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Date : 20131018


Dossier : IMM-10060-12

 

Référence : 2013 CF 1052

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2013

En présence de madame la juge Strickland

 

ENTRE :

KAVIJENENE KAMBURONA

 

demanderesse

et

LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La demanderesse demande le contrôle judiciaire de la décision rendue à son endroit le 7 septembre 2012 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) et portant qu’elle n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). La présente demande est fondée sur l’article 72 de la LIPR.

 

Contexte

[2]               La demanderesse est citoyenne de la Namibie. Elle prétend que son père a arrangé son mariage sans son consentement à un M. Kamarukua Weya. M. Weya est un agent de la police namibienne, vit dans la même collectivité qu’elle et est considéré comme fortuné.

 

[3]               Le 10 septembre 2010, la demanderesse est allée faire une course pour son père au domicile de M. Weya. Elle a été agressée sexuellement, battue et maintenue prisonnière pendant trois semaines par M. Weya jusqu’au jour où elle s’est enfuie.

 

[4]               Le père de la demanderesse a manifesté sa désapprobation, et M. Weya a exigé qu’il lui rende son argent. Le père a alors essayé de retrouver la demanderesse et de la confier à nouveau à M. Weya. La demanderesse s’est enfuie pour le Canada le 19 octobre 2010 et prétend qu’elle appréhende de rentrer en Namibie car elle craint M. Weya parce qu’il est en mesure de faire appel aux ressources de la police pour la retrouver et parce que la corruption sévit au sein des forces policières de la Namibie.

 

[5]               Le 7 septembre 2012, la Commission a rejeté la demande d’asile de la demanderesse (décision). Le présent contrôle judiciaire porte sur cette décision.

 

Décision faisant l’objet du contrôle

[6]                La Commission a conclu que la demanderesse n’avait qualité ni de réfugié ni de personne à protéger.

 

[7]               La question en litige déterminante était la possibilité de refuge intérieur (PRI). La Commission a jugé que la demanderesse aurait pu se réfugier à Walvis Bay.

 

[8]               La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État à Walvis Bay au moyen d’une preuve claire et convaincante. Elle a déclaré que la raison en était que la demanderesse n’avait jamais sollicité la protection d’un policier ou d’un refuge pour femmes à Walvis Bay. En outre, la preuve documentaire montrait que la Namibie avait instauré des mécanismes perfectionnés pour protéger les femmes qui craignent de subir des actes de violence conjugale, aussi bien dans la loi que dans la pratique. La Commission a cité de nombreux passages de cette preuve. Elle a conclu que, bien que les documents produits par la demanderesse eussent confirmé la fréquence des cas de violence conjugale et de mariage forcé en Namibie, ils ne changeaient pas la situation relativement à la protection de l’État. La Commission a conclu qu’entre autres mécanismes de protection, il existe en Namibie des refuges auxquels sont affectés des policiers spécialement formés. L’un de ces refuges se trouve à Walvis Bay et héberge un service de la police namibienne chargé de la protection des femmes et des enfants. La Commission a conclu que la demanderesse ne s’était jamais adressée à un poste de police où à un refuge à Walvis Bay pour demander protection.

 

[9]               La Commission a estimé que :

[...] il serait trop hasardeux dans le contexte plus large de la protection des réfugiés de réfuter les présomptions de protection de l’État dans la région constituant la PRI présumée à la lumière d’une preuve documentaire récente aussi positive concernant la protection de l’État, et ce, dans le contexte où un demandeur d’asile n’a pas encore profité pleinement des mécanismes de protection potentiels offerts, comme c’est le cas en l’espèce, et où la dernière fois où l’État a eu la possibilité de protéger le demandeur d’asile, ce fut à l’extérieur de la PRI présumée.

 

[10]           La Commission a déclaré que la protection de l’État ou de possibilité de refuge intérieur s’articulait autour de la question de savoir s’il était raisonnable de s’attendre des autorités namibiennes de Walvis Bay qu’elles fassent de véritables efforts pour protéger la demanderesse si elle retournait en Namibie et si elles pouvaient lui assurer une protection effective ou garantie dans les faits contre son époux. La Commission a conclu que la demanderesse ne pouvait réfuter la présomption de l’existence de la protection de l’État en ne faisant valoir qu’une réticence subjective à la solliciter. Elle a fait observer que la demanderesse était une adulte en bonne santé et qu’il était objectivement raisonnable de supposer qu’elle était en mesure de demander une protection des autorités de Walvis Bay.

 

[11]           La Commission a tenu compte du fait que la demanderesse venait d’une famille traditionnelle et qu’elle avait contracté un mariage traditionnel. Toutefois, la preuve documentaire montrait clairement que le droit et l’État namibiens ne sanctionnent pas le mariage forcé, et ce, même s’il s’agit d’un mariage traditionnel. Par conséquent, le fait que la demanderesse a contracté un mariage traditionnel n’est pas suffisant en soi pour établir clairement qu’elle ne pouvait pas obtenir la protection de l’État à Walvis Bay.

 

[12]           La Commission a également tenu compte du fait que la police locale de Windhoek avait omis de protéger la demanderesse après l’unique fois où son père eut porté plainte. Cependant, la Commission a fait valoir que cette omission avait eu lieu un certain temps auparavant et qu’une telle omission par les autorités locales n’équivalait pas à une absence de protection de l’État dans la région constituant la PRI présumée à moins qu’elle n’exemplifie une tendance plus générale, actuelle et concrète de l’État, ce que la Commission a considéré comme n’étant pas établi, pas plus que l’allégation voulant que demanderesse eut subi un « préjudice indu » au sens où l’entend le droit en matière de PRI.

 

[13]           Étant donné que la demanderesse n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État à Walvis Bay, la Commission a conclu que sa vie n’était pas en danger et qu’elle ne risquait probablement pas d’être victime d’actes de torture ou de traitements ou peines cruels ou inusités à Walvis Bay.

 

Questions en litige

[14]           La demanderesse fait valoir que sa demande soulève les questions suivantes, à savoir :

1.         La Commission s’est-elle méprise sur les faits ou a-t-elle omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents?

 

2.         La Commission a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

 

3.         La Commission a-t-elle rendu une décision déraisonnable, y compris en concluant que la demanderesse disposait d’une PRI valable en Namibie?

 

[15]           À mon avis, la question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si la Commission a fait erreur en concluant que Walvis Bay était une PRI valable. Toutefois, il y a aussi lieu de se pencher sur une question préliminaire qui n’a pas été directement soulevée par les parties dans leur plaidoirie, mais que le tribunal leur a demandé de commenter à l’audience et qui consiste à savoir si la Commission a appliqué le critère juridique correct de la PRI.

 

Norme de contrôle

[16]           Il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle. Les tribunaux doivent d’abord vérifier si la jurisprudence a déjà établi de manière satisfaisante le degré de déférence qu’il y a lieu d’accorder à un décideur en ce qui a trait à une question d’une catégorie particulière (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 53 [Khosa]; Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], aux paragraphes 57 et 62).

 

[17]           Le choix du critère de base à appliquer pour déterminer l’existence d’une PRI est une question de droit à l’égard de laquelle la Commission n’a droit à aucune déférence (Estrada Lugo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 170, au paragraphe 31 [Estrada Lugo]). L’application de la norme correcte par la Commission doit être appréciée selon la norme de la décision correcte (Golesorkhi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 511, au paragraphe 8).

 

[18]           La norme de contrôle applicable aux questions de fait entourant la PRI est celle de la décision raisonnable (Diaz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] ACF no 1543 (QL) (CF 1re inst.), au paragraphe 24; Mendoza Velez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 132, au paragraphe 24; Estrada Lugo, précité, au paragraphe 31). Par conséquent, la question de savoir si la demanderesse a réfuté l’existence de la protection de l’État à Walvis Bay et si la Commission a appliqué le critère juridique de la PRI est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

Critère juridique de la PRI

[19]           Étant donné que la question de la définition et de l’application du critère juridique approprié est déterminante, je vais y répondre tout de suite.

 

[20]           Dans ses observations écrites, la demanderesse n’a pas soulevé directement la question du critère de la PRI, mais elle a cité les Principes directeurs sur la protection internationale : « La possibilité de fuite ou de réinstallation interne » du UNHCR, où il est mentionné que, en droit international, les personnes menacées ne sont pas tenues d’épuiser toutes les ressources dont elles disposent dans leur propre pays avant de demander l’asile. Quant au défendeur, il s’est contenté d’affirmer que le critère est bien établi, et a cité Immigration Law and Practice, vol. 1, feuillets mobiles, 2e éd. (Markham (Ontario), LexisNexis, 2005) (mise à jour juin 2012), et Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF n1256, au paragraphe 10 (CA), à l’appui de sa déclaration.

 

[21]           Au cours de l’audience que j’ai présidée, la demanderesse s’est reportée à la décision Tjipuravandu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 927 [Tjipuravandu] par laquelle le juge Annis a établi le critère relatif à la PRI et a fait remarquer qu’il était possible que la Commission l’eût mal énoncé. Le juge Annis a déclaré qu’il n’est pas nécessaire que le demandeur ait déjà demandé d’être protégé dans la PRI désignée. C’est plutôt la Commission qui désigne la PRI, et il incombe ensuite au demandeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution au lieu proposé comme PRI (Alvapillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1160 (QL)). Toutefois, au vu des autres motifs de la Commission dans cette affaire, le juge Annis a estimé que la Commission n’avait pas fait erreur à cet égard.

 

[22]           La demanderesse fait valoir que, dans ses motifs, la Commission a affirmé à trois reprises que la demanderesse aurait dû demander la protection de l’État à Walvis Bay avant de réclamer l’asile. Par conséquent, l’interprétation et l’application erronées par la Commission du critère de la PRI a, contrairement à l’affaire Tjipuravandu précitée, nui à l’issue de la demande.

 

[23]           Le défendeur fait valoir que pour renverser la décision de la Commission, la Cour doit conclure que l’ensemble de la décision est entachée de nullité en raison de la mauvaise interprétation qu’a faite la Commission du critère relatif à la PRI. Cependant, au vu de l’ensemble de la décision, il est évident que la Commission s’est limitée à la preuve documentaire et qu’elle a rendu sa décision en se fondant sur cette preuve. Cette situation rappelle l’affaire Tjipuravandu, précitée et, par conséquent, la décision peut être maintenue en dépit de l’erreur qu’a commise la Commission dans son application du critère juridique de la PRI.

 

[24]           À mon avis, la position du défendeur ne peut être retenue.

 

[25]           Il est vrai que le critère disjonctif à deux volets qui permet de déterminer s’il existe une PRI est bien établi et continue d’être appliqué, à savoir :

(1)        la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas vraiment d’être persécuté dans la partie du pays qui offre une PRI;

(2)        la situation dans la partie du pays qui offre une PRI doit être telle que, compte tenu de toutes les circonstances et de la situation personnelle du demandeur, il ne serait pas déraisonnable pour lui de s’y réfugier.

 

(Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1172 (QL) (CA); Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF n1256 (QL) (CA); Tjipuravandu, précité, au paragraphe 14; Huerta Morales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 216, aux paragraphes 5 et 6).

 

[26]           Bien que la Commission ait estimé que la question déterminante résidait dans l’existence d’une PRI valable pour la demanderesse, elle ne mentionne nulle part dans sa décision le critère juridique à appliquer à cet égard.

 

[27]           Au paragraphe 9 de sa décision, la Commission a conclu que la défenderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État à Walvis Bay. La première raison de cette conclusion était que :

[10] La demandeure d’asile ne s’est jamais adressée à la police namibienne ni à un refuge pour femmes à Walvis Bay pour obtenir une protection.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[28]           La Commission a ensuite examiné la preuve documentaire sur la situation dans le pays et tiré ses conclusions suivantes :

[14]      Parmi les mesures de protection offertes, il importe de souligner en l’espèce que la Namibie compte des refuges dotés de policiers ayant reçu une formation pertinente. En outre, l’un de ces refuges est situé à Walvis Bay et il compte en effet une « Unité de protection des femmes et des enfants » de la police namibienne. Rappelons que la demandeure d’asile n’a jamais sollicité de protection à un poste de police ou dans un refuge à Walvis Bay.

 

[15]      À mon avis, il serait trop hasardeux dans le contexte plus large de la protection des réfugiés de réfuter les présomptions de protection de l’État dans la région constituant la PRI présumée à la lumière d’une preuve documentaire récente aussi positive concernant la protection de l’État, et ce, dans le contexte où un demandeur d’asile n’a pas encore profité pleinement des mécanismes de protection potentiels offerts, comme c’est le cas en l’espèce, et où la dernière fois où l’État a eu la possibilité de protéger le demandeur d’asile, ce fut à l’extérieur de la PRI présumée.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[29]           À mon avis, il ne fait aucun doute que la Commission a à la fois mal énoncé et mal appliqué le critère de la PRI. Comme nous l’avons déjà signalé, rien n’oblige un demandeur à solliciter d’abord la protection dans la région présentant une PRI. La PRI est d’abord établie par la Commission et le demandeur doit prouver ensuite, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution au lieu proposé comme PRI.

 

[30]           À cet égard, les observations du juge O’ Keefe dans l’affaire Estrada Lugo, précitée, s’appliquent directement en l’espèce :

[35]      Ce critère de l'existence d'une PRI énoncée dans Thirunavukkarasu, précité, est un critère comportant deux volets, mais il s'agit d'un critère à l'égard duquel le demandeur d'asile n'est tenu de réfuter qu'un des volets. Les deux volets peuvent être réfutés avec succès sans qu’un demandeur d'asile ait vécu dans la PRI envisagée ou qu'il s'y soit même rendu. Le demandeur d'asile peut réfuter le premier volet en établissant qu'il existe un risque grave d'être persécuté ou qu’il sera, selon la prépondérance de la preuve, soumis à la persécution ou à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans la PRI envisagée. Subsidiairement, le demandeur d'asile peut réfuter le deuxième volet en établissant que les conditions dans la PRI sont telles qu'il lui serait déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, d’y chercher refuge.

 

[36]      La Commission doit non seulement énoncer le bon critère, mais elle doit aussi appliquer le bon critère. L'ajout d'une exigence supplémentaire dans l'application du critère fera que la Commission ira à l'encontre de la norme de raisonnabilité. L'ajout de l'exigence selon laquelle les demanderesses auraient dû tenter de vivre dans une autre région plus sécuritaire du pays témoigne d'une incompréhension du critère juridique concernant une PRI. Comme je l'ai dit plus haut, cela constituait une erreur.

 

[37]      Le défendeur a fait valoir qu'il ne conviendrait pas de renvoyer l'affaire pour nouvelle décision puisque la Commission a déjà appliqué le critère à deux volets pertinent concernant une PRI et que la nouvelle décision serait nécessairement la même. Je ne suis pas d'accord.

 

[38]      Il ressort clairement de sa décision que la Commission a estimé que l'omission de tenter de vivre dans la PRI constituait un facteur très important motivant son rejet de la demande d'asile des demanderesses. Je ne peux dire si la décision de la Commission aurait été la même si elle avait appliqué seulement les bons facteurs à l'évaluation d'une PRI. Il s'agit d'une décision qui relève de la Commission et non de la Cour.

 

[31]           La même opinion a été exprimée par madame la juge Snider dans l’affaire Ramirez Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 600 :

[6]        Les énoncés suivants figurant dans la décision de la Commission dénotent une mauvaise application du critère de la PRI :

 

En l’espèce, je suis d’avis que les demandeurs d’asile avaient l’obligation d’au moins essayer de trouver un refuge sûr dans leur propre pays avant de tout abandonner et, à moins qu’il ait été manifestement déraisonnable d’agir ainsi, le fait de ne pas avoir au moins essayé sera fatal à leurs demandes d’asile.

Dans la présente affaire, j’estime que les demandeurs d’asile avaient clairement l’obligation de trouver un autre endroit où loger, soit dans la ville de Mexico, et qu’ils devaient, s’ils avaient des problèmes avec M. Ybarra ou qui que ce soit d’autre, s’adresser à l’État avant de demander la protection du Canada.

 

Je constate que, en l’espèce, les demandeurs d’asile ne se sont pas efforcés de trouver une PRI dans une des régions du Mexique, et je suis d’avis qu’ils devaient envisager une PRI, c’est‑à‑dire déménager à Mexico, avant de quitter le pays. Ils ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombe de démontrer qu’ils seraient exposés au préjudice qu’ils craignent dans toutes les régions du Mexique aux termes de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR. [Non souligné dans l’original.]

 

[7]        Selon Thirunavukkarasu, en vertu de la première partie du critère relatif à la PRI, il appartient au demandeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans tout le pays, y compris dans la partie qui offre prétendument une possibilité de refuge intérieur (paragraphe 5). Cette obligation n’entre en jeu que lorsque la Commission a prévenu le demandeur que la question de la PRI sera soulevée. Ainsi, la Cour d’appel a reconnu dans l’arrêt Thirunavukkarasu qu’il est possible que, « dans certains cas, [le demandeur puisse] ne pas avoir une connaissance personnelle des autres parties du pays » (paragraphe 9). Il est donc possible que le demandeur n’ait pas pensé à une PRI avant que la question ne soit soulevée par la Commission. Par conséquent, selon le critère relatif à la PRI, les demandeurs doivent démontrer que, même à Mexico où il existe une PRI, ils seraient probablement persécutés. Le critère n’exige pas, contrairement à ce qu’a affirmé la Commission, que les demandeurs tentent de vivre à Mexico puis démontrent qu’ils y ont été persécutés. Il n’incombe nullement aux demandeurs de d’abord déménager à Mexico, de prouver qu’il est dangereux d’y vivre, puis de solliciter la protection de substitution assurée par le Canada. La jurisprudence ne fait aucunement mention d’une telle exigence.

 

[8]        L’application du critère faite par la Commission a été rejetée par le juge Rothstein dans Alvapillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 152 F.T.R. 108, 45 Imm. L.R. (2d) 150, au paragraphe 3, ainsi libellé :

 

La viabilité d’une PRI doit être objectivement déterminée, et il n’est pas loisible à un demandeur, simplement pour ses propres raisons, de rejeter la possibilité de réinstallation dans son propre pays, s’il peut le faire sans crainte de persécution; voir Thirunavukkarasu c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.), aux pages 597 à 599). Toutefois, la façon dont le tribunal a caractérisé le critère de la PRI en l’espèce n’est pas juste. Le tribunal semble dire qu’il appartient à un individu, avant qu’il ne demande la protection de substitution assurée par le Canada, de mettre à l’épreuve la viabilité de la PRI dans son propre pays. La conclusion logique de cette idée est qu’un demandeur est tenu de mettre à l’épreuve la PRI et de connaître la persécution avant de faire une revendication du statut de réfugié au Canada. Il ne peut en être ainsi. Il n’incombe nullement à un demandeur de mettre personnellement à l’épreuve la viabilité d’une PRI avant de demander la protection de substitution au Canada.

[Non souligné dans l’original.]

 

[Souligné dans la décision originale du juge Snider.]

 

[32]           Le défendeur fait valoir que, selon le libellé des paragraphes 14 et 15 de la décision, la Commission voulait seulement donner à entendre qu’il existe des cas, contrairement à celui de l’espèce, où les demandeurs ont demandé la protection dans une région offrant une PRI avant de réclamer l’asile. Je ne partage pas cet avis.

 

[33]           Une fois la décision considérée dans son ensemble (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 14), j’estime que la Commission a fait erreur dans son interprétation et son application du critère de la PRI et, comme dans l’affaire Estrada Lugo, précitée, a jugé que l’omission de tenter de vivre dans la région offrant une PRI – à savoir Walvis Bay – constituait un facteur très important motivant son rejet de la demande d’asile. Cette conclusion se distingue de la décision Tjipuravandu, précitée. Comme la norme de la décision correcte ne commande aucune déférence à l’égard des erreurs de droit commises par le décideur, l’affaire doit être renvoyée à la Commission pour nouvel examen. Et, de toutes manières, la Commission a appliqué le critère de la PRI de façon déraisonnable pour les raisons déjà énoncées.

 

[34]           Comme j’ai conclu que la Commission a fait erreur dans sa façon d’énoncer et d’appliquer le critère juridique de la PRI, il n’est pas nécessaire de poursuivre notre analyse. Toutefois, je tiens à signaler qu’il est clairement établi en droit que la Commission est tenue d’apprécier une PRI en tenant compte de la situation personnelle du demandeur (Vega c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 487, au paragraphe 20). Dans la présente affaire, la Commission a omis d’apprécier directement si la demanderesse pouvait bénéficier de la protection de l’État alors que l’agent de persécution même, M. Weya, est un policier namibien. La décision était aussi déraisonnable sur ce fondement.

 

[35]           La demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen;

2.         Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

 

DOSSIER :

IMM-10060-12

 

INTITULÉ :

KAVIJENENE KAMBURONA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         LE 10 OctobRe 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            MADAME LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 18 OCTOBRE 2013

COMPARUTIONS :

Adetayo G. Akinyemi

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Charles Jubenville

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Adetayo G. Akinyemi

North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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