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Date : 20131011

Dossier : IMM-345-12

Référence : 2013 CF 1037

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2013

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

 

CHAHNAZ AL-MAARI

alias

CHAHNZ AL-HUSSEINI 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Mme Chahnz Al‑Husseini, demande le contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) de la décision datée du 8 novembre 2012, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) par laquelle cette dernière a accueilli la demande d’annulation de son statut de réfugié présentée par le ministre, au motif que la demanderesse avait fait de fausses déclarations sur un fait important.

 

I.          Question en litige

[2]               La question soulevée dans la présente demande est la suivante :

A.    Le commissaire a‑t‑il déraisonnablement conclu que la demanderesse a fait de fausses déclarations sur un fait important dans sa demande d’asile?

 

II.        Contexte

[3]               La demanderesse est une apatride palestinienne de naissance dont la résidence habituelle était au Liban, jusqu’au 25 août 1993, date à laquelle le Canada lui a accordé le statut de réfugié. Le 16 février 2012, le ministre a présenté une demande, en vertu du paragraphe 109(1) de la Loi, visant à obtenir l’annulation de la décision ayant accueilli la demande d’asile de la demanderesse, au motif que celle-ci a obtenu le statut de réfugié par des moyens frauduleux, de fausses déclarations, la suppression ou la dissimulation de faits importants.

 

[4]               Dans sa demande, le ministre a allégué que la demanderesse avait acquis la citoyenneté du Belize le 1er août 1991, et qu’elle avait omis de divulguer ce fait à la Commission lorsqu’elle a présenté sa demande d’asile au Canada. Comme elle détenait la citoyenneté bélizienne, la demanderesse a omis de présenter une demande d’asile dans tous les pays dont elle a la nationalité. Le ministre a produit les deux pièces suivantes afin d’établir que la demanderesse avait acquis la citoyenneté bélizienne en 1991 : 1) un courriel de M. Gordon Wade provenant de l’adresse courriel, grdn_wade@yahoo.com, 2) l’imprimé d’un site Internet de la liste des participants à un colloque à Belize City (Belize), en 2007, décrivant M. Wade comme un agent participant pour le compte des services nationaux d’immigration du Belize.

 

[5]               Le commissaire a pris note des arguments de la demanderesse selon lesquels, le courriel ne provenait pas d’une adresse du gouvernement, il ne faisait mention d’aucun poste au sein du gouvernement, et la demanderesse n’a pas été en mesure de communiquer avec qui que ce soit à l’adresse courriel, grdn_wade@yahoo.com. Le commissaire a pris note du témoignage de la demanderesse selon lequel, elle n’a jamais présenté de demande de citoyenneté bélizienne, elle n’a jamais prêté serment comme citoyenne du Belize, et n’y était même jamais allée.

 

[6]               Dans son analyse, le commissaire a admis que le fardeau de la preuve, dans le cadre d’une demande présentée en vertu du paragraphe 109(1) visant l’annulation du statut de réfugié, incombe au ministre, selon la prépondérance des probabilités. Le commissaire a fait des commentaires selon lesquels, bien qu’il puisse comprendre la préoccupation de la demanderesse quant à savoir si M. Wade était un représentant adéquat du Belize pouvant confirmer sa citoyenneté, il n’avait pas de motif de ne pas accorder foi à la preuve présentée par le ministre, étant donné qu’il n’y avait pas d’indication que cette preuve n’était pas authentique ou que le ministre essayait de tromper la Commission.

 

[7]               Le commissaire a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse avait obtenu le statut de réfugié au Canada par la dissimulation du fait important qu’elle était, en août 1991, une citoyenne du Belize, et qu’il « ne subsist[ait] pas suffisamment d’éléments de preuve non viciés, parmi ceux pris en compte lors de l’audience initiale, pour justifier l’asile ». La demande du ministre a été accueillie.

 

III.       Norme de contrôle

[8]               La norme de contrôle applicable à la question en litige dans la présente espèce, soit une question de fait, est la décision raisonnable (Waraich c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 861, au paragraphe 3).

 

IV.       Analyse

[9]               Je conclus que la décision du commissaire était déraisonnable, pour les motifs exposés ci‑dessous.

 

A.  Le commissaire a‑t‑il déraisonnablement conclu que la demanderesse a fait une fausse déclaration sur un fait important dans sa demande d’asile?

[10]           Il n’est pas contesté que pour obtenir une ordonnance annulant une décision d’octroi du statut de réfugié, il incombe au ministre de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’un demandeur a fait des présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent ou une réticence sur ce fait au moment où la demande d’asile a été présentée (Shahzad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 905).

 

[11]           La Commission peut rejeter la demande d’annulation si, en vertu du paragraphe 109(2), elle est convaincue qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier que le statut de réfugié soit néanmoins maintenu. En d’autres termes, malgré la fausse déclaration ou la dissimulation de faits, la demande d’annulation peut être rejetée, s’il y a d’autres éléments de preuve, non entachés par la fausse déclaration ou la réticence sur le fait important qui justifient le maintien du statut de réfugié.

 

[12]           En l’espèce, la Commission a décidé qu’il y avait fausse déclaration, et qu’il n’y avait pas, parmi les éléments de preuve pris en compte lors de la décision initiale, des éléments non entachés justifiant l’octroi du statut de réfugié.

 

[13]           Il est également vrai qu’en vertu du paragraphe 109(1), la question de savoir si la demanderesse savait qu’en 1991 elle était une citoyenne du Belize n’était pas pertinente quant à la demande (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Wahab, 2006 CF 1554, au paragraphe 29 (CAF)).

 

[14]           Selon moi, il était déraisonnable que le commissaire tire l’inférence selon laquelle le courriel du site Yahoo, provenant de Gordon Wade, était authentique, ou que l’imprimé de la page Internet montrant Gordon Wade participant à un colloque sur le contrôle des mouvements migratoires en 2007, confirmait de quelque manière raisonnable que ce soit, que le courriel Yahoo était authentique ou corroborait le fait que la demanderesse était, dans les faits, une citoyenne du Belize, au moment où elle a présenté sa demande d’asile au Canada. Le commissaire disposait, au mieux, d’une preuve tenue et douteuse pour tenter de tirer une conclusion selon laquelle la demanderesse était une citoyenne du Belize à la date pertinente.

 

[15]           Aspect tout aussi important et je sais gré à l’avocat du ministre pour sa franchise sur ces points, le commissaire a fait référence aux condamnations criminelles antérieures de la demanderesse, apparemment remettant en question la crédibilité de la demanderesse en ce qui a trait à sa preuve relative à son manque de connaissance de tout lien avec le Belize, et au fait qu’elle n’était jamais allée au Belize. Pourtant, il n’y a pas de conclusion contraire, ou en fait quelque autre conclusion que ce soit, relativement à la crédibilité de la demanderesse. La seule raison pour laquelle le commissaire pouvait avoir décidé comme il l’a fait, était qu’il n’avait pas cru ou n’avait pas accepté le témoignage de la demanderesse en raison d’un manque de crédibilité. Une telle conclusion n’a jamais été tirée.

 

[16]           En outre, en examinant la question de savoir comment la demanderesse a pu obtenir la citoyenneté bélizienne, alors qu’elle n’y est jamais allée, le commissaire a tenu compte des connaissances spécialisées que la Commission possède en ce qui a trait aux exigences en matière de citoyenneté dans les pays étrangers. Bien qu’il n’y ait rien d’erroné dans cette manière de procéder, la demanderesse aurait dû se voir accorder la possibilité de répondre aux conclusions du commissaire concernant la viabilité économique et le parrainage comme moyens d’obtention de la citoyenneté du Belize sans y être allé physiquement. La demanderesse ne s’est pas vu accorder une telle possibilité.

 

[17]           La demanderesse demande aussi que l’une ou plusieurs des questions suivantes soient certifiées :

      [traduction]

A.    La jurisprudence antérieure de la Cour fédérale, selon laquelle la mens rea ou l’intention de faire de fausses déclarations ne sont pas des éléments visés par le paragraphe 109(1), est-elle « absolue » et doit‑elle être appliquée dans chaque affaire, ou l’absence d’intention ou de mens rea peut‑elle être pertinente dans certaines affaires en fonction des faits particuliers de l’affaire?

B.     En l’espèce, la demanderesse ayant pu avoir été citoyenne d’un autre pays sans le savoir, l’absence d’intention est‑elle un facteur pertinent qui aurait dû être pris en compte par la Commission?

C.     Lorsque la question consiste à déterminer si un demandeur a fait de fausses déclarations quant à savoir s’il est un citoyen d’un autre pays lorsqu’il a présenté sa demande d’asile, le fardeau de la preuve qui incombe au ministre en vertu du paragraphe 109(1) comprend‑il le « fardeau » de faire confirmer la citoyenneté par des employés gouvernementaux, et de fournir directement des éléments de preuve documentaire fiables de cette citoyenneté?

 

[18]           Je ne crois pas qu’il convienne d’aborder ces questions. La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont effectivement tranché les deux premières questions, et la troisième question n’a pas à être examinée étant donné que j’estime que cela n’est pas nécessaire pour que je puisse trancher la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[19]           Enfin, les parties sont d’accord sur le fait que l’intitulé devrait être modifié afin d’ajouter le ministre de la Sécurité publique comme défendeur. Je partage cet avis.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande d’annulation de la décision du commissaire, présentée par la demanderesse, est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen. Le tribunal différemment constitué doit déterminer, avant la tenue de toute audience, sur le fondement d’éléments probants, si la demanderesse était une citoyenne du Belize au moment où elle a présenté sa demande d’asile au Canada.

2.                  L’intitulé est modifié afin d’ajouter le ministre de la Sécurité publique comme défendeur.

3.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                              IMM-345-12

 

INTITULÉ :                                            Al Maari

c

MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 9 octobre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                  Le juge Manson

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                           Le 11 octobre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Phillip Trotter

 

POUR LA DEMANDERESSE

Manuel Mendelzon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Yanling Ou

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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