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Cour fédérale

 

Federal Court

                                                                                                                           

 


Date : 20130801

Dossier : IMM-10795-12

Référence : 2013 CF 845

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er août 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

OLUKOLA OLUKUNMI ALADE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur demande l’annulation de la décision d’une agente des visas datée du 21 août 2012, refusant sa demande de parrainage dans la catégorie du regroupement familial. Il soutient essentiellement que l’agente était tenue en droit d’accepter sa demande à la lumière de son appel fructueux d’une décision antérieure d’un agent des visas rejetant sa demande pour des motifs liés à l’authenticité du mariage et à de fausses déclarations. Il soutient aussi que la décision est déraisonnable et contrevient à l’équité procédurale. Il sollicite un mandamus pour que l’affaire soit renvoyée à un autre agent des visas pour que celui-ci rende une nouvelle décision.

 

[2]               Le demandeur n’a pas encore épuisé ses options en matière d’appel. Par conséquent, la demande doit être rejetée.

 

Contexte

[3]               Le demandeur était parrainé par son épouse canadienne, Tammy Renee Alade, en vue de l’obtention d’un visa de résident permanent. Le couple s’est rencontré sur Internet le 18 mai 2009. Mme Alade s’est déplacée pour aller rencontrer le demandeur en octobre de la même année, et le couple s’est marié au Nigéria le 24 octobre 2009.

 

[4]               La demande du demandeur a été rejetée à l’origine le 17 août 2010 pour des motifs liés à l’authenticité du mariage et à de fausses déclarations. L’agente des visas avait conclu que, même s’il avait affirmé dans sa demande qu’il n’avait jamais demandé de visa pour le Canada auparavant, le demandeur avait demandé un visa de visiteur pour le Canada en 2008 sous un autre nom, Kolawole Olukunmi Alade.

 

[5]               Dans une décision datée du 11 juillet 2011, la Section d’appel de l’immigration (SAI) a conclu que le mariage était authentique. Elle a aussi conclu que le demandeur avait fait une fausse déclaration, mais a jugé que des motifs humanitaires étaient suffisamment importants pour l’emporter sur l’interdiction de territoire.

 

[6]               Devant la SAI, le demandeur a affirmé qu’il n’a jamais demandé de visa au Canada auparavant. Il a soutenu qu’il a été arnaqué par un consultant en voyages. Il prétend avoir remis au consultant sa photographie, ses renseignements personnels et une somme d’argent pour faire une demande de visa, mais le consultant a disparu avant qu’il puisse faire la demande. Il a affirmé que le consultant a dû faire une demande à son insu ou sans son consentement. Il soutient aussi qu’il a fait une déposition à cet effet à la police et a produit un rapport de police. Il a précisé que son nom, sa date de naissance et des renseignements de base ont été modifiés. Le vrai nom du demandeur est Olukola Olukunmi Alade, né le 7 décembre 1982. Le nom sur la demande de visa était Kolawole Olukunmi Alade, né le 7 décembre 1983.

 

[7]               La SAI a catégoriquement rejeté l’explication du demandeur, estimant que celle-ci manquait de crédibilité. Elle a également jugé que les réponses du demandeur étaient vagues, inutiles et incohérentes. Malgré une conclusion claire selon laquelle le demandeur avait menti sous serment, la SAI a fait droit à son appel pour des motifs d’ordre humanitaire, reposant essentiellement sur l’intérêt supérieur de la fille de Mme Alade.

 

[8]               Le 8 septembre 2011, le bureau des visas d’Accra a demandé au demandeur d’obtenir un certificat de police du Nigéria relatif à son nom véritable, Olukola, et à son autre nom, Kolawole. Le demandeur a donné suite à la demande pour son vrai nom seulement. Le 31 janvier 2012, le bureau des visas a réitéré sa demande, c’est‑à‑dire que le demandeur fournisse un second certificat de police, au plus tard le 30 mars 2012.

 

[9]               Le demandeur s’est présenté à divers postes de police pour obtenir le document demandé par l’agente des visas. Il soutient que partout, il a reçu la même réponse – aucun certificat de police ne serait produit pour un autre nom.

 

[10]           Après avoir discuté avec un agent non identifié au bureau d’Accra, le 19 mars 2012, le demandeur a expliqué, par écrit, que les certificats de police sont délivrés uniquement sous le vrai nom d’une personne, même s’il n’a produit aucun document à cet effet de responsables nigériens.

 

[11]           Le 16 août 2012, le demandeur a signé un « affidavit de vérification de nom » devant la Cour supérieure du Nigéria, document qu’il a ensuite présenté à la police, et, le 17 août 2012, il a obtenu une lettre de la police nigérienne mentionnant ce qui suit [traduction] « au mieux de nos connaissances et de nos statistiques », il n’existe aucun casier judiciaire pour son pseudonyme. Il ne s’agissait pas d’un certificat de police officiel, mais le document confirmait bien, du moins du point de vue du demandeur, qu’il n’existait aucun casier judiciaire pour l’autre nom.

 

[12]           Le 20 août 2012, le demandeur et son épouse se sont présentés au Haut‑Commissariat. Ils ont alors appris que la demande avait été rejetée en juillet. Le demandeur et son épouse n’avaient pas reçu de lettre de décision à cet effet. Le demandeur a affirmé à l’agente qu’il voulait produire de nouveaux documents. Le couple a été invité à revenir le lendemain à 15 h.

 

[13]           Le lendemain, à 11 h 54, l’agente des visas a envoyé au demandeur une lettre de décision par courriel. Lorsque son épouse et lui sont arrivés à 15 h pour leur entrevue, le demandeur a reçu copie du courriel et a été invité à quitter les lieux. L’agente n’a pas voulu accepter l’affidavit ni la lettre de la police nigérienne. La lettre de décision, datée du 2 août 2012, n’était pas signée. Elle renvoyait à l’explication écrite fournie, avant la date limite, le 19 mars 2012.

 

[14]           Le demandeur n’a eu aucune communication avec le bureau des visas depuis le 31 janvier 2012 et n’a appris que le 21 août 2012 que l’explication du 19 mars 2012 était inadéquate.

 

Analyse

 

[15]           Selon l’article 70 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), l’agent, lors du contrôle visant le résident permanent ou l’étranger, est lié par la décision de la SAI faisant droit à l’appel. La décision d’un agent des visas dans la mesure où elle concerne l’obligation de suivre la décision de la SAI appelle la norme de la décision correcte : Ashraf et al c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1383.

 

[16]           L’article 72 de la LIPR permet le contrôle judiciaire de nombreuses mesures. Le contrôle judiciaire « de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire » peut être demandé, mais pas tant que les voies d’appel prévues dans la LIRP ne sont pas épuisées. .

 

[17]           Le demandeur soutient que l’agente des visas n’avait pas la compétence pour rejeter la demande parce que la décision de la SAI est exécutoire, conformément au paragraphe 70 de la LIPR. Il affirme que le législateur voulait donner un caractère définitif aux décisions après un appel et que l’agente des visas était par conséquent tenue d’accepter sa demande.

 

[18]           Par conséquent, la portée de la décision de la SAI est la question centrale en l’espèce. Le demandeur soutient aussi que l’agente des visas a manqué à l’équité procédurale en l’obligeant à respecter une condition impossible à remplir ou en rendant une décision sans tenir compte de la lettre de la police nigérienne datée du 17 août, selon laquelle il n’existait pas de casier judiciaire concernant l’autre nom utilisé.

 

Principes applicables

[19]           Lorsqu’une question a été examinée par la SAI et est renvoyée à un agent des visas, il est interdit à l’agent des visas de réexaminer les faits dans le cadre de la décision de la SAI. Dans Au c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 8,  la Cour d’appel a affirmé au paragraphe 16 :

Cependant, la mesure accordée par la SAI se fonde sur les faits présentés à cette dernière.  Lorsque des faits nouveaux sont portés à l’attention de l’agent des visas, celui‑ci doit tenir compte de la question de savoir si le répondant et la personne parrainée satisfont aux exigences de la Loi, étant donné ces faits nouveaux.  Naturellement, les faits doivent être nouveaux en ce sens qu’ils ont pris naissance après l’audience de la SAI ou, comme en l’espèce, étaient connus de la personne parrainée, mais avaient été cachés à la SAI et ont été découverts par la suite.  De plus, les faits nouveaux dont l’agent des visas tient compte doivent être pertinents.  Un agent des visas ne peut pas sauter sur des faits non pertinents.  Agir ainsi, cela voudrait dire, en effet, que l’agent des visas examinait si la personne satisfaisait aux exigences de la Loi sur pratiquement les mêmes faits pertinents dont la SAI a tenu compte.

 

[20]           Un second refus est autorisé seulement lorsque l’agent des visas est saisi de faits nouveaux importants ou lorsque des faits importants ont été dissimulés. Autrement, le processus d’appel à la SAI deviendrait inopérant, et l’agent des visas pourrait siéger en appel ou en révision à l’égard d’une décision de la SAI.

 

[21]           En l’espèce, même si elle est interprétée généreusement, la décision de la SAI n’est pas déterminante quant à la question d’interdiction de territoire pour criminalité. La SAI a confirmé qu’il y a eu de fausses déclarations parce que le demandeur avait déjà fait une demande, mais n’avait pas conclu que le demandeur était interdit de territoire pour criminalité. Il n’y a pas eu non plus de décision antérieure quant à l’interdiction de territoire pour criminalité. Pour cette raison, l’agente des visas n’était pas liée par la décision de la SAI.

 

[22]           Selon le paragraphe 16(1) de la LIPR, le demandeur doit donner tous éléments de preuve et documents pertinents dont aurait raisonnablement besoin l’agent des visas. Il incombe au demandeur de convaincre l’agent des visas qu’il satisfait aux exigences de la LIPR.

 

[23]           Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de compter sur un certificat de police pour son pseudonyme étant donné que la police ne délivre de certificats que pour les identités véritables. Cependant, il n’a pas fourni d’éléments de preuve de la police nigérienne à cet effet avant la date limite.

 

[24]           Toutefois, cela ne met pas fin à l’affaire. La décision de l’agente des visas ne prend pas en compte ni n’aborde aucune des informations fournies par le demandeur. Elle a manifestement été rédigée à la hâte, dans la soirée du 20 ou la matinée du 21 août. Elle n’est pas signée. Il s’agit d’un strict énoncé de conclusions qui, dans les circonstances, ne répond pas aux normes obligatoires d’intelligibilité, de transparence et de cohérence. Je souligne que la décision prétendument rendue et communiquée au demandeur en juillet n’a pas été produite en preuve.

 

[25]           Il est évident que les agents des visas n’ont pas à fournir des motifs détaillés, mais la question de savoir si les motifs répondent au seuil minimal repose sur le contexte, sur l’historique des procédures et sur les intérêts en jeu. En l’espèce, il incombait à l’agente d’aborder les raisons pour lesquelles elle n’était pas convaincue par les renseignements produits. Comme il y avait au dossier des éléments de preuve selon lesquels le demandeur avait fait une demande antérieure sous un autre nom, il était raisonnable de demander d’autres renseignements au sujet du nom en question. Cependant, l’agente des visas n’a pas pris en compte les éléments de preuve du demandeur selon lesquels la preuve demandée ne pouvait pas être produite. L’agente des visas n’a pas non plus pris en compte la lettre datée du 17 août 2012 de la police nigérienne selon laquelle il n’existait pas de casier judiciaire pour l’autre nom utilisé, étant donné que le demandeur n’avait pas été autorisé à produire cet élément de preuve.

 

[26]           Dans le but évident d’aborder les lacunes de la décision, l’agente des visas a produit un nouvel affidavit. Les affidavits de cette nature sont, essentiellement, inadmissibles. Ils n’entrent pas dans l’exception selon laquelle des données factuelles de base sont nécessaires pour compléter le dossier. L’affidavit représentait une tentative manifeste de compléter les motifs fournis.

 

Réparation

[27]           Selon le paragraphe 63(1) de la LIPR, un répondant peut interjeter appel devant la SAI d’une décision de refuser la délivrance d’un visa de résident permanent au titre de la catégorie du regroupement familial. L’alinéa 72(2)a) prévoit que le contrôle judiciaire ne peut pas commencer tant que les voies d’appel prévues sous le régime de la LIPR n’ont pas été épuisées.

 

[28]           La Cour d’appel fédérale a établi que le paragraphe 72(2) empêchait la présentation à la Cour de plusieurs demandes portant sur les mêmes questions : Somodi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 288. La Cour d’appel a expliqué, aux paragraphes 22 et 29 :

 

Le législateur a décidé du parcours que doivent suivre les demandes de parrainage familial, lequel se termine, après un appel, par la possibilité pour le répondant de demander réparation devant la Cour fédérale. L’intention du législateur d’inscrire dans la LIPR un ensemble complet de règles régissant les demandes de parrainage visant un regroupement familial est confirmée par l’alinéa 72(2)a) et le paragraphe 75(2).

 

[…]

 

[…] Il serait illogique et nuisible aux objectifs du régime d’autoriser les parties ayant les mêmes intérêts à intenter une multiplicité de procédures sur la même question auprès de tribunaux différents. Ce serait également préjudiciable à l’administration de la justice, car cela ouvrirait la porte à des décisions contradictoires et donnerait lieu à un plus grand nombre de litiges. C’est précisément ce que le législateur a voulu éviter.

 

[29]           Un appel devant la SAI accorde à l’appelant une nouvelle audience sur le bien-fondé de la demande, et la SAI peut examiner la question de savoir s’il y a eu manquement à la justice naturelle.

 

[30]           La décision de la SAI n’empêchait pas un agent des visas d’examiner par la suite la question de savoir si le demandeur satisfait aux exigences de la LIPR et, plus particulièrement, s’il est interdit de territoire pour criminalité. La SAI a conclu que l’instruction de la demande devait se poursuivre. Elle n’a pas garanti une issue favorable en ce qui concerne la criminalité, et n’a pas non plus accordé un laissez‑passer en ce qui concerne cette exigence.

 

[31]           Il est vrai qu’un agent des visas ne peut pas renverser la décision de la SAI en rejetant une demande reposant sur les mêmes faits que ceux dont il est question dans la décision de la SAI lorsque la question sous‑jacente est la même : Au, précité, au paragraphe 15. En l’espèce, toutefois, la SAI a déterminé que le demandeur n’était pas interdit de territoire pour avoir fait de fausses déclarations. Par conséquent, il aurait été inadmissible que l’agente des visas rejette la demande à cause de fausses déclarations ou de l’authenticité du mariage étant donné qu’il n’y avait pas de nouveaux faits au dossier. Ces questions ont déjà été tranchées par la SAI. Toutefois, la SAI n’a pas rendu de conclusion concernant l’interdiction de territoire du demandeur pour criminalité. Il convient et il est nécessaire que l’agente des visas examine la question de l’autre nom du demandeur, non pas sous l’angle des fausses déclarations, mais bien sous celui du fardeau incombant au demandeur de démontrer qu’il n’est pas interdit de territoire pour criminalité : Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] ACF no 393, aux paragraphes 20 et 21.

 

[32]           Le demandeur n’a pas convaincu l’agente des visas qu’il n’était pas interdit de territoire. Cette décision est maintenant devant la SAI pour appel. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, et je ne vois aucune raison d’adjuger des dépens.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« Donald J. Rennie »

 

                                                                                                                                                                Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-10795-12

 

INTITULÉ :                                      OLUKOLA OLUKUNMI ALADE c MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Regina

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 27 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 1er août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Francis Poulin

 

POUR LE DEMANDEUR

Michael Brannen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Miller Thomson LLP

Regina (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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