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Date: 20130918


Dossier :

IMM-7316-12

 

Référence : 2013 CF 960

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2013

En présence de madame la juge McVeigh

 

ENTRE :

ABDULAQADIR MAGAN

(SAIAD ABDI)

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application de l’article 72 de Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), à l’encontre de la décision rendue le 5 juillet 2012 par Chuck Desjarlais, agent d’exécution (l’agent) à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ayant pour objet de prendre une mesure d’exclusion à l’égard d’Abdulaqadir Magan (le demandeur) qui est interdit de territoire au Canada en vertu de l’article 41 et de l’alinéa 20(1)a) de la LIPR.

 

I.          Questions préliminaires

A.  Quelle décision?

[2]               Avant d’entendre l’argument de chacune des parties, il a fallu faire la part des choses pour déterminer précisément la décision que la Cour devait examiner. Dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qui figure à la page 1 du dossier de la demande, on instruit la Cour de revoir la décision du 15 juillet 2012, alors que la décision qui figure en fait à la page 4 du dossier de la demande est datée du 12 juin 2012. À l’audience, j’ai eu la confirmation des deux parties que la décision sur laquelle nous devions statuer est celle qui se trouve aux pages 45 et 46 du dossier de la demande et qui est datée du 5 juillet 2012.

 

B.  Le point sur l’audience

[3]               J’ai voulu savoir si le demandeur était toujours détenu et on m’a répondu qu’il avait entre-temps été renvoyé aux États-Unis où il était incarcéré à la suite de condamnations au criminel.

 

[4]               Le défendeur, dans une lettre du 29 avril 2013, a cassé la décision du 12 juin 2012 (IMM‑7378‑12), ayant déterminé que la demande d’asile du demandeur ne pouvait pas être déférée à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), pour cause d’irrecevabilité,car le demandeur s’était désisté de sa demande de contrôle judiciaire du dossier IMM‑7378‑12.

 

C.  Modification de l’intitulé

[5]               Le défendeur a attiré mon attention sur le fait que l’intitulé de l’affaire le désigne incorrectement comme le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, et qu’il y aurait lieu de le modifier de façon à ce qu’il le désigne comme ministre de la Sécurité publique et de la Protection publique. Dans une lettre ultérieure à l’audience, les parties ont convenu que l’intitulé devait être modifié. La modification est conforme au Décret précisant les responsabilités respectives du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et de la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile en vertu de la Loi, TR/2005-120. L’intitulé sera modifié de façon à désigner le « ministre de la Sécurité publique et de la Protection publique » comme le défendeur en l’espèce.

 

II.        Contexte

[6]               Le demandeur a été arrêté par l’ASFC le 11 juin 2012 alors qu’il marchait le long d’une autoroute dans le sud du Manitoba. Il parlait mal l’anglais et n’a prononcé que les mots « Winnipeg » et [traduction] « À l’aide »; les agents qui ont eu le premier contact avec lui ont toutefois fait remarquer qu’ils l’ont soupçonné de parler l’anglais bien mieux qu’il ne voulait le laisser paraître.

 

[7]               Le 11 juin 2012, le demandeur a été interrogé par un agent de l’ASFC à Emerson (Manitoba), soit le port par lequel le demandeur était entré au Canada. Les agents Desjarlais et Olivier-Job ont assisté à l’entrevue. À ce moment, le demandeur somalien a déclaré qu’il se nommait Abdulaqadir Magan, qu’il était né le 25 janvier 1984 et qu’il souhaitait faire une demande d’asile. Il a aussi déclaré qu’il avait passé les deux derniers mois aux États-Unis et qu’il avait travaillé auparavant au Kenya et à Nairobi. Enfin, il a déclaré n’avoir aucun ami ou membre de sa famille au Canada et qu’il n’avait jamais été reconnu coupable d’un crime où que ce soit. Lorsqu’on lui a dit qu’il avait le droit de faire appel à un conseil, le demandeur a décliné et a déclaré qu’il le ferait peut-être plus tard.

 

[8]               Après l’entrevue, l’ASFC a arrêté le demandeur pensant qu’il ne se présenterait probablement pas à des contrôles complémentaires. Les deux agents ont ensuite entrepris de ramener le demandeur à Winnipeg. Pendant qu’ils étaient en route, l’agent Olivier-Job a reçu, par l’entremise d’un autre agent de l’ASFC, de l’information transmise par les Services des douanes et de la protection des frontières des États‑Unis selon lesquels les empreintes digitales du demandeur correspondaient à celles d’un certain Saiad Abdi (dit aussi Saaid Abdi), un résident permanent des États‑Unis au casier judiciaire chargé. À leur arrivée à Winnipeg, les agents ont escorté le demandeur au Centre de détention provisoire de Winnipeg où il allait être détenu par les autorités de l’immigration.

 

[9]               Le 12 juin 2012, après avoir reçu d’autres renseignements, l’agent Olivier-Job a conclu que la demande d’asile du demandeur était irrecevable. Il a rédigé un rapport conformément au paragraphe 44(1) de la LIRP selon lequel le demandeur était interdit de territoire au Canada en vertu de l’article 41 et de l’alinéa 20(1)a) de la LIPR, au motif qu’il n’était pas en possession du visa ou des autres documents réglementaires requis par la LIPR pour établir sa résidence permanente au Canada.

 

[10]           Le dossier du demandeur a par la suite été confié à l’officier Desjarlais, en sa capacité de délégué du ministre, afin qu’il détermine en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR si l’interdiction de territoire était bien fondée. Après avoir revu le dossier du demandeur, l’agent a conclu que les empreintes du demandeur correspondaient à celles prises aux États-Unis d’un dénommé Saiad Abdi, né le 30 décembre 1981 en Somalie. Saiad Abdi avait présenté une demande d’asile aux États-Unis à titre de réfugié de la Somalie le 28 mai 2003, demande qui avait été accueillie le 4 mai 2004. Il est devenu résident permanent des États-Unis à cette date et a obtenu une carte de résident permanent, valide jusqu’au 13 janvier 2019. Le dossier révélait que Saiad Abdi était également connu sous les noms d’Abdulqadir Magan et d’Abdulqadir Osman.

 

[11]           L’agent a organisé la tenue d’une réunion au Centre correctionnel de Headingley (CCH) où était alors détenu le demandeur afin de mener un examen en sa qualité de délégué du ministre le 19 juin 2012. 

 

[12]           L’agent a informé Lesley Heinrichs de ce rendez-vous, l’avocate qui représentait le demandeur lors du contrôle des motifs de détention des 48 heures et qui lui a fait savoir qu’elle ne serait pas présente. Elle a expliqué que comme elle n’allait pas être rémunérée par les services d’aide juridique pour son déplacement au CCH si l’audience n’avait pas lieu, elle n’y assisterait pas. Mais elle a demandé que les documents pertinents lui soient communiqués après le contrôle.

 

[13]           Le 19 juin 2012, l’interprète dont l’agent avait retenu les services en vue du contrôle s’est désisté. L’agent a voulu tenir l’audience quand même, au cas où le demandeur serait disposé à ce que celle-ci ait lieu en l’absence d’un interprète, mais le demandeur n’a pas voulu s’y soumettre sans interprète. L’agent a donc ajourné l’audience, mais après avoir d’abord cherché à confirmer l’identité du demandeur qui insistait pour dire qu’il s’appelait Abdulqadir Magan. L’agent lui a montré des photos d’un individu de l’Ohio qui portait le nom de Saiad Abdi, né le 20 décembre 1981. Les photos avaient été transmises à l’ASFC (par suite d’une comparaison d’empreintes) par l’Agence américaine des douanes et de la protection de la frontière américaine (USCBC). Tandis que l’individu dans la photo semblait identique au demandeur, celui-ci a quand même insisté sur le fait que Saiad Abdi, l’homme dans les photos, n’était pas lui.

 

[14]           Lesley Heinrichs a envoyé une lettre à l’ASFC datée du 20 juin 2012 pour dire qu’il était possible que les parents du demandeur aient versé des cautionnements et qu’elle avait entrepris des recherches.

 

[15]           L’agent a reporté l’examen au 22 juin 2012, mais le 21 juin, un membre du personnel du CCH lui a téléphoné pour l’informer que le demandeur éprouvait des troubles respiratoires et devait rester en isolation; le rendez-vous du 22 juin 2012 a donc été annulé.

 

[16]           Le 3 juillet 2012, l’agent a pris rendez-vous pour discuter avec le détenu au CCH le 5 juillet 2012. Lesley Heinrichs (qui avait fourni à l’agent un formulaire « Recours aux services d’un représentant » le 20 juin 2012 en prévision du rendez-vous du 22), a appris la nouvelle date par téléphone. Elle n’a pas mentionné qu’elle ne représentait plus le détenu. Elle ne s’est pas présentée à l’audience du 5 juillet 2013 mais, compte tenu de l’explication qu’elle lui avait déjà donnée, l’agent n’en a pas été étonné.

                                                                                                           

[17]           Lorsque l’agent a commencé l’examen, le demandeur lui a fait savoir qu’il ne comptait répondre à aucune question et qu’il voulait que son avocat réponde à sa place. L’agent lui a dit que Lesley Heinrichs n’assisterait pas à l’examen, et le demandeur lui a alors signalé que son avocat s’appelait David Matas. C’est seulement à ce moment que l’agent a appris que le demandeur était représenté David Matas. L’agent a pensé que le demandeur cherchait à reporter encore l’examen étant donné que :

i)        l’agent n’avait pas été informé au préalable du fait que le demandeur était représenté par David Matas;

ii)      l’agent avait reçu de Lesley Heinrichs un formulaire « Recours à un représentant »;

iii)    Lesley Heinrichs n’avait pas informé l’agent qu’elle ne représentait plus le demandeur;

iv)    le demandeur avait montré qu’il refusait de coopérer avec l’ASFC d’après plusieurs courriels au dossier.  

 

[18]           L’agent a informé le demandeur qu’il allait procéder à l’examen en se passant de sa collaboration.

 

[19]           Selon l’allégation soulevée dans le rapport rédigé par l’agent Olivier‑Job en application du paragraphe 44(1) et sur lequel l’agent avait fondé son examen, le demandeur était un étranger qui cherchait à rester au Canada en dépit du fait qu’il ne possédait pas les documents réglementaires le lui permettant. D’après l’agent Olivier-Job, lorsqu’il avait interviewé le demandeur à Emerson (Manitoba) le 11 juin 2012 et qu’il lui avait demandé la raison de sa présence au Canada, le demandeur avait répondu [traduction] : « Paix. Demande d’asile de la Somalie. » L’agent a alors conclu que le demandeur cherchait à rester au Canada.

 

 

[20]           L’agent a compris de cet entretien du 11 juin 2012 à Emerson que le demandeur ne possédait aucun document, ce que lui a confirmé par courriel l’agent Darren Kreller, de l’ASFC, lequel avait au départ arrêté le demandeur au Canada. L’agent a également établi que le demandeur et Saiad Abdi étaient bien une seule et même personne. Cette conclusion était fondée sur la confirmation par l’agent Olivier‑Job que les empreintes digitales se correspondaient ainsi que sur les renseignements et photographies transmis par le procureur général de l’Ohio.

 

[21]           L’agent a déclaré au demandeur qu’il était bien la personne décrite dans le rapport fondé sur le paragraphe 44(1) et a pris une mesure d’exclusion. Le demandeur a refusé de signer le formulaire et l’interprète a signé en tant que témoin du fait.

 

[22]           De retour à son bureau, l’agent a téléphoné à David Matas pour l’informer de ce que le demandeur avait déclaré que c’était lui qui le représentait. Ce dernier l’a confirmé et l’agent lui a alors expliqué qu’il n’avait pas le formulaire « Recours aux services d’un représentant », mais, en toute bonne foi, l’agent l’a informé de vive voix des détails de ses entretiens avec le demandeur en attendant le formulaire en question.

 

[23]           Le lendemain, 6 juillet 2012, l’agent a reçu de David Matas le formulaire « Recours aux services d’un représentant » par télécopieur. L’agent a remarqué que le formulaire avait été envoyé par télécopieur au bureau des appels et non à l’unité des audiences de l’ASFC de Winnipeg le 26 juin 2012, ce qui expliquait le retard. Toutefois, aucune mention n’avait été faite à ce sujet dans le dossier papier de l’ASFC, ni dans le système SSOBL, la base de données électroniques de l’ASFC.  L’agent a alors envoyé par télécopie et par courriel tous les documents pertinents à David Matas, lequel en a accusé réception par courriel.

 

III.       Question en litige

[24]           Y a-t-il eu manquement à l’obligation d’équité parce que le demandeur a été privé de son droit aux services d’un conseil?

 

IV.       Norme de contrôle

[25]           La norme de contrôle applicable aux questions relatives à l’équité procédurale est la norme de la décision correcte (Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, paragraphe 43) et il n’y a, par conséquent, pas lieu de faire montre de retenue envers l’agent (Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, paragraphe 53).

 

V.        Position du demandeur

[26]           Le demandeur prétend qu’on ne l’a pas informé de son droit à un conseil avant le 5 juillet 2012, lors de l’examen par le délégué du ministre, et que son avocat n’avait pas été informé de la tenue de l’examen. Le demandeur soutient qu’il ignorait ce qui devait se passer au cours de cet examen et c’est pour cette raison qu’il a demandé à l’agent de suspendre l’entretien pour lui donner l’occasion de prendre contact avec son conseil, ce que l’agent a refusé.

 

[27]           Le guide ENF 6 L’examen des rapports établis en vertu de la L44(1) (le guide) dispose : « Une personne n’a pas droit à un conseil lorsque sont prises les décisions relatives à une mesure de renvoi ou à l’admissibilité, à moins qu’elle ne soit détenue. Dans tous les cas, cependant, l’intéressé doit avoir la possibilité d’obtenir les services d’un conseil, à condition d’en assumer les coûts. » Donc, le guide exige de l’agent qu’il informe les intéressés de leur droit à un conseil avant de commencer l’entrevue. 

 

[28]           Le demandeur fait valoir que, bien que le guide n’impose pas d’obligations substantielles au défendeur contrairement à la LIPR, il est légitime de s’attendre à ce que cette procédure sera suivie.   Le guide étant du domaine public, il est raisonnable de conclure qu’une personne directement concernée s’attend à ce que le délégué du ministre tienne compte de la procédure décrite dans le guide pour s’acquitter de l’obligation d’équité accordée à tous. Le demandeur soutient que le défaut de respecter cette procédure déroge à l’obligation d’équité (voir Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817).

 

[29]           À l’audience, le demandeur a mentionné un certain nombre de cas où les demandeurs avaient demandé d’ajourner leur audience sur la demande d’asile lorsqu’ils ne disposaient pas des services d’un conseil.  

 

[30]           Dans sa plaidoirie, le demandeur a fait valoir l’opportunité de statuer à nouveau à l’égard de la recevabilité de sa demande étant donné qu’à son avis, un tribunal différemment constitué pourrait arriver à un résultat différent.

 

[31]           Le demandeur soutient que la mesure de renvoi conditionnelle qui pourrait être prise en vertu du paragraphe 49(2) de la LIPR si un tribunal différemment constitué jugeait sa demande recevable diffère de la mesure de renvoi exécutoire qui a été prise contre lui à la suite de l’examen par le délégué du ministre. Selon son argument, il ne m’appartient pas de me prononcer sur l’issue de sa demande d’asile lorsque les circonstances s’enchaînent différemment pas plus que sur son statut futur aux États‑Unis.

 

VI.       Position du défendeur

[32]           Le défendeur convient qu’un individu en détention doit être avisé de son droit à un conseil avant l’examen de l’admissibilité par le délégué du ministre et soutient que, en l’espèce, le droit du demandeur a été respecté.

 

[33]           Le défendeur souligne que, comme l’indique l’affidavit du délégué du ministre, l’agent Desjarlais, le demandeur avait été représenté par Lesley Heinrichs lors d’audiences précédentes et elle avait fourni à l’agent le formulaire « Recours aux services d’un représentant ». L’agent avait communiqué plusieurs fois avec Lesley Heinrichs au sujet du demandeur et ils avaient fixé la date de l’examen de l’admissibilité. Elle lui avait affirmé qu’elle représentait le demandeur, mais qu’elle n’assisterait pas à l’audience. Avant l’audience, ni Lesley Heinrichs ni David Matas n’avait informé l’agent que le demandeur avait changé de conseil.

 

[34]           Un traducteur somalien était présent malgré le fait que le demandeur semblait s’exprimer en anglais beaucoup mieux qu’il ne l’avait prétendu comme le montrent les transcriptions d’audiences antérieures. Le demandeur n’a pas signalé qu’il ne comprenait pas le traducteur.

 

[35]           Le défendeur fait aussi valoir que même si la Cour juge que le droit à un conseil du demandeur n’a pas été respecté, la présente affaire ne devrait tout de même pas être renvoyée étant donné que l’issue de la présente audience est inévitable.

 

[36]           L’allégation d’inadmissibilité en l’espèce reposait sur le fait que le demandeur était un étranger qui se trouvait au Canada sans visa ou autres documents réglementaires requis. Pour prendre sa décision, l’agent s’est fondé sur le fait que le demandeur n’avait aucun document en sa possession à son arrivée au Canada et qu’il avait déclaré au port d’entrée que la raison pour laquelle il se trouvait au Canada était qu’il cherchait [traduction] « la paix » et souhaitait présenter une « demande de réfugié en tant que citoyen somalien ». Par ailleurs, en dépit de ce que le demandeur a nié s’appeler Saiad Abdi, le ministre avait de solides preuves qu’il s’agissait bien du même individu. Le défendeur fait valoir que le fait de renvoyer la présente affaire à un nouvel agent réexamen donnerait exactement le même résultat, vu les dispositions de la LIPR.  

 

[37]           Le défendeur ne partage pas l’avis du demandeur selon lequel un nouvel examen de la recevabilité de la demande pourrait avoir une autre issue et soutient que les résultats seraient immanquablement les mêmes étant donné que la preuve établit que le demandeur est interdit de territoire au Canada. Le demandeur a été condamné aux États-Unis pour maniement inapproprié d’une arme dans un véhicule automobile et fait l’objet d’un mandat d’arrêt pour défaut d’assister à une audience de détermination de la peine pour une autre infraction. Il est accusé d’infractions au code de la route qui remontent à 2007 et a continuellement eu des démêlés avec la justice pénale jusqu’à ce qu’il soit arrêté au Minnesota en avril 2012. Le défendeur fait valoir que si le demandeur était jugé admissible au Canada après un nouvel examen (ce qui est improbable compte tenu de la preuve), il serait toujours assujetti à une mesure de renvoi. Bien que la mesure de renvoi puisse différer, le résultat final serait exactement le même, à savoir que le demandeur serait inévitablement renvoyé aux États-Unis.

 

VII.     Analyse

[38]           Je ne considère pas qu’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale à la lumière de ces faits très exceptionnels et particuliers.

 

[39]           Le demandeur a été informé de son droit à un conseil lorsqu’il a été arrêté la première fois le 11 juin 2012 et il a retenu les services d’un conseil qui a déposé le formulaire « Recours à un représentant ». L’agent est resté en contact avec le conseil et l’a tenue au courant de chacune des dates d’audience, sans toutefois accorder au demandeur le droit de faire appel à son conseil à chacun des stades de la procédure. J’estime qu’il n’y était pas obligé (Rebmann c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 310, paragraphe 13, et Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CAF 126, paragraphes 54-55).

 

[40]           Rien ne prouve que le demandeur a informé David Matas de la date d’audience. Nous savons seulement que David Matas n’a pas assisté à l’audience en dépit du fait que le demandeur était censé avoir retenu ses services le 26 juin 2012 ou avant.

 

[41]           Rien dans la preuve n’indique à quel moment Lesley Heinrichs a cessé de représenter le demandeur. Selon la preuve, elle a dit à l’agent qu’elle ne comptait pas assister à ces audiences. Nous avons une lettre qu’elle a datée du 20 juin 2012 dans laquelle elle dit être toujours en train de chercher des membres de la famille du demandeur pour qu’ils paient le cautionnement. La preuve établit qu’un avis de la tenue de l’audience le 5 juillet 2012 lui a été envoyé. Mais rien ne nous indique qu’elle a répondu à cet avis en disant qu’elle ne représentait plus le demandeur.

 

[42]           Il ressort clairement de la documentation versée au dossier que le décideur a considéré les critères énoncés dans l’arrêt Siloch c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 151 NR 76 (CAF), avant de tenir l’audience même si ces critères ont été établis dans le contexte d’une audience à la Section de la protection des réfugiés (SPR) et qu’ils sont maintenant intégrés à l’article 48 de la LIPR et non applicables en l’espèce. L’audience a été tenue par le délégué du ministre, un agent de l’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs, pour l’examen de l’admissibilité en vertu de l’article 44 de la LIPR et non par la SPR.

 

[43]           L’argument d’iniquité procédurale ne tient pas puisque l’agent n’a pas été mis au courant du changement d’avocat. Accepter l’argument qu’a présenté le demandeur au sujet de ces circonstances extraordinaires ôterait toute responsabilité au demandeur et reporterait sur le défendeur le blâme de circonstances qui étaient indépendantes de sa volonté ou qui n’avaient rien à voir avec son rôle. C’est au demandeur qu’il incombe de retenir les services d’un conseil s’il veut être représenté à l’audience.

 

[44]           L’agent a donc tenu l’audience en l’absence de David Matas, lequel ne lui avait pas dit qu’il représentait le demandeur, croyant par ailleurs que le demandeur était représenté par Lesley Heinrichs qui lui avait fait parvenir un formulaire valide de recours à un représentant et qui lui avait aussi confirmé qu’elle ne se présenterait pas. L’agent a pris cette décision compte tenu du fait que le demandeur n’avait pas été franc à d’autres occasions et avait même cherché à retarder la procédure.

 

[45]           Même si je conclus à un manquement à l’équité procédurale, nous avons affaire ici à des circonstances exceptionnelles qui commandent une décision inévitable (Yassine c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 27 ImmLR (2d) 135 (CAF), qui renvoie au paragraphe 9 du jugement rendu par la CSC dans Mobil Oil Canada Ltd c Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, au paragraphe 228; Nagulathas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1159, au paragraphe 24).

 

[46]           Je conclus qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale et rejette la demande.

 

[47]           Question certifiée présentée par le conseil du demandeur : [traduction] « Une demande de contrôle judiciaire devrait‑elle être rejetée en dépit du manquement à l’obligation d’équité si la décision aurait été la même s’il n’y avait pas eu manquement, ou devrait-elle être rejetée seulement si la décision aurait été la même après qu’un agent eut statué à nouveau sur l’affaire, s’il n’y avait pas eu manquement? »

 

[48]           Je ne certifierai pas cette question car elle ne constitue pas une question grave de portée générale.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.         L’intitulé de la cause est modifié de façon que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit remplacé par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile en qualité de défendeur;

2.         La demande est rejetée;

3.         Aucune question n’est certifiée;

4.         Aucuns dépens ne sont accordés.

 

« Glennys L. McVeigh »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DoSSIER :

                                                            IMM-7316-12

 

INTITULÉ :

Magan c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Winnipeg (manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 11 JUIN 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            Madame la juge MCVEIGH

DATE DES MOTIFS :

                                                            le 18 septembre 2013

COMPARUTIONS :

David Matas

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Nalini Reddy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 


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