Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

FCHdrF

 


Date : 20130925

Dossier : IMM‑2361‑13

 

Référence : 2013 CF 976

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2013

En présence de monsieur le juge Roy

 

 

ENTRE :

MARCO TULIO MORENO HERNANDEZ

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une deuxième audience devant la Cour fédérale concernant la demande de résidence permanente présentée à l’intérieur du Canada par M. Moreno Hernandez, en application du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi), sur le fondement de motifs d’ordre humanitaire [demande CH].

 

[2]               La première audience devant la Cour s’est soldée par un jugement, en date du 11 septembre 2012, infirmant la décision rendue par un agent principal d’immigration. Mon collègue, le juge Roger T. Hughes, a conclu que la décision de l’agent était « totalement déraisonnable compte tenu des faits particuliers de la présente affaire ». Ainsi, la Cour a ordonné que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision « fondée sur les bons principes de droit et sur les faits particuliers de l’espèce tout en tenant compte du fait que le demandeur était, au moment pertinent, un enfant âgé de 17 ans ». Un tel réexamen a eu lieu et une décision défavorable a été rendue par un autre agent principal d’immigration (l’agent) le 11 mars 2013. Cette décision défavorable a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire conformément à l’article 72 de la Loi, demande dont l’autorisation a été accordée le 13 juin dernier.

 

[3]               Le présent dossier comporte des faits importants qui, heureusement, ne sont pas contestés par les parties.

 

Les faits

[4]               Le demandeur est né le 22 octobre 1994 au Honduras. Il est citoyen de ce pays. Selon le dossier, il a une mère et un beau‑père ainsi qu’une sœur, un frère, une demi‑sœur et deux demi‑frères, qui résident tous au Honduras.

 

[5]               Nul ne conteste le fait que le demandeur vivait dans des conditions difficiles avec sa famille au Honduras. Ils habitaient dans un logement doté du strict minimum, le beau‑père de l’appelant n’occupait pas un emploi stable et ils vivent toujours dans ces conditions dans un petit village d’environ 1 000 habitants.

 

[6]               Nul ne conteste non plus le fait qu’en octobre 2008, le demandeur a été envoyé illégalement aux États‑Unis. À la suite de son arrestation et de sa détention pendant deux mois, il a été renvoyé au Honduras.

 

[7]               Un an plus tard, sa famille l’a de nouveau envoyé à l’extérieur du pays. Après avoir passé par le Guatemala, le Mexique et les États‑Unis, il est arrivé au Canada le 14 décembre 2009 et y a présenté une demande d’asile le 5 janvier 2010.

 

[8]               Sa demande d’asile a été rejetée le 26 août 2011. Selon la Section de la protection des réfugiés (la SPR), la principale question en litige concernait la crédibilité du demandeur. La SPR n’a pas été cru son témoignage concernant son recrutement forcé et les menaces proférées par la bande des Maras au Honduras. Le demandeur ne conteste apparemment pas le fait que sa crédibilité posait problème, puisqu’il admet maintenant qu’il n’avait pas fait l’objet de menaces et qu’on n’avait pas essayé de le recruter pendant qu’il était au Honduras. Voici ce qu’il a déclaré par écrit :

[traduction] J’ai inventé une histoire pour ma demande d’asile, car je croyais qu’il serait ainsi plus facile pour moi de demeurer au Canada. Comme l’a dit ma mère lors de son entretien avec mon avocat, les bandes ne tentaient pas de me recruter avant mon départ du Honduras, et je n’ai pas commis de crimes avec elles.

 

Malgré cet aveu, il a notamment réitéré dans la demande CH qu’il craignait d’être un candidat que les Maras seraient désireux de recruter s’il était renvoyé dans son pays.

 

[9]               Le 23 novembre 2011, il a présenté une demande CH. Ainsi que je l’ai déjà mentionné, la demande a été rejetée, mais la Cour a annulé la décision et ordonné qu’il soit statué à nouveau sur l’affaire.

 

La décision de l’agent

[10]           L’agent procédant au réexamen devait examiner trois questions distinctes soulevées par le demandeur. Premièrement, l’intérêt supérieur de l’enfant devait être pris en compte. Ainsi qu’il est mentionné précédemment, la demande doit être traitée en tenant compte du fait que le demandeur était âgé de 17 ans. Deuxièmement, on a fait valoir que le demandeur est bien établi au pays, ce qui milite en faveur de l’accueil de sa demande CH. Enfin, des éléments de preuve et des arguments ont été présentés à propos des conditions défavorables dans le pays auxquelles le demandeur ferait face s’il retournait au Honduras : l’agent devait se demander si cela constituerait des difficultés excessives.

 

[11]           Dans la décision, l’agent relève les trois motifs qui avaient été présentés à l’appui de la demande. Il déclare, conformément aux exigences de la loi, que l’intérêt supérieur de l’enfant a été examiné avec soin, puisque le demandeur avait 17 ans au moment où la demande a été présentée. L’agent poursuit en examinant soigneusement l’établissement du demandeur au Canada et les conditions défavorables auxquelles il ferait face au Honduras.

 

[12]           L’établissement du demandeur au pays est reconnu tout au long des motifs. Aux dires de tous, le demandeur réussit très bien à l’école et dans sa collectivité, malgré le fait qu’il se trouve ici sans sa famille et qu’il est considéré comme un [traduction] « pupille du ministère de l’Enfance et du développement de la Famille en Colombie‑Britannique ». Il vit avec des parents de famille d’accueil et cinq autres enfants. Voici ce que déclare toutefois l’agent :

[traduction] [. . .] à mon avis, le fait que le demandeur puisse bénéficier de meilleures possibilités au Canada qu’au Honduras ne veut pas dire que le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) sera favorablement exercé.

 

Le fait de devoir retourner au Honduras causera des difficultés au demandeur, mais l’agent estime que les compétences qu’il a acquises au Canada et ses traits de personnalité aideront à sa réadaptation dans son pays natal. L’agent a conclu en écrivant ce qui suit :

[traduction] J’ai examiné avec soin les éléments de preuve dont je dispose, tout en gardant à l’esprit la préoccupation de la Cour fédérale que « l’agent précédent n’a pas pris en compte, dans ses motifs, la preuve accablante concernant l’établissement du demandeur au Canada ». Je reconnais que le demandeur fréquente l’école secondaire au Canada depuis mars 2010, que son anglais s’est amélioré, qu’il a occupé un emploi et forgé des liens étroits avec plusieurs personnes, dont bon nombre ont écrit des lettres d’appui. Toutefois, selon mon analyse des éléments de preuve de l’établissement du demandeur dont je dispose dans le cadre de la présente demande CH, le renvoi du demandeur au Honduras n’irait pas, selon moi, à l’encontre de son intérêt supérieur.

 

 

[13]           L’agent examine ensuite les conditions défavorables dans le pays pour le cas où le demandeur serait renvoyé au Honduras. Il reconnaît à juste titre que des conditions défavorables peuvent justifier l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire pour des motifs d’ordre humanitaire. Il est en effet reconnu que « [c]omparativement à l’ERAR, l’évaluation des considérations d’ordre humanitaire doit satisfaire à une norme moins rigoureuse et n’est pas limitée à la définition de persécution prescrite par la Loi : menace à la vie, torture et traitements ou peines cruels et inusités ». Il ne fait nul doute que la situation au Honduras est plutôt sombre. L’agent conclut toutefois qu’affirmer que des bandes tenteraient de recruter le demandeur s’il retournait dans son pays relève de la pure conjecture. Quant aux possibilités s’offrant au demandeur au Honduras, l’agent estime qu’il serait mieux outillé qu’avant pour composer avec la situation là‑bas, maintenant qu’il a acquis certaines compétences et une instruction au Canada.

 

[14]           Étant donné l’argument présenté par l’avocat du demandeur selon lequel l’agent aurait entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, il importe d’examiner soigneusement la position prise à l’égard des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[15]           Le paragraphe 25(1.3) de la Loi est la disposition que l’agent a invoquée pour ne pas tenir compte dans la présente demande de l’allégation de risque pour la vie qui avait déjà été examinée dans la demande d’asile rejetée en 2011. Le paragraphe 25(1.3) est libellé comme suit :

  25. (1.3) Le ministre, dans l’étude de la demande faite au titre du paragraphe (1) d’un étranger se trouvant au Canada, ne tient compte d’aucun des facteurs servant à établir la qualité de réfugié – au sens de la Convention – aux termes de l’article 96 ou de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1); il tient compte, toutefois, des difficultés auxquelles l’étranger fait face.

 

  25. (1.3) In examining the request of a foreign national in Canada, the Minister may not consider the factors that are taken into account in the determination of whether a person is a Convention refugee under section 96 or a person in need of protection under subsection 97(1) but must consider elements that are related to the hardships that affect the foreign national.

 

 

[16]           L’agent n’a pas le pouvoir discrétionnaire de faire abstraction du paragraphe 25(1.3). Il est souligné dans la décision que les craintes d’atteinte à la vie du demandeur par des bandes et le passeur qui l’a fait sortir du Honduras ne pouvaient être à nouveau prises en compte puisqu’elles l’avaient été dans la demande d’asile. Cependant, l’agent mentionne expressément que les [traduction] « conditions défavorables dans le pays qui ont un impact négatif direct sur le demandeur constituent un facteur pertinent pour l’évaluation d’une demande CH présentée le 29 juin 2010 ou après cette date ». C’est la raison pour laquelle il est ensuite déclaré ce qui suit  dans la décision :

[traduction] [. . . ] En fait, la preuve indique qu’il n’a pas eu de problème avec des bandes pendant qu’il vivait à El Pedernal. Conclure que des bandes au Honduras tenteraient de recruter le demandeur s’il retournait dans ce pays relève, à mon avis, de la conjecture. J’estime que l’avocat du demandeur n’a pas fourni assez d’éléments de preuve objectifs pour me permettre de conclure que le renvoi de ce dernier au Honduras l’exposerait à un risque justifiant l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

La norme de contrôle

[17]           Le demandeur et le défendeur reconnaissent que la norme de la décision raisonnable s’appliquera à l’évaluation d’une décision relative à une demande CH. Le demandeur soutient toutefois que la norme de la décision correcte s’applique au refus de l’agent d’évaluer certains risques puisque, selon lui, cela constitue une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, situation qui commande l’application d’une norme de contrôle plus rigoureuse.

 

Analyse

[18]           Je ne crois pas que l’agent ait entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 25 de la Loi. Un examen attentif des motifs permet de constater que ceux‑ci excluent seulement d’un examen les « risques » qui avaient déjà fait l’objet d’une décision sur la demande d’asile. Il serait inapproprié en l’espèce de tenir pleinement compte du sens à donner au paragraphe 25(1.3) de la Loi. L’affaire n’a pas été entièrement débattue et ce n’est pas nécessaire pour rendre une décision en l’espèce. Disons simplement que l’agent a tenu compte des difficultés auxquelles l’étranger fait face, notamment qu’il pourrait faire l’objet de tentatives de recrutement s’il devait retourner dans son pays. Il s’agit d’une conclusion fondée sur les éléments de preuve dont disposait l’agent. Plus important encore, les éléments de preuve concernant les allégations présentées relativement à l’article 97 de la Loi ont été jugés non crédibles et ils ont, en fait, été confirmés comme étant non crédibles dans une déclaration écrite que le demandeur a lui‑même rédigée.

 

[19]           Selon moi, la question la plus difficile à trancher est celle qui est au cœur même de l’argument du demandeur. Ce dernier soutient que la décision est, dans l’ensemble, déraisonnable. J’estime que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être bien défini et qu’il faut exposer pourquoi il ne suffit pas à justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 25 de la Loi. En l’espèce, le demandeur soutient que l’intérêt de l’enfant a été minimisé, ce qui rend la décision déraisonnable. Il faut examiner soigneusement cet intérêt avant de le laisser de côté.

 

[20]           Le demandeur soutient essentiellement que le décideur a relevé les arguments et a tenté de les minimiser en vue de conclure, sans analyse minutieuse, qu’ils n’étaient pas suffisants pour justifier l’application de l’article 25.

 

[21]           C’est le paragraphe 25(1) qui s’applique en l’espèce. Il est libellé ainsi :

  25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire – sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 – , soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada – sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 – qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 

  25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible – other than under section 34, 35 or 37 – or does not meet the requirements of this Act, and may, on request from a foreign national outside Canada – other than a foreign national who is inadmissible under sections 34, 35 or 37 – who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

 

[22]           Une lecture objective de cette disposition ne permet pas de conclure que l’intérêt supérieur de l’enfant l’emporterait en l’espèce. Il faut lui accorder un certain poids, mais il ne s’agit pas du seul facteur que le ministre doit prendre en considération pour rendre la décision. L’équilibre qu’il faut atteindre est décrit dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, [Baker] de la Cour suprême du Canada. Voici le paragraphe 75 de cette décision :

[75]     La question certifiée demande s’il faut considérer l’intérêt supérieur des enfants comme une considération primordiale dans l’examen du cas d’un demandeur sous le régime du par. 114(2) et du règlement. Les principes susmentionnés montrent que, pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants. Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

 

 

[23]           J’estime aussi éclairants à cet égard les observations du juge Iacobucci dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Southam Inc., [1997] 1 RCS 748, au paragraphe 56 :

[56]     [. . .] Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s’il en est, pourrait découler de la preuve elle‑même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n’avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l’encontre de l’essentiel de la preuve. Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable.

 

 

[24]           Je suis porté à penser que ces observations sont compatibles avec le paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, qui est souvent cité :

[47]     La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

[25]           Dans le cas qui nous occupe, j’ai lu et relu les motifs donnés par l’agent. Je sais bien sûr que la Cour n’a pas à exercer son pouvoir discrétionnaire à la place de l’agent. Il faut faire preuve d’une grande déférence à l’égard du décideur. Je n’ai cependant pas été en mesure de trouver les raisons qui ont motivé sa conclusion.

 

[26]           Après examen de la décision, je ne dispose que de l’exposé des arguments et de la conclusion selon laquelle les arguments ne justifient pas l’application de l’article 25. Donc, après avoir conclu à l’existence de ce qui semblerait être des facteurs favorables à des considérations d’ordre humanitaire visées à l’article 25, le décideur conclut simplement à la page 8 de sa décision :

[traduction] [. . .] le fait de renvoyer le demandeur au Honduras n’irait pas, selon moi, à l’encontre de son intérêt supérieur.

 

 

[27]           De façon similaire, le décideur déclare : [traduction] « J’estime que l’avocat du demandeur n’a pas fourni assez d’éléments de preuve objectifs pour me permettre de conclure que le renvoi du demandeur au Honduras l’exposerait à un risque justifiant l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire pour des motifs d’ordre humanitaire ».

 

[28]           Il faut maintenant se demander pourquoi ces éléments de preuve seraient insuffisants.

 

[29]           À mon avis, il est particulièrement important de le savoir étant donné que la Cour suprême souligne, dans l’arrêt Baker, précité, la nécessité que la décision soit prise sur le fondement des raisons d’ordre humanitaire. Voici ce qu’il est écrit au paragraphe 66 :

[66]     Le libellé du par. 114(2) et de l’art. 2.1 du règlement exige que le décideur exerce le pouvoir en se fondant sur « des raisons d’ordre humanitaire » (je souligne). Ces mots et leur sens doivent se situer au cœur de la réponse à la question de savoir si une décision d’ordre humanitaire particulière constituait un exercice raisonnable du pouvoir conféré par le Parlement. La loi et le règlement demandent au ministre de décider si l’admission d’une personne devrait être facilitée pour des raisons humanitaires. Ils démontrent que l’intention du Parlement est que ceux qui exercent le pouvoir discrétionnaire conféré par la loi agissent de façon humanitaire. Notre Cour a jugé que le ministre est tenu d’examiner les demandes d’ordre humanitaire qui sont présentées : Jiminez‑Perez, précité. De même, quand il procède à cet examen, le ministre doit évaluer la demande d’une manière qui soit respectueuse des raisons d’ordre humanitaire.

 

 

Plus loin, la décision renferme des commentaires à propos de l’importance de l’intérêt supérieur de l’enfant :

[74]  [. . .] Par conséquent, l’attention et la sensibilité à l’importance des droits des enfants, de leur intérêt supérieur, et de l’épreuve qui pourrait leur être infligée par une décision défavorable sont essentielles pour qu’une décision d’ordre humanitaire soit raisonnable. Même s’il faut faire preuve de retenue dans le contrôle judiciaire de décisions rendues par les agents d’immigration en vertu du par. 114(2), ces décisions ne doivent pas être maintenues quand elles résultent d’une démarche ou sont elles‑mêmes en conflit avec des valeurs humanitaires. Les directives du ministre elles‑mêmes soutiennent cette approche. Toutefois, la décision en l’espèce était incompatible avec cette approche.

 

 

[30]           À la première vue, nous sommes en présence en l’espèce d’un enfant de 14 ans qui est envoyé aux États‑Unis par ses parents, en raison de la situation misérable dans laquelle ils se trouvent eux‑mêmes. À la suite de son renvoi au Honduras, le même enfant est envoyé, un an plus tard, au Guatemala, au Mexique puis aux États‑Unis avant d’arriver au Canada. Il est alors âgé de 15 ans. Nul ne conteste que le demandeur est venu au Canada parce qu’il voulait aider financièrement sa famille. Selon le dossier dont dispose la Cour, rien ne donne à penser qu’il soit venu au Canada pour des motifs inavoués et il est admis que la famille du demandeur est très pauvre et a des perspectives limitées. Depuis son arrivée au pays, cet enfant a, aux dires de tous, fait de son mieux pour s’adapter à son nouvel environnement et il semble qu’il soit en voie de terminer ses études secondaires. En pareilles circonstances, où les éléments de preuve semblent favoriser le demandeur, il est normal de s’attendre à ce que le décideur précise les raisons pour lesquelles il a estimé que l’intérêt supérieur de l’enfant et les motifs d’ordre humanitaire qui doivent justifier la prise de décision, conformément à l’arrêt Baker, précité, n’étaient pas suffisants. En l’espèce, nous disposons plutôt d’une déclaration indiquant que ces considérations étaient insuffisantes et d’une explication supplémentaire selon laquelle les compétences acquises au Canada constitueront des atouts advenant son renvoi au Honduras.

 

[31]           À première vue, il s’agit, à mon avis, d’un cas sérieux qui justifie peut‑être l’application de l’article 25. Ainsi, le décideur devrait normalement reconnaître la nécessité d’avoir des contre‑arguments et une justification bien articulés afin que sa décision puisse être jugée raisonnable. Je tiens à préciser qu’il n’appartient pas à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire à la place du décideur, et que le caractère raisonnable de la décision se mesure à l’aide des motifs et des conclusions qui y sont exposés. Il existe peut‑être d’autres facteurs, d’intérêt public par exemple, qui devraient entrer en ligne de compte, mais ils n’ont pas été exposés. Or, il convenait de formuler clairement dans la décision les motifs qui justifiaient l’issue retenue.

 

[32]           En l’espèce, j’estime que l’exposé des motifs comporte des lacunes. Ainsi, il est impossible d’affirmer que la décision en cause est raisonnable. Il ne faudrait pas interpréter mes motifs du jugement comme équivalant à une conclusion qu’il faudrait appliquer l’article 25 de la Loi de manière favorable au demandeur. Toutefois, s’il est impossible d’exposer des motifs, cela peut fort bien indiquer qu’il y a peu d’issues acceptables en l’espèce.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

1.      La demande est accueillie.

2.      L’affaire est renvoyée à un agent différent pour qu’il rende une nouvelle décision fondée sur les bons principes de droit et sur les faits particuliers de l’espèce, tout en tenant compte du fait que le demandeur était, au moment pertinent, un enfant âgé de 17 ans.

3.      Les parties conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier. La Cour est d’accord.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2361‑13

 

 

INTITULÉ :                                                  MARCO TULIO MORENO HERNANDEZ c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE LAUDIENCE :                          Vancouver (ColombieBritannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 11 septembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 25 septembre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Warren Puddicombe

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Helen Park

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.