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Date : 20130927

Dossier : IMM-9245-12

Référence : 2013 CF 993

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2013

En présence de monsieur le juge Annis

 

 

ENTRE :

 

AUGUSTIN BERTHRAM JOSEPH

JINNA NADIAN CHARLERY

JOSHUA DEION JOSEPH (représenté par son tuteur à l’instance AUGUSTIN BERTHRAM JOSEPH)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) d’une décision par laquelle un agent du Bureau de réduction de l’arriéré de Niagara Falls de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire que les demandeurs ont présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR.

 

Contexte

[2]               M. Joseph est arrivé au Canada de Sainte‑Lucie le 11 août 2002. Chef de famille monoparentale, il travaillait comme plombier à Sainte‑Lucie. L’une de ses sœurs, une citoyenne canadienne, lui a parlé des perspectives prometteuses qui s’offraient au Canada, et il a décidé de tenter de s’y établir pour que son fils et lui aient une vie meilleure. En 2003, lui et son fils alors âgé de cinq ans sont entrés au pays munis de visas de visiteurs.

 

[3]               Mme Charlery est arrivée au Canada de Sainte‑Lucie le 15 juin 2003, munie elle aussi d’un visa de visiteur. M. Joseph et elle se sont rencontrés à la fin de 2003 et ils ont noué une relation. En janvier 2008, Mme Charlery a donné naissance à la fille du couple à Toronto, et en août 2008, la famille comptant désormais quatre membres a emménagé ensemble.

 

[4]               Les deux adultes travaillent depuis leur arrivée au Canada, M. Joseph dans le domaine de la construction et l’entretien, et Mme Charlery en tant qu’aide familiale et aide ménagère. Ils n’ont jamais eu recours à l’aide sociale, ils paient leurs propres frais médicaux et ils ont mis de l’argent de côté pour leurs enfants. Ils font du bénévolat au sein de leur église et ils ont présenté des lettres d’appui provenant de leurs amis et de leur communauté.

 

[5]               En 2011, M. Joseph a décidé que la meilleure chose qu’il pouvait faire pour sa famille était de régulariser son statut d’immigration. Il a retenu les services d’un consultant en immigration qui lui a expliqué que son seul moyen de procéder était de présenter une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. La famille en a présenté une le 24 janvier 2012. Elle a été rejetée le 25 juin 2012.

 

[6]               L’affidavit de M. Joseph relatif à cette demande contient des renseignements dont l’agent d’immigration ne disposait pas en juin 2012; le défendeur soutient qu’ils devraient donc être inadmissibles. Parmi ces renseignements, mentionnons le fait que les parents avaient envoyé leur fils adolescent rendre visite à la famille à Sainte‑Lucie à l’été 2012, ce qui a eu pour résultat de compliquer leur situation de famille. En effet, CIC a soudainement imposé des exigences relatives aux visas pour voyager au Canada tandis que le fils se trouvait à Sainte‑Lucie, de sorte que celui‑ci y est toujours coincé, dans l’impossibilité de rentrer chez lui auprès de sa famille.

 

La décision contestée

[7]               L’agent de CIC qui a rendu la décision du 25 juin 2012 a examiné la situation de la famille et la documentation fournie. Dans ses courts motifs, l’agent a évalué favorablement les lettres d’appui provenant de la famille et du pasteur. L’agent a pris en considération les références professionnelles et a il loué le fait que les demandeurs étaient financièrement autonomes, en faisant cependant remarquer que l’on attendait la même chose de quiconque au Canada, et en soulignant qu’ils avaient travaillé illégalement, sans permis. L’agent a également constaté que les demandeurs avaient un bon dossier civil, ajoutant que l’on en attendait là aussi tout autant de chaque personne au Canada. Reconnaissant que les documents montraient que les demandeurs s’étaient intégrés au Canada dans une certaine mesure, l’agent n’était pas convaincu qu’ils étaient intégrés à un point tel que leur renvoi leur causerait des difficultés excessives. 

 

[8]               L’agent a ensuite évalué les intérêts supérieurs de l’enfant demandeur qui avait été emmené au Canada. L’agent a fait observer que l’identité et les allées et venues de la mère de l’enfant étaient inconnues, et que M. Joseph n’avait fourni aucun élément de preuve montrant qu’il en avait la garde. L’agent a souligné l’absence de pièces justificatives montrant que l’enfant était intégré au milieu scolaire et communautaire au Canada. Pour ce qui est de l’enfant née au Canada, les demandeurs ont affirmé qu’elle n’aurait pas le même accès à l’instruction et aux soins de santé à Sainte‑Lucie. L’agent a conclu que les éléments de preuve ne faisaient état d’aucun obstacle d’ordre médical l’empêchant d’aller vivre à Sainte‑Lucie. Il a conclu que, dans l’intérêt supérieur des enfants, ceux‑ci devaient rester auprès des principales personnes s’occupant d’eux, et qu’ils pourraient garder contact avec leur famille et leurs amis au Canada grâce à la technologie moderne.  

 

[9]               L’agent a aussi noté que M. Joseph avait un métier spécialisé, celui de plombier, et que Mme Charlery avait été une employée d’usine avant de venir au Canada, et il a fait valoir qu’ils avaient probablement acquis des compétences transférables durant leur séjour au pays. Ils avaient déjà montré qu’ils pouvaient s’adapter à un nouvel environnement, et comme ils avaient quitté Sainte‑Lucie à l’âge adulte, ils connaissaient bien la langue et les coutumes, de sorte que la réintégration ne leur causerait pas de difficultés excessives.

 

[10]           L’agent a conclu que même si le renvoi leur occasionnait des difficultés, celles‑ci ne seraient pas inhabituelles, injustifiées ou excessives au point d’autoriser l’octroi d’une dispense.

 

Questions en litige

[11]           Les questions que soulève la présente demande sont les suivantes :

a.       L’agent a‑t‑il commis une erreur en n’appliquant pas le bon critère juridique dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants (ISE)?

b.      L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son analyse de la façon dont l’intérêt des enfants serait touché?

c.       L’agent a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a évalué le degré d’établissement des demandeurs au Canada?

 

Norme de contrôle

[12]           La norme de contrôle applicable au choix du critère juridique approprié est celle de la décision correcte. Voir par exemple Judnarine c Canada (MCI), 2013 CF 82, aux paragraphes 14 à 16 :

 

14     Le caractère raisonnable tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c NouveauBrunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

 

15     Toutefois, le défaut de tenir compte du critère juridique applicable à l’intérêt supérieur de l’enfant est une question de droit, et est donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Segura c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 894, au paragraphe 27 [Segura]; Williams, précitée, au paragraphe 22).

 

16     Comme l’a conclu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 50 :

 

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

 

 

[13]           Il est admis que l’application du critère de l’ISE et le degré d’établissement des demandeurs au Canada sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Voir, de façon générale, Begum c Canada (MCI), 2013 CF 265, aux paragraphes 12 à 13.

 

Analyse

1. L’agent a‑t‑il commis une erreur en n’appliquant pas le bon critère juridique dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants?

2. L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son analyse de la façon dont l’intérêt des enfants serait touché?

[14]           Je combine les deux premières questions soulevées par le demandeur étant donné que je conclus que si l’agent n’a pas commis une erreur en appliquant le bon critère juridique relatif à l’ISE, il semble toutefois avoir commis une erreur dans l’application de ce critère pour évaluer l’intérêt supérieur des enfants. La norme de contrôle n’entre pas en ligne de compte étant donné l’erreur flagrante du tribunal.

 

[15]           L’agent a commis une erreur en ne se prononçant pas sur l’intérêt supérieur des enfants qui tiennent compte du renvoi ou du non‑renvoi des enfants du Canada. Cette omission me laisse supposer qu’il a soit appliqué le mauvais critère, soit appliqué incorrectement le bon critère à la situation factuelle.

 

[16]           Dans ses motifs à cet égard, l’agent a passé en revue les facteurs favorables pour lesquels la demande pourrait être accueillie, et a conclu par l’analyse reproduite ci‑après que l’intérêt supérieur des enfants est de demeurer avec les principales personnes s’occupant d’eux.

[traduction]

 

Bien que je sois réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, j’estime qu’il est dans l’intérêt supérieur des enfants qu’ils demeurent avec les principales personnes s’occupant d’eux. La technologie actuelle permet aux enfants de garder le contact et d’entretenir les liens avec leur famille et leurs amis au moyen des nombreux médias sociaux. Je ne suis pas convaincu qu’une dispense est justifiée dans le présent cas.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[17]           Abstraction faite pour le moment de son caractère « mécanique », le raisonnement présente le défaut fondamental de ne pas traiter de l’intérêt supérieur des enfants au regard de l’effet que pourrait avoir le non‑renvoi ou le renvoi du Canada.

 

[18]           Les parties se sont disputées au sujet de la définition du critère de l’ISE donnée par la Cour fédérale dans Williams c Canada (MCI), 2012 CF 166; or, c’est la Cour d’appel fédérale qui a décrit le critère à l’origine dans Hawthorne c Canada (MCI), 2002 CAF 475 (Hawthorne).

 

[19]           Au paragraphe 4 de Hawthorne, la Cour d’appel expose une méthode d’analyse de l’intérêt supérieur en trois scénarios qui prennent tous en compte le renvoi ou le non‑renvoi de l’enfant : i) le non‑renvoi de l’enfant qui demeure avec ses parents au Canada, ii) le non‑renvoi de l’enfant qui demeure au Canada après le renvoi de ses parents, iii) le départ volontaire de l’enfant qui demeure avec ses parents après le renvoi de ceux‑ci :

On détermine l’« intérêt supérieur de l’enfant » en considérant le bénéfice que retirerait l’enfant si son parent n’était pas renvoyé du Canada ainsi que les difficultés que vivrait l’enfant, soit advenant le renvoi de l’un de ses parents du Canada, soit advenant qu’elle quitte le Canada volontairement si elle souhaite accompagner son parent à l’étranger. Ces bénéfices et difficultés constituent les deux côtés d’une même médaille, celle‑ci étant l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

 

 

[20]           En l’espèce, la conclusion de l’agent, selon laquelle il serait dans l’intérêt supérieur des enfants de simplement demeurer avec leurs parents, n’établit aucune distinction au chapitre de l’intérêt supérieur entre le renvoi ou le non‑renvoi du Canada. Par conséquent, sa décision ne tire aucune conclusion sur l’intérêt supérieur des enfants selon qu’ils restent au Canada ou qu’ils quittent le pays au renvoi des parents, ce qui constitue l’essence du critère de l’ISE.

 

[21]           La conclusion de l’agent au sujet de l’ISE pourrait m’apparaître pertinente jusqu’à un certain point si je supposais que l’on pouvait en dégager la conclusion implicite, non formulée, selon laquelle l’intérêt supérieur des enfants pencherait en faveur de leur renvoi avec leurs parents; or, cette conclusion serait également en contradiction avec Hawthorne. Dans ce dernier cas, la Cour d’appel fédérale a établi une présomption, ou du moins une prémisse à l’effet contraire selon laquelle, à moins de circonstances exceptionnelles, l’intérêt supérieur de l’enfant milite en faveur du non‑renvoi du parent. La Cour d’appel décrit l’inévitabilité de cette conclusion comme « un fait ». Voir Hawthorne aux paragraphes 5 et 6 :

[5] L’agente n’examine pas l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’abstrait. Elle peut être réputée savoir que la vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités et que, règle générale, un enfant qui vit au Canada avec son parent se trouve dans une meilleure position qu’un enfant vivant au Canada sans son parent. À mon sens, l’examen de l’agente repose sur la prémisse – qu’elle n’a pas à exposer dans ses motifs – qu’elle constatera en bout de ligne, en l’absence de circonstances exceptionnelles, que le facteur de « l’intérêt supérieur de l’enfant » penchera en faveur du non‑renvoi du parent. Outre cette prémisse que je qualifierais d’implicite, il faut se rappeler que l’agente est saisie d’un dossier particulier dans lequel un parent, un enfant ou les deux, comme en l’occurrence, allèguent des raisons précises quant à savoir pourquoi le non‑renvoi du parent est dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Il va de soi que l’agente doit examiner attentivement ces raisons précises. [Non souligné dans l’original.]

 

[6] Il est quelque peu superficiel de simplement exiger de l’agente qu’elle décide si l’intérêt supérieur de l’enfant milite en faveur du non‑renvoi – c’est un fait qu’on arrivera à une telle conclusion, sauf dans de rares cas inhabituels.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[22]           Par conséquent, l’agent a tiré une conclusion sur l’ISE qui va à l’encontre de ce qui est normalement « un fait », sans expliquer ou analyser pourquoi il serait dans l’intérêt supérieur des enfants d’être renvoyés du Canada avec leurs parents.

 

[23]           La juge Kane a récemment examiné une situation similaire dans Chandidas c Canada (MCI), 2013 CF 258, dans laquelle un agent avait aussi déterminé que l’intérêt supérieur de l’enfant était de demeurer avec les principales personnes s’occupant d’eux. Elle commente sa conclusion au paragraphe 69 de ses motifs, reproduit ci‑après :

Le point de départ consiste à se demander en quoi consiste l’intérêt supérieur de l’enfant. L’agent s’est contenté, au début de ses motifs, de déclarer qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants (c.‑à‑d., l’intérêt supérieur de Rhea, étant donné que les deux fils avaient plus de 18 ans) de demeurer avec leurs parents. Ce point de départ est un peu étrange, étant donné qu’on ne peut s’attendre à ce qu’une fille de neuf ans demeure seule au Canada; son statut au Canada est indissociable de celui de sa famille. Elle fait partie d’une famille qui s’est engagée à s’assurer qu’elle demeure en bonne santé, et personne n’a jamais laissé entendre qu’elle ne demeurerait pas avec ses parents. L’agent n’a pas précisé en quoi consistait l’intérêt supérieur de Rhea, se contentant de déclarer ce qui est évident, c’est‑à‑dire qu’elle demeurerait avec ses parents.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[24]           Sans savoir quel est l’intérêt supérieur des enfants, il est impossible de mener à bien l’analyse exposée dans la suite du paragraphe 6 de Hawthorne, soit « de décider [...] du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d’un parent exposera l’enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d’intérêt public, qui militent en faveur ou à l’encontre du renvoi du parent ». La décision de l’agent ne pouvait donc pas reposer sur une analyse adéquate et elle était déraisonnable.

 

[25]           Au passage, j’adopte aussi les arguments des demandeurs selon lesquels le caractère formaliste des motifs de l’agent mine l’intelligibilité, la transparence et la justification du processus décisionnel. Aux paragraphes 13 et 14 de la décision Adu c Canada (MCI), 2005 CF 565, reproduits ci‑après, la juge Mactavish a rejeté ce type de processus décisionnel de la manière suivante :

13     Après avoir examiné l’historique de la présente affaire, l’agente s’est penchée sur la question de savoir si une dispense devait être accordée pour des motifs d’ordre humanitaire. Elle écrit ce qui suit dans le passage pertinent de sa décision :

 

[traduction] Je reconnais que les deux demandeurs se sont établis au Canada. Il est raisonnable de s’attendre à ce qu’ils soient établis après avoir passé plus de dix ans au Canada. De plus, les deux demandeurs se sont perfectionnés au Canada, ont eu des emplois stables et n’ont pas eu besoin de l’aide sociale. Or, malgré leurs contributions positives, je ne suis pas convaincue que leur établissement au Canada justifie l’octroi d’une dispense. Je ne suis pas convaincue qu’ils ont suffisamment démontré que l’obligation de présenter une demande de visa à un bureau des visas à l’étranger leur cause des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

  

14     À mon avis, ces « motifs » n’en sont pas du tout. Il s’agit plutôt essentiellement d’un résumé des faits et de l’énoncé d’une conclusion, sans aucune analyse étayant celle‑ci. L’agente a simplement examiné les facteurs favorables pour lesquels la demande pourrait être accueillie, concluant que, à son avis, ces facteurs n’étaient pas suffisants pour justifier l’octroi d’une dispense. Elle n’a cependant pas expliqué pour quelles raisons. Or, cela n’est pas suffisant puisque les demandeurs se trouvent ainsi dans une position peu enviable où ils ignorent pourquoi leur demande a été rejetée.

 

 

3. L’agent a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a évalué le degré d’établissement des demandeurs au Canada?

[26]           Les demandeurs ont présenté de nombreuses lettres de recommandation provenant d’employeurs, démontrant ainsi qu’ils n’avaient jamais eu recours à aucune forme d’aide sociale. Ils ont également soumis des lettres d’appui d’un pasteur et de membres de la famille, et produit une copie de leur bail pour montrer qu’ils vivaient à la même adresse depuis plusieurs années. L’agent a présenté ces éléments de preuve sous un jour favorable, avant d’affirmer au moyen d’une formule toute faite et dénuée d’explication qu’il n’était pas convaincu que les demandeurs connaîtraient des difficultés excessives s’ils retournaient à Sainte‑Lucie, même après avoir démontré un tel degré d’établissement.

 

[27]           Les demandeurs ont renvoyé la Cour au guide du défendeur portant sur le traitement des demandes au Canada, intitulé Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, dont les sections 11.4 et 11.5 présentent des listes non exhaustives des critères d’évaluation du degré d’établissement au Canada :

11.4. Séjour prolongé ou incapacité de partir ayant mené à l’établissement

Voir aussi la section 5.14, Établissement au Canada.

Il n’y a pas de règle absolue sur le temps passé au Canada, mais il est présumé qu’il faut plusieurs années pour bien s’établir.

L’agent doit tenir compte des facteurs suivants :

• Le temps que le demandeur a passé au Canada.

• Les circonstances qui ont amené le demandeur à rester au Canada étaient‑elles indépendantes de sa volonté?

Existe‑t‑il un degré important d’établissement au Canada (voir la section 11.5, Évaluation du degré d’établissement du demandeur)?

Le demandeur est-il ou était‑il visé par une suspension temporaire des renvois (STR)?

Dans quelle mesure le demandeur a-t-il coopéré avec le gouvernement du Canada, surtout en ce qui concerne les titres de voyage?

Le demandeur a‑t‑il volontairement perdu ou détruit ses titres de voyage? (Si l’agent n’a pas fourni un titre de voyage ou une pièce d’identité valide, il faut communiquer avec l’unité locale des renvois pour déterminer si cela est attribuable au fait que le demandeur n’a pas voulu remplir une demande de passeport.)

 

11.5. Évaluation du degré d’établissement du demandeur

Le degré d’établissement du demandeur au Canada peut être un facteur pertinent dans certaines situations (ancien citoyen canadien, violence familiale, incapacité prolongée de quitter le Canada, etc.). L’agent ne doit pas évaluer le potentiel d’établissement du demandeur, car ce facteur fait partie des critères d’admissibilité examinés à l’étape 2 (par exemple, L39). On peut mesurer le degré d’établissement du demandeur à l’aide de questions comme les suivantes :

Le demandeur a‑t‑il des antécédents d’emploi stable?

Le demandeur a‑t‑il des antécédents de bonne gestion financière?

Le demandeur est‑il demeuré dans la même collectivité ou a‑t‑il déménagé souvent?

Le demandeur s’est‑il intégré à la collectivité en s’impliquant auprès d’organismes communautaires, en faisant du bénévolat ou par d’autres activités?

Le demandeur a‑t‑il entrepris des études professionnelles, linguistiques ou autres qui montrent une intégration à la société canadienne?

Le demandeur et les membres de sa famille ont‑ils un bon dossier civil au Canada (par exemple, aucune accusation criminelle ni aucune intervention d’agents d’exécution de la loi ou d’autres autorités pour violence familiale ou violence à l’égard d’enfants)?

 

L’agent peut examiner l’établissement du demandeur jusqu’au moment de l’évaluation de l’étape 1. Le fait que le demandeur a un certain degré d’établissement au Canada ne satisfait pas nécessairement au critère relatif aux difficultés : (Diaz Ruiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 465, 147 A.C.W.S. (3d) 1050 (C.F.); Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 413, 138 A.C.W.S. (3d) 350 (C.F.)).

 

[28]           Dans Raudales c Canada (MCI), 2003 CFPI 385, au paragraphe 19, la juge Dawson a formulé les commentaires suivants au sujet des lignes directrices du ministre :

L’établissement est, d’après les lignes directrices du ministre qui figurent au chapitre 5 du Guide du traitement des demandes au Canada, un facteur à considérer dans l’évaluation d’une demande fondée sur des considérations humanitaires. Sans une bonne évaluation du niveau d’établissement, il était impossible à mon avis, dans le cas présent, de dire si le fait d’obliger M. Figueroa Raudales à demander la résidence permanente depuis l’étranger entraînerait pour lui des difficultés inhabituelles, injustes ou indues.

 

 

[29]           En l’espèce, il n’a pas été expliqué en quoi le fait de résider au Canada depuis dix ans, d’avoir une expérience d’emploi fructueuse, de compter de nombreux Canadiens parmi les proches parents, et de participer pleinement à la vie communautaire ne démontrait pas un degré d’établissement suffisant pour qu’il soit jugé que le renvoi entraînerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Par conséquent, je conclus également que le processus décisionnel ayant mené à cet aspect de la décision ne possède pas les qualités de justification, de transparence et d’intelligibilité nécessaires pour que soient rejetés les éléments de preuve des demandeurs montrant un degré d’établissement suffisant pour que leur renvoi éventuel entraîne des difficultés excessives.

 

Conclusion

[30]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande est accueillie.

 

[31]           Le défendeur a proposé la question à certifier suivante dans les observations écrites présentées après l’audience :

[traduction]

 

Dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’agent est‑il tenu d’appliquer le critère énoncé dans Williams c Canada (MCI), 2012 CF 166, au paragraphe 63, pour démontrer qu’il a été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant?

 

[32]           La Cour d’appel fédérale a récemment réitéré le critère relatif aux questions à certifier dans Zhang c Canada (MCI), 2013 CAF 168, au paragraphe 9 :

Il est de droit constant que, pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l’issue de l’appel et ii) transcender les intérêts des parties au litige et aborder des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée et examinée dans la décision de la cour d’instance inférieure, et elle doit découler de l’affaire, et non des motifs du juge (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, 176 N.R. 4, 51 A.C.W.S. (3d) 910 (C.A.F.), au paragraphe 4; Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, [2004] A.C.F. no 368 (C.A.), aux paragraphes 11 et 12; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, aux paragraphes 28, 29 et 32).

 

 

 

[33]           Bien que le défendeur soutienne que la question proposée aux fins de certification permettrait de régler l’appel en l’espèce, puisque le demandeur a allégué que le défaut d’appliquer le critère énoncé dans Williams était déterminant, j’ai conclu, comme il a été expliqué, que la Commission n’a pas appliqué le critère énoncé dans Hawthorne, indépendamment du critère de l’arrêt Williams. La question proposée ne permettrait donc pas de régler un appel et je refuse donc de la certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Peter Annis »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9245-12

 

INTITULÉ :                                      AUGUSTIN BERTHRAM JOSEPH, JINNA NADIAN CHARLERY, HOSHUA DEION JOSEPH (représenté par son tuteur à l’instance AUGUSTIN BERTHRAM JOSEPH) c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 24 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                            LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 27 septembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony Navaneelan

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Rachel Hepburn Craig

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats spécialistes de l’immigration

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 


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