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Date : 20130718

Dossier : T-324-12

Référence : 2013 CF 800

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2013

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

MARINA DISTRICT DEVELOPMENT COMPANY D.B.A. BORGATA HOTEL CASINO & SPA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie du contrôle judiciaire d’une décision, datée du 10 janvier 2012, par laquelle le comité d’appel (le comité) du Tribunal d’appel des transports du Canada a confirmé la sanction administrative pécuniaire imposée par l’Office des transports du Canada (l’Office) à la demanderesse pour avoir contrevenu à l’article 57 de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 (la Loi) en exploitant sans licence un service aérien.

[2]               La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision du comité de rétablir l’ordonnance du conseiller en révision (le conseiller) du Tribunal d’appel des transports et demande les dépens relatifs à la demande. Le défendeur demande aussi les dépens.

 

Historique

 

[3]               La demanderesse exploite un hôtel-casino-spa situé au New Jersey. Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits qui a été utilisé dans le cadre de la procédure administrative faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[4]               Entre le 9 juillet 2008 et le 1er mars 2009, deux aéronefs détenus et exploités par la demanderesse ont effectué dix vols entre Atlantic City, dans l’État du New Jersey, et Montréal ou Toronto. Tous ces vols avaient pour but le transport de clients canadiens de la demanderesse en provenance ou à destination d’un point au Canada ou d’Atlantic City.

 

Avis de violation

 

[5]               Le 15 avril 2009, l’Office a remis à la demanderesse un procès‑verbal dans lequel il lui reprochait d’avoir contrevenu à l’article 57 de la Loi en offrant sans licence les services susmentionnés. Une pénalité de 25 000 $ a été imposée.

 

[6]               Le 22 mai 2009, la demanderesse a déposé une demande d’audience en révision au Tribunal d’appel des transports du Canada.

 

Décision à la suite d’une révision

 

[7]               Les 8 et 9 février 2010, le conseiller a tenu une audience. Le 31 mai 2010, il a publié ses motifs et déterminé que la demanderesse n’avait pas contrevenu à l’article 57.

 

[8]               La question en litige entre les parties était celle de savoir si les vols susmentionnés constituaient un service « offert au public », au sens où ces termes sont employés dans la définition de « service aérien » au paragraphe 55(1) de la Loi, expression figurant à l’article 57.

 

[9]               Outre l’exposé conjoint des faits, les parties ont déposé des témoignages par affidavits.

 

[10]           L’Office a présenté les affidavits de trois passagers de certains vols en cause : un agent verbalisateur de l’Office, un gestionnaire de l’Office et un expert en matière de compétence de l’Office. Les passagers ont déclaré que la demanderesse leur avait offert gratuitement des services de vol pour se rendre à son casino. L’agent a décrit comment s’était déroulée l’enquête sur les vols offerts par la demanderesse et a fait état de la correspondance échangée avec l’avocat général de celle‑ci. Le gestionnaire a expliqué que la Loi ne définissait pas les termes « offert au public » et que l’Office estimait que l’utilisation d’un avion privé pour transporter des employés à des fins professionnelles ne constituait pas un service offert au public. L’expert a quant à elle indiqué que l’exploitant américain qui vole à destination du Canada doit se conformer à la Loi.

 

[11]           La demanderesse a déposé les affidavits du vice‑président de la National Business Aviation Association (NBAA), du président de l’Association canadienne de l’aviation d’affaires (ACAA) et d’un témoin expert au sujet du mandat de Transports Canada.

 

[12]           Le vice‑président de la NBAA a indiqué que, selon les lois américaines en matière d’aviation, il n’est pas nécessaire de détenir un certificat d’exploitation aérienne pour transporter par avion les invités d’une entreprise. Le vice-président de la demanderesse a affirmé que les avantages accordés aux clients très importants sont un élément clé de la stratégie de marketing de l’entreprise et que la décision d’offrir des vols gratuits appartient exclusivement à cette dernière, qu’il n’existe aucun droit à ce service et que celui‑ci n’est pas conditionnel à ce qu’une certaine somme soit dépensée au casino. Le président de l’ACAA a indiqué que Transports Canada avait délégué à l’ACAA le pouvoir de délivrer des certificats d’exploitation et il a parlé des exigences du Règlement de l’aviation canadien, DORS/06-433, mais il a admis en contre‑interrogatoire que, si l’ACAA a le pouvoir de délivrer des certificats d’exploitation, il n’a pas celui de délivrer des licences. Le témoin expert a déclaré que les entreprises privées qui, dans la poursuite de leurs objectifs d’affaires, utilisent leur propre appareil ne sont pas des exploitants commerciaux et que ce service ne fait pas partie des choix offerts dans le domaine public.

 

[13]           Le conseiller a résumé les arguments des parties.

[14]           L’Office a soutenu que la Cour d’appel de la Saskatchewan avait déjà statué que le fait que les passagers doivent avoir la qualité de clients pour utiliser un service aérien ne signifie pas que ce service n’est pas offert au public, puisque les clients sont simplement un sous‑groupe du public qui utilise le service. Il suffit qu’un segment de la population ait accès à un service ou à une installation pour que ce service ou cette installation soit offert au public. L’Office a fait une distinction avec des décisions antérieures où il avait déterminé que le transport d’employés ou de propriétaires d’aéronefs n’était pas un service offert au public.

 

[15]           La demanderesse s’est appuyée sur une définition figurant dans un dictionnaire juridique selon laquelle le terme « offert » s’entend de ce qui est proposé ou destiné à tout le monde et elle a établi une distinction avec la jurisprudence invoquée, faisant valoir que ses clients n’avaient pas de droit à ce service et que le public ne pouvait réserver de vols auprès de la demanderesse.

 

[16]           Se fondant sur le libellé de la Loi et sur la jurisprudence, le conseiller a établi le critère suivant pour déterminer si un service était offert au public :

Tout membre du public qui veut obtenir le service peut, de son propre chef, communiquer avec le fournisseur du service pour se renseigner sur la disponibilité des vols, et raisonnablement s’attendre à avoir la possibilité de réserver une place sur un vol. Si les conditions offertes le satisfont, notamment le prix et l’horaire du vol, et qu’elles répondent à certaines exigences, s’il en est, le fournisseur fournit un service aérien qui est offert au public. Par contre, si tout membre du public ne peut pas le faire, le service n’est pas offert au public et l’article 57 de la LTC [la Loi] ne s’applique pas.

 

 

[17]           Le conseiller a noté que la preuve avait établi que la demanderesse n’avait fait ni publicité ni promotion à l’égard des vols gratuits et que les membres du public ne pouvaient communiquer avec la demanderesse pour s’informer de la disponibilité des vols, et raisonnablement s’attendre à avoir la possibilité de réserver une place sur un vol. Il a constaté que la disponibilité des vols relevait de la seule discrétion de la demanderesse et que ni les membres du public ni les clients de la demanderesse ne pouvaient raisonnablement s’attendre à pouvoir appeler la demanderesse pour prendre des arrangements pour un vol. Le fait que le casino de la demanderesse soit ouvert à tous ne signifie pas que chaque personne qui le fréquente casino peut raisonnablement s’attendre à bénéficier de vols gratuits si elle dépense aux jeux un montant suffisant.

 

[18]           Le conseiller a constaté que les vols n’étaient accessibles qu’à certains clients, à la discrétion de la demanderesse. Il n’y avait aucune preuve que la demanderesse rendait accessible au public ou à ses clients l’information touchant l’horaire des vols, les conditions, les prix ou d’autres détails se rapportant aux vols offerts. Or, si l’on veut communiquer avec un fournisseur de services pour se renseigner sur la disponibilité d’un service, encore faut-il être au courant que le service existe.

 

[19]           Les clients de la demanderesse ne peuvent pas raisonnablement s’attendre à pouvoir réserver une place à bord de l’aéronef de la demanderesse, et le fait que le groupe de personnes qui bénéficie des vols en question représente un dixième de un pour cent de la clientèle de la demanderesse évoque davantage un service privé qu’un service public.

 

[20]           Les membres du public ou la clientèle générale de la demanderesse ne peuvent, de leur propre chef, communiquer avec la demanderesse et raisonnablement s’attendre à pouvoir réserver une place sur un vol. Le conseiller a donc conclu que la demanderesse n’exploitait pas un service aérien offert au public et qu’elle ne contrevenait donc pas à l’article 57 de la Loi.

Décision à la suite d’un appel

 

[21]           L’Office a interjeté appel le 30 juin 2010. Le comité a tenu une audience le 11 mai 2011 et ses motifs de décision sont datés du 10 janvier 2012; il a infirmé la décision du conseiller en révision.

 

[22]           Après avoir résumé les observations des parties, le comité s’est d’abord penché sur la norme de contrôle qu’il entendait appliquer à la décision à la suite d’une révision. S’agissant du premier motif d’appel, le comité a indiqué qu’il utiliserait la norme de la décision correcte pour déterminer si le conseiller avait outrepassé sa compétence en créant un critère juridique pour déterminer si un service aérien est offert au public au sens de la Loi. S’agissant du deuxième motif d’appel, à savoir si le conseiller avait commis une erreur en formulant un critère invalide, le comité entendait aussi appliquer la norme de la décision correcte. Quant au troisième motif d’appel – celui de l’application par le conseiller du critère aux faits –, le comité a déterminé que c’était la norme de la décision raisonnable qui s’appliquait.

 

[23]           En ce qui touche le premier motif d’appel, le comité a conclu que le conseiller avait compétence pour établir le critère juridique, s’appuyant à cet égard sur la jurisprudence interprétant la Loi sur l’aéronautique, LRC 1985, c A-2. L’Office n’agissait pas en qualité d’organisme quasi judiciaire en l’espèce, mais plutôt en qualité d’organisme d’application de la Loi.

 

[24]           S’agissant du second motif d’appel, le comité s’est dit en désaccord avec l’interprétation de l’article 57 de la Loi faite par le conseiller. Bien que le conseiller se soit attaché aux fonctions de réglementation économique de l’Office mentionnées aux alinéas 5a), b) et c) de la Loi, le comité a interprété l’expression « offert au public » selon son sens ordinaire. Le législateur a choisi d’utiliser un terme à connotation économique neutre ne suggérant pas une idée de paiement, contrairement à la Loi sur l’aéronautique, qui distingue les services fournis contre rémunération de ceux qui ne le sont pas. Bien que l’exploitant doive satisfaire à des exigences économiques pour obtenir une licence de l’Office, l’obligation de détenir cette licence dépend de la question de savoir si le service est offert au public.

 

[25]           Le comité a conclu que c’est la nature du service fourni qui permet d’établir si celui‑ci est offert au public : « La manière dont le public visé en est informé et la question de savoir si c’est un membre de ce public qui prend l’initiative du contact sont dénuées de pertinence. Si le vol est offert à un segment du public, même à l’initiative de l’exploitant, il s’agit alors d’un service "offert au public" ».

 

[26]           Quant au troisième motif d’appel, le comité a conclu que le conseiller avait commis une erreur dans son application du critère. Le comité a souligné le témoignage du vice‑président de la demanderesse – à savoir que le client qui a bénéficié d’un vol gratuit et qui a continué de dépenser à son niveau actuel continuerait probablement de bénéficier de ce service gratuit—ainsi que le témoignage de l’un des clients, qui se voit régulièrement offrir des vols gratuits, que ce soit lui qui communique avec la demanderesse ou l’inverse. La conclusion du conseiller selon laquelle les clients privilégiés ne pouvaient pas raisonnablement s’attendre à pouvoir réserver une place sur un vol gratuit était donc une erreur. Par conséquent, le comité a conclu que la demanderesse exploitait un service offert au public.

[27]           Le comité a réduit la pénalité à 12 500 $, étant donné qu’il s’agissait d’une première infraction.

 

Questions en litige

 

[28]           Dans son mémoire, la demanderesse soulève les questions suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable :

                        (i)         à l’interprétation par le comité des termes « offert au public » dans la définition de « service aérien » figurant au paragraphe 55(1) de la Loi?

                        (ii)        à l’application de cette interprétation au regard des faits?

            2.         Le comité a-t-il interprété les termes « offert au public » figurant dans la définition de « service aérien » au paragraphe 55(1) de la Loi de façon déraisonnable?

            3.         Le comité a-t-il déraisonnablement conclu que la demanderesse exploitait un service aérien « offert au public » au sens du paragraphe 55(1) de la Loi pour ce qui est des vols mentionnés dans le procès‑verbal?

 

[29]           Je reformulerais ces questions comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         Le comité a-t-il commis une erreur dans sa décision?

 

Observations écrites de la demanderesse

 

[30]           La demanderesse soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable et que l’interprétation du paragraphe 55(1) par le comité est déraisonnable.

 

[31]           Le comité n’a formulé aucune norme intelligible permettant aux exploitants aériens de déterminer s’ils exploitent un service offert au public au sens de la Loi. L’interprétation (précitée) du comité est tautologique en ce que ce dernier définit le vol offert au public comme étant un vol offert à un segment du public. La manière dont le public visé est informé du service et la question de savoir si c’est l’exploitant qui prend l’initiative du contact sont des facteurs pertinents pour déterminer si le service est offert au public, et il était déraisonnable pour le comité d’exclure ces considérations.

 

[32]           Dans son sens ordinaire, l’expression « offert au public » s’entend de ce qui est accessible au public en général, de ce qu’il peut utiliser ou obtenir. Le comité n’a donné aucune raison de préférer une définition du dictionnaire à une autre ou de préférer une définition du dictionnaire à celle du conseiller.

 

[33]           L’interprétation du comité n’appartient pas aux issues acceptables parce qu’elle est contraire à l’esprit et à l’objet de la Loi. Le mandat de l’Office en vertu de la Partie II de la Loi se limite à une responsabilité économique, alors que la responsabilité technique est dévolue à Transports Canada. Le conseiller a bien fait cette distinction.

 

[34]           La Politique nationale des transports, figurant à l’article 5 de la Loi, établit clairement que la responsabilité de l’Office en matière de réglementation et de licences est principalement de nature économique et financière. Ce qui est confirmé dans l’énoncé même du mandat de l’Office, où Transports Canada est désigné comme étant l’autorité responsable de la sécurité aérienne. La sécurité aérienne relève du ministre des Transports et de son ministère en vertu de la Loi sur l’aéronautique.

 

[35]           Les fonctions de l’Office consistent à veiller à ce que les transporteurs offrant au public des services aériens aient une assurance responsabilité adéquate, soient dans une situation financière saine lorsqu’ils commencent à exercer leurs activités, aient une chance raisonnable de réussir et réduisent ainsi au minimum les perturbations du service. La demanderesse soutient que lorsqu’un service aérien n’est pas offert au public, il n’y a aucune raison d’intérêt public d’exiger le respect de ces conditions. Il n’y a pas de consommateurs à protéger. Cette mise en contexte législatif a été faite par le témoin expert de la demanderesse devant le conseiller. Le témoignage d’expert est admissible pour aider le tribunal à interpréter un texte législatif dans le contexte d’un secteur réglementé.

 

[36]           Le comité n’a fourni aucune explication sur la façon dont son interprétation favorisait la réalisation de l’objectif du législateur voulant que les services aériens répondent aux critères susmentionnés. Cette omission rend son interprétation déraisonnable.

 

[37]           Ni la décision R c Biller, [1990] ACF n1104 (CA), ni la décision Canada (Procureur général) c Rosin, [1999] SJ no 202 (CA), ne portaient sur la question de savoir si un service aérien était offert au public au sens du paragraphe 55(1), et il était déraisonnable pour le comité de s’appuyer sur elles. La décision Biller, précitée, portait sur la définition légale de « service aérien commercial », qui s’entend de l’utilisation d’un aéronef contre rémunération. Cette décision n’a pas d’application au regard de la Loi.

 

[38]           Dans la décision Rosin, précitée, la question de savoir si un service est offert au public s’inscrivait dans un contexte de droits de la personne. Dans un tel contexte, on donne à la définition de service offert au public une interprétation large afin de pouvoir, par un examen minutieux, déceler les atteintes aux droits de la personne. Il était déraisonnable pour le comité d’introduire cette interprétation dans la Loi, laquelle a pour but la réglementation financière et économique de l’aviation civile.

 

[39]           La décision du comité est un changement fondamental de ce que le secteur privé de l’aviation d’affaires croyait être le sens établi d’un service aérien offert au public.

 

[40]           Le conseiller a formulé un critère raisonnable, une norme objective fondée sur des attentes raisonnables. Comme l’exploitant exerce un pouvoir discrétionnaire absolu, le public ne peut raisonnablement s’attendre à avoir accès au service de vol ou à s’en prévaloir.

 

[41]           S’agissant des conclusions factuelles, le comité a modifié de façon déraisonnable celles tirées par le conseiller. Il n’a fait preuve d’aucune déférence puisqu’il s’est fondé sur une seule déclaration tirée de l’affidavit du vice‑président de la demanderesse, prise hors contexte et faisant fi de l’affidavit du client. Cette lecture sélective des témoignages est déraisonnable.

 

Observations écrites du défendeur

 

[42]           Le défendeur convient que la norme de la raisonnabilité est la norme de contrôle applicable à la décision du comité, bien que la décision correcte soit celle qui s’applique aux questions de droit.

 

[43]           Pour ce qui est de la norme de contrôle appliquée par le comité à la décision du conseiller, la Loi n’impose aucune restriction quant à la capacité du comité de réviser les conclusions, et celui-ci peut substituer sa décision à celle dont il est fait appel. Le comité a correctement déterminé qu’il y avait lieu de faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de fait tirées par le conseiller, mais que les questions de droit devaient être contrôlées selon la norme de la décision correcte.

 

[44]           Le défendeur soutient que le comité a rejeté avec raison le critère permettant de déterminer si un service est « offert au public » établi par le conseiller, car il s’écartait du sens ordinaire des mots et mettait trop l’accent sur la fonction de réglementation de l’Office en matière économique. Le comité a souligné l’existence d’une jurisprudence établissant la définition d’« offert au public » et fait observer que le conseiller n’avait aucune raison de formuler ce critère. Certes, le segment du public à qui le service aérien est offert est un petit groupe restreint, mais ça ne signifie pas que le service aérien ait cessé d’être offert au public.

[45]           Le comité s’est appuyé avec raison sur les décisions Biller et Rosin, précitées. Le fait qu’il ait adopté le critère de common law n’est pas incompatible avec les décisions antérieures de l’Office sur le sens des termes « offert au public ».

 

[46]           La définition large des termes « offert au public » fait en sorte que les exclusions relatives à certains services aériens figurant à l’article 56 de la Loi et à l’article 3 du Règlement sur les transports aériens ne sont pas dénuées de sens. Tout segment du public, si petit soit-il, a droit à la protection de la partie II de la Loi. Le public reste le public, aussi restreint que soit le segment du public qui participe au service aérien offert.

 

[47]           Le comité a eu raison d’écarter le témoignage d’expert présenté par la demanderesse. Les experts ne doivent pas usurper la fonction du juge des faits. La déposition de ce témoin portait sur la question ultime du présent contrôle judiciaire, celle de l’interprétation législative. Un bureaucrate ou un ancien bureaucrate ne peut dégager l’intention législative après le fait. Il ne devrait être accordé aucun poids à ce témoignage.

 

[48]           L’Office a l’habitude de rendre des décisions anticipées sur certaines questions, par exemple une licence est nécessaire pour un service donné. La demanderesse ne s’est pas prévalue de ce service et ses attentes quant au droit applicable sur ce point étaient donc déraisonnables.

Analyse et décision

 

[49]           Première question

      Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont elle est saisie est déjà établie dans la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[50]           En définissant l’expression « offert au public », le comité interprétait la Loi, sa loi constitutive. Cette interprétation commande la déférence de la part des cours de révision et doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable (voir l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, au paragraphe 39). Vu les observations formulées par la Cour suprême au paragraphe 39 de cet arrêt au sujet de la rareté des questions touchant véritablement à la compétence, je ne crois pas que la question d’interprétation législative soulevée en l’espèce relève de cette catégorie. Les conclusions factuelles autres que celles touchant la question de l’interprétation législative commandent bien sûr, elles aussi, la norme de la décision raisonnable.

 

[51]           Lorsqu’elle examine la décision du comité suivant la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit intervenir que si le comité est arrivé à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et qui n’appartient pas aux issues acceptables compte tenu de la preuve (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 4). Comme l’a conclu la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, il n’appartient pas à une cour de révision de substituer la solution qu’elle juge elle-même appropriée à celle qui a été retenue, pas plus qu’il ne lui appartient d’évaluer de nouveau la preuve (au paragraphe 59).

 

[52]           Deuxième question

      Le comité a-t-il commis une erreur dans sa décision?

            Les parties semblent convenir que le présent contrôle judiciaire porte essentiellement sur l’interprétation de l’article 57 de la Loi. Les motifs du comité sur ce point sont exposés dans dix paragraphes de sa décision (aux paragraphes 54 à 63).

 

[53]           Le comité a interprété les décisions Biller et Rosin, précitées, comme signifiant qu’« un service qui n’est offert qu’à un segment du public est "offert au public" » (au paragraphe 59) et que le conseiller n’avait aucune raison de revenir sur cette définition. J’estime avec égards que la raison pour laquelle le conseiller devait formuler une définition plus précise est évidente : il avait besoin d’une norme lui permettant de déterminer si les clients de la demanderesse constituaient un « segment du public ».

 

[54]           Je conviens avec la demanderesse que ce critère, également formulé par le comité au paragraphe 62, frôle la tautologie : il ne fournit aucune indication sur ce qu’est un « segment du public ». Il indique simplement qu’un service doit être offert à l’ensemble du public. Le critère du conseiller fournit un outil utile pour analyser la question de savoir si un groupe donné d’utilisateurs d’un service aérien constitue effectivement un segment du public.

 

[55]           Il est possible que le comité ait examiné la décision du conseiller selon la norme de la décision raisonnable (bien que je ne statuerai pas sur cette norme de contrôle, car elle n’est pas contestée par la demanderesse), mais ce contrôle doit quand même satisfaire aux critères d’intelligibilité, de justification et de transparence énoncés dans l’arrêt Dunsmuir, précité, et sa décision doit appartenir aux issues acceptables.

 

[56]           Bien que le comité ait justifié de façon convaincante l’élément négatif de sa décision, à savoir qu’il rejetait le critère établi par le conseiller (aux paragraphes 56 à 58), on ne peut en dire autant de l’élément positif, à savoir le critère juridique qu’il a substitué à celui du conseiller. Le critère est inintelligible, car il frôle la tautologie. De plus, la décision du comité de recourir à ce critère vague n’est pas suffisamment justifiée, le comité n’expliquant pas pourquoi un critère nettement moins défini est préférable à un critère mieux défini, comme celui établi par le conseiller, ni pourquoi une telle ambiguïté est préférable ou requise par la Loi. Le comité s’est contenté de répéter ce que la jurisprudence sur l’interprétation législative avait établi, sans autre indication supplémentaire.

 

[57]           Le comité devait résoudre une question de droit touchant sa loi constitutive et a peu fait en retour. Sa décision est déraisonnable et sera infirmée. Étant donné ma décision sur cette question, je n’ai pas besoin d’aborder les conclusions factuelles puisque, de toute façon, le comité doit appliquer aux faits le critère reformulé.

 

[58]           La demanderesse me demande de rétablir la décision du conseiller, sans doute en donnant à l’interprétation de la loi faite par ce dernier l’approbation de notre Cour. Compte tenu des observations formulées par la Cour suprême dans l’arrêt Alberta Teachers’, précité, au sujet de l’expertise des tribunaux interprétant leur loi constitutive, je ne crois pas que pour l’instant il soit approprié pour la Cour de formuler un critère sur l’application de l’article 57.

 

[59]           Il est important qu’une cour de révision puisse disposer de l’opinion du tribunal quant à l’interprétation de sa loi constitutive (voir l’arrêt Alberta Teachers’, précité, au paragraphe 25). En l’espèce, l’interprétation du comité est si inintelligible que la Cour est privée de la possibilité d’apprécier cette opinion. Je comprends qu’il s’agit pour les parties de la troisième ronde de contestations, et qu’une nouvelle décision, suivie éventuellement d’un contrôle judiciaire, pourrait entraîner une quatrième et une cinquième rondes avec tous les coûts qui y sont associés. Pourtant, je ne peux laisser cette considération l’emporter sur la relation qui doit exister entre les cours et les tribunaux spécialisés.

 

[60]           Par conséquent, le contrôle judiciaire est accueilli, l’appel est annulé et l’affaire est renvoyée au Tribunal d’appel des transports du Canada afin qu’une nouvelle décision soit rendue.

 

[61]           La demanderesse a droit aux dépens de la demande.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée au Tribunal d’appel des transports du Canada afin qu’une nouvelle décision soit rendue; la demanderesse a droit aux dépens de la demande.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


ANNEXE

 

Les dispositions législatives et réglementaires applicables

 

Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10

 

55. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

 

 

« service aérien » Service offert, par aéronef, au public pour le transport des passagers, des marchandises, ou des deux.

 

 

57. L’exploitation d’un service aérien est subordonnée à la détention, pour celui-ci, de la licence prévue par la présente partie, d’un document d’aviation canadien et de la police d’assurance responsabilité réglementaire.

55. (1) In this Part,

 

 

 

“air service” means a service, provided by means of an aircraft, that is offert au public for the transportation of passengers or goods, or both;

 

57. No person shall operate an air service unless, in respect of that service, the person

 

 

 

 

 

(a) holds a licence issued under this Part;

 

(b) holds a Canadian aviation document; and

 

(c) has the prescribed liability insurance coverage.

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-324-12

 

INTITULÉ :                                                  MARINA DISTRICT DEVELOPMENT

                                                                        COMPANY D.B.A. BORGATA

                                                                        HOTEL CASINO & SPA

 

                                                                        - et -

 

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 21 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT :                                               LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DU JUGEMENT :                           Le 18 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrea Gonsalves

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jacqueline Dais-Visca

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stockwoods LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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