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Date : 20130715

Dossier : T-145-13

Référence : 2013 CF 789

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 15 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

Entre :

 

HUI YING FAN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie de l’appel d’une décision d’un juge de la citoyenneté [le juge] fondé sur le paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C 29 [la Loi] et sur l’article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Le juge a rejeté la demande de citoyenneté de la demanderesse en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

 

I.          Les faits et la décision visée par l’appel

[2]               La demanderesse a obtenu le droit d’établissement le 24 septembre 2005 et a présenté une demande de citoyenneté le 6 juin 2010.

 

[3]               La présence effective de la demanderesse était en cause. Afin de satisfaire à l’exigence de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, la demanderesse était tenue de présenter des documents étayant sa présence pendant au moins 1 095 jours sur une période de quatre ans.

 

[4]               La demanderesse a déclaré 249 jours d’absence du Canada dans son formulaire de demande, lesquels, selon un nouveau calcul, se sont élevés à 273 jours, représentant une présence effective au Canada de 1 187 jours.

 

[5]               Une audience a eu lieu le 23 mai 2012 et le juge a demandé à la demanderesse de fournir des documents supplémentaires dans les 30 jours de l’audience, soit au plus tard le 25 juin 2012. Parmi les documents demandés, mentionnons les dossiers de facturation du ministère de la Santé du 1er janvier 2006 jusqu’à maintenant, un relevé des déplacements de la Chine à compter du 24 septembre 2005 jusqu’à maintenant, un relevé des déplacements des États-Unis du 24 septembre 2005 jusqu’à maintenant, les relevés scolaires de ses deux enfants du 24 septembre 2005 jusqu’à maintenant, les baux du 1er octobre 2005 jusqu’à maintenant et une preuve détaillée de paiement.

 

[6]               Dans la décision qu’il a rendue le 23 juillet 2012, mais qui n’a été communiquée que le 14 décembre de la même année, le juge a indiqué que le fardeau de preuve reposait entièrement sur la demanderesse et que celle-ci n’avait pas fourni tous les documents supplémentaires demandés. Le juge a conclu que les documents qui n’avaient pas été fournis étaient essentiels, car les documents présentés n’étaient pas utiles pour établir la présence effective de la demanderesse au Canada. Le relevé des versements du ministère de la Santé n’indiquait que quelques dates d’utilisation jusqu’au 15 novembre 2007 et les bulletins scolaires des enfants de la demanderesse s’arrêtaient au 20 juin 2008.

 

[7]               Par conséquent, le juge a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle avait satisfait à l’exigence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

[8]               Le juge a également indiqué qu’avant de décider de rejeter la demande de la demanderesse, il avait, conformément au paragraphe 15(1) de la Loi, examiné la possibilité de faire une recommandation favorable en vertu du paragraphe 5(4) de la Loi. Il a décidé de ne pas faire une telle recommandation parce qu’elle n’était pas justifiée par une quelconque nécessité de remédier à une situation particulière de détresse et inhabituelle ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada.

 

[9]               Dans sa décision, le juge a ajouté que les renseignements reçus après la date de la décision du 23 juillet 2012 n’avaient pas été pris en compte.

 

II.        Observations de la demanderesse

[10]           La demanderesse soutient qu’elle a fourni des documents pour montrer ses antécédents de voyages du Canada à la République populaire de Chine et aux États-Unis. Le dossier certifié du tribunal [le DCT] contient ses antécédents de voyage de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] et ses antécédents de voyage de la Chine.

 

[11]           Les Custom and Borders Services des États-Unis ont envoyé à la demanderesse un avis indiquant que sa demande de documents était refusée et il lui était enjoint de fournir d’autres documents.

 

[12]           Le 28 mai 2012, le 6 juin 2012 et le 9 juillet 2012, la demanderesse a présenté au juge trois demandes de prorogation de délai pour fournir les documents pertinents. Aucune décision n’a été prise en réponse aux demandes, sauf que le juge a indiqué dans sa décision que les éléments de preuve soumis jusqu’au 23 juillet 2012 avaient été pris en compte. La demanderesse soutient qu’à chaque occasion le défendeur a acquiescé à sa demande et pris note de la demande de prorogation de délai pour fournir les documents. Le DCT ne contient toutefois aucun élément de preuve à l’appui de cette allégation.

 

[13]           Comme je l’ai mentionné plus tôt, la demanderesse n’a été informée de la décision qu’après sa mise à la poste le 14 décembre 2012.

 

[14]           La demanderesse soutient que le défendeur a reçu ses antécédents de voyage des États‑Unis le 4 octobre 2012 et qu’ils n’ont pas été pris en compte, puisque le juge a déclaré dans un post-scriptum qu’il n’avait pas tenu compte des documents reçus après le 23 juillet 2012.  

 

[15]           La demanderesse fait valoir que le juge est tenu de prendre en compte tous les documents reçus avant la décision et non la date que l’agent décide d’inscrire dans le dossier. En outre, la demanderesse soutient qu’une décision n’a pas été prise jusqu’à ce qu’elle soit communiquée aux parties.

 

[16]           La demanderesse soutient également que le juge n’a tenu compte ni de la lettre du 29 mai 2012 de l’école de son aîné, indiquant que son fils mineur avait fréquenté cette école à temps plein du 4 septembre 2007 au 30 juin 2011, ni d’une lettre de l’Université de Toronto indiquant que le fils de la demanderesse était un étudiant à temps plein dans cet établissement. La demanderesse a de plus mentionné dans sa lettre du 28 mai 2012 que l’école de son cadet n’avait pas collaboré pour répondre à sa demande de lui fournir les dossiers de présence de son fils, de sorte qu’elle a pu n’en présenter que quelques-uns. Le juge a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni les dossiers de présence de ses enfants mineurs et ne mentionne aucunement les documents présentés pour les remplacer ni l’explication que lui a fournie la demanderesse.

 

[17]           La demanderesse fait en outre valoir que le juge a commis un manquement à l’équité procédurale. Étant donné que les tampons de sortie des autorités chinoises dans son passeport correspondent aux entrées au Canada et qu’il n’y a aucun séjour illimité, la preuve montre à première vue que la demanderesse était effectivement présente au Canada pendant la période exigée. En conséquence, le juge a pu prendre la décision qu’il a prise seulement si le passeport de la demanderesse et les tampons qu’il contenait n’étaient pas réputés crédibles. Le juge était donc tenu de partager ces réserves avec la demanderesse avant de refuser la demande de citoyenneté. 

 

III.       Observations du défendeur

[18]           Le défendeur soutient que la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de prouver qu’elle était au Canada pendant le nombre de jours requis. La demanderesse avoue qu’elle n’a pas été en mesure de fournir tous les documents que le juge avait demandés. Le juge estimait que ces documents étaient essentiels et cruciaux pour prendre une décision éclairée et que les documents supplémentaires présentés n’aidaient pas à confirmer la déclaration de présence effective. Enfin, le juge a indiqué de façon précise que le relevé de versements du ministère de la Santé ne comptait que quelques dates d’utilisation qui ne dépassaient pas le 15 novembre 2007 et que la demanderesse n’avait fourni aucun bulletin scolaire de son enfant mineur après juin 2008.

 

[19]           L’évaluation de la preuve relève des connaissances et de l’expertise du juge. La demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de déposer une demande complète et exacte indiquant le bon nombre d’absences du Canada.

 

[20]           Le défendeur soutient qu’il faut garder à l’esprit que la citoyenneté canadienne n’est pas interdite à la demanderesse puisqu’il lui est loisible de présenter une autre demande de citoyenneté une fois qu’elle aura satisfait aux exigences prévues par la Loi.

 

[21]           Le défendeur fait de plus valoir que malgré l’argument de la demanderesse, elle savait pertinemment bien que le juge avait des réserves quant à son allégation selon laquelle elle satisfaisait aux exigences de résidence, car cela était la seule raison pour laquelle il pouvait demander des documents supplémentaires. En outre, même si elle a demandé trois prorogations de délai pour fournir des documents, elle a quand même été incapable de tous les fournir. Le juge n’avait aucune obligation d’informer la demanderesse de ses réserves persistantes après avoir examiné les documents présentés. Par conséquent, aucun manquement à l’équité procédurale n’a été commis.

 

[22]           Enfin, le défendeur déclare que le juge a rendu sa décision le 23 juillet 2012 et qu’aucun manquement à l’équité procédurale n’a été commis du fait que les documents soumis après cette date n’ont pas été pris en compte : il arrive un moment où une décision doit être rendue et le juge a rendu sa décision après la dernière prorogation de délai demandée par la demanderesse. Si la demanderesse souhaitait une autre prorogation de délai ou voulait que le juge tienne compte de documents supplémentaires, elle aurait dû demander un nouvel examen de la décision. Elle ne l’a cependant pas fait.

 

IV.       Questions en litige

1. Le juge a-t-il omis d’examiner des éléments de preuve pertinents présentés?

 

2. Le juge a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale en n’avisant pas la demanderesse des questions au sujet desquelles il avait des réserves et qui influenceraient sa décision, ne lui accordant pas ainsi l’occasion d’y répondre?

 

V.        Norme de contrôle

[23]           La norme de la décision correcte s’applique aux deux questions puisqu’elles soulèvent des questions d’équité procédurale (SCFP c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29 , [2003] 1 RCS 539).

 

VI.       Analyse

A.   Le juge a-t-il omis d’examiner des éléments de preuve pertinents présentés?

[24]           En ce qui concerne les éléments de preuve présentés le 4 octobre 2012, le juge n’a commis aucune erreur en les rejetant. La Cour a reconnu que le juge est uniquement tenu de prendre en compte les documents présentés avant que la décision ne soit rendue (Muhammad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 155 FTR 109, 47 Imm LR (2d) 239, au paragraphe 23; Chandpuri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 12 Imm LR (3d) 98, [2000] ACF no 1850, au paragraphe 7).

 

[25]           Comme le juge l’a indiqué dans sa lettre et comme le montre l’avis au ministre suivant l’article 5 de la Loi, le juge a rendu sa décision le 23 juillet 2012 et celle-ci a été envoyée à la demanderesse en décembre. Il aurait certes été préférable d’aviser la demanderesse de la décision défavorable le plus tôt possible, mais il n’en reste pas moins que la décision a été rendue le 23 juillet 2012. La demanderesse avait alors la possibilité d’en appeler de la décision du juge devant la Cour en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi.

 

[26]           En conséquence, tout document reçu après le 23 juillet 2012 ne devait pas être pris en compte et le juge n’a commis aucun manquement à l’équité procédurale en n’examinant que les documents présentés avant de rendre sa décision.

 

[27]           En outre, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve montrant qu’une prorogation de délai a été accordée à la demanderesse pour déposer les documents supplémentaires, sauf l’élément de preuve indiquant que le juge a informé la demanderesse qu’il avait pris en compte les éléments de preuve présentés jusqu’au 23 juillet 2012.

 

[28]           La Cour ne peut accepter l’argument de la demanderesse portant qu’il ressort de la décision que le juge n’a pas pris en compte des éléments de preuve pertinents, par exemple la lettre de l’école de son fils aîné et celle de l’Université de Toronto, et qu’il aurait dû tenir compte de son explication selon laquelle l’école de son cadet n’avait pas collaboré concernant sa demande des dossiers de présence de son fils.

 

[29]           Le juge disposait de tous ces éléments de preuve et il est donc présumé en avoir tenu compte (Cheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2000) 97 ACWS (3d) 393, 2000 CarswellNat 21, au paragraphe 174; Kwan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 738, 107 ACWS (3d) 21, au paragraphe 26). Il a indiqué de façon précise que le relevé de versements du ministère de la Santé ne contenait que quelques dates d’utilisation, le 15 novembre 2007 étant la date la plus tardive, et qu’aucun bulletin scolaire au-delà du 20 juin 2008 n’avait été présenté pour les enfants de la demanderesse. Ces éléments n’appuient pas la déclaration de la demanderesse selon laquelle elle avait été effectivement présente au Canada pendant une période de 1 095 jours durant les quatre années précédant sa demande de citoyenneté. Il était loisible au juge de conclure que compte tenu de ce qui précède, la preuve était insuffisante pour établir la présence effective de la demanderesse au Canada. Le juge a donc clairement expliqué la raison pour laquelle les éléments de preuve présentés n’étaient pas satisfaisants et il n’avait pas l’obligation d’aborder chaque élément de preuve qui lui avait été présenté.

 

B.   Le juge a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale en n’avisant pas la demanderesse des questions au sujet desquelles il avait des réserves et qui influenceraient sa décision, ne lui accordant pas ainsi l’occasion d’y répondre?

 

[30]           La demanderesse soutient que le juge ne pouvait prendre la décision qu’il a prise uniquement à la condition qu’il ne juge pas crédibles son passeport et les tampons qu’il contenait. La demanderesse est donc d’avis que le juge a commis une erreur en ne l’informant pas de ses réserves concernant la crédibilité de son passeport.

 

[31]           Il ressort de la lecture de la décision que le juge a estimé que le passeport et les tampons qu’il contenait de même que les antécédents de voyages de l’ASFC et des autorités chinoises étaient, à son avis, insuffisants pour établir de façon fiable sa présence effective au Canada pendant plus de 1 095 jours et que plusieurs autres documents supplémentaires étaient nécessaires pour établir cette présence. Bien que le juge n’ait pas mis en doute la crédibilité du passeport et des autres documents de voyage, il a cependant conclu que selon la prépondérance des probabilités, il ne pouvait être établi de façon fiable que la demanderesse avait satisfait au critère de la présence effective au Canada en fonction des éléments de preuve présentés, qu’il jugeait insuffisants.

 

[32]           Contrairement à l’observation de la demanderesse selon laquelle le juge ne lui avait pas fait part de ses réserves concernant les éléments de preuve présentés, les mesures prises qui ont mené à la décision vont dans le sens contraire. En effet, à la suite de l’audience du 23 mai 2012, le juge a présenté une demande détaillée et accordé à la demanderesse jusqu’au 25 juin 2012 pour déposer des éléments de preuve supplémentaires en vue de disposer de la preuve nécessaire pour prendre une décision éclairée. Ce faisant, le juge a clairement exprimé ses réserves et voilà précisément la raison pour laquelle il a demandé plusieurs autres documents supplémentaires afin d’évaluer l’affaire de façon équitable. La demanderesse connaissait donc pleinement la preuve qu’elle devait présenter pour prouver qu’elle avait satisfait au critère de la présence effective.

 

[33]           En outre, il faut se rappeler que le fardeau incombe à la demanderesse (Shubeilat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1260, 381 FTR 63, au paragraphe 67). Elle avait l’obligation de présenter les documents demandés par le juge pour établir à sa satisfaction qu’elle avait passé plus de 1 095 jours au Canada au cours des quatre années précédant sa demande de citoyenneté. La demanderesse a présenté certains documents, mais n’a pas entièrement répondu à la demande du juge. Celui-ci ne disposait donc que d’une partie de la preuve qu’il estimait essentielle pour rendre une décision convenable. Par conséquent, le juge a rendu une décision en fonction de la preuve dont il disposait et qu’il jugeait insuffisante (Mizani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 698, 158 ACWS (3d) 879, au paragraphe 19).

 

[34]           Puisque seule la demanderesse a demandé ses dépens et compte tenu de la décision rendue, aucuns dépens ne seront adjugés.


 

JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.                  REJETTE l’appel.

 

2.                  N’ADJUGE aucuns dépens.

 

 

                                                                                                       « Simon Noël »

                                                                                     ______________________________

                                                                                                               Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                        T-145-13

 

Intitulé :                                      HUI YING FAN c le ministre

DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

Lieu de l’audience :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 10 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            le juge NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 15 juillet 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Max Chaudhary

Pour la demanderesse

 

Nimanthika Kaneira

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Max Chaudhary

Avocat

Chaudhary Law Office

North York (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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