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Date : 20131015

Dossiers : T‑445‑11

T‑446‑11

T‑447‑11

T‑448‑11

Référence : 2013 CF 1040

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2013

En présence de madame la juge Strickland

 

 

Dossiers : T‑445‑11

T‑446‑11

ENTRE :

 

DENISE ANDERSON

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

Dossiers : T‑447‑11

T‑448‑11

ET ENTRE :

 

 

KATHLEEN BETTS

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de quatre décisions, en date du 7 février 2011, par lesquelles Mme Diane Lorenzato, sous‑ministre adjointe, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, Direction générale des ressources humaines, a rejeté les plaintes de harcèlement et d’abus de pouvoir formulées par Mmes Denise Anderson et Kathleen Betts contre M. Dean Miller, directeur général régional (DGR), Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC), région de l’Ontario (dossier T‑446‑11 et T‑448‑11) et contre Mme Catherine Vick, directrice régionale des ressources humaines, TPSGC, région de l’Ontario (dossier T‑445‑11 et T‑447‑11). Les quatre demandes ont été réunies pour former une instance à gestion spéciale le 6 décembre 2011. La présente demande de contrôle judiciaire a été introduite conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

 

Contexte

[2]               Les demanderesses, Denise Anderson et Kathleen Betts, travaillaient toutes les deux au bureau du directeur général régional (le bureau du DGR) de TPSGC à Toronto, où elles occupaient des postes d’adjointes à la direction de groupe et de niveau AS‑01.

 

[3]               M. Miller a été nommé directeur général régional (DGR) de TPSGC pour la région de l’Ontario en septembre 2007. Il raconte que sa mission consistait à reconstruire et à restructurer un bureau régional qui ne répondait souvent pas aux exigences opérationnelles. Pour ce faire, il fallait restructurer le bureau du DGR et réorganiser le travail au sein du bureau.

 

[4]               M. Miller a rencontré les demanderesses et leur a expliqué qu’il mettait en place une nouvelle structure au sein de laquelle il n’y aurait plus d’employés de groupe et de niveau AS‑01. Il n’y aurait plus qu’un seul poste AS‑05, un seul poste AS‑02 et un seul poste CR‑4. M. Miller entendait que son ancienne adjointe administrative le suive dans ses nouvelles fonctions au bureau du DGR et qu’elle comble le nouveau poste AS‑02.

 

[5]               Par la suite, M. Miller a rencontré les demanderesses à plusieurs reprises et leur a offert de les aider avec leur formation et de les aider à se trouver d’autres postes convenables au sein du gouvernement fédéral au même niveau et dans le même groupe. Les demanderesses n’étaient pas disposées à envisager la possibilité d’être mutées à d’autres postes, et ce, même si, dans un cas, cette mutation se serait traduite par une promotion au niveau AS‑02, et elles ont refusé des affectations temporaires à d’autres postes AS‑01.

 

[6]               Les demanderesses ont également rencontré Mme Catherine Vick, directrice régionale des ressources humaines de TPSGC pour la région de l’Ontario, pour discuter de leur situation. Elles lui ont demandé de leur fournir des renseignements justifiant les mesures prises par M. Miller. Mme Vick les a dirigées vers certains sites Web qui, selon les demanderesses, expliquaient, aux dires de Mme Vick, ce dont un gestionnaire doit tenir compte lorsqu’il élabore une nouvelle structure organisationnelle. Mme Dick a également informé les demanderesses que la direction avait le droit de réorganiser le bureau.

 

[7]               Le 15 octobre 2008, les demanderesses ont déposé des plaintes de harcèlement et d’abus de pouvoir contre M. Miller, Mme Vick et d’autres personnes conformément à la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du Conseil du Trésor (la Politique sur le harcèlement). La Politique sur le harcèlement régit la procédure de traitement des plaintes en matière de harcèlement et s’applique à tous les ministères et organismes fédéraux.

 

[8]               Les demanderesses alléguaient que M. Miller les avait harcelées et avait abusé de son pouvoir en exerçant des pressions sur elles pour qu’elles acceptent des postes à l’extérieur du bureau du DGR et en agissant contrairement aux règles et aux procédures régissant l’emploi dans la fonction publique pour faciliter l’arrivée de son ancienne adjointe administrative à ce bureau et pour contribuer à la restructuration du bureau du DGR. Les demanderesses alléguaient que Mme Vick avait facilité les démarches entreprises par M. Miller pour les écarter de leurs postes, sachant que les agissements de M. Miller constituaient du harcèlement.

 

[9]               Suivant la Politique sur le harcèlement, si une plainte n’est pas résolue par la médiation, le gestionnaire délégué peut ouvrir une enquête en retenant les services d’un enquêteur indépendant. L’enquêteur doit soumettre un rapport écrit au gestionnaire délégué. Mme Lorenzato était la gestionnaire déléguée et Mme Audrey Devlin, du cabinet Devlin and Associates, a été chargée d’enquêter sur les plaintes déposées par les demanderesses (l’enquêteuse). Les plaintes des demanderesses étaient essentiellement identiques et elles ont été examinées conjointement.

 

[10]           Le 20 juillet 2010, TPSGC a remis aux parties le rapport préliminaire de l’enquêteuse. Le 22 novembre 2010, le délégué syndical des demanderesses, M. Craig Spencer, a soumis une réponse détaillée au rapport préliminaire au nom des demanderesses. Il expliquait que ce qui était reproché à M. Miller était d’avoir commis un abus de pouvoir en faisant fi des formalités des règles de dotation de la fonction publique et en chassant les demanderesses des postes à durée indéterminée qu’elles occupaient. De plus, M. Spencer expliquait que l’enquêteuse n’avait pas cherché à savoir si M. Miller possédait le pouvoir d’agir de la sorte et affirmait que, dans la négative, ses agissements constituaient un abus de pouvoir et une violation de la Politique sur le harcèlement. Finalement, il expliquait que Mme Vick ne s’était pas acquittée de son obligation envers les demanderesses en appuyant la décision de M. Miller.

 

[11]           Le rapport final de l’enquêteuse a été remis aux demanderesses en décembre 2010. L’enquêteuse concluait que leurs plaintes de harcèlement et d’abus de pouvoir n’étaient pas fondées. M. Miller avait agi dans le cadre de sa compétence en tant que DGR et ses agissements ne constituaient pas du harcèlement. L’enquêteuse a conclu que certaines des allégations des demanderesses étaient calomnieuses, diffamatoires et malicieuses. Quant à la plainte portée contre Mme Vick, l’enquêteuse a estimé qu’aucune des allégations formulées contre elle n’était fondée.

 

[12]           Le 7 février 2011, Mme Lorenzato a accepté les conclusions du rapport d’enquête final suivant lesquelles les plaintes déposées par les demanderesses n’étaient pas fondées. La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire des décisions de Mme Lorenzato (collectivement désignées comme étant la décision).

 

Contexte relatif à la politique et à la loi

[13]           Les demanderesses ont déposé leurs plaintes en vertu de la Politique sur le harcèlement. Le dossier ne renferme aucune directive ou aucun document susceptible d’étoffer le contenu procédural de la Politique sur le harcèlement.

 

[14]           La Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art 12 et 13 (la LEFP) confie à la Commission de la fonction publique (la Commission) la mission de nommer les employés de la fonction publique fédérale. La Commission peut déléguer ce pouvoir à des administrateurs généraux qui, à leur tour, peuvent autoriser d’autres personnes, comme des gestionnaires ministériels, à exercer ces pouvoirs. La Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F‑11 (la LGFP) reconnaît au Conseil du Trésor pleine compétence sur toutes les questions se rapportant à la gestion des ressources humaines au sein du secteur public. Le Conseil du Trésor peut déterminer les effectifs nécessaires à la fonction publique et assurer leur répartition et leur bonne utilisation. Le préambule et les dispositions 2(1), 11, 15(1), 16, 24, 29, 30(1) et 51 de la LEFP et 7(1)b), 7(1)e), 11.1(1) et 12(1) de la LGFP s’appliquent en l’espèce.

 

Questions en litige

[15]           Selon les demanderesses, le présent contrôle judiciaire soulève la question de la norme de contrôle applicable et celle de savoir si TPSGC a fait défaut d’observer les principes d’équité procédurale en décidant de rejeter les plaintes d’abus de pouvoir et de harcèlement formulées par les demanderesses. Selon le défendeur, la Cour est appelée à décider si l’enquêteuse a contrevenu aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle.

 

[16]           Le nœud du litige à l’origine du présent contrôle judiciaire a trait à la question de savoir si TPSGC a correctement enquêté sur les plaintes de harcèlement et d’abus de pouvoir présentées par les demanderesses. Je suis par conséquent d’accord avec les parties pour dire que la Cour doit chercher à savoir si la décision, qui a repris les conclusions de cette enquête et était fondée sur celle‑ci, était équitable sur le plan procédural.

 

Thèse des parties

Les demanderesses

[17]           La principale allégation des demanderesses est que TPSGC n’a pas mené une enquête suffisamment rigoureuse avant de décider de rejeter leurs plaintes de harcèlement.

 

[18]           Les demanderesses affirment que la nature précise de l’obligation en matière d’équité procédurale à laquelle sont tenus les tribunaux administratifs dépend des circonstances de chaque espèce (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker]) et que l’analyse et la norme de contrôle qui ont été appliquées dans la décision Potvin c Canada (Procureur général), [2005] ACF no 547 (QL) (1re inst) [Potvin] s’appliquent également en l’espèce (décision Potvin, précitée, aux paragraphes 25 et 28; Bell Canada c Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 CF 113, au paragraphe 43).

 

[19]           De plus, l’équité procédurale exige que l’enquête soit neutre et rigoureuse. Pour qu’une enquête soit considérée comme rigoureuse, il faut que l’enquêteur :

  • examine toutes les principales allégations formulées dans les plaintes;
  • examine toutes les preuves manifestement importantes;
  • présente au défendeur les arguments des plaignantes qui remettent en question le point de vue du défendeur;
  • offre aux parties la possibilité de formuler toute observation pertinente en réponse au rapport d’enquête préliminaire et de tenir compte de toutes ces observations.

 

 

(Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 120 à 123; Alliance de la fonction publique du Canada c Canada (Conseil du Trésor), 2005 CF 1297, aux paragraphes 42 à 50 [AFPC]).

 

[20]           Les demanderesses affirment également que le rapport de l’enquêteuse comporte trois erreurs importantes qui constituent un manquement à l’équité procédurale. Ainsi, l’enquêteuse aurait omis : a) d’examiner la principale allégation des demanderesses; b) de tenir compte d’éléments de preuve importants; c) d’examiner le fond de leur plainte.

 

[21]           En ce qui concerne l’omission de l’enquêteuse d’examiner l’allégation principale, les demanderesses affirment que la principale allégation qu’elles formulaient contre M. Miller et Mme Vick avait trait à la façon dont elles avaient perdu leurs postes. Plus précisément, les agissements de M. Miller étaient incompatibles avec les obligations inhérentes à tout réaménagement d’un lieu de travail au sein de la fonction publique fédérale et avec les dispositions de la LEFP et de la LGFP. Bien que les demanderesses aient formulé les arguments au sujet des règles de dotation applicables au sein de la fonction publique fédérale, l’enquêteuse n’en a pas tenu compte et ne les a pas évaluées. Les demanderesses font valoir que l’enquêteuse n’a cité aucun document qui indiquerait la source des pouvoirs de M. Miller et elles ajoutent que le rapport final ne tenait pas compte des limites imposées par la loi au pouvoir de M. Miller de réorganiser le lieu de travail de la façon dont il l’a fait, compte tenu du fait qu’il était surtout motivé par son désir que son ancienne adjointe le suive dans ses nouvelles fonctions. De plus, l’enquêteuse n’a pas examiné la décision de M. Miller de recourir à un processus de dotation informel plutôt que de procéder à un réaménagement des effectifs en bonne et due forme.

 

[22]           Les demanderesses soutiennent qu’à défaut de procéder à ces vérifications, l’enquêteuse ne pouvait mener une enquête rigoureuse.

 

[23]           Quant au défaut de l’enquêteuse d’examiner des éléments de preuve importants, les demanderesses font valoir qu’elles ont signalé l’absence de documents appuyant les décisions de M. Miller en matière de dotation et qu’elles ont demandé à l’enquêteuse de chercher à obtenir ces documents. Ces éléments de preuve étaient importants, en ce sens qu’ils auraient permis de confirmer ou d’infirmer les allégations formulées contre M. Miller et Mme Vick. L’enquêteuse n’a pas demandé à M. Miller de produire les « écrits » qui l’avaient, le cas échéant, amené à décider de les chasser de leurs postes. Pourtant, elle a conclu que M. Miller avait agi dans le cadre de ses pouvoirs, sans motiver sa conclusion ni chercher à savoir quelle était la source des pouvoirs en question.

 

[24]           Les demanderesses affirment qu’au nombre des liens que Mme Vick leur a envoyés par courriel, se trouvait la politique du ministère sur les remaniements organisationnels. L’enquêteuse a conclu que M. Miller avait respecté cette politique, sans motiver cette conclusion ni se demander si la politique en question traitait de la question des limites légales des pouvoirs de M. Miller de façon générale ou en fonction de la situation particulière des demanderesses. Les demanderesses soutiennent également que le rapport permet de penser que l’enquêteuse n’a examiné aucun autre des renseignements que Mme Vick avait communiqués aux demanderesses.

 

[25]           Enfin, les demanderesses font valoir que l’enquêteuse s’est concentrée à tort sur certaines préoccupations formulées au sujet de leur rendement. Toutefois, les agissements de M. Miller seraient nécessairement « perçus différemment » si l’on avait d’abord cherché à savoir s’il avait respecté ou non les obligations que lui imposaient les règles régissant l’emploi dans la fonction publique. Il était impossible pour l’enquêteuse de bien saisir les conséquences des agissements de M. Miller sur les demanderesses sans d’abord éclaircir ce point.

 

Prétentions et moyens du défendeur

[26]           Le défendeur formule deux principales prétentations, à savoir : (i) la façon dont M. Miller a exercé ses pouvoirs ne constitue pas du harcèlement; (ii) TPSGC a respecté ses obligations en matière d’équité procédurale.

 

[27]           Le défendeur affirme que les questions d’équité procédurale doivent être examinées à la lumière de la définition que la Politique donne du harcèlement et de l’abus de pouvoir. Le harcèlement et l’abus de pouvoir exigent une intention de nuire à un employé et il faut qu’on ait affaire à plus qu’une simple décision administrative entachée de lacunes (McElera c Canada (Industrie), [2003] ACF no 1001 (QL) (1re inst) au paragraphe 11). La Politique définit le harcèlement comme suit :

Harcèlement : comportement inopportun et offensant, d’un individu envers un autre individu en milieu de travail, y compris pendant toute activité ou dans tout lieu associé au travail, et dont l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition répréhensible qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, et tout acte d’intimidation ou de menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[28]           Dans son rapport, l’enquêteuse cite la définition que le ministère de la Justice donne de l’abus de pouvoir : « Il consiste à profiter indûment d’une situation d’autorité pour compromettre l’emploi d’une personne, nuire à son rendement, mettre ses moyens d’existence en péril ou encore entraver sa carrière ».

 

[29]           Selon le défendeur, les éléments de preuve contenus dans le rapport d’enquête confirment qu’il existait un fondement factuel raisonnable justifiant la façon dont M. Miller avait agi. Ses agissements ne constituaient donc pas un abus de pouvoir (Bartrud c Office of the Superintendent of Financial Institutions, [2006] CPSSLRB no 65, aux paragraphes 75 et 84).

 

[30]           Le défendeur affirme que les plaintes des demanderesses concernent essentiellement de présumés manquements à des règles de dotation. Il existe d’autres recours pour se plaindre de présumés manquements aux exigences en matière de dotation au sein de la fonction publique, notamment une plainte à la Commission ou un grief. Toutefois, même s’il s’agissait d’un manquement aux règles de dotation, ce manquement n’équivaudrait pas à du harcèlement ou à un abus de pouvoir, étant donné que la volonté de nuire était absente et que l’intention de nuire doit être présente pour qu’on puisse tirer une conclusion en ce sens. Or, l’enquêteuse a constaté qu’il n’existait aucun élément de preuve appuyant une telle conclusion.

 

[31]           Le défendeur soutient que la nature de l’équité procédurale dépend du contexte. Les circonstances de chaque espèce dictent le degré de rigueur exigé (Slattery c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] ACF no 181 (QL) (1re inst) aux paragraphes 55, 56 et 69, confirmé par [1996] ACF no 385 (QL) (CA) [Slattery]). Dans le cas qui nous occupe, le processus d’enquête était équitable sur le plan procédural, étant donné que TPSGC a procédé à une enquête neutre et rigoureuse (décision Slattery, précitée; Miller c Canada (Procureur général), [1998] ACF no 1564 (QL) (1re inst)). L’enquêteuse a examiné l’allégation principale des demanderesses suivant laquelle en les chassant de leur poste respectif, M. Miller avait agi contrairement aux règles de dotation de la fonction publique. L’enquêteuse disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que M. Miller cherchait de bonne foi à restructurer l’organisation et c’est à juste titre qu’elle a conclu qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve permettant de penser que M. Miller avait violé les règles régissant l’emploi au sein de la fonction publique. Même si M. Miller s’est mépris au sujet de son droit de remanier son organisation, cette erreur ne constitue pas du harcèlement.

 

[32]           Selon le défendeur, il est de jurisprudence constante que les tribunaux n’interviennent que s’ils constatent qu’une « omission déraisonnable » a été commise au cours de l’enquête ou si l’enquête était « manifestement déficiente ». Il y a omission déraisonnable ou déficience manifeste lorsque l’enquêteur omet d’examiner une « preuve manifestement importante » et que cette omission ou cette lacune ne peuvent être corrigées en les signalant à l’enquêteur dans le cadre des observations présentées par les parties en réponse au rapport d’enquête préliminaire. Des omissions ou des lacunes mineures qui peuvent et devraient être corrigées par les parties dans leurs arguments ne donnent pas ouverture à un contrôle judiciaire (décision Slattery, précitée, aux paragraphes 56 et 69). On ne peut accuser une enquête de manquer de rigueur simplement parce que l’enquêteur n’a pas analysé chacune des allégations formulées par le plaignant (décision Slattery, précitée, aux paragraphes 56 et 67 à 69).

 

[33]           Quant à l’argument des demanderesses suivant lequel l’enquêteuse n’a pas examiné certains éléments de preuve importants, le défendeur affirme que les demanderesses n’ont présenté aucun élément de preuve permettant de penser qu’il existe même des écrits justifiant les décisions prises par M. Miller en matière de dotation. L’enquêteuse disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que M. Miller cherchait de bonne foi à procéder à une restructuration; par conséquent, ses agissements ne constituaient pas du harcèlement. Vu ce qui précède, le défaut de réclamer des documents supplémentaires détaillant les projets de restructuration ne constitue pas une omission d’examiner une « preuve manifestement importante ».

 

[34]           Enfin, le défendeur fait valoir que le rendement des demanderesses était un élément pertinent pour l’enquête étant donné que le bureau du DGR avait besoin d’une restructuration. L’enquêteuse n’a pas manqué à ses obligations en matière d’équité procédurale en analysant le rendement des demanderesses.

 

Norme de contrôle

[35]           Lorsque la norme de contrôle applicable à une question en particulier soumise à la cour de révision a déjà été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 aux paragraphes 50 à 57 [Dunsmuir]). Je suis d’accord avec les parties pour dire que la norme de contrôle applicable à la question de savoir si un rapport d’enquête est suffisamment rigoureux, comme c’est le cas en l’espèce, est une question d’équité procédurale assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Busch c Canada (Procureur général), 2008 CF 1211, au paragraphe 12 [Busch]; Shaw c Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2013 CF 711, au paragraphe 28; décision ACFP, précitée, au paragraphe 24; Thomas c Canada (Procureur général), 2013 CF 292, au paragraphe 38 [Thomas]; arrêt Sketchley, précité, aux paragraphes 46, 52 et 55).

 

[36]           Il est également bien établi qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’égard d’un tribunal administratif en ce qui concerne les questions d’équité procédurale (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 50; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43 [Khosa]; arrêt Sketchley, précité, au paragraphe 53; Gravelle c Canada (Procureur général), 2006 CF 251, au paragraphe 24 [Gravelle]).

 

Analyse

Le processus d’enquête et de prise de décision était‑il équitable sur le plan de la procédure?

[37]           Le point de départ de cette analyse consiste à se demander ce que TPSGC devait faire pour s’acquitter de son obligation d’équité procédurale envers les demanderesses. Autrement dit, en quoi consistait précisément son obligation d’équité en l’espèce?

 

[38]           Dans la décision Potvin, la Cour a estimé que la politique qui était en litige dans cette affaire – la politique pour la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail de la Cour canadienne de l’impôt – codifiait l’étendue des obligations imposées par l’équité procédurale dans les circonstances. De même, dans la décision Thomas, précitée, la juge Kane a conclu que la même politique sur le harcèlement que celle qui s’applique en l’espèce ainsi que les lignes directrices connexes de TPSGC avaient pour effet de codifier les obligations imposées par l’équité procédurale à l’enquêteur.

 

[39]           En l’espèce, la Politique sur le harcèlement définit les étapes à suivre pour présenter une plainte. On recourt notamment à un enquêteur, qui soumet au gestionnaire délégué un rapport écrit de ses conclusions, sur lesquelles le gestionnaire délégué peut se fonder pour décider s’il y a eu ou non harcèlement. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, et à la différence de l’affaire Thomas, précitée, aucune explication, ni dans les observations des parties ni dans les rapports d’enquête de directives appuyant la politique sur le harcèlement, ne permet de comprendre davantage la procédure d’enquête à suivre. La Politique sur le harcèlement prévoit simplement que les enquêteurs sont censés satisfaire aux exigences prévues par le profil de compétence pour enquêteurs en matière de harcèlement et appliquer les principes d’équité procédurale.

 

[40]           À défaut de directives concernant des garanties précises en matière d’équité procédurale, TPSGC a l’obligation de se conformer aux principes déjà énoncés dans les arrêts Sketchley et Baker, précités. Dans le cas qui nous occupe, toutefois, le seul aspect de l’équité procédurale en litige concerne la rigueur du rapport de l’enquêteuse.

 

[41]           Dans la décision Slattery, précitée, le juge Nadon (qui était alors juge de notre Cour), a examiné la teneur de l’obligation d’équité dans le contexte d’une enquête portant sur des plaintes de discrimination et de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) de rejeter les plaintes en question. Cette décision était fondée sur le rapport de l’enquêteuse qui avait conclu que les allégations de discrimination n’étaient pas fondées, vu l’ensemble de la preuve.

 

[42]           Le juge Nadon a examiné le degré de rigueur exigé de l’enquête :

[55]      Pour déterminer le degré de rigueur de l’enquête qui doit correspondre aux règles d’équité procédurale, il faut tenir compte des intérêts en jeu : les intérêts respectifs du plaignant et de l’intimé à l’égard de l’équité procédurale, et l’intérêt de la CCDP à préserver un système qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif. [...]

 

[...]

 

[56]      Il faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n’est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose. Un tel point de vue correspond à la retenue judiciaire dont la Cour suprême a fait preuve à l’égard des activités d’appréciation des faits du Tribunal des droits de la personne dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554.

 

[57]      Dans des situations où les parties ont le droit de présenter des observations en réponse au rapport de l’enquêteur, comme c’est le cas en l’espèce, les parties peuvent compenser les omissions moins graves en les portant à l’attention du décideur. Par conséquent, ce ne serait que lorsque les plaignants ne sont pas en mesure de corriger de telles omissions que le contrôle judiciaire devrait se justifier. Même s’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive, il me semble que les circonstances où des observations supplémentaires ne sauraient compenser les omissions de l’enquêteur devraient comprendre : (1) les cas où l’omission est de nature si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne suffit pas à y remédier; ou (2) le cas où le décideur n’a pas accès à la preuve de fond en raison de la nature protégée de l’information ou encore du rejet explicite qu’il en a fait.

 

[43]           Le juge Nadon s’est ensuite demandé si l’enquête soumise à l’examen de la Cour s’était déroulée avec suffisamment de rigueur et, dans la négative, si les omissions relevées dans le rapport pouvaient être corrigées par les observations formulées par la demanderesse en réponse. Il a examiné l’argument de la demanderesse suivant lequel l’enquête manquait de rigueur parce que certains des témoins qu’elle avait désignés n’avaient pas été interrogés et que le rapport ne contenait aucune analyse au sujet du rôle joué par le chef de la section qui l’avait harcelée.

 

[44]           Le juge Nadon a conclu que l’enquêteuse avait examiné toutes les questions fondamentales contenues dans la plainte de la demanderesse y compris le traitement que lui avait subir son chef de section. Le fait qu’« aucune analyse de certaines allégations précises ne figure dans le rapport écrit de l’enquêteuse ou dans les motifs invoqués par la CCDP pour rejeter la plainte n’indique pas que ces allégations n’ont pas été examinées par l’enquêteuse, et ne constitue pas un motif donnant ouverture au contrôle judiciaire ». Il a également déclaré ce qui suit :

[69]      Le fait que l’enquêteuse n’ait pas interrogé chacun des témoins recommandés par la requérante et le fait que la conclusion tirée par l’enquêteuse ne mentionne pas chacun des prétendus incidents de discrimination n’ont pas non plus de conséquence absolue. Cela est encore plus vrai lorsque la requérante a l’occasion de combler les lacunes laissées par l’enquêteuse en présentant subséquemment ses propres observations. En l’absence de règlements qui lui donnent des lignes directrices, l’enquêteuse, tout comme la CCDP, doit être maître de sa propre procédure, et le contrôle judiciaire d’une enquête prétendument déficiente ne devrait être justifié que lorsque l’enquête est manifestement déficiente. [...]

 

[45]           Finalement, dans la décision Slattery, le juge Nadon a conclu qu’il n’y avait aucun motif justifiant la révision de la décision de la CCDP pour cause de manque de rigueur de l’enquête ou d’autre manquement à une règle d’équité procédurale (voir également Miller c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] ACF no 735 (QL) (1re inst), à la page 201.

 

[46]           Dans le cas qui nous occupe, l’obligation d’équité exigeait que l’enquêteuse mène une enquête rigoureuse et qu’elle accorde aux demanderesses la possibilité de réagir au rapport préliminaire. Cette obligation s’apparentait à celle prévue dans le cas de la procédure prévue par la CCDP pour déposer une plainte et pour y répondre (décision Potvin, précitée, au paragraphe 25; Moussa c Canada (Commission de la fonction publique), 2007 CF 884, au paragraphe 38). Bien que les parties n’aient pas eu la possibilité de présenter d’autres observations au gestionnaire délégué qui a pris la décision finale au sujet de la plainte, il leur était loisible de formuler des observations complémentaires comme les demanderesses l’ont fait en l’espèce, après avoir examiné le rapport d’enquête préliminaire. À mon avis, cet aspect de l’obligation d’équité a été respecté de sorte qu’il ne reste à examiner que la rigueur dont l’enquêteuse a fait preuve, s’agissant des plaintes des demanderesses.

 

[47]           Les demanderesses affirment que l’enquête n’était pas rigoureuse étant donné que l’enquêteuse n’a pas examiné leur allégation principale, c’est‑à‑dire la façon dont elles ont été chassées de leurs postes et la source du pouvoir permettant de prendre cette mesure. Il convient peut‑être de signaler, par souci de clarté, que l’on n’a pas mis fin à l’emploi des demanderesses au sein de la fonction publique fédérale. Elles n’ont pas non plus été mutées contre leur gré à d’autres postes.

 

[48]           Après avoir examiné le rapport d’enquête et le dossier à l’appui, je suis convaincue que l’enquêteuse a effectivement examiné l’allégation des demanderesses suivant laquelle les agissements de M. Miller étaient incompatibles avec les obligations qui lui étaient imposées dans le cadre du réaménagement des effectifs au sein d’une organisation de la fonction publique. Autrement dit, l’enquêteuse a examiné de façon rigoureuse la plainte principale d’abus d’autorité des demanderesses.

 

[49]           Dans leur plainte originale, les demanderesses alléguaient notamment que M. Miller avait [traduction] « fait preuve d’un mépris flagrant envers les règles et règlements qui nous régissent en matière d’embauche ainsi que d’autres principes en matière de ressources humaines ». Elles ont également qualifié le processus de dotation qui avait été suivi de [traduction] « contraire à l’éthique » et expliqué que le harcèlement découlait des démarches que M. Miller avait entreprises pour les chasser de leurs postes AS‑01 et pour restructurer le bureau du DGR. La plainte initiale ne mentionnait aucune disposition législative précise au soutien de ces allégations.

 

[50]           Le rapport d’enquête préliminaire résumait les plaintes formulées par les demanderesses en expliquant que les demanderesses reprochaient à M. Miller de les avoir harcelées en raison des démarches persistantes qu’il avait entreprises pour les chasser de leurs postes d’attache et de les muter à d’autres postes pour faciliter l’intégration de son ancienne adjointe au bureau du DGR, ce qui constituait une nomination motivée par le favoritisme. M. Miller avait par conséquent commis un abus de pouvoir en contrevenant aux règles et procédures régissant l’emploi dans la fonction publique.

 

[51]           Le délégué syndical des demanderesses a soumis des réponses détaillées au rapport d’enquête préliminaire. Il y formulait plusieurs arguments. Dans ces réponses, il affirmait que l’enquêteuse avait l’obligation de s’informer du système de dotation en vigueur au sein de la fonction publique fédérale, ajoutant qu’elle disposait de plusieurs ressources pour s’acquitter de cette tâche et qu’elle pouvait notamment consulter le personnel des ressources humaines de TPSGC ainsi que celui de la Commission de la fonction publique.

 

[52]           Dans ces réponses, le délégué syndical soulignait également qu’à la demande de l’enquêteuse, il avait donné un aperçu des options qui s’offraient au gestionnaire qui souhaitait déplacer un employé occupant un poste à durée indéterminée (la note de service). Rien ne permet toutefois de penser que l’enquêteuse a examiné ce document. Il signale également dans les réponses que l’enquêteuse n’a pas cherché à savoir en vertu de quel pouvoir M. Miller pouvait procéder aux changements en question au sein du bureau, et ajoute que c’était l’existence ou l’absence de traces écrites qui auraient pu informer l’enquêteuse quant au bien‑fondé des mesures prises par M. Miller.

 

[53]           La note de service, qui porte la date du 2 mars 2012, a été annexée aux réponses. Il y est indiqué qu’il existe plusieurs façons dont un employé peut quitter un poste à durée indéterminée ou en être chassé et qu’il doit exister des « traces écrites » pour appuyer pareilles mesures. Si l’enquêteuse n’a pas reçu de documents appuyant l’une ou l’autre des options, [traduction] « elle savait donc dès le début que les mesures prises étaient illégales ». La note de service cite des dispositions de la LEFP, de la LGFP ainsi que des extraits d’un document concernant le réaménagement des effectifs et la procédure à suivre pour formuler un grief à ce sujet. Dans le contexte du réaménagement des effectifs, la note de service explique que la direction a le droit, en vertu de la LGFP, de réorganiser la prestation de ses services, mais que, pour ce faire, elle doit rédiger de nouvelles descriptions d’emploi, classifier les postes et ajouter des numéros d’emploi à l’organigramme. Pour décider si les agissements de M. Miller étaient appropriés, l’enquêteuse devait se renseigner pour obtenir de tels documents.

 

[54]           La note de service ne précise pas quelles dispositions précises de la LEFP ou de la LGFP M. Miller et Mme Vick auraient violées. Elle ne précise pas non plus la source du pouvoir de M. Miller, dans le contexte de cette législation, en ce qui concerne la réorganisation du bureau du DGR. Elle mentionne toutefois les exigences relatives au réaménagement des effectifs. Toutefois, les plaintes et les rapports d’enquête précisent clairement que M. Miller tentait d’éviter un processus de réaménagement des effectifs dans l’espoir que l’on s’entende sur d’autres dispositions dans l’intérêt supérieur de toutes les personnes concernées, compte tenu notamment du fait qu’un réaménagement des effectifs pouvait se solder par la perte des postes des demanderesses.

 

[55]           Bien qu’il soit vrai que la note de service n’est pas mentionnée dans le rapport d’enquête, l’enquêteuse, dont la décision a servi de fondement à la décision que TPSGC a finalement prise en l’espèce (arrêt Sketchley, précité, au paragraphe 37), n’était pas obligée de mentionner chacun des éléments de preuve et elle était présumée avoir examiné toute la preuve (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (QL) (CAF); Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL) (1re inst) au paragraphe 17). Il est également révélateur que la note de service ait été produite en réponse à une demande de l’enquêteuse, ce qui permet de penser que cette dernière était au courant de l’opinion des demanderesses suivant laquelle M. Miller n’avait pas le pouvoir nécessaire pour procéder à une restructuration du bureau du DGR et qu’elle était également au courant des observations présentées par les demanderesses à ce sujet. Toutefois, comme nous l’avons déjà expliqué, la note de service ne mentionne aucune violation des exigences législatives, des politiques ou des règles relatives à la fonction publique et indique seulement qu’on aurait dû conserver des traces écrites pour justifier les modifications apportées au bureau.

 

[56]           De plus, le rapport d’enquête final reconnaissait que le rapport préliminaire avait été remis aux parties et que les demanderesses avaient, par l’entremise de leur délégué syndical, fourni des réponses détaillées (auxquelles étaient annexées des copies de la note de service), mais concluait que, comme aucun nouvel élément de preuve ne ressortait des réponses en question, il n’y avait pas lieu de modifier le rapport préliminaire.

 

[57]           Le rapport d’enquête concernant les plaintes portées contre M. Miller exposent les éléments de preuve dont il a été tenu compte au cours de l’enquête et évoque de façon suffisante les pouvoirs de M. Miller. Voici un résumé des éléments de preuve et les conclusions pertinentes de l’enquêteuse :

  • Un témoin, un cadre supérieur de l’administration centrale, a confirmé qu’il avait eu des discussions avec M. Miller pendant plusieurs mois au sujet des plans de ce dernier en ce qui concerne la restructuration du bureau et de la région;

 

  • Un autre témoin, un ancien cadre supérieur de l’administration centrale, a déclaré qu’on s’attendait tant de façon tacite qu’explicite à ce que M. Miller améliore le rendement de la région de l’Ontario et à ce qu’il rende la structure du bureau conforme à celle des autres bureaux régionaux, tant en procédant à des réaffectations qu’en réorganisant le travail à cette fin;

 

  • L’enquêteuse a mentionné un échange de courriels entre deux témoins entre le 25 juin et le 4 juillet 2007, c’est‑à‑dire avant l’arrivée de M. Miller au bureau du DGR; dans cet échange de courriels, un témoin confirmait les problèmes d’efficacité et de fonctionnement qui existaient au bureau du DGR;

 

  • Partout dans ses rapports, l’enquêteuse cite le témoignage d’autres témoins et conclut que les demanderesses n’ont présenté aucun élément de preuve permettant de penser que M. Miller avait violé des règles régissant l’emploi au sein de la fonction publique; il n’y a pas eu de diffamation et M. Miller avait le pouvoir d’organiser le bureau de la façon qu’il jugeait la meilleure pour la région;

 

  • Un témoin a signalé qu’il avait conseillé à M. Miller d’être transparent et de tenir le personnel au courant de ses projets au fur et à mesure. Il a expliqué que l’objectif était de mettre en œuvre une structure logique et efficace. Le témoin a déclaré que M. Miller avait exprimé ses préoccupations quant au manque d’esprit d’équipe au sein du personnel du bureau du DGR;

 

  • L’enquêteuse a conclu que M. Miller avait constamment fait des efforts pour aider les demanderesses à s’adapter aux changements et à se trouver des postes comparables, ce qu’elles ont refusé. L’enquêteuse a conclu que ces efforts n’étaient ni de l’intimidation ni des tentatives de menace à l’égard des demanderesses;

 

  • M. Miller a expliqué que son mandat consistait à reconstruire et à remettre sur pied une région qui avait un lourd passé après avoir constaté qu’il existait de graves problèmes dans certaines régions et que l’Ontario faisait partie des régions les plus en difficulté. On a accordé à l’adjoint et aux administrateurs généraux délégués du DGR une vaste latitude pour s’acquitter de leurs tâches;

 

  • M. Miller a expliqué qu’il avait constamment eu des discussions avec le Comité exécutif régional, le personnel des ressources humaines de l’administration centrale du DGR, y compris le sous‑ministre adjoint et le sous‑ministre délégué au sujet des projets de reconstruction et d’amélioration de la région et du bureau du DGR en particulier. Les réponses et les suggestions qu’il avait reçues ont été intégrées aux versions ultérieures du projet. Le mandat de mettre en œuvre les propositions de M. Miller constitue un aspect tacite de ces discussions et c’est ce que le directeur général de l’administration centrale, Politiques et programmes des ressources humaines, lui a confirmé en juin 2008 par courriel.

 

[58]           Le rapport d’enquête concernant les plaintes portées contre Mme Vick relatait également les éléments de preuve dont l’enquêteuse avait tenu compte, notamment le témoignage de Mme Vick suivant lequel M. Miller avait le droit de procéder à une restructuration et à une réaffectation du personnel et les agissements de M. Miller n’étaient contraires à aucune politique ou règle régissant la fonction publique.

 

[59]           Le rapport d’enquête concernant la plainte portée vers Mme Betts contre Mme Vick visait l’allégation suivant laquelle Mme Vick l’avait effectivement harcelée en ne lui remettant pas de copie des politiques et des règlements régissant l’emploi au sein de la fonction publique et les réaffectations. Mme Vick avait dirigé Mme Betts vers des sites Web du Conseil du Trésor et du Ministère et lui avait suggéré de consulter la « Politique 005 » de TPSGC, qui expliquait en détail la procédure à suivre pour procéder à des modifications organisationnelles. Le rapport d’enquête mentionne la Politique 005 ainsi que le courriel dans lequel Mme Vick fournissait certains des renseignements demandés et mentionnait à Mme Betts des sites Web où l’on pouvait obtenir de plus amples renseignements. Le fait que l’enquêteuse ait mentionné ces documents confirment qu’elle était au courant de leur existence et qu’elle en a tenu compte.

 

[60]           L’enquêteuse a conclu que toutes les politiques et procédures concernant les affectations et les changements organisationnels étaient à la disposition de tous les employés sur le réseau Intranet du Ministère ou sur les sites Web du Conseil du Trésor vers lesquels Mme Betts a été dirigée. Par conséquent, il n’est pas raisonnable de laisser entendre que Mme Vick a refusé de communiquer des renseignements. L’enquêteuse a également estimé que M. Miller avait respecté la Politique 005 du ministère concernant les changements organisationnels.

 

[61]           L’enquêteuse a également examiné la plainte formulée contre Mme Vick qui concernait les obligations de celle‑ci en ce qui concerne la façon dont M. Miller avait organisé les affectations de travail de Mme Betts au sein d’autres unités. Il ressort du résumé du témoignage de Mme Vick que cette dernière avait informé les demanderesses que la direction avait le droit de revoir les modalités d’exécution du travail et qu’elle avait expliqué que c’était le personnel chargé de la classification à l’administration centrale qui prendrait toute décision concernant de nouveaux postes.

 

[62]           Dans tous les rapports, l’enquêteuse a estimé que M. Miller n’avait pas outrepassé ses pouvoirs, signalant que rien ne permettait de penser que, par ses agissements, il avait contrevenu à la politique concernant l’emploi au sein de la fonction publique. L’enquêteuse a conclu que M. Miller avait le pouvoir d’assigner du travail, particulièrement en cas de changements apportés à l’organigramme et qu’il n’était pas inusité que des cadres supérieurs soient mutés d’un poste professionnel administratif de confiance à un poste vacant, ce qui s’était effectivement produit en l’espèce. M. Miller avait des attentes différentes de celles de son prédécesseur quant au travail qui devait être effectué. De plus, les DGR d’un peu partout au pays étaient en train de mener des discussions au sujet du niveau d’aide dont ils avaient besoin ainsi que de la structure des bureaux des DGR.

 

[63]           Compte tenu de ce qui précède et de ce que j’ai déjà expliqué, je suis convaincue que l’enquêteuse a examiné l’allégation des demanderesses suivant laquelle les agissements de M. Miller étaient incompatibles avec les obligations auxquelles il était astreint dans le cadre d’une réorganisation des effectifs de la fonction publique. Autrement dit, l’enquêteuse a bel et bien examiné la plainte essentielle d’abus d’autorité des demanderesses et a conclu qu’elle n’était pas fondée.

 

[64]           Les demanderesses affirment également que l’enquête pêchait par manque de rigueur parce que l’enquêteuse n’a pas tenu compte de leur argument suivant lequel des traces écrites confirmant la restructuration auraient dû être conservées et analysées (décision Busch, précitée). Selon les demanderesses, l’enquêteuse semble avoir simplement accepté d’emblée les explications fournies par M. Miller au sujet de ses pouvoirs au lieu d’examiner plus à fond cette question (décision Gravelle, précitée).

 

[65]           L’obligation de rigueur de l’enquêteuse ne l’oblige pas à interroger chaque personne proposée par le plaignant (décision Miller, précitée, au paragraphe 10; décision Slattery, précitée, au paragraphe 69). L’enquêteuse doit simplement s’assurer que toutes les questions fondamentales soulevées dans la plainte ont été examinées dans le rapport (Batemen c Canada (Procureur général), 2008 CF 393, au paragraphe 29). L’enquêteuse a également l’obligation d’examiner les éléments de preuve importants (décision Slattery, précitée).

 

[66]           Compte tenu du fait que l’enquêteuse a conclu, sur le fondement de la preuve, que les interactions entre M. Miller et les demanderesses en vue d’aider ces dernières à se trouver un autre emploi ne constituaient pas du harcèlement, l’existence de « traces écrites » pour démontrer les projets de réorganisation du bureau du DGR de M. Miller ne constitue pas, à mon avis, un élément de preuve important dans les circonstances. L’enquêteuse a conclu qu’elle disposait d’éléments de preuve indiquant qu’il existait des plans de réorganisation du bureau.

 

[67]           L’enquêteuse a procédé à une analyse rigoureuse de tous les éléments de preuve soumis par les demanderesses, M. Miller et les nombreux témoins. Suivant la preuve, les problèmes opérationnels au sein du bureau du DGR existaient avant la nomination de M. Miller. De plus, la réaffectation de certaines fonctions à laquelle M. Miller a procédé, notamment en ce qui concerne le travail de l’AIPRP, faisait l’objet de discussions depuis longtemps avant que M. Miller n’entre en fonction comme DGR. De même, la restructuration du bureau du DGR en vue d’améliorer son efficacité était une question qui avait été discutée avant que M. Miller ne devienne DGR. On s’attendait par ailleurs à ce que, lorsqu’il accepte son poste, M. Miller prenne des mesures pour améliorer l’efficacité du bureau. Tous ces éléments permettaient à l’enquêteuse de conclure que les mesures prises par M. Miller pour procéder à la restructuration étaient fondées et ne constituaient pas du harcèlement. Autrement dit, elles ont été prises de bonne foi.

 

[68]           Par conséquent, comme il n’existe aucun élément de preuve permettant de conclure qu’il existait une volonté de restructurer le bureau avant l’arrivée de M. Miller, même si l’enquêteuse avait poursuivi ses recherches comme le souhaitaient les demanderesses et même si l’on avait découvert une violation à une exigence de la loi ou d’une politique, le résultat aurait été le même. Comme les agissements de M. Miller n’étaient pas motivés par la mauvaise foi et qu’il ne constituait pas du harcèlement, les « traces écrites » du plan de restructuration ne constituaient par conséquent pas des éléments de preuve manifestement importants dont l’enquêteuse avait l’obligation de tenir compte.

 

[69]           À mon avis, aucun manquement à l’équité procédurale n’a par conséquent été commis, étant donné que l’enquêteuse a effectivement examiné la question que les demanderesses ont qualifiée d’allégation principale et qu’elle a examiné le fond de leur plainte, en l’occurrence le fait que M. Miller les avait harcelées et avait commis un abus de pouvoir en les chassant de leurs postes. L’enquête ne comportait aucune omission et elle n’était pas manifestement déficiente. À mon avis, l’enquêteuse n’a pas omis d’examiner des éléments de preuve manifestement importants.

 

[70]           Pour ce qui est des enquêtes dont Mme Vick a fait l’objet, les prétentions des demanderesses sont axées sur l’accusation d’abus de pouvoir commis par M. Miller ainsi que la présumée facilitation de cet abus par Mme Vick. Par conséquent, et pour les motifs déjà exposés, les enquêtes menées au sujet des agissements de Mme Vick satisfont également aux exigences de l’équité procédurale.

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                                  T‑445‑11 et T‑446‑11

INTITULÉ :                                                  DENISE ANDERSON c PGC

 

 

DOSSIERS :                                                  T‑447‑11 & T‑448‑11

INTITULÉ :                                                  KATHLEEN BETTS c PGC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 17 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 15 octobre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Raven

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Alexandre Kaufman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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