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Date : 20130719

Dossier : IMM-2989-12

Référence : 2013 CF 804

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2013

En présence de madame la juge Kane

 

ENTRE :

 

MAMTA NARENDRA PATEL

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la Loi], le contrôle judiciaire de la décision rendue par une agente d’immigration [l’agente] du Consulat général du Canada à Buffalo, dans l’État de New York, le 30 janvier 2012. L’agente a refusé de délivrer un visa de résident temporaire ou de résident permanent à la demanderesse, estimant que le mari de celle‑ci était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 36(2)b) de la Loi.

[2]               La demanderesse, Mamta Narendra Patel, a présenté une demande de résidence permanente relevant de la catégorie de l’immigration économique, en tant qu’investisseur (Québec). En 2009, son mari, Kartikbhai Patel, a été déclaré coupable de conduite avec facultés affaiblies en Caroline du Nord (CN). L’agente a donc examiné si cette infraction était équivalente à l’infraction de conduite avec capacité affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue, prévue par le Code criminel du Canada, et a conclu qu’elle l’était. Puisqu’il ne s’était pas écoulé cinq ans depuis que M. Patel avait purgé sa peine, laquelle comprenait une période de probation, du service communautaire et une amende, la question de la réadaptation ne pouvait entrer en ligne de compte. L’agente a rejeté la demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse, et elle a refusé le visa.

 

[3]               La demanderesse invoque le caractère déraisonnable de la décision et la partialité de l’agente dans une longue argumentation qu’on peut résumer ainsi : l’agente a conclu à tort que M. Patel était interdit de territoire pour criminalité, car l’infraction dont il a été déclaré coupable n’équivaut pas à l’infraction canadienne de conduite avec capacité affaiblie; il y a eu manquement à l’équité procédurale, parce que l’agente a attendu 18 mois pour rendre sa décision, qu’elle ne s’est pas conduite avec professionnalisme et qu’elle a refusé à M. Patel de se présenter à une entrevue avec son avocat; la conduite de l’agente et sa décision tardive témoignent de sa partialité. La demanderesse soutien aussi que, le dossier certifié du tribunal [DCT] étant incomplet, l’agente n’a pas examiné la totalité des éléments de preuve pertinents.

 

[4]               La demanderesse a avancé plusieurs arguments à l’encontre de la conclusion d’interdiction de territoire, notamment que M. Patel ne conduisait avec pas des facultés affaiblies par une substance incapacitante, qu’il n’aurait pas été déclaré coupable si l’incident s’était produit au Canada et que l’infraction dont il a été accusé en CN n’équivalait pas à un infraction existant au Canada.

 

Norme de contrôle

[5]               C’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique aux conclusions relatives à l’équivalence, qui sont de nature factuelle et ont droit à la déférence : Abid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 164, [2011] ACF no 208, au para 11; Lu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1476, [2011] ACF no 1797 [Lu], au para 12.

 

[6]               Le juge Pinard a indiqué ce qui suit, dans Lu :

12   La norme de contrôle applicable à la détermination d’équivalence par l’agent est celle de décision raisonnable (Abid c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 164 au paragraphe 11 [Abid]; Sayer c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 144 au paragraphe 4 [Sayer]). Cette détermination d’équivalence est une question mixte de faits et de droit à l’égard de laquelle la retenue s’impose (Abid au paragraphe 11 et Sayer au paragraphe 5). L’équivalence est une question mixte car, premièrement, le demandeur a l’obligation de faire la preuve du droit étranger, ce qui devient une question de faits (Lakhani c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 674 au paragraphe 22; Sayer au paragraphe 4). Une fois la loi étrangère établie, un officier doit apprécier les faits pertinents au dossier eu égard à ces dispositions de loi étrangère en comparaison avec la loi fédérale canadienne applicable (Sayer au paragraphe 5).

 

 

[7]               Cette norme exige que la Cour analyse la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel et qu’elle établisse si la décision fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au para 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 [Khosa], au para 59.

 

[8]               Les questions d’équité procédurale sont contrôlées selon la norme de la décision correcte : Khosa, au para 43.

 

La conclusion d’équivalence des infractions est‑elle raisonnable?

[9]               Les parties conviennent que le critère applicable à la question de savoir si l’infraction de conduite avec facultés affaiblies existant en CN est équivalente à celle de conduite avec capacité affaiblie créée par le Code criminel, est celui qui a été formulé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hill c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1987] A.C.F. no 47, 73 NR 315, au para 16 [Hill], selon lequel l’équivalence s’établit de trois façons :

. . . tout d’abord, en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives; en second lieu, par l’examen de la preuve présentée devant l’arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d’établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions légales; en troisième lieu, au moyen d’une combinaison de cette première et de cette seconde démarches.

 

[10]           Il appert des notes du STIDI, qui constituent les motifs de la décision de l’agente, que celle‑ci a examiné le libellé des deux infractions ainsi que le critère élaboré dans Hill :

[traduction] … pour qu’un accusé soit jugé coupable de CFA en CN, il faut que la poursuite prouve hors de tout doute raisonnable que ses facultés étaient sensiblement amoindries. Bien que le degré d’alcool n’ait pas été établi, l’intéressé a été jugé coupable de conduite avec facultés affaiblies, en contravention de l’art. 20‑138.1 :

 

(a)        Infraction – Commet l’infraction de conduite avec facultés affaiblies quiconque conduit [drives] un véhicule sur une route, rue ou voie de circulation publique de l’État dans l’une ou l’autre des circonstances suivantes :

(1)        il est sous l’influence d’une substance incapacitante;

(2)        après avoir consommé suffisamment d’alcool pour qu’à tout moment pertinent après la conduite, son taux d’alcoolémie soit de 0,08 ou plus. Les résultats de l’analyse chimique sont réputés constituer une preuve suffisante de l’alcoolémie […]

 

L’équivalent canadien de cette disposition est l’art. 253 du Code criminel can. :

(1) Commet une infraction quiconque conduit [operates] un véhicule à moteur […] que ceux-ci soient en mouvement ou non, dans les cas suivants :

a) lorsque sa capacité de conduire ce véhicule, ce bateau, cet aéronef ou ce matériel ferroviaire est affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue

b) lorsqu’il a consommé une quantité d’alcool telle que son alcoolémie dépasse quatre-vingts milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang.

 

Peine :

255. (1) Quiconque commet une infraction prévue à l’article 253 ou 254 est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou par mise en accusation et est passible :

b) si l’infraction est poursuivie par mise en accusation, d’un emprisonnement maximal de cinq ans

 

Cela rend l’intéressé interdit de territoire aux termes de l’al. 36(2)b) de la LIPR. Ai consulté le GPI qui considère aussi que l’intéressé est interdit de territoire pour criminalité.

 

 

[11]           La demanderesse soutient que l’infraction de la CN n’est pas équivalente à celle du Code criminel parce qu’elle fait mention d’une « substance incapacitante », expression qui peut englober plus que l’alcool ou une drogue, tandis que le Code criminel ne mentionne que la capacité affaiblie par l’alcool ou une drogue. La demanderesse fait en outre valoir que l’infraction de la CN se rapporte à la conduite [drives], tandis que le Code criminel emploie le mot operates, dans sa version anglaise, et mentionne aussi la garde et le contrôle du véhicule.

 

[12]           Je ne puis retenir ces arguments. Lorsqu’on analyse l’infraction de la CN dans le contexte des dispositions connexes concernant la conduite avec facultés affaiblies, comme le requiert l’interprétation de toute loi, on conclut qu’elle vise l’affaiblissement des facultés par l’alcool ou une drogue. L’argument de la demanderesse selon lequel les facultés pourraient être affaiblies par la caféine, l’intolérance au lactose ou l’absence de sommeil n’est étayé ni par la preuve ni par les connaissances usuelles, et il ne mène pas à la conclusion que les infractions ne sont pas équivalentes. L’absence de sommeil n’est pas une substance incapacitante (ce n’est pas une substance), la caféine est une drogue et l’intolérance au lactose n’est pas réputée affaiblir la capacité de conduire.

 

[13]           De la même façon, bien que les termes anglais « driving » et « operation » ou « care and control » ne soient pas identiques, ils décrivent la même activité. M. Patel a été intercepté alors qu’il conduisait son véhicule. Au Canada, cela aurait constitué l’« operation » du véhicule.

 

[14]           Bien que leur libellé ne soit pas identique, les infractions sont très semblables. Il est bien établi en jurisprudence que les infractions n’ont pas à être identiques pour être équivalentes. S’attendre à ce que les législateurs de différents États ou pays s’expriment de façon identique, fût‑ce à l’égard d’une même intention législative, relève de l’utopie.

 

[15]           Dans Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1996 ACF no 1060, au paragraphe 19, la Cour d’appel a confirmé que les infractions n’ont pas à être identiques pour être jugées équivalentes et que la question de savoir si un accusé serait déclaré coupable dans un pays et non dans un autre n’est pas pertinente :

Je pense qu’il serait tout à fait conforme à l’objectif de la loi, et à la jurisprudence de notre Cour, de conclure que ce que signifie l’équivalence, c’est essentiellement la similitude de définition des deux infractions. Une définition est similaire si elle prévoit les mêmes critères à observer pour prouver que l’infraction a été commise, que ces critères se traduisent par des " éléments constitutifs " (au sens restrictif) ou par des " moyens de défense " dans l’une ou l’autre loi. À mon avis, la définition d’une infraction embrasse les éléments constitutifs et les moyens de défense propres à cette infraction, voire à cette catégorie d’infractions. Dans l’application du sous‑alinéa 19(2)a.1)(i) de la Loi sur l’immigration, il n’est pas nécessaire de comparer tous les principes généraux de responsabilité pénale dans les deux systèmes : ce qu’il faut examiner, c’est la comparabilité des infractions, et non la comparabilité des possibilités de condamnation dans les deux pays.

  

 

[16]           Bien que l’infraction dont M. Patel a été déclaré coupable en CN soit considérée comme mineure et qu’il ait été condamné à la peine la moins sévère parce qu’il s’agissait d’une première infraction, l’équivalent, au Canada, est une infraction mixte qui est punissable, si elle est poursuivie par mise en accusation, d’un emprisonnement maximal de cinq ans. L’alinéa 36(2)b) de la Loi énonçant qu’emporte interdiction de territoire le fait d’être déclaré coupable « à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation … » conduit donc à l’interdiction de territoire.

 

[17]           Il a été jugé, dans Abrassart c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 ACF no 12, au paragraphe 15, qu’une infraction mixte susceptible de donner lieu à une mise en accusation, serait une infraction punissable par mise en accusation.

 

[18]           La demanderesse fait valoir que les facultés de M. Patel n’étaient pas affaiblies et que celui‑ci a tenté de fournir un échantillon d’haleine, mais que l’appareil ne donnait aucun relevé et qu’il a été déclaré coupable sans preuve. Cet argument ne saurait tenir. L’affidavit de l’agent ayant procédé à l’arrestation a été versé au dossier, et son auteur y décrit des signes d’ébriété, notamment la conduite erratique, les yeux rouges et vitreux et une forte odeur d’alcool. Les documents d’arrestation indiquent effectivement que M. Patel a bien tenté de fournir un échantillon d’haleine et qu’aucun résultat ne s’est affiché (seulement des échantillons témoins), mais M. Patel n’était pas accusé de refus de se soumettre à l’alcootest, mais bien d’avoir conduit avec les facultés affaiblies, et il a été jugé coupable de cette infraction. La preuve documentaire examinée par l’agente, qui figurait au DCT et au dossier de la demanderesse, fait état des exigences juridiques régissant la déclaration de culpabilité en CN, notamment la preuve hors de tout doute raisonnable des facultés affaiblies. Ni l’explication du droit applicable ni les documents confirmant l’accusation portée, la déclaration de culpabilité et la peine n’étayent l’argument de condamnation sans preuve avancé par la demanderesse.

 

[19]           La demanderesse fait également valoir que M. Patel a porté en appel la déclaration de culpabilité qu’il prétend injustifiée, mais qu’il a abandonné le recours à cause des délais écoulés devant la juridiction d’appel. Cet argument ne change toutefois pas le fait qu’il a été déclaré coupable d’une infraction équivalente à une infraction au Canada, considérée comme une infraction grave dans les deux pays.

 

[20]           L’agente a examiné les deux dispositions, elle a correctement appliqué le critère établi dans Hill et elle a conclu avec raison à l’équivalence des infractions.

 

Le temps mis à rendre décision constitue‑t‑il un manquement à l’équité procédurale?

[21]           Selon la demanderesse, le délai de 18 mois qui s’est écoulé avant que l’agente rende décision est injustifié, et il démontre que l’agente [traduction] « avait déjà décidé qu’elle conclurait à l’interdiction de territoire, mais qu’elle ne savait pas sur quels motifs juridiques fonder sa décision ».

 

[22]           Je ne puis retenir l’argument du retard excessif étant donné que la propre conduite de M. Patel a contribué au délai. La demanderesse n’a pas déclaré la condamnation de son mari dans sa demande initiale. L’agente en a appris l’existence plusieurs mois après, à la suite d’une vérification du casier judiciaire auprès du FBI. Elle a convoqué M. Patel à une entrevue pour examiner cette question. Il appert des notes du STIDI en date du 3 juin 2010 que l’agente a estimé que [traduction]« [p]our traiter la demande, une entrevue au sujet des circonstances de l’arrestation et de la déclaration de culpabilité s’impose ». Les notes consignées le 2 décembre 2010 font état de l’entrevue et mentionnent que l’agente a demandé à M. Patel de décrire les circonstances de l’arrestation et de la déclaration de culpabilité, mais que celui‑ci n’avait aucun document pouvant étayer ses affirmations. L’agente a encore une fois demandé que des documents soient fournis, disant : [traduction] « [j]’ai besoin de tous les documents judiciaires pour traiter la demande ». Au mois de février 2011, la demanderesse a déposé une déclaration relative aux antécédents modifiée, promettant qu’elle fournirait plus de détails ultérieurement. Le 11 juillet 2011, l’agente a, en accusant réception de certains documents le 31 mai 2011, renouvelé sa demande du dossier criminel ([traduction] « [p]our traiter la demande, je dois avoir le dossier criminel »). La demanderesse l’a fourni le 15 septembre 2011. L’agente a ensuite demandé des précisions au sujet d’[traduction] « autres accusations » signalées dans le relevé informatique du dossier de la Cour.

 

[23]           Les notes du STIDI du 24 janvier 2012 indiquent que l’agente a examiné tous les documents dont la fourniture s’est étalée sur plusieurs mois, ainsi que les observations et les lois :

[traduction] J’ai pris en compte toutes les pièces soumises par l’intéressé, y compris le jugement rendu en CN sur l’accusation de conduite avec facultés affaiblies, les documents judiciaires, les facteurs de détermination de la peine, la preuve de l’accomplissement du travail communautaire, l’ordonnance du juge, l’affidavit de Mike Hearp, l’opinion de Cecil Rotenberg, l’affidavit de l’intéressé, ainsi que la vérification de casier judiciaire par le FBI et une copie de la loi en vertu de laquelle il a été déclaré coupable.

 

 

[24]           L’agente a tardé à rendre sa décision parce qu’elle devait se procurer toute l’information nécessaire pour pouvoir évaluer tous les détails de la déclaration de culpabilité de M. Patel en CN et procéder à l’analyse de l’équivalence. Dans ces circonstances, le retard, dont une grande partie est attribuable à la propre conduite de la demanderesse, qui n’a pas fourni avec diligence les documents nécessaires, ne peut constituer un manquement à l’équité procédurale.

 

L’agente a‑t‑elle, par sa conduite, manqué à l’équité procédurale?

[25]           La demanderesse affirme que l’agente a traité M. Patel et son avocat de façon désobligeante et qu’elle a refusé que l’avocat assiste à l’une des entrevues avec M. Patel.

 

[26]           Cette allégation, qui se rapporte aux demandes pressantes de l’agente pour obtenir des documents et aux remontrances faites à M. Patel parce qu’il ne les fournissait pas, ne saurait établir un manquement à l’équité procédurale.

 

[27]           La présumée exclusion de l’avocat de M. Patel de l’entrevue n’est pas une atteinte à l’équité procédurale puisque le but de l’entrevue était de discuter de la déclaration de culpabilité de M. Patel et d’examiner les documents judiciaires afférents et que ce dernier ne les avait pas apportés. En gros, l’entrevue n’a pas eu lieu. M. Patel et son avocat ont eu la possibilité de présenter des observations supplémentaires au sujet des circonstances de l’infraction et de l’équivalence de celle‑ci à l’infraction canadienne, ils s’en sont prévalus et l’agente a examiné les observations. En outre, un manquement à l’équité procédurale n’entraîne pas nécessairement l’annulation de la décision (Cha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 ACF no 491, au para 67; Mobil Oil Canada Ltd c Canada Newfoundland Offshore Petroleum Board, [1994] 1 RCS 202, à la p 228).

 

La décision est‑elle déraisonnable du fait de documents manquants dans le DCT?

[28]           Signalant que le DCT était incomplet, la demanderesse invoque, comme autre motif de contrôle, qu’il faut présumer que l’agente a omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents.

 

[29]           Le défendeur admet que le DCT ne renfermait pas la totalité des documents que la demanderesse avait soumis à l’agente. L’agente, toutefois, a reçu et examiné tous ces documents et les a mentionnés dans les notes consignées au STIDI. Ces documents figurent dans le dossier de la demanderesse, de sorte qu’il est possible de bien examiner la décision.

 

[30]           Je donne raison au défendeur lorsqu’il affirme qu’il ressort clairement des notes du STIDI que l’agente avait tous les documents, y compris ceux qui ne figurent pas au DCT. L’explication selon laquelle l’absence de ces documents pourrait être attribuable à la fermeture du consulat de Buffalo et au transfert des dossiers est préoccupante, mais les documents en question sont inclus dans le dossier de la demanderesse et ils permettent à la Cour de procéder au contrôle judiciaire.

 

[31]           Dans Bolanos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 388, [2011] ACF no 497, une situation analogue se présentait, et le juge Russell a indiqué qu’un dossier incomplet n’est pas nécessairement un motif d’annulation d’une décision, en particulier lorsque le décideur a pris en compte les documents en question et que la Cour a accès à ceux‑ci. Le juge a écrit, au paragraphe 52 :

[52]           Tout bien pesé, je ne puis accepter que les lacunes constatées dans le DCT révèlent que la SPR n’a pas examiné tous les documents soumis ou les observations écrites de l’avocate. J’estime donc que la décision de la SPR se retrouve devant notre Cour parce que la demanderesse a reproduit les lacunes du DCT dans son propre dossier. Il s’ensuit que je peux examiner et apprécier les documents et les renseignements dont disposait la SPR lorsque la décision en question a été rendue. La juge Barbara Reed a souligné, dans le jugement Parveen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1999), 168 FTR 103, 1 Imm. L.R. (3d) 205, au paragraphe 9 qu’« un dossier incomplet pourrait, dans certaines circonstances, constituer un motif suffisant en soi d’annulation d’une décision faisant l’objet d’une demande de contrôle judiciaire ». Bien que notre Cour ait par la suite cité la juge Reed et se soit ralliée à son point de vue à cet égard – voir, par exemple, la décision rendue par la juge Elizabeth Heneghan dans l’affaire MacDonald c. Canada (Procureur général), 2007 CF 809 – les faits de la présente espèce ne posent pas problème puisqu’il ressort du dossier que la SPR a bel et bien tenu compte de toutes les modifications apportées par la demanderesse à son FRP et de tous les arguments invoqués par son avocate, et que les pages manquantes du DCT ont été versées au dossier de la demanderesse et ont donc été portées à la connaissance de la Cour.

 

 

[32]           Dans Clarke c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 357, [2009] ACF no 441, le juge Phelan a pareillement précisé, au paragraphe 17 qu’« [u]n dossier incomplet peut donner lieu à un manquement à l’équité procédurale, mais ce n’est pas toujours le cas, particulièrement lorsqu’aucune iniquité n’a vraiment été occasionnée, comme c’est le cas en l’espèce ».

 

Le rejet de la demande pour motifs d’ordre humanitaire était‑il déraisonnable?

[33]           Les observations de la demanderesse relativement aux considérations d’ordre humanitaire anticipaient sur une possible conclusion d’interdiction de territoire et la contestaient au moyen des mêmes arguments, à savoir que M. Patel n’avait pas consommé d’alcool, que le policier qui l’avait arrêté avait déposé l’accusation pour [traduction] « sauver la face » et que l’infraction de conduite avec facultés affaiblies en CN n’est pas équivalente à une infraction au Canada en raison de sa portée beaucoup plus large, englobant les facultés affaiblies par d’autres substances que l’alcool ou la drogue.

 

[34]           La demanderesse a fait valoir qu’elle avait été approuvée en tant qu’investisseur, qu’elle avait investi 400 000 $ et que le refus de sa demande la décevrait à cause de cet investissement et du temps et des efforts consacrés. Elle a soutenu que le Canada serait privé de l’investissement et du succès économique futur de la demanderesse et de sa famille, prête à s’établir au Canada, ajoutant que son mari et elle étaient des personnes en vue et favorablement considérées dans leur communauté, que la demanderesse n’avait pas de casier judiciaire et que son mari avait reçu une lettre de félicitations de la Parole Commission (après avoir purgé sa peine).

 

[35]           Elle soutient que le refus de l’agente de lui accorder une dispense pour motifs d’ordre humanitaire était déraisonnable et que l’agente n’a pas tenu compte des observations soumises, citant Abid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 164, [2011] ACF no 208 [Abid], où la juge Snider, après avoir examiné si les observations avaient été convenablement prises en compte, avait indiqué au paragraphe 36 :

[36]             Le défendeur souligne, à juste titre, que les agents qui procèdent à l’examen de demandes fondées sur des motifs humanitaires sont seulement tenus de tenir compte des facteurs qui correspondent aux observations qui leur sont présentées (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 R.C.F. 635, au paragraphe 8). Cependant, la question dans la présente affaire est de savoir si l’agent a dûment tenu compte des observations qui lui ont été présentées. Je suis d’avis que ce n’est pas le cas.

 

[36]           Dans Abid, la juge Snider a conclu qu’au vu des faits l’agent avait commis des erreurs, notamment en appréciant l’intérêt supérieur des enfants en fonction de l’existence de deux enfants alors que le demandeur en avait quatre et en ne tenant pas compte du fait que la déclaration de culpabilité datait de 17 ans.

 

[37]           En l’espèce, l’agente n’a pas commis d’erreur de fait en évaluant les facteurs d’ordre humanitaire et en refusant la demande sur la base de la nature des observations soumises par la demanderesse.

 

[38]           Bien que l’agente n’ait pas motivé en détail le refus de la demande pour motifs d’ordre humanitaire, la lettre de refus et les notes du STIDI indiquent qu’elle a pris en compte les observations de la demanderesse.

 

[39]           Le dossier permet selon moi à la Cour « … de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables … » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62, au para 16).

 

[40]           Comme le signale le défendeur, les demandeurs de visa relevant de la catégorie des entrepreneurs étant tenus d’investir, l’investissement ne peut constituer un facteur intervenant dans l’analyse de motifs d’ordre humanitaire.

 

[41]           Puisque la demande de visa avait été faite de l’extérieur du Canada et que la demanderesse n’a pas fait valoir de difficultés causées à sa famille ou à elle, autres que celles qui se rapportaient à son investissement et à sa déception, l’agente pouvait raisonnablement conclure qu’aucun facteur d’ordre humanitaire ne justifiait d’accorder une dispense.

 

L’agente a-t-elle fait preuve de partialité?

[42]           La demanderesse allègue la crainte raisonnable de partialité et soutient que la conduite de l’agente et le retard mis à rendre la décision amèneraient une personne suffisamment bien renseignée à conclure à la partialité. Elle affirme que le retard démontre que l’agente [traduction] « avait déjà décidé qu’elle conclurait à l’interdiction de territoire, mais qu’elle ne savait pas sur quels motifs juridiques fonder sa décision ».

 

[43]           Pour ce qui concerne l’allégation de partialité, la demanderesse et le défendeur conviennent que le critère applicable est celui qu’a énoncé le juge de Grandpré dans ses motifs dissidents, à la page 394 de Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369 :

. . . la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet […] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique.  Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? ».

 

[44]           Comme les juges L’ Heureux‑Dubé et McLachlin l’ont indiqué à propos de ce critère dans R c RDS, [1997] 3 RCS 484, [1997] ACS no 84 :

113      Peu importe les mots précis utilisés pour définir le critère, ses diverses formulations visent à souligner la rigueur dont il faut faire preuve pour conclure à la partialité, réelle ou apparente. C’est une conclusion qu’il faut examiner soigneusement car elle met en cause un aspect de l’intégrité judiciaire. De fait, l’allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l’intégrité personnelle du juge, mais celle de l’administration de la justice toute entière. Voir la décision Stark, précitée, aux par. 19 et 20. Lorsqu’existent des motifs raisonnables de formuler une telle allégation, les avocats ne doivent pas redouter d’agir. C’est toutefois une décision sérieuse qu’on ne doit pas prendre à la légère.

 

[45]           Le même principe vaut pour les allégations de partialité dirigées contre d’autres décideurs; il s’agit d’allégations graves qui exigent la prudence.

 

[46]           Aucun élément de preuve n’établit en l’espèce qu’une personne bien renseignée éprouverait une crainte raisonnable de partialité, c’est‑à-dire qu’elle craindrait que l’agente ne rende pas une décision équitable ou qu’elle préjuge de la demande. L’argument voulant que la décision ait déjà été prise, mais que l’agente ne trouvait pas de motifs pour la justifier est dénué de tout fondement. Je le répète, la conduite de M. Patel, qui n’avait pas fait état de la déclaration de culpabilité, puis qui n’avait pas fourni les documents qu’on lui avait demandés et qui devaient être présentés aux termes de l’article 16 de la Loi, a joué pour beaucoup dans le délai. Les notes consignées au STIDI par l’agente indiquent que celle‑ci a demandé plusieurs fois les documents et elles donnent les dates auxquelles ils ont été reçus. Rien n’indique la partialité; l’agente a examiné les éléments de preuve au fur et à mesure de leur présentation et a utilisé le critère applicable pour juger de l’équivalence des infractions.

 

Question proposée pour certification

[47]           La demanderesse a soumis pour certification une question à plusieurs volets qui, fondamentalement, reprend et développe les arguments mêmes qui ont été invoqués devant la Cour et remet en cause les conclusions, c’est‑à‑dire en résumé, affirmant : que M. Patel ne conduisait pas avec les facultés affaiblies par l’alcool, qu’il a été déclaré coupable sans preuve en vertu d’une présomption découlant de son incapacité à souffler dans l’ivressomètre; que cette preuve n’aurait pas mené à une déclaration de culpabilité au Canada; que M. Patel a abandonné son appel après deux ans parce que la « Couronne » (sic) n’y donnait pas suite; que le critère formulé dans Hill ne devrait pas être interprété de façon à exclure du Canada des personnes non coupables et qu’il était justifié d’accorder une dispense pour motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25.1 de la Loi.

 

[48]           La question proposée ne satisfait pas au critère en matière de certification établi par la Cour d’appel fédérale dans Liyanagamage c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF n1637, 51 ACWS (3d) 910. Elle concerne les faits en cause tels que les conçoit la demanderesse, et elle ne soulève pas de question ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale.

 

[49]           Elle procède de la propre conception que se fait la demanderesse des actions de son mari ayant entraîné une déclaration de culpabilité pour conduite avec facultés affaiblies et du droit de la Caroline du Nord et du Canada. Ainsi que je l’ai exposé, j’estime que l’agente a raisonnablement conclu que M. Patel avait été déclaré coupable de l’infraction de conduite avec facultés affaiblies, laquelle était équivalente à l’infraction canadienne de conduite avec capacité affaiblie. Cette conclusion ne peut être réexaminée par la question proposée pour certification ou par tout élément ou toute modification de cette question.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.      Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-2989-12

 

INTITULÉ :                                      MAMTA NARENDRA PATEL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDITION :               Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDITION :              Le 31 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 19 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cecil L. Rotenberg

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ildiko Erdie

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CECIL L. ROTENBERG, c.r.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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