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Date : 20131010


Dossier :

IMM-893-13

 

Référence : 2013 CF 1025

Montréal (Québec), le 10 octobre 2013

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

SHAHID AHMADZAI

 

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

partie défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I. Au préalable

[1]               La Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [Commission] a conclu, avec raison, suite à une analyse approfondie que ce cas du demandeur Afghan est un cas de manque de crédibilité avec des ambiguïtés, contradictions et incohérences provocantes donnant lieu aux espaces vides.

 

 

II. Introduction

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 7 janvier 2013 par la SPR, dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur n’était ni réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

 

III. Faits

[3]               Le demandeur, monsieur Shahid Ahmadzai, est citoyen de l’Afghanistan, né à Logar, en 1988.

 

[4]               Le demandeur indique qu’à l’âge de 13 ans (en septembre 2002), son père et son frère auraient été tués par des assassins inconnus à Logar et que le demandeur serait allé vivre chez son oncle à Kabul avec sa mère et son frère peu après l’incident.

 

[5]               Le demandeur explique qu’en 2002 et 2003, des personnes inconnues l’auraient suivi à deux reprises à Kabul. Il croit que ces inconnus sont les mêmes personnes qui auraient tué certains membres de sa famille. Il indique que ces derniers cognaient aussi souvent à sa porte et lançaient des roches à ses fenêtres pendant la nuit.

 

[6]               Le demandeur indique qu’il est arrivé au Canada le 21 septembre 2009 et a présenté sa demande d’asile le 23 septembre 2009. Comme le demandeur n’avait aucun document d’identité en sa possession lors de sa demande, l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] l’a mis immédiatement en détention.

 

[7]               Le 27 octobre 2009, après trois contrôles des motifs de sa détention, le demandeur a témoigné devant la Section de l'immigration [SI] de la Commission que son véritable nom était « Aimal Wafa ». Le demandeur a témoigné qu’il avait changé son nom à cause de sa crainte des assassins ciblant des membres de sa famille afin de pouvoir jouer pour l’équipe nationale de cricket de l’Afghanistan. (Cet aveu est survenu seulement après qu’un agent de l’ASFC lui a demandé s’il était un des membres de l’équipe de cricket qui avait récemment fui l’Afghanistan et avait demandé l’asile au Canada.) Le demandeur a également témoigné qu’il avait menti à l’égard de son âge et son itinéraire (voir Procès-verbal de l’audience du 27 octobre 2009).

 

[8]               Le 10 novembre 2009, le demandeur a été relâché par l’ASFC car l’agence fut satisfaite de son identité.

 

[9]               Le 7 janvier 2013, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur.

 

IV. Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[10]           Dans sa décision, la SPR a déterminé que la version des faits de monsieur Ahmadzai n'était pas crédible.

 

[11]           La SPR a conclu qu’il y avait plusieurs incohérences dans son histoire pour lesquelles aucune explication satisfaisante n'avait été fournie. La SPR a estimé que les éléments suivants minaient la crédibilité du demandeur en ce qui avait trait à sa crainte face aux assassins des membres de sa famille :

a)      Premièrement, le demandeur ne pouvait pas expliquer de façon du tout satisfaisante pourquoi il avait indiqué dans sa déclaration au point d’entrée qu’il craignait être tué par les talibans, après avoir indiqué qu’il craignait des personnes « inconnues » dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et son témoignage. Le demandeur ne pouvait pas non plus expliquer pourquoi il était le seul membre de sa famille vivant à être visé par ces personnes inconnues. De plus, il n’a fourni aucune preuve pour confirmer que son père et son frère avaient en fait été tués;

b)      Deuxièmement, le demandeur n’avait pas indiqué dans son FRP original ou son FRP modifié qu’il avait porté plainte à la police de Kabul après avoir été suivi par des inconnus. Au contraire, dans son FRP original, il a indiqué qu’il n’était pas allé à la police puisqu’ils étaient tous liés aux talibans. Dans son FRP modifié, le demandeur n’a rien mentionné à l’égard de sa plainte. Le demandeur a seulement déclaré avoir porté plainte à la police lorsqu’il a déposé ses preuves documentaires pour l’audience du 7 janvier 2013.

 

[12]           En ce qui a trait à la crainte du demandeur envers le gouvernement de l’Afghanistan en raison de sa demande d’asile au Canada, la SPR a conclu que le demandeur était également non crédible.

 

[13]           Premièrement, la SPR a déterminé que l’allégation du demandeur qu’il devait changer son nom à Aimal Wafa en 2005 parce qu’il aurait eu peur d’être découvert par les talibans était invraisemblable, car aucun autre membre de sa famille vivant en Afghanistan n’avait été importuné par ces personnes inconnues et avait voulu changer de nom. Étant donné ses préoccupations relatives à la crédibilité du demandeur, la SPR a accordé peu de poids à son explication liée à son changement de nom.

 

[14]           Pareillement, la SPR a conclu qu’il n’y avait aucun lien entre le demandeur et Aimal Wafa; le demandeur n’avait présenté aucune preuve crédible qu’il était Aimal Wafa. La SPR a noté que la seule similarité entre le demandeur et Aimal Wafa était que les deux étaient joueurs de cricket qui sont arrivés au Canada vers la même date. 

 

[15]           La SPR a ajouté que, même si elle avait cru que le demandeur était en fait Aimal Wafa, il n’y avait aucune preuve au dossier qui démontrait un risque objectivement fondé que le demandeur soit persécuté par le gouvernement de l’Afghanistan. La SPR a conclu qu’il était invraisemblable que le demandeur soit persécuté par ce gouvernement pour avoir déserté son équipe sportive en demandant l’asile au Canada.

 

V. Point en litige

[16]           L’analyse de la crédibilité faite par la SPR était-elle raisonnable?

 

VI. Dispositions législatives pertinentes

[17]           Les articles 96 et 97 de la LIPR s'appliquent en l'espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

VII. Norme de contrôle

[18]           Une décision portant sur la crédibilité devrait être révisée par la norme de la décision raisonnable. En tant que tribunal de première instance, la SPR est la mieux placée pour évaluer la crédibilité d'un demandeur (Aguebor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF)).

 

[19]           Selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne peut intervenir que si les motifs de la SPR ne sont pas « justifiés, transparents ou intelligibles ». Pour satisfaire à cette norme, la décision doit également appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47).

 

VIII. Position des parties

[20]           Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur dans son évaluation de sa crédibilité en omettant de considérer les documents au dossier. Le demandeur fait également valoir que la SPR n’a pas examiné et analysé ses circonstances particulières advenant son retour en Afghanistan.

 

[21]           Le défendeur soutient que la décision de la SPR est détaillée et explique clairement les raisons pour lesquelles elle ne croyait pas les allégations du demandeur. Le défendeur souligne que le demandeur n’affichait pas un comportement compatible avec celui qui craint pour sa vie, et que la SPR a agi raisonnablement en concluant que le demandeur n’était pas crédible.

 

IX. Analyse

[22]           La seule question en litige est de savoir si les conclusions de la SPR sont raisonnables par rapport à la crainte du demandeur envers le gouvernement de l’Afghanistan en raison de sa demande d’asile. Le demandeur ne semble pas contester les autres conclusions de la SPR, notamment relatif à sa crainte des talibans.

 

[23]           Il est de jurisprudence constante que les conclusions de la SPR touchant à des questions de crédibilité et d’évaluation de la preuve bénéficient d’une grande déférence (Blanquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 566; Serrato c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 176).

 

[24]           Les motifs donnés par la SPR ne doivent donc pas être examinés « à la loupe » par la Cour. Il ne faut pas non plus obliger la SPR à faire référence à chaque élément de preuve dont elle est saisie et qui est contraire à ses conclusions de fait, et à expliquer comment elle a traité ces éléments de preuve (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 au para 16).

 

[25]           En l’espèce, le demandeur allègue principalement que la SPR a omis d’appuyer ses motifs par la preuve au dossier. Après avoir examiné le dossier, la Cour ne peut pas être d’accord avec cette affirmation.

 

[26]           La SPR a tenu compte de tous les éléments de preuve à sa disposition et de toutes les explications fournies par le demandeur à l’égard de son identité; incluant les trois articles de journaux auxquels le demandeur fait référence dans son mémoire. La SPR a toutefois déterminé que la version des faits du demandeur manquait de crédibilité et que la preuve objective soumise ne démontrait pas de liens entre le demandeur et Aimal Wafa.

 

[27]           Essentiellement, le demandeur n’a pas été en mesure de présenter d’éléments de preuve convaincants à la SPR qu’il est en fait Aimal Wafa. Le lien entre lui et ce dernier est trop ténu. Bien qu’il avait une preuve photographique d’une personne dénommée Aimal Wafa au dossier, elle n’était pas claire. Cela démontre un vide important; donc avec un espace sans réponse. La SPR n’était donc pas en mesure de déterminer si la personne ressemblait suffisamment le demandeur pour faire un lien entre les deux. Cette appréciation de la preuve est tout à fait raisonnable.

 

[28]           Il est compréhensible que le demandeur soit en désaccord avec l’analyse effectuée par la SPR. Cependant, la Cour ne peut pas substituer son opinion à celle de la SPR. La SPR a eu l’avantage de voir et d’entendre le demandeur; elle est donc la mieux placée pour évaluer la valeur probante de tout élément de preuve produit par le demandeur (Cepeda-Gutierrez, ci-dessus). Dans la mesure où son appréciation est raisonnable, la Cour ne peut pas intervenir dans la décision de la SPR.

 

[29]           La décision de la SPR, prise dans son ensemble, appartient aux issues possibles acceptables eu égard à la preuve dont la SPR était saisie. La Cour ne constate aucune erreur susceptible de contrôle dans les conclusions de la SPR. Les motifs de la SPR sont clairs, détaillés et pondérés. De plus, la Cour estime que la SPR a pris en considération les circonstances particulières du demandeur advenant son retour en Afghanistan. Il ressort clairement que la SPR a examiné la situation particulière du demandeur par rapport à sa crainte du gouvernement de l’Afghanistan.

 

[30]           Suite à la preuve au dossier que la SPR avait devant elle, et sur laquelle elle n’était pas obligée de faire un commentaire (Cepeda-Gutierrez, ci-dessus; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654), la Cour constate également qu’il y a des incohérences clés dans les éléments centraux du récit du demandeur. Par exemple, le FRP original du demandeur indique qu’il a seulement été scolarisé à la maison, mais son FRP modifié et son témoignage indique qu’il a été instruit à « King’s Hall Public School » à Peshewar au Pakistan de 1999-2003 et ensuite à « Said Nour Mohammed Shah Mind » à Kabul en Afghanistan de 2003-2009. La Cour voit difficilement comment le demandeur aurait pu oublier avoir quitté le pays pendant ses années de formation. Ses liens amicaux sont également spécifiés selon le récit à l’égard de la crainte qu’il allègue envers le gouvernement de l’Afghanistan.

 

[31]           Le demandeur n’aurait donc pas été présent à Logar lorsque certains membres de sa famille auraient été tués ou à Kabul lorsqu’il aurait, selon une des versions, été suivi par des personnes inconnues en 2002, car il était au Pakistan jusqu’en 2003. Ces faits démontrent une phase d’un vécu qui n’a aucune logique inhérente à l’égard du récit prononcé par le demandeur, ni dans son deuxième FRP. Ceci signifie un trajet très différent qu’a raconté le demandeur la deuxième fois. Compte tenu de nombreuses divergences significatives dans la preuve au dossier du demandeur, le demandeur ne semble pas pouvoir donner un récit cohérent de ses expériences passées, même sous le nom de Shahid Ahmadzai.

 

[32]           Des trous d’importance centrale dans le nœud même du récit du demandeur suite aux deux versions contradictoires en plus d’un faux nom au dossier donnent matière aux instances autres que la SPR. La Cour est entièrement d’accord avec la conclusion de non-crédibilité de la SPR.

 

 

 

X. Conclusion

[33]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande de contrôle judiciaire du demandeur sans question d’importance générale à certifier.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-893-13

 

INTITULÉ :

SHAHID AHMADZAI  c  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 9 octobre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 10 octobre 2013

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

 

Pour la partie demanderesse

 

Lynne Lazaroff

 

Pour la partie défenderesse

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stéphanie Valois

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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