuve. En outre, le fait que l’agent n’a pas tenu compte du fait que l’épouse du demandeur avait informé l’ASFC de l’arrivée de son époux a joué un rôle déterminant dans la décision et n’a pas été considéré.

ANALYSE

[39]           Le demandeur fait valoir que l’agent lui a erronément imputé l’intention de contrevenir à la Loi lorsqu’il a changé de nom.

[40]           Le demandeur soutient que l’agent a accordé une très grande importance au changement de nom, estimant qu’il s’agissait d’une preuve que le demandeur avait commis [traduction] « infraction importante » à la Loi. La position du demandeur est que l’agent [traduction] « a clairement commis une erreur en accordant de l’importance à ce facteur lorsqu’il a analysé et mis en balance les intérêts impérieux dans cette affaire » :

[traduction] Il demeure impossible de savoir comment [l’agent] aurait tranché cette affaire n’eût été de l’interprétation erronée des faits qui sous-tend la décision. Par conséquent, l’importance accordée à ce facteur entache toute la décision […]

 

 

[41]           On ne peut certes pas nier que l’agent a omis de tenir compte du témoignage de l’épouse du demandeur sur ce point. À son arrivée au Canada en novembre 2011, l’épouse du demandeur a informé l’agent qui l’interrogeait que le demandeur devait arriver trois jours plus tard et qu’il avait changé de nom après leur mariage. Il s’agissait là certainement d’un facteur que l’agent devait considérer s’il entendait fonder sa décision de refuser de différer le renvoi sur ce facteur. Or, la lecture intégrale de la décision révèle que ce facteur ne « sous‑tend » pas les conclusions de l’agent de la façon évoquée par le demandeur.

[42]           L’erreur a été commise par l’agent lorsqu’il dit que [traduction] « [G.M.] a commis une infraction importante à la LIPR, en ce sens qu’il a changé de nom et est revenu au Canada sans autorisation ». Or, la décision de refuser le report a été prise après avoir [traduction] « considéré la présente affaire dans son ensemble, y compris les renseignements versés au dossier et les observations relatives à la demande de sursis […] ». À mon sens, l’argument de l’agent est que le demandeur est revenu illégalement au Canada.

[43]           Dans l’analyse de l’agent, ce qui constitue l’ [traduction] « infraction importante » est le fait que le demandeur [traduction] « a omis d’obtenir une ARC » avant de revenir au Canada. Il s’agit d’un fait essentiel à cette partie de l’analyse et d’un fait que le demandeur n’a pas contesté.

[44]           Le demandeur prétend qu’il s’agit d’une question de pondération et que si l’agent ne s’était pas mépris sur les raisons qu’il avait de changer de nom, la décision aurait pu lui être favorable. Pourtant, même s’il avait été tenu compte du témoignage de l’épouse du demandeur sur le changement de nom de celui-ci, je ne vois pas comment cela aurait pu raisonnablement changer une décision dans laquelle tant d’autres facteurs et de conclusions ont joué contre le demandeur, notamment le fait qu’il est entré au Canada illégalement parce qu’il avait omis d’obtenir une ARC, et le fait qu’il n’a contesté aucune autre conclusion ou aucun autre aspect des motifs.

[45]           Le changement de nom doit être apprécié dans le contexte du pouvoir discrétionnaire restreint de l’agent d’accorder le report. Il n’y avait tout simplement aucune raison pour laquelle le demandeur ne pouvait voyager. L’analyse de l’agent ne portait pas sur des motifs d’ordre humanitaire. La Cour d’appel fédérale a statué qu’un agent de renvoi peut tenir compte d’une entrée illégale au Canada (voir l’arrêt Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81); compte tenu de ces faits, il n’y avait guère d’éléments en faveur du demandeur pour justifier une décision positive.

[46]           Les avocats s’entendent pour dire qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour en convient.

[47]           Le demandeur a également demandé que les portions suivantes du dossier soient scellées :

a)                  DCT – les pages 5 et 6;

b)                  Dossier de la demande – les pages 8, 9 et 12;

c)                  DCT – les pages 13, 15, 72, 76 et 78;

d)                 Dossier de la demande – les pages 13 et 15;

e)                  DCT – les pages 18 à 20 et 81 à 83;

f)                   Dossier de la demande – les pages 18 à 20;

g)                  DCT – les pages 37 à 46;

h)                  Dossier de la demande – les pages 37 à 46;

i)                    DCT – les pages 54 à 56 et 85 à 87;

j)                    Dossier de la demande – les pages 54 à 56;

k)                  DCT – les pages 88 à 98;

l)                    Dossier de la demande – les pages 72 à 82;

m)                DCT – les pages 107 et 118;

n)                  Exposé des arguments du demandeur – la page 85.

 

[48]           Ces documents sont scellés parce qu’il s’agit de renseignements privés touchant l’épouse du demandeur, ses évaluations psychologiques, sa connaissance d’éléments de preuve confidentiels, ainsi que des secrets personnels présentés à la Section de la protection des réfugiés (SPR) dans le cadre d’audiences à huis clos. La juge Gagné a déjà ordonné que des renseignements de ce genre soient scellés lorsqu’elle a examiné la requête en sursis d’expulsion. Le défendeur n’y a guère fait opposition et a admis que certains renseignements devraient être scellés en dépit du principe de la publicité des débats.

[49]           Étant donné l’importance du processus à huis clos de la SPR, de l’appréciation de ces questions par la juge Gagné et des risques auxquels s’expose l’épouse du demandeur si ces renseignements demeurent accessibles au public, la Cour consent à ce que les renseignements susmentionnés soient scellés.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE CE QUI SUIT :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

3.                  Les documents suivants seront scellés :

a)      DCT – les pages 5 et 6;

b)      Dossier de la demande – les pages 8, 9 et 12;

c)      DCT – les pages 13, 15, 72, 76 et 78;

d)     Dossier de la demande – les pages 13 et 15;

e)      DCT – les pages 18 à 20 et 81 à 83;

f)       Dossier de la demande – les pages 18 à 20;

g)      DCT – les pages 37 à 46;

h)      Dossier de la demande – les pages 37 à 46;

i)        DCT – les pages 54 à 56 et 85 à 87;

j)        Dossier de la demande – les pages 54 à 56;

k)      DCT – les pages 88 à 98;

l)        Dossier de la demande – les pages 72 à 82;

m)    DCT – les pages 107 et 118;

n)      Exposé des arguments du demandeur – la page 85.

 

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-8122-12

 

INTITULÉ :                                                  G.M.

 

                                                                        -  et  -

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

                              

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 15 avril 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT :                           Le 26 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aviva Basman                                                                         DEMANDEUR

                                                           

John Provart                                                                            DÉFENDEUR                

                

                                                                                                                                                                                                                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :   

 

Aviva Basman                                                                         DEMANDEUR

Avocate

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)                                                                   

 

William F. Pentney                                                                 DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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