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Date : 20130718

Dossier : IMM-8005-12

Référence : 2013 CF 796

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

TING JUN XI

ET

WANG XUE

ET

QIAN WEN XI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               Le demandeur principal demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié par laquelle il a été déterminé que lui, son épouse et sa fille n’ont pas respecté leur obligation de résidence aux termes de l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], et que leur situation personnelle ne soulevait pas de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour excuser un manquement à leur obligation de résidence.

 

II. Procédure judiciaire

[2]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la LIPR, de la décision du 18 juillet 2012 de la SAI.

 

III. Contexte

[3]               Le demandeur principal, M. Ting Jun Xi, son épouse, Mme Wang Xue, et leur fille, Qian Wen Xi, sont des citoyens de la Chine nés en 1957, en 1964 et en 2000, respectivement.

 

[4]               Le 11 février 2005, les demandeurs ont obtenu le statut de résident permanent au Canada. Ils sont restés au Canada 8 jours avant de rentrer en Chine.

 

[5]               Le demandeur principal a déclaré que sa belle‑mère avait été malade et que c’est pourquoi ils étaient rentrés en Chine. Les demandeurs ont présenté une preuve documentaire attestant que la belle‑mère du demandeur principal avait été malade de mai 2005 à août 2009, qu’elle avait été hospitalisée de mai 2006 à août 2009, et qu’elle était décédée le 17 août 2009 (Dossier certifié du tribunal [DCT], à la page 84).

 

[6]               Lorsqu’il se trouvait au Canada, le demandeur principal a rencontré M. Robert Burke afin d’explorer la possibilité de travailler pour l’entreprise de ce dernier, 2727056 Canada Inc. [2727056].

 

[7]               Le demandeur principal avait déjà rencontré M. Burke en Chine à l’époque où il agissait comme fournisseur pour le père de ce dernier.

 

[8]               Le 4 septembre 2006, le demandeur principal a été embauché à temps plein par 2727056, contre une rémunération de 30 000 $ CAN. 

 

[9]               Le contrat de travail précise que le demandeur principal est le seul employé de 2727056 à l’étranger et que son poste n’a pas été créé principalement pour qu’il se conforme à son obligation de résidence. Le contrat énonce les tâches suivantes : i) trouver des fabriques chinoises qui confectionneront des vêtements pour les clients de 2727056; ii) assurer le suivi des ordres de production de 2727056 en Chine; iii) communiquer avec les fabriques chinoises et leur rendre visite afin de veiller à la qualité des vêtements et à l’expédition en temps opportun de la marchandise; iv) assurer la liaison entre les clients de 2727056 et les fabriques chinoises.

 

[10]           Le demandeur principal a déclaré que, pendant 19 mois avant le 4 septembre 2006, il avait travaillé pour 2727056 sans être payé pour se préparer à occuper son poste; M. Burke a affirmé que le demandeur principal n’avait pas commencé à travailler avant le 4 septembre 2006.

 

[11]           Au cours de la période quinquennale, le demandeur principal s’est trouvé au Canada 38 jours sur 1826 : 12 jours en septembre et octobre 2006, 11 jours en février et mars 2007, et 15 jours en septembre 2007. Au cours de ces visites, il demeurait chez le directeur de 2727056.

 

[12]           M. Burke a déclaré que l’incapacité du demandeur de venir au Canada plus souvent pour y rencontrer des clients posait problème, et que, dorénavant, il passerait plus de temps avec des clients au Canada et rechercherait de nouvelles occasions d’affaires aux États‑Unis.

 

[13]           Le 12 août 2010, les agents d’immigration ont refusé de délivrer les cartes de résident permanent des demandeurs, au motif que ces derniers ne remplissaient pas leur obligation de résidence.

 

IV. Décision faisant l’objet du contrôle

[14]           La SAI n’a pas suivi la recommandation conjointe des parties voulant qu’il soit fait droit à l’appel. Citant Fong c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 1134, elle a fait valoir que la SAI n’est pas tenue de suivre une recommandation conjointe dans la mesure où elle communique ses motifs.

 

[15]           La SAI a conclu que le demandeur principal n’avait pas respecté son obligation de résidence au cours de la période de cinq ans (du 27 juin 2005 au 28 juin 2010), étant donné qu’il n’avait pas établi qu’il travaillait à l’étranger pour une entreprise canadienne aux termes de l’article 61 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement]. 

 

[16]           La SAI a conlu que l’emploi occupé par le demandeur principal au sein de l’entreprise 2727056 ne répondait pas aux critères de l’article 61. En effet, il avait établi qu’il travaillait à temps plein, hors du Canada, pour une entreprise canadienne, mais pas qu’il s’agissait d’une assignation temporaire. Le poste du demandeur principal, qui était pour l’essentiel un poste de directeur à l’étranger, avait plutôt été créé pour que le demandeur mette à profit sur place ses connaissances des pratiques commerciales dans l’industrie du vêtement en Chine, et ce, pour une période indéterminée. La SAI souligne que, avant son embauche par 2727056, le demandeur principal ne se trouvait au Canada que depuis une semaine et il avait passé les 19 mois précédents en Chine. La SAI a également expliqué que le contrat de travail ne mentionnait pas que l’affectation du demandeur principal en Chine serait temporaire, ni que  2727056 lui offrirait un poste permanent au Canada après son affectation en Chine.

 

[17]           La SAI a soutenu qu’en vertu du paragraphe 61(3) du Règlement, le demandeur principal devait établir qu’il était affecté à un poste à l’extérieur du Canada au titre de son emploi. Citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Jiang, 2011 CF 349, et Bi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 293, la SAI a affirmé que, conformément au paragraphe 61(3), le demandeur principal devait établir que son affectation en Chine était temporaire, qu’il gardait un lien de rattachement avec une entreprise canadienne et qu’il pourrait continuer de travailler pour son employeur au Canada après son affectation.

 

[18]           La SAI n’a pas admis que le demandeur principal satisfaisait aux exigences du paragraphe 61(3) parce que son absence du Canada posait problème ou parce que 2727056 souhaitait qu’il passe désormais plus de temps au Canada. Selon la SAI, s’il avait été essentiel que le demandeur principal passe du temps au Canada dans le cadre de son travail, cela aurait été mentionné dans son contrat de travail et le demandeur principal aurait pris des mesures en conséquence.

 

[19]           Selon la SAI, ni le témoignage du demandeur principal ni celui de M. Burke n’était crédible. La SAI a tiré des conclusions défavorables des témoignages contradictoires eu égard à la date de début d’emploi, à la présentation tardive du contrat de travail par le demandeur principal, et à la présentation tardive des avis de cotisation (tous datés du 26 août 2010). La SAI a conclu que M. Burke, selon qui il était convenu que le demandeur principal travaillerait davantage au Canada dans l’avenir et qui a dit avoir rencontré le demandeur principal à de multiples reprises au Canada, a tenté « d’adapter son témoignage aux besoins [du demandeur principal] et de sa famille » (décision de la SPR, au paragraphe 27).

 

[20]           La situation des demandeurs ne justifiait pas non plus de dispense pour des considérations d’ordre humanitaire. Bien que l’intérêt supérieur de la fille du demandeur ait été un facteur favorable, il ne l’a pas emporté sur les facteurs défavorables sur le plan humanitaire.

 

[21]           Premièrement, l’obstacle juridique en cause était important, étant donné que le demandeur principal avait cumulé 34 jours au titre de l’obligation de résidence (et sa femme et sa fille, 18 jours).

 

[22]           Deuxièmement, le degré d’établissement constituait un facteur négatif, étant donné que les demandeurs se sont rendus au Canada seulement trois ou quatre fois, n’ont jamais possédé de résidence au Canada, et n’ont jamais affiché la volonté ferme de s’établir au Canada un jour.

 

[23]           Troisièmement, les liens familiaux et le soutien de la communauté sur lesquels pouvaient compter les demandeurs constituaient un facteur positif auquel peu de valeur a été accordée. Le fils du demandeur principal vivait au Canada et avait l’intention de travailler au Canada une fois ses études terminées, mais les demandeurs avaient toujours vécu en Chine et ne s’étaient rendus au Canada que pour de brefs séjours. La SAI a en outre souligné que les demandeurs avaient plusieurs liens familiaux en Chine et que le fils ne pouvait pas vraiment savoir où il irait vivre après ses études.

 

[24]           Quatrièmement, la SAI a conclu que l’intérêt supérieur de l’enfant constituait un facteur positif, parce qu’il était dans l’intérêt supérieur de la fille du demandeur principal de grandir au Canada, d’y faire ses études et de vivre avec ses deux parents au Canada. Citant Leobrara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 587, la SAI a conclu qu’il n’était pas nécessaire de prendre en considération l’intérêt supérieur du fils, un adulte à charge.

 

[25]           Cinquièmement, les raisons pour lesquelles les demandeurs sont rentrés en Chine et sont demeurés à l’extérieur du Canada, la situation des demandeurs pendant qu’ils se trouvaient à l’extérieur du Canada et les raisons pour lesquelles les demandeurs ne sont pas rentrés au Canada à la première occasion n’ont pas été retenues comme des facteurs justifiant une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire. La preuve documentaire faisant état de la maladie et du décès de la belle‑mère ne justifie pas de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire, parce qu’elle n’indique pas l’étendue des soins requis au cours de la période quinquennale. La SAI a également fait valoir que i) les demandeurs avaient des billets de retour à leur arrivée au Canada, et ils sont rentrés en Chine une semaine plus tard; ii) l’épouse a continué de travailler durant la maladie de sa mère; iii) le demandeur principal n’a pas dit pourquoi son beau‑père ne pouvait prendre soin de sa femme malade, alors que celui‑ci vivait en Chine à l’époque; iv) les demandeurs n’ont pas tenté de venir au Canada après le décès de la belle‑mère, en août 2009; de plus, le demandeur principal, qui est arrivé au Canada avec un billet de retour en main et qui est rentré en Chine une semaine plus tard, n’a pas tenté de trouver un emploi au Canada.

 

[26]           Sixièmement, la SAI n’a pas conclu que la décision briserait les liens familiaux du demandeur principal, étant donné que « la situation actuelle est la même que celle qui existait lorsque la famille a obtenu le droit d’établissement, c’est‑à‑dire que les parents et la benjamine vivent en Chine et que le fils étudie au Canada. Le rejet de l’appel ne fera que perpétuer la situation qui existe depuis que la famille a obtenu le droit d’établissement » (décision de la SAI, au paragraphe 52).

 

[27]           Enfin, la SAI n’a pas convenu que les objectifs de la LIPR justifiaient une dispense pour motifs d’ordre humanitaire, étant donné que les demandeurs se réunissaient avec le fils en Chine chaque année, qu’ils n’ont pas réussi leur pleine intégration à la société canadienne, et n’ont pas amélioré leurs connaissances de l’une ou l’autre des langues officielles du Canada au cours de la période quinquennale.

 

V. Questions en litige

[28]           1) Était‑il raisonnable de conclure qu’en vertu du paragraphe 61(3) du Règlement, le demandeur principal devait établir qu’il était affecté en Chine pour une période déterminée et qu’il pourrait continuer à travailler pour son employeur au Canada au terme de cette affectation?

2) Était‑il raisonnable de conclure que l’affectation du demandeur principal en Chine n’était pas temporaire?

3) L’analyse des motifs d’ordre humanitaire était‑elle raisonnable?

4) Selon la loi et la jurisprudence, l’analyse et la conclusion de la SAI étaient‑elles raisonnables compte tenu de la recommandation des parties?

 

VI. Dispositions législatives pertinentes

[29]           Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes :

28.      (1) L’obligation de résidence est applicable à chaque période quinquennale.

 

 

 

(2) Les dispositions suivantes régissent l’obligation de résidence :

 

 

a) le résident permanent se conforme à l’obligation dès lors que, pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale, selon le cas :

 

 

 

(i) il est effectivement présent au Canada,

 

(ii) il accompagne, hors du Canada, un citoyen canadien qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents,

 

(iii) il travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

 

 

 

(iv) il accompagne, hors du Canada, un résident permanent qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents, et qui travaille à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

 

 

 

(v) il se conforme au mode d’exécution prévu par règlement;

 

 

[...]

 

c) le constat par l’agent que des circonstances d’ordre humanitaire relatives au résident permanent — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — justifient le maintien du statut rend inopposable l’inobservation de l’obligation précédant le contrôle.

28.      (1) A permanent resident must comply with a residency obligation with respect to every five-year period.

 

(2) The following provisions govern the residency obligation under subsection (1):

 

(a) a permanent resident complies with the residency obligation with respect to a five-year period if, on each of a total of at least 730 days in that five-year period, they are

 

(i) physically present in Canada,

 

(ii) outside Canada accompanying a Canadian citizen who is their spouse or common-law partner or, in the case of a child, their parent,

 

(iii) outside Canada employed on a full-time basis by a Canadian business or in the federal public administration or the public service of a province,

 

 

(iv) outside Canada accompanying a permanent resident who is their spouse or common-law partner or, in the case of a child, their parent and who is employed on a full-time basis by a Canadian business or in the federal public administration or the public service of a province, or

 

(v) referred to in regulations providing for other means of compliance;

 

...

 

(c) a determination by an officer that humanitarian and compassionate considerations relating to a permanent resident, taking into account the best interests of a child directly affected by the determination, justify the retention of permanent resident status overcomes any breach of the residency obligation prior to the determination.

 

[30]           Les dispositions suivantes du Règlement sont pertinentes :

61.      (3) Pour l’application des sous-alinéas 28(2)a)(iii) et (iv) de la Loi respectivement, les expressions « travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale » et « travaille à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale », à l’égard d’un résident permanent, signifient qu’il est l’employé ou le fournisseur de services à contrat d’une entreprise canadienne ou de l’administration publique, fédérale ou provinciale, et est affecté à temps plein, au titre de son emploi ou du contrat de fourniture :

 

a) soit à un poste à l’extérieur du Canada;

 

b) soit à une entreprise affiliée se trouvant à l’extérieur du Canada;

 

c) soit à un client de l’entreprise canadienne ou de l’administration publique se trouvant à l’extérieur du Canada.

61.      (3) For the purposes of subparagraphs 28(2)(a)(iii) and (iv) of the Act, the expression “employed on a full-time basis by a Canadian business or in the public service of Canada or of a province” means, in relation to a permanent resident, that the permanent resident is an employee of, or under contract to provide services to, a Canadian business or the public service of Canada or of a province, and is assigned on a full-time basis as a term of the employment or contract to

 

 

 

 

 

 

(a) a position outside Canada;

 

(b) an affiliated enterprise outside Canada; or

 

 

(c) a client of the Canadian business or the public service outside Canada.

 

VII. Thèse des parties

[31]           Les demandeurs soutiennent qu’il n’est pas raisonnable de conclure que l’article 61 du Règlement obligeait le demandeur principal à établir que son affectation en Chine était temporaire et qu’il obtiendrait ensuite une affectation au Canada. Les demandeurs font valoir que le texte et les objectifs du Règlement ne prévoient pas la possibilité de décisions contraires de la part de la Cour.

 

[32]           Les demandeurs font valoir que la Cour ne devrait pas appliquer Jiang, précité, pour les raisons suivantes : i) les intentions du législateur et les mesures de réglementation applicables eu égard à l’obligation d’établissement ne sont pas respectées dans Jiang, et il y a lieu de faire une distinction concernant la situation des demandeurs; ii) le jugement va à l’encontre du sous‑alinéa 28(2)a)(v) de la LIPR, qui permet au demandeur principal de respecter son obligation de résidence par d’autres modes d’exécution et établit que l’intention du législateur est de définir des règles souples quant au respect de l’obligation de résidence; iii) le jugement ne va pas dans le sens du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR), qui précise que l’article 28 prévoit que « les résidents permanents disposent d’une plus grande latitude pour occuper à l’étranger un large éventail d’emplois à long terme tout en maintenant avec le Canada des liens de diverse nature, par le truchement soit de l’administration publique soit d’entreprises exerçant leur activité au Canada » (Résumé de l’étude d’impact de la réglementation : VII – Obligations des résidents permanents – Partie 5, section 2, Gazette du Canada : Partie II, DORS/2002-227, CP 2002-997, 14 juin 2002, à la page 210); iv) l’article 61 de la LIPR n’énonce pas expressément que les affectations doivent être temporaires ou donner lieu à la promotion à un poste au Canada; v) le jugement ne cadre pas avec la notion de période quinquennale, laquelle est en soi temporaire.

 

[33]           Les demandeurs font également valoir qu’il était déraisonnable de conclure que l’affectation du demandeur principal en Chine était temporaire et que celui‑ci ne rentrerait pas travailler pour 2727056 au Canada. Les demandeurs établissent une distinction avec Jiang, précité, étant donné que dans cette affaire, le poste occupé par la demanderesse ne prévoyait aucun déplacement entre la Chine et le Canada et ne nécessitait que très peu d’interaction entre elle et son employeur canadien.

 

[34]           Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SAI concernant la crédibilité est déraisonnable, parce qu’elle découle d’une analyse à la loupe de la preuve et parce que la SAI n’a pas tenu compte, lors de l’audience, du contrat de travail et des avis de cotisation du demandeur principal, présentés tardivement.

 

[35]           Les demandeurs soutiennent que l’analyse des motifs d’ordre humanitaire est déraisonnable, étant donné que la SAI : i) n’a pas tenu compte de la connaissance qu’a le demandeur principal de la langue anglaise; ii) n’a pas tenu compte de l’objectif de réunification au Canada, plutôt qu’à l’extérieur du Canada; iii) a conclu que le fils pourrait ne pas rester au Canada, à défaut de preuve; iv) n’a pas pris en considération l’investissement financier au Canada ou la contribution aux activités de 2727056 lors de l’examen du degré d’établissement; v) n’a pas examiné les éléments de preuve concernant le décès de la belle‑mère et l’étendue des soins dont cette dernière avait besoin; vi) avait pour exigence que les demandeurs rentrent au Canada immédiatement après le décès de la belle‑mère.

 

[36]           Enfin, les demandeurs soutiennent que la SAI aurait dû accepter la recommandation conjointe présentée par les parties lors de l’audience, soulignant que la SAI ne devrait pas remettre en question l’évaluation du Ministre lors de l’audience. Selon eux, une distinction s’impose par ailleurs par rapport à Fong, précité, où il est question de la criminalité et de l’obligation fondamentale de servir l’intérêt public et de protéger la sécurité du public.

 

[37]           Le défendeur réplique que la SAI pouvait raisonnablement conclure que le demandeur principal n’était pas affecté à un poste à l’extérieur du Canada aux termes du paragraphe 61(3) du Règlement. Selon le défendeur, il était raisonnable de conclure que le demandeur principal n’était pas affecté temporairement en Chine et qu’il ne rentrerait pas travailler pour 2727056 au Canada, parce que : i) son rôle était de diriger les activités commerciales de 2727056 en Chine durant une période indéterminée; ii) la rencontre de clients au Canada ou la recherche de clients potentiels aux États‑Unis n’était pas un aspect essentiel des tâches énoncées dans le contrat de travail; iii) il n’a pas tenté de répondre à d’éventuels besoins de son employeur en venant au Canada plus souvent; iv) la preuve documentaire n’établit pas que la maladie et le décès de sa belle‑mère l’avaient empêché d’agir pour le compte de 2727056 au Canada.

 

[38]           Le défendeur fait également valoir que la Cour devrait appliquer Jiang et Bi, précités, et Wei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1084, pour maintenir que le paragraphe 61(3) obligeait le demandeur principal à prouver que son affectation en Chine était temporaire et qu’il rentrerait ensuite travailler pour 2727056 au Canada. Selon le défendeur : i) le concept de promotion à un poste au Canada n’a pas joué dans Jiang, précité, et il s’agit d’une traduction erronée des motifs du juge Richard Boivin; ii) le terme « affecté », au paragraphe 61(3), est employé pour désigner un travail temporaire à l’extérieur du Canada; iii) les décisions ne limitent pas l’affectation temporaire à l’extérieur du Canada à une période de cinq ans; iv) les décisions ne contredisent pas le REIR.

 

[39]           Le défendeur fait valoir que la conclusion concernant la crédibilité n’était pas déterminante, et que des incohérences dans les témoignages ont miné la crédibilité du demandeur principal et de M. Burke.

 

[40]           Le défendeur soutient que la SAI pouvait raisonnablement rejeter la recommandation conjointe des parties étant donné qu’elle a fourni ses motifs, comme le veut Fong, précité.

 

[41]           Le défendeur affirme qu’il était raisonnable de conclure que les motifs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas la prise de mesures spéciales, pour les raisons suivantes : i) le degré de non‑respect de l’obligation de résidence des demandeurs était important; ii) le degré d’établissement des demandeurs au Canada était faible; iii) l’appartenance à la catégorie des investisseurs ne soulageait pas le demandeur principal de son obligation de résidence; iv) les liens familiaux et le soutien communautaire au Canada étaient faibles; v) la preuve documentaire concernant la maladie de la belle‑mère n’établissait pas que l’étendue des soins requis avait empêché les demandeurs de respecter leur obligation de résidence; vi) aucun élément de preuve n’établissait l’existence de la maladie au moment où les demandeurs sont rentrés en Chine, en février 2005; v) la séparation des membres de la famille était un facteur neutre, étant donné que le fils peut toujours rendre visite aux demandeurs en Chine. 

 

[42]           Eu égard aux erreurs de fait commises par la SAI, le défendeur fait valoir que la connaissance qu’a le demandeur principal de la langue anglaise ne change rien à sa conclusion selon laquelle les demandeurs n’ont pas réussi leur intégration au Canada, et qu’il était raisonnable de conclure que le fils ne pouvait pas savoir où il vivrait, étant donné qu’il n’avait pas trouvé d’emploi au Canada.

 

VIII. Analyse

Norme de contrôle

[43]           L’interprétation du paragraphe 61(3) du Règlement est examinée suivant la norme de la décision raisonnable. Selon Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC, [2011] 3 RCS 654, les questions de droit soulevées lorsqu’un tribunal interprète sa propre loi constitutive sont révisées selon cette norme, à moins qu’elles relèvent d’une des catégories énumérées (questions de nature constitutionnelle, questions revêtant une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, questions ayant trait à la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents, et véritables questions de compétence) (au paragraphe 34). La Cour s’est appuyée sur Alberta Teachers’ Association pour interpréter le Règlement (Grusas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 733, au paragraphe 21). De fait, il est d’autant plus justifié de s’appuyer sur Alberta Teachers’ Association pour l’interprétation de dispositions réglementaires, qui émanent du pouvoir exécutif.

 

[44]           La norme de la raisonnabilité s’applique également dans le cas de l’application du paragraphe 61(3) et de l’analyse qu’a fait la SAI des motifs d’ordre humanitaire (Bi, précité, et Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1071).

 

[45]           Suivant cette norme, la Cour peut intervenir seulement si une décision ne s’attache pas « à la justification […], à la transparence et à l’intelligibilité ». La décision doit aussi appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

(1) Était il raisonnable de conclure qu’en vertu du paragraphe 61(3) du Règlement, le demandeur principal devait établir qu’il était affecté en Chine pour une période déterminée et qu’il pourrait continuer à travailler pour son employeur au Canada au terme de cette affectation?

 

[46]           La SAI pouvait raisonnablement conclure que le paragraphe 61(3) obligeait le demandeur principal à établir que son affectation à temps plein à l’extérieur du Canada avait une durée déterminée, qu’il gardait un lien de rattachement avec une entreprise canadienne et qu’il pourrait continuer de travailler pour son employeur au Canada après l’affectation.

 

[47]           En l’espèce, le terme « affecté » est déterminant aux fins de l’interprétation du paragraphe 61(3). Dans Jiang, précité, le juge Boivin a affirmé :

[52]      [...] Le mot affectation dans le contexte du statut de résident permanent interprété à la lumière de la Loi et du Règlement implique nécessairement un facteur de rattachement avec l’employeur situé au Canada. Le mot « affecté » au paragraphe 61(3) du Règlement signifie qu’un individu, qui occupe un poste à l’extérieur du Canada de façon temporaire et garde un lien de rattachement avec une entreprise canadienne [...], est donc susceptible de rentrer au Canada. 

 

[48]           Le juge Boivin explique que cette interprétation : i) concorde avec le sens donné au mot affectation en droit du travail; ii) est conforme au sens ordinaire et grammatical du mot affectation, qui implique un « déplacement d’un poste vers un autre »; ii) tient compte de l’objet de la Loi, qui vise à promouvoir l’intégration des résidents permanents et impose une obligation de résidence à cet effet, tout en reconnaissant qu’il peut s’offrir aux résidents permanents des occasions de travail à l’extérieur du Canada (au paragraphes 43, 45, 46 et 53).

 

[49]           Dans Bi, précité, le juge Simon Noël convient avec le juge Boivin que le paragraphe 63(1) exige du résident permanent qu’il s’acquitte de l’obligation de résidence en vertu du sous-alinéa 28(2)a)(iii) de la LIPR, et établit qu’il doit « doit obtenir une affectation temporaire, garder un lien de rattachement avec son employeur et, après l’affectation, continuer de travailler pour ce dernier au Canada » (au paragraphe 15).

 

[50]           Dans Wei, précité, le juge John O’Keefe s’est appuyé sur Jiang et Bi, précités.

 

[51]           Pour l’interprétation du paragraphe 61(3), la Cour applique le principe de la courtoisie judiciaire. La demande n’est pas visée par une exception à ce principe, comme il est mentionné dans Khorasgani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1177. Les demandeurs n’ont pas établi que les faits et les éléments de preuve ne sont pas les mêmes en l’espèce et dans les décisions, que les questions à trancher sont différentes, que les décisions n’ont pas examiné la loi ou la jurisprudence qui auraient donné lieu à un résultat différent ou que les décisions suivies créeraient une injustice (au paragraphe 16).

 

[52]           Eu égard à la courtoisie judiciaire, les inquiétudes des demandeurs ne justifient pas qu’une exception soit faite au principe de courtoisie judiciaire. Premièrement, même si la LIPR prévoit des règles souples quant au respect de l’obligation de résidence, cela ne soulage pas le demandeur principal de son obligation, en vertu du paragraphe 27(2) de la LIPR, de respecter les conditions imposées par le Règlement. Deuxièmement, cela ne contredit pas le REIR, selon lequel l’article 28 reconnaît l’intérêt de disposer d’une lattitude tout en « maintenant au Canada des liens » (REIR, à la page 210). Dans Jiang, précité (au paragraphe 53), le juge Boivin s’appuie précisément sur cette justification pour l’interprétation du paragraphe 61(3). Troisièmement, l’interprétation selon laquelle, au sens du paragraphe 61(3), l’emploi à l’extérieur du Canada s’entend d’un emploi temporaire n’est pas intrinsèquement incohérente avec la notion de période quinquennale. La question à examiner conformément au paragraphe 61(3) est le caractère temporaire de l’affectation à l’extérieur du Canada, et non la durée de cette affectation.

 

(2) Était‑il raisonnable de conclure que l’affectation du demandeur principal en Chine n’était pas temporaire?

 

[53]           Il était raisonnable de conclure que l’affectation du demandeur principal en Chine n’était pas une affectation visée au paragraphe 61(3).

 

[54]           À la lumière de la nature des tâches énoncées dans le contrat de travail du demandeur principal, la SAI pouvait conclure que le demandeur principal ne répondait pas aux critères du paragraphe 61(3):

[traduction]

Vous serez l’agent représentant 2727056 Canada Inc. en Chine. Vour aurez pour tâche de trouver en Chine des fabriques où nos clients, les importateurs canadiens, pourront faire fabriquer leurs vêtements. Vous agirez comme agent de liaison entre les fabricants chinois et les clients canadiens. Vous devrez faire le suivi des commandes, du début à la fin du processus, pour veiller à ce que les vêtements soient fabriqués conformément aux commandes et aux exigences des clients et veiller à ce que les vêtements soient produits en temps opportun en vue de la livraison aux clients. Vous devrez également agir comme agent de liaison entre les clients et les fabriques pour régler les questions ou problèmes que ceux‑ci pourraient porter à votre attention. (DCT, à la page 717)

 

La nature de ces tâches donne à penser que le demandeur principal n’était pas affecté temporairement à l’extérieur du Canada et qu’il n’était pas susceptible de rentrer au Canada pour y travailler. Comme l’indique le contrat de travail, l’emploi était axé sur (et vital pour) les activités de 2727056 en Chine. Il était raisonnable de conclure que les activités de liaison effectuées pour les clients canadiens de 2727056 ne remettent pas cette conclusion en doute, puisqu’elles visaient des activités commerciales en Chine.

 

[55]           Une analyse prospective du lien d’emploi entre le demandeur principal et 2727056 ne permet pas non plus de conclure que le demandeur principal répondait aux critères du paragraphe 61(3). Il serait raisonnable de conclure que ni le contrat de travail ni les circonstances connexes ne donnent à penser que le demandeur principal pourrait, un jour, travailler pour 2727056 au Canada. Le contrat de travail ne disait tout simplement pas que l’affectation du demandeur principal en Chine était temporaire ou que le demandeur principal serait appelé à jouer un rôle dans les activités commerciales de 2727056 au Canada à l’avenir.

 

[56]           En outre, le demandeur principal était le seul employé de 2727056 en Chine, et il semble que l’emploi dépendait de sa présence en Chine (DCT, aux pages 822 et 820). On pouvait raisonnablement en conclure qu’il était peu probable que 2727056 s’attende à ce qu’il rentre au Canada pour y occuper un poste. Pour dire les choses très simplement, 2727056 n’avait aucun autre employé en Chine qui veillait à ses activités commerciales là-bas. Dans les circonstances, il serait raisonnable de dire qu’il était improbable que le demandeur principal rentre un jour travailler pour 2727056 au Canada. 

 

[57]           Enfin, le demandeur principal est venu au Canada en de rares occasions pour prendre part aux activités commerciales de 2727056 (DCT, à la page 806). Par conséquent, la conclusion selon laquelle il était peu probable que le travail du demandeur principal pour 2727056 soit un jour centré sur le Canada fait partie des issues possibles acceptables. Même s’il pouvait théoriquement effectuer les tâches énoncées dans le contrat de travail en faisant des aller‑retour entre le Canada et la Chine, on peut raisonnablement en conclure que le travail devait (pour des raisons pratiques) se faire principalement en Chine, de façon permanente.

 

[58]           La SAI pouvait raisonnablement conclure que le fait que le demandeur principal était incapable de venir au Canada plus souvent et que cela nuisait aux activités commerciales de 2727056 n’établissait pas que le demandeur principal répondait aux critères du paragraphe 61(3).

 

[59]           Même en admettant qu’il puisse être bon pour 2727056 que le demandeur principal soit plus souvent au Canada, cela ne remet pas en doute l’affirmation selon laquelle l’affectation en Chine était permanente et selon laquelle le demandeur principal ne rentrerait pas travailler pour l’entreprise au Canada un jour. Comme l’a affirmé M. Burke, une présence accrue du demandeur principal au Canada serait profitable pour 2727056, étant donné que cela permettrait d’accroître la confiance des clients en sa capacité de diriger les affaires de 2727056 en Chine :

[traduction]

Eh bien, c’est – je veux dire qu’il y a eu des problèmes parce que l’idée était qu’il fasse des allers‑retours pour pouvoir planifier une stratégie et que nous puissions, je veux dire que Ting Jun est excellent pour nouer des contacts avec les fabriques. Il est très honnête, mais je – il aurait été préférable pour lui qu’il puisse venir ici pour discuter avec les clients, parce qu’il dégage une grande intégrité, et j’aurais aimé qu’il soit ici pour rencontrer les clients avec moi, pour que les clients aient confiance, qu’ils placent les commandes en toute confiance, parce que nous ne sommes pas propriétaires des fabriques, et que les clients doivent me faire confiance et être convaincus que je suis en mesure d’assurer un suivi des commandes en Chine. Si un Chinois participe, cela les met tout de suite en confiance. Donc, cela m’a nui qu’il ne soit pas ici. (DCT, à la page 821)

 

La raison pour laquelle il aurait été bon que le demandeur principal se rende au Canada plus souvent était que cela permettrait de rassurer les clients de 2727056 quant à sa capacité d’assurer le suivi de leurs commandes en Chine. Ainsi, la SAI pouvait raisonnablement conclure que les activités qu’il menait pour le compte de 2727056 au Canada étaient secondaires aux activités réalisées pour le compte de l’entreprise en Chine. La conclusion selon laquelle on ne peut en penser que l’affectation du demandeur principal en Chine était temporaire ou que le centre de gravité de l’emploi pourrait se déplacer de la Chine au Canada dans l’avenir fait partie des issues possibles acceptables.

 

[60]           En outre, étant donné que les problèmes survenus n’ont pas suffi à convaincre le demandeur principal de venir plus souvent au Canada, la SAI pouvait raisonnablement conclure que le lien d’emploi avec 2727056 ne permettait pas de penser que le demandeur principal travaillerait un jour pour l’entreprise au Canada.

 

[61]           Dans les circonstances, il serait raisonnable de conclure que, si le demandeur principal entretenait un certain lien avec une entreprise au Canada, i) il était essentiellement l’agent de 2727056 et de ses clients en Chine; ii) son affectation en Chine n’était pas temporaire; iii) il n’était pas susceptible de travailler pour l’entreprise au Canada à l’avenir.

 

(3) L’analyse des motifs d’ordre humanitaire était‑elle raisonnable?

 

[62]           Le résultat de l’analyse des motifs d’ordre humanitaire fait partie des issues possibles acceptables. La SAI a appliqué les facteurs appropriés, et il n’appartient pas à la Cour d’intervenir parce que les demandeurs ne sont pas « satisfait[s] de la manière selon laquelle la SAI a évalué » ces facteurs (Ikhuiwu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 35, au paragraphe 32).

 

[63]           Premièrement, la conclusion de la SAI voulant que « les trois appelants n’ont pas démontré qu’ils ont amélioré leur connaissance des langues officielles du Canada » (décision de la SAI, au paragraphe 55), sachant que le demandeur principal connaît bien la langue anglaise (DCT, à la page 797), ne rend pas la décision déraisonnable. Cette conclusion n’était pas déterminante. Comme l’a souligné le juge Luc Martineau dans Abid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 483, les cours doivent examiner le caractère raisonnable d’une décision dans son ensemble, et les erreurs doivent être déterminantes pour que cela entache la décision (au paragraphe 22).

 

[64]           Deuxièmement, bien que la SAI ait tiré une conclusion concernant la probabilité que le fils reste au Canada, à défaut d’éléments de preuve, cette conclusion de fait n’était pas déterminante dans la décision elle non plus, et elle ne peut être déterminante dans le présent contrôle judiciaire.

 

[65]           Troisièmement, il était raisonnable de conclure que l’objectif de réunification au Canada au sens de l’alinéa 3(1)d) de la LIPR était un facteur neutre. La SAI pouvait raisonnablement considérer que ce facteur était non pertinent, étant donné que les demandeurs n’ont pas affiché la volonté ferme de se réunir au Canada durant la période quinquennale, que leur degré d’établissement au Canada était négligeable, et que le seul membre de la famille qui vivait au Canada leur rendait visite tous les ans en Chine. Dans Angeles c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1257, 262 FTR 41, le juge Noël a jugé que la SAI pouvait, aux fins de l’examen du facteur de la réunification, prendre en considération l’intention du demandeur de réunifier sa famille au Canada, le fait qu’il n’a pas pris de mesures pour réunifier sa famille au Canada, et le degré d’établissement au Canada (au paragraphe 14).

 

[66]           La Cour ajoute que, si le degré d’établissement était un facteur favorable pour les demandeurs, il ne s’agissait pas d’un facteur déterminant (Abedin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1197, au paragraphe 12).

 

[67]           Quatrièmement, les investissements du demandeur principal au Canada constituent un facteur favorable, mais ils ne suffisent pas pour qu’il soit passé outre au non‑respect de l’obligation de résidence (Shaath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 731, [2010] 3 RCF 117, aux paragraphes 21 et 53).

 

[68]           Cinquièmement, il était raisonnable de conclure que la preuve concernant la maladie et le décès de la belle‑mère ne suffisait pas pour qu’il soit passé outre au manquement à l’obligation de résidence. Les demandeurs ont quitté le Canada huit jours après leur arrivée au pays, le 11 février 2005, et plus de deux mois avant que la belle‑mère tombe malade, en mai 2005. Il serait donc raisonnable de conclure que la maladie de la belle‑mère n’a pas précipité leur départ. Le fait que l’épouse du demandeur principal a travaillé pour le même employeur sans interruption de 1986 à 2010, le fait que la fille est retournée à la même école qu’elle fréquentait en Chine avant de venir au Canada, et le fait que les demandeurs sont retournés vivre dans le même appartement qu’ils occupaient en Chine avant de venir au Canada (DCT, à la page 812) appuient également cette conclusion. La Cour admet que, dans la culture chinoise, on s’attend à ce que les enfants prennent soin de leurs parents malades, mais cela expliquerait seulement pourquoi l’épouse du demandeur principal devait rester en Chine, et non pourquoi le demandeur principal, en dépit du fait qu’il se sentait coupable de [traduction] « laisser tout le travail » à sa femme (DCT, à la page 807), ne s’est pas trouvé plus de 38 jours au Canada au cours de la période quinquennale et n’a pas pris de mesures pour s’établir davantage au Canada. Enfin, bien qu’il eût été déraisonnable de contraindre les demandeurs à rentrer au Canada immédiatement après le décès de la belle‑mère, il n’était pas déraisonnable d’exiger du demandeur principal qu’il prenne des mesures pour que sa famille vienne s’installer au Canada au cours des 10 mois qui ont suivi.

 

(4) Selon la loi et la jurisprudence, l’analyse et la conclusion de la SAI étaient‑elles raisonnables compte tenu de la recommandation des parties?

 

[69]           L’analyse et la conclusion de la SAI étaient raisonnables compte tenu de la loi et de la jurisprudence.

 

[70]           La conclusion est raisonnable. Même s’il ne s’agit pas nécessairement de la conclusion qui aurait pu être faite par ailleurs, il reste qu’elle est raisonnable, et il s’agit de la norme de preuve (Dunsmuir, précité).

 

[71]           L’instruction d’appels interjetés à l’égard de décisions prises à l’extérieur du Canada concernant l’obligation de résidence des demandeurs relève de la compétence de la SAI au titre des articles 62 et 66 et du paragraphe 63(4) de la LIPR. La SAI doit cependant, dans ce cas, expliquer sa décision, ce qu’elle a fait.

 

[72]           Autrement, la SAI ne pourrait interpréter la loi et la jurisprudence d’une manière qui respecte l’intention des pouvoirs législatif et exécutif, ce qui compromettrait les deux pouvoirs à long terme; le pouvoir judiciaire ne peut qu’interpréter; il n’a pas à substituer son opinion à celle de la SAI si cette opinion est en soi raisonnable.

 

IX. Conclusion

[73]           Pour tous ces motifs, la Cour, s’appuyant sur l’analyse présentée ci‑dessus, souscrit aux arguments présentés oralement et par écrit du défendeur devant la Cour fédérale. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est donc rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée et il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

Opinion incidente

Un programme spécial permettrait d’éviter les situations où des entreprises canadiennes qui ne sont plus importantes ou présentes dans certains secteurs puissent créer ou établir des bureaux de leurs entreprises canadiennes à l’étranger à cette fin. (Voir le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation pour son intention, tel que cela pourrait s’appliquer au contrat conclu avec la personne travaillant à l’étranger.)

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Geneviève Tremblay, trad.a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8005-12

 

INTITULÉ :                                      TING JUN XI ET WANG XUE ET QIAN WEN XI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 10 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Shore

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 18 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stephen J. Fogarty

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Daniel Latulippe

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Étude légale Fogarty

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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