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Date : 20130819

Dossier : IMM-7839-12

Référence : 2013 CF 882

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 août 2013

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

 

ARNOLDO ALFREDO CAMPOS

DAISY MARGARITA BATRE DE CAMPOS

CHRISTOPHER MAURICIO CAMPOS BATRE (ALIAS CHRISTOPHER MAU CAMPOS BATRES)

ARNOLDO ALFREFO CAMPOS BATRES

JENNIFER MARGARITA CAMPOS BATRE

(ALIAS JENNIFER MARGAR CAMPOS BATRES)

LEOPOLDO MAURICIO CAMPOS RIVAS

(ALIAS LEOPOLDO MAURIC CAMPOS RIVAS)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]    Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission], présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. La Commission a rejeté les demandes d’asile des demandeurs, concluant que ceux‑ci n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

 

I.          Contexte

[2]   Les demandeurs sont Arnoldo Alfredo Campos [le DP], son épouse et trois enfants [la famille], et son frère [le frère du DP]. Ils sont tous des citoyens du Salvador. La demande d’asile du frère du DP est distincte de la demande collective du DP et de la famille du DP.

 

[3]   Le DP, qui était avocat au Salvador, allègue que Jesus Antonio Guzman Navarrete et son avocat, M. Avelar, l’ont abordé le 27 avril 2010. M. Guzman voulait retenir les services du DP afin d’obtenir de nouveaux papiers d’identité. Le DP affirme dans l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels [le FRP] qu’il pratiquait le droit criminel, le droit de la famille, le droit du travail, le droit civil, le droit des affaires, le droit du transport et le droit de tenance. Pendant l’audience, le DP a produit une brochure sur sa pratique qui faisait aussi la promotion de services d’immigration. Cependant, il soutient dans un affidavit daté du 31 août 2012 qu’il ne pratiquait pas le droit de l’immigration, et que les services d’immigration annoncés concernaient un collègue travaillant dans son bureau.

 

[4]   Le DP a accepté de M. Guzman un mandat de représentation en justice et un acompte de 1 000 $ le 27 avril 2010. Le lendemain, il a commencé à travailler sur le dossier de M. Guzman. Deux jours plus tard, il a reçu un document de M. Avelar indiquant que M. Guzman avait été détenu relativement à des accusations criminelles. Dans l’exposé circonstancié de son FPR, le DP a affirmé que ce document lui avait fait prendre conscience que M. Guzman appartenait à un gang de criminels.

 

[5]   Le 30 juin 2010, M. Avelar a téléphoné au DP au nom de M. Guzman. Pendant l’appel, M. Avelar a déclaré que M. Guzman souhaitait annuler le mandat de représentation et ravoir son argent. Le DP a refusé et demandé à M. Guzman de venir le voir à son bureau. M. Avelar a raccroché. Le même jour, M. Avelar a rappelé et proféré des menaces de représailles si l’acompte n’était pas remboursé. M. Avelar a également informé le DP que M. Guzman était membre d’un gang dangereux. Questionné par la Commission, le DP a affirmé qu’il avait essayé trois fois de rappeler M. Avelar pour lui offrir de rembourser l’acompte, mais qu’il n’avait pas eu de réponse. Il ne décrit pas ces tentatives dans l’exposé circonstancié de son FRP.

 

[6]   Le DP allègue qu’il a reçu le 6 juillet 2010 deux messages textes menaçants, mais vagues, d’un numéro inconnu. Le 19 juillet 2010, il a reçu dix messages textes lui étant directement adressés à partir d’un autre numéro inconnu, menaçant de tuer sa secrétaire s’il ne déposait pas 3 000 $ dans tel compte bancaire. Il n’a parlé à personne des messages en question.

 

[7]   Le 20 juillet 2010, le DP a reçu cinq autres messages textes du même numéro que la veille. Les messages réitéraient la même exigence et menaçaient sa famille de voies de fait. Plus tard dans la même journée, il a parlé des menaces à son épouse et ses enfants plus âgés.

[7]

[8]   Le 22 juillet 2010, le DP a reçu un autre message texte menaçant sa famille. C’est à ce moment qu’il a décidé de s’adresser à une unité spéciale des extorsions de la police nationale du Salvador. Il allègue que la police a essayé d’appeler au numéro d’où étaient envoyés les messages, mais, parce que le numéro ne répondait pas, elle a refusé d’ouvrir une enquête.

 

[9]   Le 24 juillet 2010, le DP est retourné voir la police et a demandé à nouveau l’ouverture d’une enquête. La police a ouvert une enquête et lui a donné une nouvelle identité afin de le protéger. À la police, le DP avait seulement mentionné les messages textes, et non pas ses rapports avec MM. Guzman et Avelar.

 

[10]           Le 26 août 2010, le DP était à son bureau lorsque quelqu’un a tenté d’entrer par effraction. Il s’en est sorti indemne.

 

[11]           Le 28 août 2010, le DP et sa famille ont quitté le Salvador et sont entrés au Canada, demandant l’asile le 12 octobre 2010.

 

[12]           Le frère du DP est restaurateur, et, le 27 décembre 2004, deux hommes prétendant appartenir au gang Mara Salvatrucha ont tenté de lui extorquer 300 $.

 

[13]           Le 3 janvier 2005, deux hommes l’ont menacé d’une arme à feu à son restaurant, ont pris 80 $ et ont menacé de le tuer s’il ne versait pas le reste de l’argent. Le lendemain, il est allé au poste de police pour déclarer l’incident, mais croit avoir vu les deux mêmes hommes à l’extérieur du poste de police et est rentré chez lui.

 

[14]           Le 6 janvier 2005, il a reçu une note le menaçant de mort. Il a fermé son restaurant et est resté chez des parents dans une autre ville. Peu après, il est parti pour les États-Unis, mais est rentré au Salvador un mois plus tard parce qu’il s’ennuyait de sa famille.

 

[15]           Le 22 mars 2005, il est retourné aux États-Unis et y est resté jusqu’au 2 février 2011, date à laquelle il a demandé l’asile au Canada. Il soutient qu’il n’a pas demandé l’asile aux États-Unis parce qu’il ne savait pas comment s’y prendre.

 

[16]           Pour la Commission, pour rejeter la demande d’asile du demandeur, la question déterminante était la crédibilité ou, subsidiairement, la protection de l’État.

 

[17]           La Commission n’a pas cru les affirmations du DP et du frère du DP dans leur ensemble. Les conclusions de la Commission sur la crédibilité se résument ainsi :

A.    Le DP était avocat en immigration, donc il aurait dû être au courant des documents qu’il faut produire pour immigrer au Canada. Cet élément aurait entaché les justifications fournies par le DP à l’égard d’un grand nombre de ses décisions;

B.     Selon l’exposé circonstancié de son FRP, le DP a refusé le 30 juin 2010 de rendre à M. Guzman l’acompte versé. Cette affirmation est invraisemblable, étant donné que le DP savait que M. Guzman appartenait à un gang dangereux. Cette invraisemblance est aggravée par la déclaration subséquente du DP selon laquelle il avait tenté de rembourser l’acompte plusieurs fois et avait négligé de l’indiquer dans l’exposé circonstancié de son FRP uniquement parce qu’il avait manqué de temps au moment de remplir le formulaire;

C.     Le DP a déclaré qu’il craignait d’être tué le lendemain s’il faisait à la police une déposition mentionnant les noms de MM. Avelar et Guzman et que, pour cette raison, il n’a pas mentionné ses rapports avec eux dans sa déclaration. Cette affirmation est invraisemblable, étant donné que le DP était protégé par un code et qu’il était probable, de toute façon, que l’enquête remonterait à MM. Guzman et Avelar pour ce qui est de la provenance des messages textes;

D.    Il est invraisemblable qu’une organisation criminelle bien organisée laisse des numéros susceptibles d’être retracés;

E.     Il est invraisemblable que l’unité spéciale des extorsions refuse de prendre la plainte du DP le 22 juillet 2010, étant donné la qualité du rapport de police qui a été établi ultérieurement;

F.      Le DP a prétendu que la police ne faisait pas son travail parce qu’elle ne voulait pas inclure les numéros de téléphone d’où provenaient les messages textes de menaces sous prétexte qu’elle cherchait à conserver l’anonymat du DP. La position de la police est raisonnable et montre que celle‑ci faisait son travail, étant donné que l’information aurait permis d’identifier le DP;

G.    Il est invraisemblable que le DP n’ait pas fait une nouvelle déposition à la police après que des hommes aient essayé d’entrer par effraction dans son bureau le 26 août 2010, particulièrement étant donné qu’il y avait, semble-t-il, des témoins;

H.    Le DP a demandé copie du rapport de police le 22 et le 24 juillet 2010, avant de recevoir le document le 13 août 2010. Cet empressement montre que l’immigration au Canada était sa principale motivation;

I.       Le rapport que le psychologue a établi au sujet du DP indique que celui‑ci [traduction] « avait très peur » de la police; or, le DP s’est adressé à elle à plusieurs reprises. Pour cette raison, très peu de poids devrait être attribué au rapport.

 

[18]           La Commission n’a pas non plus cru le récit de persécution du frère du DP au Salvador. Ses raisons sont les suivantes : 

A.    Le frère du DP s’est montré évasif lorsqu’il a été invité à dire s’il avait eu des problèmes avec la Mara Salvatrucha entre le 14 février 2005 et le 23 mars 2005;

B.     Il a affirmé qu’il n’avait pas demandé l’asile aux États-Unis parce que le système lui semblait complexe. Cette déclaration rend invraisemblable sa décision de ne pas demander l’asile aux États-Unis, étant donné que le DP est un avocat en immigration, qu’il a reconnu qu’il pouvait se prévaloir de l’aide de groupes communautaires salvadoriens et qu’il avait commencé à travailler aux États-Unis presque immédiatement après son arrivée.

 

II.        Questions en litige

[19]           La présente demande soulève les questions suivantes :

A.    Les conclusions de la Commission sur la crédibilité du DP sont‑elles raisonnables?

B.     Les conclusions de la Commission sur la crédibilité du frère du DP sont‑elles raisonnables?

C.     Les conclusions de la Commission sur la protection de l’État en ce qui concerne le DP sont‑elles raisonnables?

D.    Les conclusions de la Commission sur la protection de l’État en ce qui concerne le frère du DP sont‑elles raisonnables?

 

III.       Norme de contrôle

[20]           La norme de contrôle est la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12).

 

IV.       Analyse

A.  Les conclusions de la Commission sur la crédibilité du DP sont‑elles raisonnables?

[21]           Les demandeurs contestent les inférences négatives de la Commission sur la crédibilité. Les objections les plus pertinentes sont les suivantes :

A.    Le DP ne pratique pas le droit de l’immigration – la brochure à partir de laquelle la Commission a probablement tiré cette affirmation renvoyait à un autre avocat;

B.     Le DP a essayé de rembourser M. Guzman, en vain. Cet élément ne figure pas dans l’exposé circonstancié du FRP parce que le DP a manqué de temps quand il a rempli le formulaire avec son interprète;

C.     Il est raisonnable que le DP ne mentionne pas MM. Guzman et Alevar dans sa déposition à la police en raison de sa crainte continue de persécution. L’anonymat était le seul moyen de protection utilisé pour le DP, et le rapport du psychologue ainsi que les éléments de preuve documentaire sur la violence au Salvador attestent du fait que le DP craignait avec raison d’être tué;

D.    L’hypothèse de la Commission selon laquelle la police aurait accepté sa première plainte parce que le rapport de police semblait professionnel n’est pas rationnelle. Un service de police corrompu est tout aussi capable qu’un service de police sérieux de produire des rapports qui semblent professionnels;

E.     Lorsque le DP a demandé son rapport de police le 22 juillet 2013, il n’était pas encore décidé à quitter le pays. Pour cette raison, il n’est pas indiqué de tirer une inférence au sujet de sa motivation à cet égard;

F.      La Commission affirme que c’est le degré élevé de violence au Salvador qui sous‑tend la motivation du DP à quitter le pays, et non pas les menaces récentes dont il faisait l’objet. Cette affirmation est inappropriée, étant donné que, selon les éléments de preuve documentaire, la violence au Salvador était beaucoup plus généralisée par le passé;

G.    Les demandeurs allèguent aussi que le rapport du psychologue a été écarté sans motif raisonnable, laissant entendre que le raisonnement de la Commission constitue de la fausse logique puisqu’il met le DP dans une situation où il sera toujours perdant : la demande d’asile du DP ne peut être accueillie que s’il fait des démarches auprès de la police, mais s’il fait des démarches auprès de la police, la Commission ne peut pas conclure qu’il a peur d’elle.

 

[22]           Trois considérations clés entachent le raisonnement de la Commission en ce qui concerne la crédibilité. Premièrement, la conclusion de la Commission sur la crédibilité découle essentiellement de l’idée selon laquelle le récit des demandeurs est invraisemblable. Le fait de fonder une conclusion relative à la crédibilité sur la seule invraisemblance nécessite un niveau très élevé de certitude. Dans Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7, la Cour écrit :

Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu'il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu'on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[23]           La Commission n’apporte aucun élément de preuve contradictoire, et elle a reconnu dans sa décision que le DP était, à certains égards, sincère. À l’exception du fait qu’il avait omis d’indiquer qu’il avait tenté de rappeler M. Guzman et de rembourser l’acompte, cette conclusion sur la crédibilité repose uniquement sur l’invraisemblance du récit du DP.

 

[24]           Deuxièmement, la Commission n’a pas tenu compte explicitement des six affidavits produits par les demandeurs, lesquels corroborent largement la persécution dont ils ont fait l’objet. Bien que la Commission ait déclaré qu’elle avait tenu compte de la totalité des éléments de preuve et qu’elle ne soit pas tenue de mentionner tous les éléments de preuve qu’elle a examinés, l’omission d’examiner les éléments de preuve qui sont essentiels eu égard aux questions en litige dans une affaire fait qu’un tribunal sera plus disposé à conclure que la Commission n’a pas dûment tenu compte de la preuve (Cepeda Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425).

 

[25]           Étant donné que la vraisemblance de la version des événements donnée par le DP est corroborée par la preuve par affidavit produite par le DP, celle-ci aurait une incidence directe sur la question centrale de la crédibilité et, pour cette raison, aurait dû être analysée.

[25]

[26]           Troisièmement, les affaires citées par le défendeur ne sont pas particulièrement utiles dans la présente demande. Les arrêts Shahamati c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 415, et Alizadeh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 111, sont des décisions d’un seul paragraphe, exemptes de contexte factuel, qui confirment un droit général de la Commission de faire appel à la raison et au sens commun pour apprécier l’invraisemblance. La décision Nadaraja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1204, est très différente au plan des faits; les conclusions sur la crédibilité en l’espèce comportaient des incohérences et une conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’était pas un témoin digne de foi. De plus, l’affaire commandait la retenue par rapport à la conclusion de la Commission sur l’invraisemblable en grande partie en raison des connaissances spécialisées de la Commission dans le domaine du passage de clandestins. Les connaissances spécialisées ne sont pas en cause en l’espèce. Les arrêts Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 160 NR 315 (CAF), et Gonzalez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 805, réitèrent le fait que les conclusions d’invraisemblance relèvent de la compétence d’une commission, ce qui n’est pas en cause ici.

 

[27]           Même s’il est troublant que le DP n’a pas mentionné à la police ses rapports avec MM. Guzman et Alevar ni l’entrée par effraction, le 26 août 2010, sa crainte de la police atténue cette omission.

 

[28]           Cependant, tout bien considéré, l’analyse de la Commission sur la crédibilité est en grande partie de nature spéculative et sa logique repose sur des questions rhétoriques. L’approche adoptée par la Commission pour examiner la crédibilité du demandeur est semblable à celle utilisée dans Valtchev, et ce facteur, conjugué à l’omission de la Commission d’examiner les affidavits supplémentaires et l’incapacité du défendeur de fournir un argument juridique convaincant à l’appui des conclusions de la Commission rendent le raisonnement de la Commission insuffisamment intelligible et justifiable pour répondre aux critères de la raisonnabilité énoncés dans Dunsmuir.

 

[29]           Je conclus que les conclusions de la Commission sur la crédibilité du DP ne sont pas raisonnables.

 

B.  Les conclusions de la Commission sur la crédibilité du frère du DP sont‑elles raisonnables?

[30]           La conclusion de la Commission sur la crédibilité du frère du DP est raisonnable. En deux mots, il est impossible de croire qu’une personne qui craint pour sa sécurité passe six ans dans un pays étranger sans demander l’asile. Bien que le frère du DP ait déclaré que le système d’immigration des États-Unis est complexe, il n’existe aucune preuve qu’il soit plus complexe que celui du Canada, et il n’est pas vraisemblable qu’il n’aurait pas pu obtenir l’aide de groupes communautaires s’il l’avait voulue. Sur la foi de cette seule invraisemblance, le récit du frère du DP n’est pas crédible.

 

C.  Les conclusions de la Commission sur la protection de l’État en ce qui concerne le DP sont‑elles raisonnables?

[31]           Les demandeurs allèguent que la Commission n’a pas tenu compte du fait que M. Guzman était un chef de gang dangereux de la Mara Salvatrucha pour établir que le DP n’avait pas fait des démarches raisonnables pour se prévaloir de la protection de l’État. Ce qui est raisonnable dépend des circonstances particulières du demandeur (Doreitha Codogan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 739). En omettant de tenir compte du fait qu’il s’agissait d’un membre d’un gang dangereux ayant déjà été accusé d’une infraction criminelle, la Commission n’a pas dûment pris en considération la raisonnabilité du comportement du DP.

 

[32]           De plus, les demandeurs soutiennent que la police n’a déployé aucun effort dès le départ pour les protéger et que, étant donné la nature immédiate des menaces qui étaient proférées contre le DP, les demandeurs n’étaient pas tenus de solliciter l’aide d’autres agences gouvernementales (Zepeda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491).

 

[33]           De plus, l’incapacité de la Commission d’adapter ses attentes par rapport au fardeau imposé au DP de réfuter la présomption de protection de l’État en fonction du degré de démocratie et de corruption au Salvador, son omission de tenir compte des circonstances particulières du DP, du comportement de la police et de l’incapacité de celle-ci d’aider le demandeur d’asile, de même que la conclusion non fondée selon laquelle le demandeur bénéficiait du programme de protection des témoins, rendent déraisonnable la conclusion du tribunal sur la protection de l’État.

 

[34]           Étant donné le témoignage du DP et les éléments de preuve documentaire dont disposait le tribunal, je conclus qu’il était déraisonnable que le tribunal juge que le DP pouvait se prévaloir de la protection de l’État.

 

D.  Les conclusions de la Commission sur la protection de l’État en ce qui concerne le frère du DP sont‑elles raisonnables?

[35]           Le frère du DP n’a pas fourni d’éléments de preuve pour réfuter la présomption de protection de l’État dans son cas particulier. Plus particulièrement, son incapacité à produire un rapport de police ou tout autre élément de preuve corroborant est révélatrice. Même s’il a eu peur après avoir vu deux hommes qui, croyait‑il, l’avaient déjà volé et agressé, il n’a pas tenté à nouveau de contacter la police, même pendant la période au cours de laquelle il était rentré au Salvador après son premier séjour d’un mois aux États-Unis.

 

[36]           Il n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il avait sollicité la protection de l’État ni suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’il n’avait pas à réclamer la protection de l’État à cause de sa crainte.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.      La demande d’Arnoldo Alfredo Campos, de son épouse et de leurs trois enfants est accueillie, et la décision de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés du Canada datée du 20 juin 2012 est annulée, et la demande d’asile des demandeurs devra être examinée à nouveau par un tribunal différemment constitué de la Commission;

2.      La demande du demandeur (Leopoldo Mauricio Campos Rivas) est rejetée;

3.      Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7839-12

 

INTITULÉ :                                      Campos et autres c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 15 août 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Manson

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 19 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Adela Crossley

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Adam Wawrzkiewicz

POUR LES DEMANDEURS

 

Jane Stewart

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CABINET D’AVOCAT D’ADELA CROSSLEY

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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