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Cour fédérale

 

Federal Court

                                                                                                                           

 


Date : 20130729

Dossiers : T-1112-12
T-1120-12

Référence : 2013 CF 825

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

JOE TOM SAYERS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION DE BATCHEWANA

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite l’annulation de deux propositions adoptées par le chef et le conseil de la bande de la Première Nation de Batchewana relativement à des projets communautaires et d’habitation visant l’une des réserves de la Première Nation. 

 

[2]               La première proposition, reproduite ci‑après, a été adoptée au cours d’une réunion ordinaire du conseil de bande tenue le 15 septembre 2011 : 

[traduction]

Le chef et le conseil de la Première Nation de Batchewana proposent par la présente d’informer les membres que les lots 6, 7 et 8 sont réservés pour les projets communautaires de la PNB et que les lots 9 et 17 pourront servir à des fins d’aménagement domiciliaire. La rue portera le nom de Waskonaywigamik Miikun, ce qui veut dire chemin du phare.

 

[3]               La deuxième proposition, reproduite ci‑après, a été adoptée lors d’une réunion spéciale du conseil tenue le 20 décembre 2011 :

[traduction]

Le chef et le conseil de la Première Nation de Batchewana proposent par la présente d’approuver le nouveau tracé de l’entrée de la rue Waskonaywigamik Miikun (chemin du phare), tel que proposé par Ed Dubois, coordonnateur des projets d’immobilisations.

 

[4]               Le demandeur soutient qu’il détient un intérêt dans les lots traversés par le chemin du phare. Il prétend en outre que la construction de maisons et d’un centre communautaire portera atteinte à des monticules funéraires ancestraux dont il a la charge. Certains monticules sont situés sur les terres à l’égard desquelles il revendique un intérêt. Le demandeur affirme que les décisions ont été prises sans respecter les exigences de l’équité procédurale, c’est‑à‑dire sans donner de préavis et sans tenir compte de ses intérêts, dont le conseil avait connaissance.    

 

Contexte

 

[5]               La Première Nation de Batchewana dispose de quatre réserves, soit celles i) de Rankin, ii) de Goulais Bay, iii) de Whitefish Island et iv) d’Obadjiwon. La présente demande vise la réserve d’Obadjiwon, une communauté installée quelque 80 kilomètres au nord de Sault Ste. Marie, sur les rives du lac Supérieur. Bien qu’une seule Première Nation habite dans différentes réserves, chacune de celles-ci possède un caractère différent. Proche de Sault Ste. Marie, la réserve de Rankin est principalement urbaine. Celle d’Obadjiwon est moins peuplée et développée. Comme nous le verrons, toutefois, la réserve d’Obadjiwon doit elle aussi composer avec la croissance démographique et les problèmes de développement, ce qui permet de comprendre en partie le présent différend.

 

[6]               Le demandeur est membre de la bande défenderesse. Il a siégé au conseil de bande de 1988 à 1990, puis de 1999 à 2009. Vers 1994, il a commencé à vivre dans un phare abandonné, situé sur une partie de la réserve d’Obadjiwon, à l’extrémité du chemin Corbeil Point. Le demandeur n’a pas de certificat de possession, ni n’a demandé d’attribution des terres.

 

[7]               Le demandeur affirme que son oncle, le chef Edward James « Nebenaigoching » Sayers, a occupé le phare en 1972 et a balisé le terrain environnant. La réserve n’était pas encore à l’époque divisée en lots; les membres de la bande balisaient tout simplement le terrain qu’ils occupaient. Le demandeur affirme qu’en 1994, son oncle lui a donné le phare et le terrain. Depuis, ajoute‑t‑il, il a apporté des améliorations au terrain et s’en est servi à des fins culturelles et spirituelles.     

 

[8]               Cathy Connor, chef de l’administration et membre de la bande, conteste ces prétentions. Elle déclare qu’à certains moments le phare a été à l’abandon et que diverses personnes y ont vécu.   

 

[9]               En 1996, un plan d’immobilisations pour les réserves, y compris celle d’Obadjiwon, a été élaboré. L’objectif était d’assurer un développement ordonné, de créer des lots pour répondre à d’importants besoins en matière d’habitation et de procéder à la désignation de terres pour un futur centre communautaire et pour diverses fins communes. Des experts-conseils et des arpenteurs ont été embauchés en vue de l’établissement d’un plan de lotissement. À cette date, le demandeur a trouvé près du phare des talus de pierres qui semblaient être des lieux de sépulture. Sur recommandation du demandeur, le conseil a décidé de reporter la construction d’une route afin qu’on puisse procéder à une étude archéologique.

 

[10]           Lors d’une assemblée publique tenue le 19 août 1997, les membres et le chef de la bande ont discuté de l’étude archéologique et du plan d’arpentage proposé. Soulignant qu’ils n’avaient pas été consultés, le demandeur et sept autres personnes ont exprimé certaines inquiétudes face au plan d’immobilisations et à l’arpentage. Ils ont également informé le conseil que la protection des lieux de sépulture relevait de leur responsabilité et non de celle de l’administration de la bande.   

 

[11]           Le 26 mars 2003, le chef et le conseil ont adopté une proposition, présentée par le demandeur, prévoyant la « suspension » du plan d’immobilisations afin que les résidents de la réserve puissent être consultés.  

 

[12]           Le 4 juin 2003, le conseil a adopté une proposition en vue de retenir les services de Great Lakes Surveying Ltd. pour qu’elle effectue un levé topographique ainsi qu’un plan d’aménagement de la réserve. Le demandeur a secondé la proposition à titre de conseiller. Le 3 décembre 2003, le conseil s’est réuni pour discuter des talus de pierres. Il a décidé qu’on soumettrait les talus à un balayage par radar pour savoir s’il s’agissait bien d’authentiques lieux de sépulture. Le demandeur assistait à cette réunion; il s’est opposé à la proposition faite de balayer les talus par radar, en faisant valoir qu’il lui revenait de s’occuper des sépultures. 

 

[13]           Le 20 novembre 2006, un groupe de travail spécial du conseil a décidé qu’il fallait arpenter de nouveau la réserve d’Obadjiwon et que d’autres recherches devaient être effectuées quant à l’utilisation passée des terres dans le cadre d’une analyse de plus large portée de l’histoire sociale de la bande. Les arpenteurs ont été embauchés de nouveau.  

 

[14]           Le procès‑verbal de la réunion du 26 juin 2008 du conseil s’avère instructif. La question de la poursuite des projets d’habitation était à l’ordre du jour. Après la présentation de l’historique des levés précédents par le chef de l’administration, le procès‑verbal indique ce qui suit :

[traduction]

Il y a eu de très longs échanges entre le chef, les membres du conseil et les membres présents de la communauté. L’arpentage de 1996 comporte des lacunes qui visent plusieurs propriétés. L’assemblée est d’avis qu’il faudrait arpenter cette aire de nouveau pour régler les problèmes. 

 

 

[15]           Le procès‑verbal indique ensuite :

[traduction]

Le conseiller Shaun Boyer a déclaré qu’il était permis d’espérer que cette mesure réglera les problèmes. Quel que soit le résultat, tous n’en seront pas satisfaits, mais il faudra s’en accommoder. Le conseiller Joe Tom Sayers a dit croire que tous feraient de leur mieux pour assurer la réussite de la démarche. Il a aussi fait remarquer que c’était la première fois qu’on donnait l’occasion aux résidents/propriétaires de s’exprimer sur le problème.  

 

 

[16]           Le 23 novembre 2008, les membres du conseil se sont réunis pour discuter du rapport et de l’arpentage. Le demandeur n’était pas présent à la réunion, mais certains membres de sa famille y étaient. Le conseil a ordonné qu’on procède au balayage par radar des lieux de sépulture et il s’est engagé à protéger ces lieux. Le conseil a également décidé que les terrains contigus situés directement au nord des lots du phare (les lots 6 et 7) seraient désignés pour servir d’emplacement au nouveau centre communautaire. Le demandeur était informé de la tenue de la réunion, puisque sa date avait été fixée lors d’une réunion précédente à laquelle il avait assisté. Il était également absent à la réunion du 12 décembre 2008 du conseil, au cours de laquelle le contrat relatif au balayage par radar a été approuvé. 

 

[17]           En juin 2009, une entreprise s’est présentée pour le balayage des talus par radar. Considérant qu’il s’agissait là d’une intrusion, le demandeur a refusé qu’on procède à l’opération. Le personnel de l’entreprise s’est de nouveau présenté le lendemain, accompagné d’un agent de police de la bande. Les balayages ont finalement eu lieu, avec l’aide de la police, et ils ont permis d’apprendre que deux des onze talus étaient vraisemblablement des lieux de sépulture. 

 

[18]           Le 11 septembre 2009, le chef a écrit au demandeur pour l’informer que le conseil avait décidé d’assurer la protection des monticules funéraires et que ceux‑ci relevaient de la responsabilité, non pas d’une seule personne, mais de la communauté tout entière. Le conseil avait décidé que la communauté aurait accès à cette aire, qui serait protégée de manière plus officielle à l’avenir. Le conseil avait également décidé qu’un centre communautaire et un parc seraient construits sur les lots 6, 7 et 8. Le chef a informé le demandeur que, même s’il ne disposait d’aucun certificat de possession ni d’aucun droit foncier traditionnel reconnu, il pouvait continuer de vivre dans le phare de façon temporaire.   

 

[19]           Le premier paragraphe de la lettre que le chef a adressée au demandeur, reproduit ci‑après, est important :

[traduction]

Il est malheureux que vous n’ayez pas assisté à la réunion du conseil du 25 août 2009, tenue à la suite de la demande que vous avez présentée de vive voix le 18 août 2009 au coordonnateur des projets d’immobilisations pour discuter de la question des monticules funéraires.

 

[20]           La résolution du 8 septembre 2009 du conseil a été confirmée lors d’une réunion tenue le 22 septembre 2009. Le conseil a déclaré qu’une partie du lot 6 et la totalité des lots 7 et 8 seraient réservés pour y construire un terrain de jeu, un parc et un centre communautaire dans la proximité immédiate du phare. Le conseil a également déclaré que le demandeur n’était pas autorisé à occuper le phare.  

 

 

[21]           Le demandeur a sollicité par requête une injonction provisoire interdisant toute poursuite des travaux. La requête a été rejetée par ordonnance, prononcée le 12 septembre 2012 par le juge Sean Harrington. Toutefois, les seuls travaux exécutés à ce jour ont consisté à enlever des broussailles sur la route du phare et à retirer une clôture. 

 

Questions en litige

 

[22]           Un conseil de bande doit donner un préavis et l’occasion d’être entendues aux personnes dont les droits ou les intérêts sont directement touchés par ses décisions (Sparvier c Bande indienne  no 73, [1994] 1 CNLR 182). Le juge Rothstein, maintenant juge à la Cour suprême, a écrit à ce qui suit dans Sparvier :

Bien que j’accepte l’importance d’un processus autonome pour l’élection des gouvernements de bandes, j’estime que des normes minimales de justice naturelle ou d’équité procédurale doivent être respectées. Je reconnais pleinement que les tribunaux doivent éviter de s’immiscer dans le mouvement politique des peuples autochtones en vue d’acquérir plus d’autonomie. Cependant, les membres des bandes sont des individus qui, à mon sens, ont le droit à ce que les tribunaux suivent une procédure équitable dans les instances qui les concernent. Dans la mesure où cette Cour a compétence, les principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale doivent être appliqués.

 

 

[23]           Trois questions se posent donc dans le présent contrôle judiciaire :

a.       Le demandeur a‑t‑il un droit ou un intérêt dans la propriété en cause?

b.      Dans l’affirmative, les propositions à l’examen touchent‑elles directement ce droit ou cet intérêt?

c.       Dans l’affirmative, la bande a‑t‑elle respecté à l’endroit du demandeur les principes d’équité procédurale?  

 

 

Analyse

 

            Intérêt

 

[24]           Le demandeur invoque un droit traditionnel d’occupation, faisant valoir les pratiques suivies par les membres de la bande avant le lotissement de la réserve. Cette prétention va à l’encontre de l’article 2000.14 de la politique foncière de la bande qui prévoit e qui suit : [traduction] « Nul ne détient d’intérêt dans une parcelle des territoires à moins qu’elle n’ait été attribuée officiellement au titulaire par le conseil, ou que le titulaire ne l’ait acquise à titre de legs ou par filiation ». Malgré qu’un mode traditionnel d’acquisition des terres ait déjà existé, c’est désormais la politique foncière, en vigueur depuis 1992, qui l’emporte. Or, le plus ancien droit à possession invoqué par le demandeur remonte à 1994.      

 

[25]           Cela dit, le phare est pour le moment la résidence du demandeur, et le chef et le conseil y ont consenti par écrit, de manière temporaire il est vrai. Bien que le demandeur ne dispose d’aucun droit de possession et qu’il puisse être évincé moyennant un préavis raisonnable, la communauté approuve pour l’instant l’arrangement de facto. Le demandeur a un intérêt, à mon avis, qui consiste à continuer d’occuper le phare. 

 

[26]           Par contre, le demandeur n’a pas démontré qu’il avait dans le terrain en litige un intérêt reconnu en droit. La Loi sur les Indiens (LRC, 1985, c I-5) et ses dispositions sur l’utilisation et l’occupation des terres de réserve ont pour objet de préserver ces terres au profit de la bande dans son ensemble, abstraction faite des souhaits de tout membre individuel (La Reine c Devereux, [1965] RCS 567. Sous le régime de la Loi sur les Indiens, la Couronne détient le titre juridique sur les terres de réserve, à l’usage et au profit de la bande. Nul n’a la possession d’une terre dans une réserve à moins que le conseil de bande ne la lui ait accordée (article 20 de la Loi sur les Indiens). Les tribunaux ont fréquemment appliqué ce principe, dans des contextes bien divers (Joe c Findlay, [1978] BCJ no 1221 (CS C‑B)). Par conséquent, le demandeur ne possède aucun droit sur le phare par possession adversative ni ne peut en obtenir (Bigstone Cree Nation c Boskoyous, [1997] 2 CNLR 13 (CBR Alb)). Le demandeur ne peut prétendre avoir droit à la propriété sans avoir un certificat de possession. En outre, sous réserve du respect des règles d’équité procédurale, une bande peut revenir sur une attribution faite à titre provisoire. Un droit d’occupation ne constitue pas une garantie (Parker c Conseil de la bande indienne d’Okanagan, 2010 CF 1218).

 

[27]           Le 5 décembre 2006, le conseil a approuvé la demande de remboursement de 3 500 $ par le demandeur pour une fosse septique installée en 1998 sur sa propriété. Je ne souscris pas à l’argument voulant que ce paiement constitue une reconnaissance de facto ou de jure de l’intérêt du demandeur dans les terres. Tout autant, ce paiement s’explique par les devoirs de gérance du conseil à l’égard de ses terres et par sa volonté d’encourager une bonne gestion de l’eau.

 

[28]           Les questions de la protection des monticules funéraires et de l’arpentage, bien sûr, sont connexes. La bande ne pouvait faire effectuer un arpentage délimitant les terrains résidentiels et les espaces collectifs avant que le nombre et l’emplacement des monticules funéraires soient connus. La lettre que le chef Sayers a adressée au demandeur le 11 septembre 2009 y fait écho, et démontre que ce dernier connaissait les intentions du conseil. Je répète ci-dessous l’extrait suivant de cette lettre :

[traduction]

Il est malheureux que vous n’ayez pas assisté à la réunion du conseil du 25 août 2009, tenue à la suite de la demande que vous avez présentée de vive voix le 18 août 2009 au coordonnateur des projets d’immobilisations pour discuter de la question des monticules funéraires.

 

 

[29]           La lettre du chef Sayers atteste deux événements clés : premièrement, le demandeur a eu une discussion, le 18 août 2009, avec le responsable des projets d’immobilisations au sein de la bande; deuxièmement, il n’a pas assisté à la réunion du conseil du 25 août 2009 – dont il avait demandé la tenue et à laquelle il aurait eu le droit d’assister – au cours de laquelle la question de l’arpentage devait être abordée.

 

[30]           On avait avisé le demandeur que le terrain n’était pas le sien et que l’ensemble de la communauté y avait droit. Toutefois, le demandeur s’est déclaré être le protecteur des monticules funéraires proches du phare et il croyait avoir le droit d’exclure les tiers de la propriété. Le chef a dissipé le malentendu dans une lettre datée du 11 septembre 2009, le tout étant confirmé par le conseil dans une déclaration datée du 22 septembre 2009. 

 

[31]           Pour terminer, je conclus que le demandeur n’a ni droit ni intérêt dans la propriété en litige. En outre, même si le demandeur avait un intérêt reconnu dans le terrain, il n’a pas démontré que l’aménagement du territoire lui nuisait. Les décisions en cause ne l’ont pas empêché de résider dans le phare. En fait, une des décisions prises a été d’éloigner la route de huit mètres du phare. Par la proposition du 20 décembre 2011, un tracé légèrement différent de la route, huit mètres au nord, a été approuvé de manière qu’elle soit encore plus éloignée des terres contestées.    

 

[32]           La demande ne peut être accueillie dès l’étape de ces questions préliminaires. J’examinerai néanmoins, de manière subsidiaire, la question de l’équité procédurale. 

 

            Équité procédurale

 

[33]           Le demandeur soutient qu’on ne l’a pas avisé de la tenue des réunions où les décisions contestées ont été prises.

 

[34]           On ne peut séparer les propositions en cause des consultations, enquêtes et autres propositions qui les ont précédées. Considérées dans leur contexte, il s’agissait non pas de décisions nouvelles, mais bien de modifications mineures à un plan proposé pour la première fois en 1997. Le demandeur siégeait au conseil lorsqu’en 2003, la décision de procéder au balayage par radar des monticules funéraires a été prise. Le plan d’arpentage approuvé le 15 septembre 2011 ressemblait aux ébauches des plans de 2003 et de 2006. Le demandeur a participé activement aux arpentages précédents, allant même jusqu’à embaucher les arpenteurs et à leur décrire les limites des utilisations existantes, y compris les limites qu’il avait lui‑même balisées. Il a participé à la délégation des projets d’arpentage et il avait connaissance des lignes de levé proposées pour délimiter les lots 6, 7 et 8 vers 2004. Le demandeur a lui‑même soumis certaines des propositions clés au conseil. Il a exprimé ses inquiétudes à la réunion du conseil de juin 2008 et il avait connaissance de la recherche effectuée cette année‑là par Amy Boyer.

 

[35]           Le demandeur n’a pas assisté à trois réunions du conseil, tenues en novembre et en décembre 2008 et en janvier 2009, où il aurait pu participer à d’autres discussions ayant porté sur l’aménagement foncier.      

 

[36]           Selon le témoignage de Mme Connor, un bulletin est envoyé tous les mois à chacun des membres de la bande, y compris au demandeur, où on fait l’annonce des réunions tenues par le conseil. Madame Connor déclare aussi que tous les membres de la bande peuvent consulter au bureau le procès‑verbal de chaque réunion du conseil ainsi que les copies des propositions. Le demandeur affirme que le recueil des procès‑verbaux, non produit en preuve, n’a pas été tenu à jour. 

 

[37]           Le demandeur déclare qu’on l’a suspendu du conseil en octobre 2008 et qu’il n’a pas été réélu en février 2009. Le défendeur nie que le demandeur ait été suspendu, et Mme Connor a témoigné en ce sens. Le demandeur était absent selon le procès‑verbal. Le demandeur apporte maintenant comme réserve qu’il était suspendu dans les faits puisque la bande n’autorisait pas ses déplacements d’Obadjiwon jusqu’à Rankin et à la rivière Goulais. Aucune preuve n’a toutefois été présentée d’une politique de remboursement des frais de déplacement, non plus que d’une demande et d’un refus de remboursement. Je conclus ainsi qu’en tant que conseiller, le demandeur était bien avisé des affaires de la bande inscrites à l’ordre du jour des réunions d’octobre et de novembre 2008 ainsi que de janvier 2009, et en particulier qu’il avait connaissance des décisions devant être prises par le conseil.  

 

[38]           Ainsi que je l’ai souligné au début des présents motifs, la Première Nation de Batchewana compte diverses réserves, éparses sur quelque 80 kilomètres. Il est donc difficile pour le conseil d’assurer une participation continue et valable aux affaires de la bande. Le conseil tente d’obvier au problème en prévoyant la tenue par rotation de ses réunions dans les diverses communautés.

 

[39]           Selon son témoignage, le demandeur n’aurait pas été avisé des réunions du conseil par le biais du système, mis en place par l’administration de la bande, d’affichage des réunions et des ordres du jour du conseil. Les membres sont avisés, dans les meilleurs des cas, par le bouche à oreille. Lorsqu’on le lui a demandé, le défendeur n’a pu relever au dossier un ordre du jour donnant avis de l’intention d’examiner et d’adopter le plan d’arpentage. Le document envoyé chaque mois par la poste compte 50 pages, mais il ne s’y trouve aucun avis de la tenue de réunions, et encore moins des questions à y trancher. Si d’autres personnes avaient été directement touchées par les réunions en cause, j’aurais conclu qu’aucun avis n’a été donné et, en fonction de la nature de leur intérêt, qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Il faudrait envisager sérieusement de tenir, dans le bulletin mensuel, le calendrier et l’ordre du jour des réunions du conseil à l’écart de l’accent mis sur les événements communautaires. Le système actuel ne favorise pas la notification raisonnable et efficace.

 

[40]           Il ressort toutefois manifestement de la preuve que le demandeur avait connaissance de tous les éléments du processus décisionnel. Il a été avisé de par son rôle antérieur de conseiller et de par son intérêt personnel pour la question des monticules funéraires.

 

[41]           Pour conclure, le demandeur n’avait pas d’intérêt reconnu dans les terres, hormis son intérêt comme membre de la bande. Quoi qu’il en soit, il a en réalité eu connaissance des réunions du conseil où les deux propositions ont été adoptées, et il était personnellement au fait du plan d’arpentage et de la possibilité qu’il avait de faire connaître ses points de vue. 

 

[42]           Je n’admets pas, par conséquent, que le demandeur n’a pas eu de préavis, ni n’a eu l’occasion d’être entendu. Il n’y a pas lieu de séparer artificiellement les propositions contestées des longues discussions et consultations qui les ont précédées. Les projets concernant un centre communautaire, un parc et une route n’étaient ni nouveaux, ni inattendus.

 

Conflit d’intérêts

 

[43]           Avant d’être élu chef, Dean Sayers a signé le 19 août 1997 une déclaration mentionnant qu’il avait occupé certaines des terres en cause. Il déclarait qu’on avait effectué l’arpentage sans tenir compte des repères originaux. Le demandeur soutient que, bien que le chef ne vive plus dans la communauté ni n’occupe plus les terres, cette déclaration le met en situation de conflit d’intérêts.

 

[44]           C’est le plan d’arpentage original de 1997 qui a incité Dean Sayers (maintenant le chef Sayers) à signer la déclaration, reproduite ci‑après :

 

[traduction]

*  On a mis au point le plan d’immobilisations et procédé à l’arpentage pour la réserve de Batchawana sans tenir compte de nos commentaires.

 

*  Jamais l’administration de la réserve de Rankin n’a présenté le plan final ni n’en a discuté volontairement avec nous.

 

*  L’arpentage a été effectué et inscrit au registre sans qu’on ait discuté avec l’un ou l’autre d’entre nous des limites et bornes originales de nos propriétés. L’arpentage est donc nul et non avenu.

 

*  La protection des lieux de sépulture de la réserve de Batchawana contre tout trouble de jouissance, notamment de la part de l’administration de Rankin, relève de notre seule responsabilité, et nul ne doit les visualiser, photographier, enregistrer sur vidéo, mesurer, arpenter ou examiner par un autre procédé technique sans le consentement exprès du soussigné. En aucune circonstance les tombes ne devront être profanées en exhumant des cadavres ou en procédant à des fouilles.  

 

[45]           Le demandeur fait remarquer que le chef Sayers n’a jamais renoncé à son intérêt dans les terres.

 

[46]           La bande fait observer pour sa part que le chef ne s’est jamais intéressé à ces terres depuis plus d’une douzaine d’années, et n’a pris aucune mesure quelconque pour faire valoir un intérêt dans celles‑ci. Le demandeur y a d’ailleurs exploité une entreprise dans une roulotte, sans entrave de la part de la bande ou du chef Sayers.

 

[47]           On dit que la conseillère Dorothy Elie Gingras ressent de l’animosité envers le demandeur. Dans un courriel daté du 8 juillet 2007, la conseillère a déclaré qu’elle n’allait pas participer à un événement parce que la présence du demandeur serait pour elle une source de conflit. Le demandeur a porté plainte plus d’une fois auprès de la police parce que des membres de la famille de la conseillère avaient conduit dangereusement dans son cul‑de‑sac et parce que ceux‑ci, de même que la conseillère, avaient pris des photographies de sa propriété. Le demandeur affirme que la conseillère s’oppose à ce qu’il y vive parce qu’elle souhaite y construire une maison. 

 

[48]           Or, dans les propositions contestées, il est indiqué que les terres à l’égard desquelles le demandeur revendique un intérêt doivent être détenues au profit de la communauté entière, sans faire état du moindre avantage personnel pour Elie Gingras. L’hostilité de Mme Gingras envers le demandeur aurait pu être pertinente si l’objet de la proposition avait été d’évincer ce dernier du phare, mais comme je l’ai déjà conclu, les propositions sont de portée générale et ne visent pas directement le demandeur.

 

[49]           Il ne se dégage pas de ces allégations, à mon sens, une crainte raisonnable de partialité non plus qu’un conflit d’intérêts. Le demandeur n’a pas démontré que les propositions en cause avantageaient le chef Sayers ou la conseillère Elie Gingras d’une manière quelconque, ou pouvaient être perçues comme ayant un tel effet.

 

[50]           Le critère relatif à la crainte raisonnable de partialité est bien établi. « ... [L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet ... » : Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, à la page 394.

 

[51]           Je ne crois pas qu’une personne raisonnable, bien informée du long historique de l’affaire et au courant des faits, conclurait que soit le chef Sayers soit la conseillère Gingras se trouvait en situation de conflit d’intérêts. Depuis 1996, la bande a pris diverses mesures pour s’attaquer au problème du logement de manière responsable et équitable – notamment l’approbation de plans topographiques, les études de conception pour la réserve (4 juin 2003), l’arpentage historique, le balayage par radar (23 novembre 2008) et les arpentages (22 septembre 2009).  

 

[52]           Les règles juridiques applicables à la possession des terres de réserve prévoient bien clairement que le chef Sayers ne peut disposer d’aucun intérêt spécial en l’absence d’un certificat de possession. Il n’y a pas de conflit d’intérêts.

 

[53]           Il convient d’inscrire l’allégation de partialité en contexte. Des membres du conseil de bande peuvent être enclins dans les faits à favoriser une option plutôt qu’une autre, en ce qui concerne par exemple le rythme et la nature du développement, les priorités de la bande ou toute une gamme d’autres questions liées à la gestion des affaires de la bande. Un conseiller peut avoir une position diamétralement opposée à celle d’un autre, et des conseillers peuvent diverger d’opinion avec certains membres de la bande. Les animosités personnelles et les opinions divergentes et très arrêtées sont fréquentes dans tout type gouvernance, que l’on ait affaire à des conseils de bande ou municipaux, à des assemblées législatives provinciales ou encore au parlement fédéral. S’il ne faut pas l’encourager, l’animosité personnelle ne rend pas un conseil de bande inapte à prendre des décisions. Ces observations doivent toutefois être nuancées par d’importantes réserves et exceptions, par exemple lorsqu’un conseiller peut avoir un rôle à jouer dans l’administration d’élections ou dans le règlement de différends électoraux, dans l’octroi de certificats de possession, ou avoir affaire à des problèmes individuels ou à des particuliers, qu’il s’agisse de membres de la bande, d’agents de police de la bande ou d’autres responsables nommés, ou encore à d’autres situations qui peuvent mettre en cause l’obligation d’équité procédurale. Le juge Rothstein a déclaré sans équivoque dans Sparvier qu’un conseil avait l’obligation de respecter les principes d’équité procédurale.

 

 

Conclusion

[54]           À l’heure actuelle, aucun litige particulier n’oppose le demandeur à d’autres parties, le demandeur ne détenant aucun droit ni aucun intérêt dans le terrain en cause. Le conseil avait déjà décidé dès 2003 que les terres au nord du phare seraient désignées pour servir d’emplacement à un centre communautaire, et a avisé le demandeur en 2009 qu’il n’avait pas la possession exclusive du terrain.

 

[55]           Aucune preuve ne montre que l’aménagement empêchera le demandeur de résider dans le phare. Si la bande souhaite à l’avenir mettre un terme à l’occupation du phare par le demandeur, elle devra lui en donner préavis et lui fournir l’occasion d’être entendu. Il semble toutefois que rien ne porte atteinte actuellement à l’intérêt du demandeur dans le phare.   

 

[56]           Même si le demandeur est touché directement par les propositions en cause, il a été amplement avisé et il a eu de nombreuses occasions d’être entendu.  

 

[57]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties pourront, dans les vingt jours suivant la date de la présente décision, présenter des observations sur la question des dépens. 

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                      T-1112-12
                                                            T-1120-12

 

INTITULÉ :                                      JOE TOM SAYERS c LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION DE BATCHEWANA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Sault Ste. Marie (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 16 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                             LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 29 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS

 

Michael F.W. Bennett

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jennifer Tremblay-Hall

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Michael F.W. Bennett
Avocat
Sault Ste. Marie (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Trembley-Hall & Associates
Avocats
Sault Ste. Marie (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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