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Date : 20130725

Dossier : IMM-11968-12

Référence : 2013 CF 817

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

 

JUTON TARAFDER

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agent d’immigration (l’agent) le 25 septembre 2012. Ce dernier a rejeté la demande du demandeur visant à obtenir une dispense de l’application de la Loi pour des raisons d’ordre humanitaire, afin que sa demande de résidence permanente soit traitée depuis le Canada.   

 

Faits

[2]               Monsieur Juton Tarafder (le demandeur) est un citoyen du Bangladesh et membre de la minorité hindoue. Le père du demandeur a été tué par un groupe d’extrémistes en 1994. Deux (2) des frères du demandeur ont reçu des menaces après cet incident et ont quitté le Bangladesh pour venir au Canada, où ils habitent aujourd’hui. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié leur a accordé le statut de réfugié (dossier du demandeur, affidavit de Juton Tarafder, aux pages 22 et 23). La mère et l’autre frère du demandeur sont toujours au Bangladesh (dossier du demandeur, à la page 54).

 

[3]               En 1997, le demandeur est devenu actif au sein de la communauté hindoue. Il est devenu un membre du Hindu Buddhist Christian Unity Council à Srimongal (Bangladesh), a participé aux affaires religieuses et culturelles et a manifesté son opposition lors des attaques contre la minorité hindoue. Le demandeur prétend que cette allégeance lui fait toujours croire qu’il serait victime de persécution au Bangladesh (dossier du demandeur, affidavit de Juton Tarafder, aux pages 22 et 23). 

 

[4]               Le demandeur est arrivé au Canada le 6 mai 2004. Il a demandé l’asile, mais sa demande a été refusée en août 2006 (dossier du défendeur, affidavit de Josée Pelletier, pièce « A », aux pages 16 à 22). Le demandeur a soulevé les allégations suivantes devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) : i) il est un membre de la minorité hindoue au Bangladesh; ii) son père a été tué par des extrémistes en 1994; iii) ses deux (2) frères aînés ont dû quitter le pays parce qu’ils étaient victimes de persécution et de torture; iv) il a joint les rangs du Hindu Buddhist Christian Unity Council en 1997; et v) il a été persécuté entre 1997 et 2004 en raison de ses activités religieuses et sociales. La CISR a conclu que le demandeur n’était pas crédible (dossier du défendeur, affidavit de Josée Pelletier, pièce « A », aux pages 16 à 22). Cette conclusion était principalement fondée sur l’aveu du demandeur quant au fait qu’il a menti aux autorités canadiennes à plusieurs reprises et sur une incohérence présente dans ses observations dans lesquelles il a d’abord affirmé avoir tué entre 20 et 25 personnes en 1998, et davantage dans les années suivantes. Le demandeur a ensuite nié ces allégations quand il a affirmé qu’il avait plutôt dit avoir été attaqué par un groupe de 20 à 25 extrémistes, et déposé un affidavit de son interprète à ce sujet. La CISR n’a donné aucune valeur probante à l’affidavit de l’interprète et, par conséquent, aucune valeur probante aux documents présentés par le demandeur à l’appui de sa demande. La demande visant à obtenir l’autorisation d’introduire une demande de contrôle judiciaire a été rejetée en décembre 2006 (dossier du défendeur, affidavit de Josée Pelletier, pièce « B », à la page 24).

 

[5]               Depuis son arrivée au Canada, le demandeur habite avec son frère Pulak, la femme de ce dernier et leurs deux (2) enfants, un garçon âgé de 13 ans, Pranto, et une fille de 6 ans, Protiti. Le demandeur est attaché aux enfants et il est impliqué dans leur vie quotidienne (dossier du demandeur, affidavit de Juton Tarafder, à la page 23). Il est aussi membre du Bangladesh Hindu Buddhist Christian Unity Council (BHBCUC) [Conseil pour l’unité des hindous, bouddhistes et chrétiens du Bangladesh] au Canada. Il occupe un emploi rémunéré à Montréal : il est propriétaire d’une école de conduite et copropriétaire d’une petite entreprise qui exploite un bar.

 

[6]               Le 20 août 2007, le demandeur a demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR) et la résidence permanente pour des raisons d’ordre humanitaire (dossier du demandeur, observations relatives à sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, à la page 28). Les deux demandes ont été rejetées. La décision relative à la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire fait l’objet d’un contrôle judiciaire en l’espèce.

 

Décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire

[7]               Dans une décision datée du 25 septembre 2012, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour prouver qu’il ferait probablement face à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées s’il devait quitter le Canada et a rejeté sa demande.   

 

[8]               Dans ses remarques préliminaires, l’agent a fait valoir que le demandeur avait produit des observations relatives à sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire le 27 décembre 2007, le 14 juillet 2009, le 14 juin 2010, le 30 août 2011, le 26 septembre 2011 et le 18 septembre 2012. Il a indiqué que les anciens rapports sur les conditions du Bangladesh seraient considérés comme moins probants que les versions plus récentes de ces rapports provenant de sources identiques ou similaires. L’agent a noté que, comme le demandeur avait présenté une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire en 2007, le risque qu’il allègue peut inclure des risques au sens des articles 96 et 97 de la Loi parce que la demande est antérieure aux modifications apportées à la Loi en juin 2010, excluant la prise en considération de facteurs qui sont pertinents quant aux articles 96 et 97. Enfin, l’agent a rappelé que la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire n’a pas pour objet de servir d’appel de la décision antérieure de la CISR relativement à la demande d’asile présentée par le demandeur et à sa crédibilité. Il a affirmé que, en l’absence de nouveaux éléments de preuve probants relatifs aux faits antérieurement allégués devant la CISR (activités politiques, sociales et religieuses au Bangladesh), le demandeur n’est toujours pas crédible dans le cadre de la présente demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire.

 

[9]               L’agent a d’abord pris en considération le degré d’établissement du demandeur au Canada. Il a conclu que le demandeur ne peut expliquer de façon convenable les raisons pour lesquelles il a été obligé de demeurer au Canada après qu’une décision défavorable a été rendue par la CISR en 2006. L’agent a relevé certains éléments de preuve produits par le demandeur relativement à ses actifs et à son emploi au Canada, à savoir qu’il est associé dans une entreprise québécoise (un bar) et qu’il détient et exploite une école de conduite. L’agent a conclu que les prétentions du demandeur à cet égard étaient crédibles compte tenu des documents fournis. L’agent a aussi relevé des éléments de preuve qui indiquent que le demandeur est connu à Montréal comme le seul moniteur d’auto-école bangladais de religion hindoue, mais a conclu que cela ne pouvait pas justifier une dispense des obligations de la Loi. Il a ajouté que le demandeur n’avait pas démontré comment son départ du Canada pourrait lui causer des difficultés démesurées, comme par exemple, en montrant que son entreprise ne serait pas rentable en son absence ou qu’il subirait des pertes financières. L’agent a également tenu compte de la preuve du demandeur quant à sa participation à la vie de la communauté. Il a conclu que les documents permettent de constater la participation du demandeur à la vie de la communauté hindoue, où il est actif et apprécié, mais ne prouvent pas qu’un départ temporaire ou permanent du Canada lui causerait des difficultés démesurées ou occasionnerait des difficultés pour d’autres personnes ou pour sa communauté au Canada, de sorte qu’une dispense des obligations de la Loi serait justifiée.  

 

[10]           L’agent a ensuite pris en considération l’intérêt supérieur des enfants qui seraient touchés par le départ du demandeur, soit son neveu, Pranto, et sa nièce, Protiti. L’agent a souligné que les documents fournis indiquent que le demandeur est impliqué dans la vie quotidienne des enfants, surtout celle de Pranto. Il a aussi souligné que les documents fournis par le demandeur montrent que Pranto est bouleversé à l’idée du départ du demandeur, mais que sa réaction émotive a évolué avec le temps. L’agent a aussi expliqué qu’à son avis le demandeur n’est pas le principal responsable des enfants, et même si c’était le cas, la preuve ne permet pas de conclure que les parents ne devraient pas ou ne pourraient pas s’occuper de leurs enfants. Selon l’agent, le demandeur n’a pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour montrer que, s’il devait quitter le Canada et que les parents devaient passer plus de temps avec leurs enfants ou trouver quelqu’un pour s’en occuper, comme une gardienne, le bien-être des enfants serait compromis de façon à porter gravement atteinte à leur intérêt.

 

[11]           L’agent a finalement procédé à l’examen des risques et des conditions au Bangladesh en ce qui concerne les membres de la minorité hindoue. Il a d’abord rappelé les allégations faites par le demandeur devant la CISR en 2006; à savoir que son père a été tué, que deux (2) de ses frères ont dû quitter le pays, qu’il a été battu pour avoir exercé ses activités religieuses et sociales, qu’il a été victime d’extorsion et que sa maison a été attaquée. Cependant, l’agent a aussi rappelé que la CISR avait conclu que le demandeur n’était pas crédible. Il a souligné les allégations que le demandeur a faites dans sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire selon lesquelles il serait sévèrement blessé ou tué puisqu’il fait partie de la minorité hindoue et qu’il a exercé des activités politiques et sociales dans le passé. L’agent a également tenu compte de l’allégation du demandeur selon laquelle l’interprète avait mal compris ses premières déclarations et de l’affirmation du demandeur selon laquelle cette incompréhension a mené à la décision défavorable de la CISR sur sa crédibilité. L’agent a conclu comme suit :  

[traduction] [E]n l’absence de nouveaux éléments de preuve probants à ce sujet, le demandeur n’est toujours pas crédible dans le cadre de la présente demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire sur ce sujet particulier et, de façon générale, en ce qui concerne les événements qui seraient survenus au Bangladesh dans le passé, sur lesquels reposent son récit à propos des menaces de mort ou de blessures au Bangladesh.

 

(dossier du Tribunal, à la page 30)

 

[12]           Selon l’agent, le demandeur tente de contester les conclusions de la CISR sur sa crédibilité, ce qui n’est pas l’objet de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire.

 

[13]           L’agent a examiné les activités politiques et sociales qu’aurait exercées le demandeur au Bangladesh, soulignant que le demandeur a allégué être victime de brutalité policière, d’extorsion et de menaces de mort avant d’arriver au Canada et avoir été détenu au Bangladesh en 1997 et en 1998. L’agent a réitéré que la CISR avait conclu que le demandeur n’était pas crédible relativement à ces faits allégués et qu’en l’absence de nouveaux éléments de preuve probants, le demandeur n’était toujours pas crédible en ce qui concerne ces allégations.

 

[14]           L’agent a examiné les lettres du BHBCUC, autant de la filiale canadienne que de la filiale bangladaise. Il a conclu qu’elles constituent une preuve probante des activités qu’exerce le demandeur au sein du BHBCUC. Cependant, il était d’avis que les lettres du BHBCUC du Bangladesh, datées du 8 mai 2007 (dossier du Tribunal, aux pages 389 et 390) et du 29 mai 2010 (dossier du Tribunal, aux pages 255 et 256), ne démontraient pas que les auteurs avaient une connaissance indépendante des activités du demandeur (qu’il était possible que ces derniers ne fissent que répéter ce que le demandeur leur avait dit), et qu’elles ne constituaient donc pas une preuve probante des activités que le demandeur aurait exercées au Bangladesh dans le passé. L’agent est arrivé à des conclusions similaires en ce qui concerne deux (2) lettres provenant du secrétaire général du BHBCUC au Canada, datées du 25 mai 2007 et du 16 septembre 2011 (dossier du Tribunal, aux pages 118, 119, 391 et 392), ainsi qu’une lettre de l’Association des Hindous du Bangladesh du Québec [Bangladesh Hindu Association of Quebec] datée du 20 mai 2007 (dossier du Tribunal, aux pages 393 et 394).

 

[15]           L’agent a fait remarquer que la lettre du BHBCUC du Canada, datée du 16 septembre 2011 (dossier du Tribunal, aux pages 118 et 119), énonce que le demandeur participe activement aux programmes du BHBCUC en sensibilisant le gouvernement canadien aux difficultés auxquelles les Hindous font face au Bangladesh, mais n’élabore sur la façon dont il a procédé, ni sur la façon dont certaines personnes ou le gouvernement du Bangladesh viendraient qu’à avoir connaissance de ces activités. Par conséquent, l’agent a conclu que le demandeur ne subirait pas de mauvais traitements graves ou ne ferait pas face à des difficultés au Bangladesh en raison des activités qu’il exerce au Canada. L’agent a conclu que cette lettre, ainsi qu’une lettre provenant de l’Association pour le bien-être des Hindous du Bangladesh [Bangladesh Hindu Welfare Association], aussi datée du 16 septembre 2011 (dossier du Tribunal, aux pages 120 et 121), constituent une preuve que le demandeur est un Hindou impliqué dans sa communauté.

 

[16]           L’agent a ensuite pris en considération la discrimination et la persécution des Hindous au Bangladesh en général. Il a d’abord rejeté une décision rendue par la CISR en 2001 qui avait été invoquée par le demandeur, dans laquelle la CISR accordait l’asile à des Hindous du Bangladesh, indiquant qu’une telle preuve datait d’il y a trop longtemps et n’avait aucune valeur probante. L’agent a examiné les rapports, depuis 2007, sur la violence et la discrimination envers les Hindous déposés par le demandeur. Dans des observations récentes, le demandeur a indiqué que malgré l’élection de la Ligue Awami (Awami League - AL) en 2008, qui est laïque et appuyée par la plupart des Hindous, les minorités sont toujours victimes de discrimination, qu’il y a toujours des conflits au sujet des terres et de la violence, et il a souligné l’inefficacité de la Commission nationale des droits de la personne au Bangladesh d’après les rapports de 2010. L’agent a examiné un document provenant du rapport annuel de la Commission des États-Unis sur la liberté religieuse [United States Commission on Internation Religious Freedom], selon lequel le gouvernement AL a réussi à diminuer la discrimination ethnique et religieuse et a amélioré la sécurité. L’agent a aussi fait état de rapports similaires provenant du Département d’État des États-Unis, datés de septembre 2011 et de septembre 2012, selon lesquels il y avait eu une baisse importante de la discrimination et des abus sociétaux. Il a également tenu compte des rapports de 2011 selon lesquels il y a toujours des problèmes avec les conflits relatifs aux terres qui touchent les Hindous, mais a affirmé que le demandeur lui-même n’a pas mentionné que lui ou sa famille était directement touché par ces problèmes.

 

[17]           L’Agent a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il était personnellement touché par des actes de discrimination graves ou des mauvais traitements en tant qu’Hindou du Bangladesh, vu son manque de crédibilité devant la CISR. Comme les rapports démontrent que les le nombre de mauvais traitements infligés aux Hindous a diminué, et comme il n’y a pas de preuve selon laquelle le demandeur a été personnellement victime d’oppression dans le passé du fait qu’il est Hindou, l’agent a conclu que [traduction] « le demandeur n’a pas démontré qu’il risquerait, maintenant ou dans un proche avenir, de subir des mauvais traitements graves parce qu’il est un Hindou du Bangladesh, de sorte que cela représenterait des difficultés démesurées » (dossier du Tribunal, à la page 34). L’agent a ajouté que la mère et le frère du demandeur, aussi Hindous, habitent toujours au Bangladesh. Selon l’agent, le demandeur n’a pas expliqué pourquoi, si sa famille au Bangladesh n’a pas éprouvé de problèmes, il risquerait d’en rencontrer.

 

[18]           La demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire a donc été refusée.

 

Questions en litige

[19]           Voici les questions qui sont soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire :  

a.             L’agent a-t-il violé les principes d’équité procédurale en ne tenant pas une entrevue?

b.            L’agent a-t-il injustement minimisé l’intérêt supérieur des enfants?

c.             L’agent a-t-il appliqué le mauvais critère juridique dans l’évaluation des difficultés dans le cadre de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire?

d.            L’agent a-t-il examiné les facteurs relatifs aux raisons d’ordre humanitaire séparément, omettant ainsi de faire une évaluation globale?

 

Dispositions législatives

[20]           Les dispositions pertinentes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui étaient en vigueur au moment où le demandeur a présenté sa demande en 2007 étaient libellées de la façon suivante :

PARTIE 1

 

IMMIGRATION AU CANADA

 

Section 1

 

Formalités préalables à l'entrée et sélection

 

 

 

Formalités préalables à l’entrée

 

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

[...]

 

 

 

Section 3

 

Entrée et séjour au Canada

 

 

[...]

 

Statut et autorisation d’entrer

 

 

[...]

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger – compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché – ou l’intérêt public le justifient.

PART 1

 

IMMIGRATION TO CANADA

 

Division 1

 

Requirements Before Entering Canada and Selection

 

 

Requirements Before Entering Canada

 

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

...

 

Division 3

 

Entering and Remaining in Canada

 

...

 

Status and Authorization to Enter

 

...

 

Humanitarian and compassionate considerations

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

Norme de contrôle

[21]           La première question soulevée par le demandeur concerne l’équité procédurale. La Cour n’est pas tenue de faire preuve de retenue quant aux questions d’équité procédurale. La Cour doit déterminer si la procédure suivie par l’agent satisfait au degré d’équité exigé eu égard aux circonstances (Eshete c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 701, au paragraphe 9, [2012] ACF no 697 (QL) [Eshete]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339).

 

[22]           Les deuxième et quatrième questions concernent la décision rendue par l’agent relativement à la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire et constituent des questions mixtes de fait et de droit (c.-à-d. à savoir si l’intérêt supérieur des enfants a été bien évalué et si l’agent a tenu compte de tous les facteurs dans leur ensemble). Elles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18, [2010] 1 RCF 360). Par conséquent, la Cour n’interviendra que sur ces deux (2) questions, si le processus décisionnel n’était pas justifié, transparent et intelligible, ou si la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[23]           La troisième question soulevée par le demandeur consiste à savoir si l’agent a appliqué le mauvais critère d’examen de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. D’après la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada, lorsqu’un agent interprète sa loi constitutive, c’est la norme plus déférente de la raisonnabilité qui devrait s’appliquer, un principe qui a été examiné par la Cour dans le contexte des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire dans Diabate c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 129, aux paragraphes 11 à 17, [2013] ACF no 124 (QL) [Diabate]. Dans Diabate, la juge Gleason s’est exprimée comme suit au paragraphe 17 :

[17] L’application de la norme de la décision correcte à l’examen de la décision d’un agent concernant l’interprétation de l’article 25 de la LIPR ne s’accorde guère avec la jurisprudence récente de la Cour suprême. La LIPR est sans aucun doute la loi constitutive d’un agent d’immigration qui entreprend d’analyser les circonstances d’ordre humanitaire invoquées dans une demande de dispense. Ainsi, suivant la jurisprudence de la Cour suprême du Canada sur ce point, on serait enclin à penser que la norme de contrôle applicable au critère employé selon l’article 25 devrait être celle de la décision raisonnable. [...]

(non souligné dans l’original)

 

[24]           Certes, la Cour suprême du Canada, dans une série d’arrêts récents au sujet de la norme de contrôle (Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, [2011] 1 RCS 160, Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 RCS 471; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses]; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654; et Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 RCS 364), a donné des précisions quant à l’application de la norme de la raisonnabilité et à l’application de la norme de la décision correcte. Dans les circonstances de l’espèce, laquelle se rapporte à l’interprétation qu’un agent a faite de sa propre loi — c.-à-d. l’article 25 de la LIPR, les enseignements de la Cour suprême du Canada indiquent que la norme de la raisonnabilité devrait s’appliquer.   

 

Arguments

[25]           Les parties ont déposé des observations écrites détaillées.   

 

Les arguments du demandeur

[26]           Le demandeur prétend que, quand un agent tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité, il devrait donner au demandeur l’occasion de dissiper ses doutes (Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 RCS 177, 17 DLR (4th) 422). Le demandeur invoque l’affaire Duka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1071, 92 Imm LR (3d) 255 [Duka], comme exemple d’un cas où un agent chargé de se prononcer sur une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire aurait dû tenir une entrevue en raison de ses doutes sur la crédibilité du demandeur. Le demandeur prétend également qu’il s’agit d’un cas où des conclusions défavorables quant à la crédibilité se cachent derrière des conclusions d’insuffisance de preuve (citant Haji c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 889, 83 Imm LR (3d) 208; et Latifi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1388, 58 Imm LR (3d) 118). Le demandeur soutient que, même lorsque l’obligation d’équité se situe à l’extrémité inférieure du continuum, il peut y avoir violation des principes de justice naturelle si aucune entrevue n’est tenue lorsque l’agent a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements, contrairement à des doutes qui découlent des exigences de la loi (Cishahayo c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 1237, au paragraphe 24, [2012] ACF no 1354 (QL); Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501).

 

[27]           Le demandeur soutient qu’il a déposé plusieurs documents du BHBCUC selon lesquels il était un membre actif de l’organisation, autant au Canada qu’au Bangladesh, et qu’il était victime de persécution au Bangladesh. Selon lui, en rejetant ces lettres comme preuve probante de ses activités au Bangladesh, l’agent a démontré qu’il était convaincu que le demandeur n’était pas crédible. Par conséquent, l’agent se serait fondé sur une conclusion d’insuffisance de la preuve comme prétexte pour justifier une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Le demandeur affirme en outre que l’agent avait tort de conclure que les raisons pour lesquelles ses frères ont été reconnus comme des réfugiés au Canada n’étaient pas précisées puisque ses frères ont expliqué dans leurs déclarations sous serment avoir été victimes de persécution au Bangladesh.

 

[28]           Toujours selon le demandeur, le défendeur veut, à tort, démontrer que les conclusions de la CISR sur la crédibilité constituent une entrave au pouvoir discrétionnaire de l’agent chargé d’examiner les raisons d’ordre humanitaire. Le demandeur souligne également que dans l’affaire Monteiro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1322, au paragraphe 12, [2006] ACF no 1662 (QL) [Monteiro], la Cour a affirmé que les agents ne sont pas liés par les conclusions de la CISR.

 

[29]           Le demandeur ajoute que l’agent a injustement minimisé l’intérêt supérieur des enfants. Il rappelle que l’agent doit être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant touché par la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Le demandeur se fonde sur l’affaire Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 166, aux paragraphes 63 à 65, [2012] ACF no 184 (QL) [Williams], pour indiquer que l’agent aurait d’abord dû déterminer en quoi consistait l’intérêt supérieur de l’enfant, en se plaçant du point de vue l’enfant, puis, jusqu’à quel point l’intérêt de l’enfant est compromis par une décision éventuelle par rapport à une autre, et, enfin, le poids qu’il convient d’attribuer à ce facteur dans le cadre de l’analyse. Selon le demandeur, l’évaluation que l’agent a faite de l’intérêt supérieur des enfants ne saurait être retenue pour deux (2) raisons : l’agent a minimisé l’intérêt supérieur des enfants en laissant sous-entendre qu’ils n’allaient pas faire face à des difficultés suffisantes pour justifier la dispense, et 2) l’agent n’as pas soupesé ce facteur avec les facteurs de difficultés en l’espèce, bien qu’il ait explicitement reconnu que l’intérêt supérieur des enfants peut être servi par la présence du demandeur au Canada (Mangru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 779, au paragraphe 27, 2 Imm LR (4th) 105).  

 

[30]           Le demandeur prétend également que l’agent a appliqué le mauvais critère juridique pour évaluer les difficultés dans le cadre de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Selon le demandeur, l’agent a clairement exigé qu’il démontre un risque personnel et a conclu qu’il n’y était pas arrivé. Le demandeur soutient que ce critère n’était pas adéquat et que l’agent n’a pas tenu compte du fait que le critère applicable aux difficultés dans une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire est différent de celui applicable au risque personnel dans un ERAR (Walcott c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 415, au paragraphe 60, 98 Imm LR (3d) 216; Shah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1269, aux paragraphes 72 et 73, 399 FTR 146; Sahota c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 651, aux paragraphes 7 et 8, [2007] ACF no 882 (QL)). Le demandeur prétend que, même si sa demande est antérieure aux modifications de la Loi, c’est une erreur de droit de substituer une évaluation du risque personnel à l’analyse des difficultés dans une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Il cite l’affaire Diabate, précitée, pour expliquer que le fait d’imposer une telle analyse irait à l’encontre de l’objet de l’article 25 et reviendrait à dépouiller l’article de sa fonction. Le demandeur soutient que l’analyse faite par l’agent n’est pas justifiée simplement en énonçant le bon critère applicable aux demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire dans la conclusion. Le demandeur rappelle également que les agents qui se prononcent à la fois sur les demandes d’ERAR et sur les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire devraient faire attention de ne pas confondre les deux (2) analyses distinctes exigées par ces procédures (Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1404, au paragraphe 46 à 48, 304 FTR 136).

 

[31]           Enfin, le demandeur prétend que l’agent a commis une erreur en examinant les facteurs relatifs aux raisons d’ordre humanitaire séparément plutôt que globalement, comme le prescrit le guide IP 5 —Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Il ajoute que l’agent a conclu qu’il était indépendant sur les plans professionnel et financier, qu’il était impliqué et apprécié dans sa communauté au Canada et qu’il pourrait être dans l’intérêt supérieur des enfants qu’il reste au Canada, mais que l’agent n’a pas apprécié ces éléments positifs globalement, étant d’avis que chacun de cet élément pris séparément était insuffisant pour lui accorder la dispense d’application de la Loi au regard des raisons d’ordre humanitaire.

 

Arguments du défendeur

[32]           S’agissant de l’entrevue, le défendeur prétend qu’il n’était pas nécessaire d’en tenir une en l’espèce. Il affirme que l’agent a conclu que le demandeur n’était pas crédible seulement en ce qui trait à ses allégations selon lesquelles il était exposé à un risque au Bangladesh parce qu’il faisait partie de la minorité hindoue, mais que l’agent croyait toutes ses autres allégations. Selon le défendeur, en l’absence d’une preuve probante réfutant les conclusions de la CISR quant à la crédibilité, l’agent pouvait raisonnablement rejeter les allégations de risque que la CISR avait déjà rejetées (Monteiro, précitée, au paragraphe 16). Le défendeur rappelle que le demandeur ne pouvait légitimement s’attendre à être interrogé et ne pouvait pas se fonder sur une entrevue pour rétablir sa crédibilité (citant Owusu, précité, au paragraphe 8). De plus, le défendeur prétend qu’il n’est pas nécessaire qu’une audience soit tenue du seul fait que le demandeur est jugé non crédible (Monteiro, précitée, au paragraphe 17).

 

[33]           Le défendeur prétend également que la Cour a établi une distinction avec l’affaire Duka, précitée, invoquée par le demandeur, dans Leonce c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 831, [2011] ACF no 1033 (QL) [Leonce], et que cette distinction s’applique aussi en l’espèce. Dans Duka, précitée, la demanderesse avait affirmé, pour la première fois dans sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, qu’elle craignait être victime de violence familiale et a produit des éléments de preuve à cet égard. Elle n’avait pas allégué ce risque devant les autorités de l’immigration lors de son arrivée, ni devant la CISR. Le défendeur soutient que la présente affaire est bien différente puisque le demandeur réitère simplement les mêmes allégations de risques qu’il avait avancées devant la CISR.

 

[34]           Selon le défendeur, la preuve produite par le demandeur (les lettres du BHBCUC) ne corrobore pas la persécution qu’il a subie au Bangladesh par le passé parce que les lettres n’indiquent pas si les auteurs sont personnellement au courant de l’histoire du demandeur. Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles il serait déraisonnable de ne pas accorder une valeur probante à ces documents, qui n’attestent pas la connaissance personnelle des événements qui y sont allégués. Le défendeur affirme aussi que, quoi qu’il en soit, ces documents visent à appuyer une histoire que la CISR ne croyait pas. Il ajoute que l’agent ne pouvait pas réévaluer la crédibilité du demandeur (Herrada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1003, au paragraphe 37 à 39, [2006] ACF no 1274 (QL)). Comme le demandeur n’a présenté aucune preuve probante qui laisse planer un doute sur les conclusions de la CISR quant à la crédibilité, le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour l’agent de se fonder sur ces conclusions, et que l’équité procédurale n’exigeait pas une entrevue.  

 

[35]           S’agissant de la deuxième question, celle de l’intérêt supérieur des enfants, le défendeur prétend que l’agent a examiné ce facteur très attentivement. Il affirme que l’agent était réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur du neveu et de la nièce du demandeur, mais que ce facteur n’est que l’un des nombreux facteurs à prendre en considération (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193; Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 CF 358). Selon le défendeur, l’agent a raisonnablement conclu que les enfants seraient tristes si le demandeur devait quitter le Canada, mais que cela ne suffisait simplement pas à justifier une dispense. Il soutient que l’agent a souligné, à juste titre, que les enfants ne seraient pas laissés à eux-mêmes si le demandeur devait quitter le Canda. Le défendeur prétend aussi que l’analyse de l’agent quant à l’intérêt supérieur des enfants s’étend sur presque trois (3) pages de sa décision, et qu’il s’agit manifestement d’une affaire où l’intérêt des enfants a été évalué équitablement.

 

[36]           S’agissant de la troisième question, celle de l’évaluation des difficultés faite par l’agent, le défendeur rappelle d’abord que, comme le demandeur a déposé sa demande avant le 29 juin 2010, l’agent a eu raison de tenir compte des risques visés aux articles 96 et 97, conformément à la section 5.9 du guide IP 5, laquelle prévoit que « [l]’examen des demandes reçues avant le 29 juin 2010 continuera d’inclure les risques visés aux articles 96 et 97 de la LIPR ». Selon le défendeur, l’analyse de l’agent quant aux difficultés auxquelles le demandeur ferait face comporte trois (3) volets : 1) le demandeur n’a pas démontré que le simple fait d’être membre de la minorité hindoue indique qu’il ferait face à des difficultés inhabituelles, injustifiées et démesurées au Bangladesh; 2) rien dans la présente ne permet de penser que les persécuteurs éventuels au Bangladesh sont au courant des activités du demandeur au Canada; et 3) les allégations du demandeur au sujet des événements antérieurs à son arrivée au Canada ne sont pas crédibles, et par conséquent, ne peuvent pas prouver que le demandeur ferait face à des difficultés s’il retournait au Bangladesh. Le défendeur fait remarquer que le demandeur conteste seulement la troisième conclusion, mais que malgré ses arguments, il demeure évident que l’agent n’a pas fait une analyse fondée sur les risques au lieu d’une analyse fondée sur les difficultés. Selon le défendeur, rien dans les motifs de l’agent ne démontre qu’il demandait au demandeur de démontrer qu’il satisfaisait aux exigences des articles 96 ou 97 de la Loi. Le demandeur devait plutôt prouver qu’il ferait face à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées et il n’y est pas arrivé.

 

[37]           Enfin, s’agissant de la quatrième et dernière question, soit celle de l’évaluation globale, le défendeur fait remarquer que l’agent a divisé son examen des différents facteurs en plusieurs sous-titres et a conclu qu’aucun ne suffisait à justifier une dispense. Le défendeur prétend qu’une phrase « passe-partout » portant sur l’évaluation globale des difficultés aurait pu rendre le raisonnement de l’agent plus clair, mais que l’absence d’une telle phrase ne crée pas une présomption selon laquelle il a commis une erreur à cet égard.

 

Analyse

a. L’agent a-t-il violé les principes d’équité procédurale en ne tenant pas une entrevue?

[38]           Le demandeur prétend que l’agent aurait dû le convoquer à une entrevue puisqu’une bonne partie de sa décision était fondée sur des questions de crédibilité. La Cour ne peut pas souscrire au point de vue du demandeur. Les faits de l’affaire Duka, précitée, que le demandeur a invoquée, diffèrent de ceux de l’espèce. Dans Duka, la demanderesse avait fait valoir, pour la première fois dans sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, l’existence d’un risque de violence familiale. En l’espèce, le demandeur réitère simplement les risques qui avaient déjà été examinés par la CISR, laquelle avait conclu que le demandeur n’était pas crédible. Une distinction semblable a été établie dans l’affaire Leonce, précitée, comme le défendeur l’a fait remarquer à juste titre. De plus, dans Duka, précitée, la question de la crédibilité était au cœur de la décision de l’agent. En l’espèce, la crédibilité du demandeur était une question que la CISR avait déjà tranchée en fonction d’un seul facteur : ses activités sociales et politiques antérieures au Bangladesh. La crédibilité n’était pas en litige relativement aux autres facteurs et aux autres allégations faites par le demandeur dans sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, que l’agent a jugé crédibles et dûment étayées par les documents fournis.

 

[39]           L’agent n’a pas caché ses conclusions quant à la crédibilité derrière des conclusions d’insuffisance de la preuve, comme le laisse entendre le demandeur. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas déposé suffisamment d’éléments de preuve probants pouvant lui permettre de modifier les conclusions de la CISR quant à la crédibilité. Il indique à plusieurs reprises que les lettres du BHBCUC n’expliquent pas de quelle façon les auteurs auraient eu connaissance des activités qu’aurait menées le demandeur au Bangladesh, avant de venir au Canada.

 

[40]           L’agent a suffisamment expliqué pourquoi il estime que les lettres produites par le demandeur ont peu de valeur probante en ce qui concerne les activités du demandeur et les risques allégués au Bangladesh : notamment parce qu’elles n’indiquent pas de quelle façon les auteurs auraient eu une connaissance indépendante des activités du demandeur et des difficultés alléguées. Il est possible que les auteurs racontent simplement ce que le demandeur leur aurait dit. Cette conclusion quant à l’absence de valeur probante des documents est raisonnable et ne devrait pas être modifiée. Par conséquent, il était loisible à l’agent de conclure que le demandeur [traduction] « n’est toujours pas crédible dans la présente décision fondée sur des raisons d’ordre humanitaire sur ce sujet particulier et en général en ce qui concerne les événements qui seraient survenus au Bangladesh par le passé, sur lesquels se fonde le récit du demandeur quant aux menaces de mort et de blessures dont il aurait fait l’objet au Bangladesh » (dossier du Tribunal, à la page 30; non souligné dans l’original).

 

[41]           La Cour rappelle un extrait tiré du paragraphe 12 de l’affaire Monteiro, précitée, laquelle a été invoquée par les deux parties :

[12] Il est important de noter que les demandes CH ne sont pas des appels de décisions antérieures de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). Les agents du Ministre ne sont pas liés par les conclusions de la CISR. Lorsque les éléments de preuve présentés à l’agent sont essentiellement les mêmes que ceux déposés devant la CISR, il est raisonnable pour l’agent d’en tirer les mêmes conclusions (Klais c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 783  au para. 11).

 

[42]           En l’espèce, bien que l’agent n’était pas lié par les conclusions de la CISR sur la crédibilité, il était raisonnable pour l’agent, au vu de la preuve, de tirer les mêmes conclusions. De plus, étant donné que les questions de crédibilité dans la décision fondée sur des raisons d’ordre humanitaire découlaient des mêmes éléments qui avaient été examinés dans la décision de la CISR, l’équité procédurale n’exigeait pas une entrevue en l’espèce.

 

b. L’agent a-t-il commis une erreur en minimisant l’intérêt supérieur des enfants?

[43]           La Cour estime que l’agent était réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants. Il a reconnu que les enfants étaient attachés au demandeur, qui aidait aux soins de sa nièce et de son neveu quotidiennement. Cependant, l’agent a fait remarquer à juste titre que la preuve au dossier ne permet pas de conclure que le demandeur est le principal fournisseur de soins des enfants, ou s’il l’est, que les parents des enfants (le frère du demandeur et sa mère) ne pourraient pas s’acquitter de ce rôle. Le demandeur ne devait pas démontrer qu’il était le principal fournisseur de soins des enfants et, contrairement à ce qu’il prétend, ce n’est pas ce que l’agent lui avait demandé. L’agent a plutôt souligné que les enfants ne seraient pas laissés à eux-mêmes si le demandeur quittait le Canada. Il est arrivé à la conclusion que, bien qu’il pourrait certainement être dans l’intérêt supérieur des enfants que le demandeur reste au Canada, il n’a pas été démontré que [traduction] « l’intérêt des enfants serait compromis au point où il serait justifié d’accorder une dispense d’application du Règlement sur l’immigration » (dossier du Tribunal, à la page 29).

 

[44]           Le demandeur prétend que l’agent a laissé entendre que les enfants ne « souffraient pas assez » pour justifier que le demandeur obtienne une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire, contrairement à l’analyse proposée dans Williams, précitée. La Cour ne croit pas que l’agent a adopté une démarche si déraisonnable dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants. L’agent ne se demande pas si l’enfant « souffre assez pour que l’on considère que son “intérêt supérieur” ne sera pas “respecté” » (Williams, précitée, par 64), mais il détermine plutôt en quoi consiste l’intérêt supérieur des enfants et quelles sont les conséquences d’une décision défavorable en matière de motifs d’ordre humanitaire du point de vue des enfants et du point de vue du demandeur.

 

[45]           Dans Webb c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1060, [2012] ACF no 1147 (QL), une affaire semblable à l’espèce en ce sens que l’enfant touché n’était pas l’enfant du demandeur et qu’elle allait demeurer au Canada avec ses parents peu importe la décision, le juge Mosley a fait les remarques suivantes au paragraphe 13 :   

[13] L’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant dans une affaire comme celle-ci concorde difficilement avec le type d’analyse décrite dans la décision Williams, précitée. À mon avis, la formule de Williams peut être utile pour les agents chargés d’apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant, mais les décisions faisant autorité de la Cour suprême et de la Cour d’appel fédérale ne l’ont pas rendue obligatoire. Dans la décision Williams, l’intérêt de l’enfant né au Canada dont il était question était directement et considérablement affecté par le renvoi de sa mère puisqu’il devait quitter le pays avec elle. En l’occurrence, il est probable qu’il serait dans le meilleur intérêt d’Alika que le demandeur reste au Canada. Mais il est difficile de voir comment un agent pourrait évaluer jusqu’à quel point cet intérêt serait compromis par une décision défavorable, et en tenir compte dans la pondération finale des facteurs positifs et négatifs. Comme l’affirmait la Cour d’appel dans l’extrait de l’arrêt Hawthorne, précité, reproduit plus haut, les agents d’immigration ne sont liés par aucune formule magique quand il s’agit d’exercer leur pouvoir discrétionnaire.

(souligné dans l’original)

 

[46]           La Cour est convaincue que l’évaluation de l’agent quant à l’intérêt supérieur des enfants, laquelle s’étend sur trois (3) pages, était raisonnable en l’espèce. L’agent a été attentif à la preuve relative au lien affectif que les enfants ont développé avec le demandeur, mais aussi au fait que leurs parents continueraient à s’occuper d’eux au Canada. Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce – les enfants concernés sont la nièce et le neveu du demandeur et ils habitent avec leurs parents, lesquels sont capables et désireux de s’occuper d’eux – l’évaluation de l’agent quant à l’intérêt supérieur des enfants était raisonnable.  

 

c. L’agent a-t-il appliqué le mauvais critère juridique dans l’évaluation de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire?  

 

[47]           La demande du demandeur a été déposée avant que les modifications soient apportées à l’article 25 de la Loi, selon les modifications.

 

[48]           La Cour est convaincue que l’agent a examiné les risques selon le bon critère quant aux difficultés, et comme l’un des nombreux facteurs dont il faut tenir compte.

 

[49]           La Cour a tenu les propos suivants dans le contexte d’une allégation semblable faite dans une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire dans l’affaire Webb, précitée, aux paragraphes 15 et 17 :  

[15] Le demandeur soutient que l’agente a appliqué le mauvais critère juridique pour évaluer les difficultés liées à son retour en exigeant qu’il soit personnellement touché. L’obligation d’établir un risque personnalisé n’est pertinente qu’à l’égard de l’examen des risques de renvoi. L’analyse des difficultés est plus large et c’est la situation dans le pays qu’il faut examiner pour déterminer si le demandeur se heurtera à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées en cas de renvoi.  

 

[...]

 

[17] Il ressort clairement des motifs que l’agent n’a pas évalué la menace à sa vie, le risque de torture ou encore le risque de traitement inusité, comme s’il s’agissait d’une analyse des risques avant renvoi. Pour établir l’existence des difficultés démesurées, il faut d’abord évaluer la situation personnelle. L’agente n’était tout simplement pas convaincue que les conditions de vie à Saint-Vincent-et-les-Grenadines poseraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées. Il s’agit d’une conclusion raisonnable à laquelle l’agent pouvait parvenir compte tenu de la preuve. L’agente a estimé que le demandeur n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve établissant qu’il serait personnellement lésé par la situation. Cela ne démontre pas qu’elle a appliqué le mauvais critère.

(non souligné dans l’original)

 

[50]           De même, en l’espèce, l’agent a indiqué que le demandeur n’a pas démontré qu’il serait personnellement maltraité de sorte qu’il serait exposé à des difficultés démesurées. Il a examiné les conditions générales au Bangladesh dans la preuve documentaire et a conclu que [traduction] « [b]ien que les rapports indiquent que les Hindous et d’autres minorités religieuses au Bangladesh sont victimes de discrimination et de violence, le demandeur n’a pas démontré de façon adéquate qu’il serait maltraité, de sorte qu’il serait exposé à des difficultés démesurées là-bas » (dossier du Tribunal, à la page 34). La situation personnelle est un facteur pertinent dans l’évaluation des risques puisqu’il s’agit d’un facteur lié aux difficultés démesurées. Par conséquent, il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir à cet égard (Webb, précitée).

 

[51]           Le demandeur s’est fondé sur l’affaire Caliskan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1190, 12 Imm LR (4th) 132 [Caliskan], dans ses observations écrites. Cependant, la question soulevée dans Caliskan portait sur l’interprétation appropriée de l’article 25 de la Loi, en sa version modifiée par la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, LC 2010, c 8, relativement aux demandes déposées après le 29 juin 2010. La question en litige dans Caliskan n’est donc pas pertinente dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.   

 

d. L’agent a-t-il commis une erreur en ne faisant pas une évaluation globale des facteurs pertinents à la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire?

[52]           La Cour a conclu que rien n’indiquait que l’agent avait limité son analyse aux facteurs individuels sans les avoir pris dans leur ensemble, comme l’a soutenu le demandeur. L’utilisation de sous-titres pour chaque facteur clarifie la décision de l’agent et ne constitue pas une indication que tous les facteurs n’ont pas été considérés dans leur ensemble dans le processus décisionnel de l’agent. De plus, le fait que plus d’un facteur (en l’espèce, l’établissement et l’intérêt supérieur des enfants) contenait certains éléments positifs ne signifie pas nécessairement que la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire devrait automatiquement être accueillie et que le rejet de la demande sous-entend nécessairement que les facteurs n’ont pas été examinés globalement. Il est possible que certains facteurs favorables, même lorsqu’ils sont considérés ensemble, demeurent insuffisants pour justifier une dispense des exigences de la Loi. À la lumière des enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, précité, la Cour est convaincue que la décision de l’agent est raisonnable.  

 

[53]           Pour tous ces motifs, il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir.

 

[54]           Aucune question n’a été proposée en vue de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.  

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-11968-12

 

INTITULÉ :                                      Juton Tarafder c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 3 juillet 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Boivin

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 25 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mitchell Goldberg

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Thomas Cormie

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blanshay Goldbert Berger

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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