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Date : 20131030


Dossier : IMM-2796-13

 

Référence : 2013 CF 1106

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2013

En présence de madame la juge Kane

 

 

ENTRE :

B198

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

(Motifs confidentiels du jugement et jugement rendus le 29 octobre 2013)

 

[1]               Le demandeur, B198, est un citoyen du Sri Lanka d’origine tamoule âgé de 23 ans. Il est arrivé au Canada le 13 août 2010 avec 492 autres passagers et membres d’équipage du MS Sun Sea, un navire non immatriculé, après un long et difficile voyage en provenance de la Thaïlande.

 

[2]               Le demandeur soutient que, s’il est renvoyé au Sri Lanka, il sera exposé à un risque de persécution en raison de sa race, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social et de ses opinions politiques. Il soutient en outre qu’il sera exposé à une menace pour sa vie, au risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités et au risque d’être soumis à la torture au Sri Lanka.

 

[3]               La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande de protection en qualité de réfugié au sens de la Convention et en qualité de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) le 12 mars 2013.

 

[4]               Il sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision en vertu de l’article 72 de la Loi.

 

[5]               Pour les motifs énoncés ci‑après, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Contexte

[6]               Le père du demandeur a été tué par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul [les TLET] en 1995. Sa mère a envoyé le demandeur et son demi‑frère vivre chez ses parents. Le demandeur y est resté jusqu’à l’âge de sept ans. La mère du demandeur s’est remariée, mais son deuxième mari a été tué en 1996 par l’armée du Sri Lanka [l’ASL] et un groupe paramilitaire affilié au gouvernement, l’Organisation populaire de libération de l’Eelam tamoul [l’OPLET]. La mère du demandeur a ensuite été arrêtée par l’ASL, en 1999, puis emprisonnée pour une période d’environ deux ans et demi.

 

[7]               Le demandeur est retourné vivre avec sa mère à Vavuniya après la libération de cette dernière.

 

[8]               En février 2008, le demi‑frère du demandeur a été enlevé. On a perdu sa trace. Le demandeur croit qu’il a été enlevé par l’OPLET. La mère du demandeur a rapporté l’enlèvement de son fils au Comité international de la Croix‑Rouge (CICR) et aux bureaux des droits de la personne de Vavuniya. Elle s’est également rendue régulièrement aux bureaux de l’ASL, de la police et de l’OPLET pour s’enquérir de son fils, et elle a continué de le chercher.

 

[9]               En juin 2009, l’ASL et l’OPLET ont fouillé le domicile du demandeur et ont demandé à le voir. Le demandeur affirme que l’armée a dit à sa mère [traduction] « vous feriez mieux d’arrêter de faire des déclarations et de poser des questions au sujet de la disparition de votre fils… vous avez un autre fils que nous pourrions enlever aussi, donc vous feriez mieux de laisser tomber ».

 

[10]           La mère du demandeur a obtenu un passeport pour lui en août 2009. Le 18 novembre 2009, ils se sont rendus à Colombo. Le demandeur a ensuite pris un vol à destination de la Thaïlande, après avoir obtenu un visa de touriste d’un mois.

 

[11]           En mai 2010, le demandeur est monté à bord du MS Sun Sea, qui a levé l’ancre en juillet et qui est arrivé au Canada le 13 août 2010. Le demandeur a présenté une demande d’asile à son arrivée.

 

[12]           L’audience relative à la demande d’asile du demandeur a eu lieu le 30 janvier 2012, et la Commission a rendu sa décision 14 mois plus tard, le 12 mars 2013.

 

Décision faisant l’objet du contrôle

[13]           La Commission a fait une analyse approfondie de la demande du demandeur et a fourni des motifs détaillés.

 

[14]           La Commission était d’avis que certains aspects étaient crédibles, mais elle a relevé des incohérences et des omissions, et elle a conclu qu’il manquait des éléments de preuve corroborants auxquels elle se serait par ailleurs attendue.

 

[15]           La Commission a accepté l’information voulant que le père du demandeur ait été tué par le TLET; que son beau‑père ait été tué soit par l’ASL soit par l’OPLET; que sa mère ait été arrêtée, détenue et maltraitée par l’ASL de février 1999 à juin 2001; et que son demi‑frère ait été kidnappé, vraisemblablement par l’OPLET. La Commission a noté que, contrairement au demandeur, le demi‑frère avait une carte d’identité de Vanni, ce qui confirme sa présence dans cette région contrôlée par les TLET.

 

[16]           En dépit de ces éléments de preuve crédibles, la Commission a conclu que des aspects importants de la preuve présentée par le demandeur ne concordaient pas avec le fondement premier de sa demande, soit qu’il était ciblé par l’ASL ou des groupes affiliés.

 

[17]           La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il serait exposé à un risque sérieux de persécution ou qu’il subirait un préjudice probable ou qu’il pourrait être en danger en raison de son [traduction] « profil particulier » s’il rentrait au Sri Lanka. La Commission l’a décrit comme étant un jeune homme tamoul du Nord du Sri Lanka n’ayant jamais eu maille à partir avec le gouvernement, l’armée, les forces du renseignement ou les organisations paramilitaires. La Commission a souligné que les Tamouls du Nord ne sont plus présumés admissibles à la protection sur le seul fondement de leur origine tamoule. De fait, les lignes directrices du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [UNHCR] concernant l’évaluation du droit à la protection internationale des demandeurs d’asile sri lankais, publiées le 5 juillet 2010, recommandent une évaluation individualisée.

 

[18]           La Commission a conclu que rien dans le passé du demandeur ne permettait aux autorités sri lankaises de penser que ce dernier avait un lien avec les TLET, et qu’il ne devrait pas être présumé qu’une protection est nécessaire dans son cas.

 

[19]           La Commission a également conclu que le demandeur n’avait pas établi que l’OPLET représentait une menace pour lui lorsqu’il se trouvait au Sri Lanka : l’OPLET ne l’a pas ciblé personnellement après la disparition de son frère, et elle ne le ciblerait pas à son retour.

 

[20]           La Commission a examiné la demande sur place du demandeur – selon laquelle une protection était requise en raison de faits qui se sont produits après son départ du Sri Lanka, en particulier en raison de sa présence à bord du MS Sun Sea et a de nouveau affirmé qu’il n’avait pas participé aux activités des TLET et qu’il n’était pas soupçonné d’avoir des liens avec cette organisation. Par conséquent, le simple fait d’avoir été passager du MS Sun Sea n’était pas suffisant pour conclure à un lien avec les TLET.

 

[21]           La Commission a également conclu que le fait d’avoir été un passager du MS Sun Sea ne permettait pas de conclure à l’appartenance à un groupe social au sens de la Convention. La Commission s’est appuyée sur une décision récente de la Cour fédérale rejetant l’affirmation selon laquelle le motif est lié [traduction] « au simple fait d’avoir fait partie des quelque 500 passagers à bord du navire ».

 

Questions en litige

[22]           Le demandeur fait valoir que la Commission a interprété de façon erronée le fondement de sa demande et qu’elle a par conséquent tiré des conclusions défavorables qui étaient arbitraires et erronées eu égard à la crédibilité. Il affirme en outre que la Commission a commis une erreur dans son évaluation de sa demande présentée sur place et qu’elle a omis de procéder à une analyse des motifs mixtes.

 

[23]           Le demandeur soutient aussi qu’il n’a pas eu droit à l’équité procédurale, étant donné que la Commission a mis 14 mois pour rendre sa décision et qu’elle s’est fondée sur une jurisprudence postérieure à l’audience, sans toutefois donner à l’une ou l’autre des parties la possibilité de présenter des observations à cet égard.

 

Norme de contrôle

[24]           L’évaluation de la Commission eu égard à la crédibilité et les conclusions de la Commission eu égard au risque et à la demande présentée sur place sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

[25]           Dans le cadre d’un contrôle judiciaire selon la norme de la raisonnabilité, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision de la Commission « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable et « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59).

 

[26]           Toutefois, la question de savoir si le demandeur a été privé de l’équité procédurale est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

La Commission a‑t‑elle mal interprété la demande du demandeur et a‑t‑elle tiré des conclusions de fait erronées?

[27]           La Commission était d’avis que certains aspects du récit du demandeur étaient crédibles, notamment les renseignements voulant que son père ait été tué, que son frère ait disparu ou ait été enlevé et que sa mère ait été détenue. Cela dit, elle a aussi conclu que la demande manquait de crédibilité eu égard à certains aspects déterminants.

 

[28]           Le demandeur fait valoir que les conclusions de la Commission eu égard à la crédibilité sont déraisonnables en raison d’une mauvaise interprétation du fondement de la demande, soit les menaces proférées à l’endroit de sa mère. Le demandeur, par conséquent, soutient qu’il n’était pas raisonnable de la part de la Commission de s’appuyer sur le fait que ces menaces ciblant le demandeur n’ont pas été mises à exécution pour tirer des conclusions défavorables eu égard à la crédibilité.

 

[29]           Il ne fait nul doute que la Commission comprenait bien la teneur de la demande. Il est clair que le demandeur a déclaré courir personnellement un risque dans le compte rendu figurant dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP], lors de son témoignage, et encore une fois dans les observations écrites présentées après l’audience. La Commission a souligné avec justesse que le fondement premier de la demande du demandeur était qu’il était recherché par l’ASL ou par l’OPLET, ou les deux, avant son départ du Sri Lanka.

 

[30]           Le demandeur a affirmé que sa mère avait été victime d’intimidation et qu’elle avait reçu des menaces pour avoir déclaré la disparition de son fils et pour s’être enquise de son fils, et qu’on l’avait menacée de préjudice contre elle et le demandeur, son fils. Comme sa mère refusait de cesser ses recherches, les autorités se sont rendues à son domicile en juin 2009 pour tenter de retrouver le demandeur, et elles sont demeurées à sa recherche jusqu’à ce qu’il quitte le Sri Lanka, en novembre 2009. Selon le compte rendu figurant dans le FRP, le demandeur croyait [traduction] « qu’il ne s’agissait que d’une question de temps avant qu’ils viennent [le] chercher ».

 

[31]           Les observations présentées après l’audience mentionnent spécifiquement la crainte subjective du demandeur. Il y est souligné qu’en juin 2009, sa vie a été mise en danger quand l’armée sri lankaise et des groupes paramilitaires ont demandé à sa mère où il se trouvait, la menaçant de le capturer. En outre, en novembre 2009, sa vie a été mise en danger lorsque l’armée sri lankaise s’est présentée chez lui et a dit à sa mère : [traduction] « si nous voyons votre fils cadet, nous le tuerons ».

 

[32]           Eu égard aux conclusions de la Commission concernant la crédibilité, il était de circonstance que la Commission conclue que certains éléments de preuve étaient crédibles et que d’autres ne l’étaient pas.

 

[33]           La Commission a présenté les aspects de la demande qu’elle considérait non crédibles et a fourni les motifs expliquant ses conclusions défavorables. La Commission a souligné que, si les autorités avaient vraiment été à la recherche du demandeur, elles auraient pu se rendre à son école ou l’arrêter alors qu’il se rendait à l’école ou en revenait, l’école étant située non loin de chez lui. En outre, si les autorités l’avaient placé en détention en août 2009, il aurait été inhabituel de leur part de le libérer après seulement une nuit. Enfin, le fait que le demandeur a pu obtenir un passeport authentique sans problème, qu’il a pu se rendre à Colombo et qu’il a obtenu un visa pour aller en Thaïlande ne concorde pas avec l’affirmation selon laquelle les autorités l’avaient à l’œil.

 

[34]           Les commissions et tribunaux administratifs sont les mieux placés pour évaluer la crédibilité des demandeurs d’asile : voir Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, [1993] ACF no 732, au paragraphe 4; et leurs conclusions devraient bénéficier d’une retenue appréciable : Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, [2008] ACF no 1329, au paragraphe 13.

 

[35]           Comme l’a souligné le juge Martineau dans RKL c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] ACF no 162, au paragraphe 7 :

L’évaluation de la crédibilité d’un demandeur constitue l’essentiel de la compétence de la Commission. La Cour a statué que la Commission a une expertise bien établie pour statuer sur des questions de fait, et plus particulièrement pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution d’un demandeur : voir

Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1800, au paragr. 38

(QL) (1re inst.); Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, au paragr. 14.

 

[36]           La Commission a souligné qu’il incombe en tout temps au demandeur d’étayer sa demande d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi. La Commission a raisonnablement tiré une conclusion défavorable de l’omission du demandeur de fournir des éléments de preuve corroborants provenant de sa mère pour étayer l’allégation selon laquelle l’ASL était à sa recherche en juin 2009, surtout qu’il était entré en contact avec sa mère pour qu’elle lui fournisse d’autres documents.

 

[37]           Dans Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 95, [2012] ACF no 101, au paragraphe 39, le juge Scott a affirmé que « [s]elon la jurisprudence, lorsque le récit d’un demandeur d’asile est jugé incohérent à cause de conclusions sur la crédibilité, l’absence de preuve documentaire est une considération valide aux fins de l’appréciation de la crédibilité ».

 

[38]           En l’espèce, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas établi de façon crédible qu’il était recherché par les autorités, et elle a raisonnablement conclu qu’il ne serait pas exposé à un risque sérieux de persécution ou à un risque probable de préjudice ou de danger s’il retournait au Sri Lanka.

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de la demande présentée sur place?

[39]           Le demandeur fait valoir que la Commission a omis de prendre en considération le fait que sa présence à bord d’un navire soupçonné d’être lié aux TLET aurait pour conséquence qu’il serait soupçonné d’avoir un lien ou qu’il serait perçu comme ayant un lien avec cette organisation. Selon le demandeur, la Commission a également omis d’examiner ce fait conjointement avec les autres facteurs de risque, notamment le fait que sa famille avait été ciblée en raison de liens allégués avec les TLET, et ainsi de tenir compte de leur effet cumulatif.

 

[40]           Le demandeur fait également valoir que la Commission a omis de procéder à une analyse des motifs mixtes liés à sa demande. Il soutient que la Commission a limité son analyse à son appartenance à un groupe social, sans prendre en considération son origine ethnique, son voyage à bord du MS Sun Sea et ses opinions politiques présumées.

 

[41]           En réponse à l’allégation du demandeur, la Commission a affirmé ce qui suit : [traduction] « il se peut que toutes les ramifications de la concession n’aient pas été appréciées au sens de l’article 97, mais même son avocat a affirmé qu’il était exposé à un risque généralisé parce qu’il était un jeune homme tamoul, parce qu’il était né dans la province du Nord et y résidait, et parce qu’il avait été passager du MS Sun Sea ». En dépit de l’emploi du terme « concession », qui a sans doute été fait par inadvertance, la Commission était clairement au courant des différents fondements sur lesquels reposait la demande et les a pris en considération individuellement et cumulativement.

 

[42]           Le demandeur soutient en outre que la Commission n’a pas tenu compte de la jurisprudence récente de la Cour fédérale selon laquelle le fait d’être passager du MS Sun Sea pouvait mener à une présomption d’opinions politiques, et donc exposer les passagers de ce navire à un risque. Le demandeur s’appuie sur les décisions Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B134, B130, B133, B131 et B132, IMM-8010-12 (ordonnance rendue le 8 avril 2013); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B420, 2013 CF 321, [2013] ACF no 396 (le 28 mars 2013); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c A032, 2013 CF 322, [2013] ACF no 399 (également le 28 mars 2013); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B344, 2013 CF 447, [2013] ACF no 547 (le 8 mai 2013 ).

 

[43]           Toutes ces décisions ont été rendues par la Cour après que la Commission a eu rendu la sienne dans le cas du demandeur. Je le souligne seulement parce que le demandeur fait valoir qu’il a été privé de l’équité procédurale étant donné que la Commission s’est fondée sur des décisions ultérieures à son audience. Cette question sera abordée plus loin dans les motifs.

 

[44]           Eu égard aux décisions citées par le demandeur, la Cour s’est demandé s’il avait été raisonnable de la part de la Commission de conclure que les demandeurs avaient des opinions politiques présumées. Chaque affaire repose sur les faits qui lui sont propres, et des faits similaires peuvent mener à des issues différentes susceptibles d’être jugées raisonnables ou non raisonnables lors d’un contrôle judiciaire. En l’espèce, la Commission devait se demander s’il pourrait être conclu que le demandeur en l’espèce a des liens présumés avec les TLET et, par conséquent, des opinions politiques présumées. La Commission a conclu que non. Le rôle de la Cour est de déterminer si cette conclusion est raisonnable.

 

[45]           Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur a fait plusieurs observations qui semblent plutôt contradictoires.

 

[46]           Le demandeur soutient que sa demande présentée sur place n’était pas fondée sur l’appartenance à un groupe social, et il reproche à la Commission d’avoir fait référence à son allégation selon laquelle le simple fait d’avoir fait partie du [traduction] « contingent » serait suffisant pour qu’il soit persécuté et que, [traduction] « en raison de cette traversée sur le navire, il appartenait à un groupe social aux fins de la décision relative à sa demande du statut de réfugié au sens de la Convention ». La Commission a souligné que cette allégation avait été rejetée dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B380, 2012 CF 1334, 421 FTR 138 [B380].

 

[47]           Le demandeur ne peut maintenant affirmer qu’il n’a pas fondé sa demande sur l’appartenance à un groupe social. Bien qu’il n’ait pas mentionné cette appartenance en tant qu’unique fondement de sa demande présentée sur place, les observations présentées après l’audience énoncent clairement que [traduction] « le demandeur a une crainte fondée de persécution pour des motifs liés à la race, à la nationalité et à l’appartenance à un groupe social, plus précisément parce qu’il est un jeune homme tamoul de la province du Nord et parce qu’il a migré à bord du MS Sun Sea ». Plus tard, les motifs de race, de nationalité, d’opinions politiques et d’appartenance à un groupe social ont de nouveau été mentionnés parmi les motifs de la demande d’asile, soit à la page 9 des observations présentées après l’audience.

 

[48]           La Commission n’a pas commis d’erreur en mentionnant ce motif et en s’appuyant sur la jurisprudence selon laquelle le fait d’être un passager du MS Sun Sea n’est pas suffisant pour conclure à l’appartenance à un groupe social.

 

[49]           La Commission a également conclu que les demandeurs d’asile déboutés ne seront pas présumés avoir des liens avec les TLET à leur retour au Sri Lanka simplement parce qu’ils étaient à bord du MS Sun Sea. Par contre, le fait d’avoir des liens avec les TLET pourrait aller de pair avec le fait d’avoir voyagé à bord du MS Sun Sea dans le cas des passagers pour lesquels le gouvernement a conclu à des liens avec les TLET.

 

[50]           À la lumière de la décision dans son intégralité, dans laquelle sont citées les décisions pertinentes, telle MCI c B380, il est clair que la Commission n’a pas examiné la demande du demandeur en se fondant seulement, ni même principalement, sur le motif de l’appartenance à un groupe social. La Commission a rejeté l’allégation du demandeur parce qu’elle était d’avis qu’un homme tamoul du Nord ayant voyagé à bord du MS Sun Sea serait exposé à un risque seulement s’il était soupçonné d’avoir des liens avec les TLET.

 

[51]           En outre, l’allégation du demandeur selon laquelle la Commission a commis une erreur en tenant compte de décisions rendues après son audience (question qui sera abordée ci‑dessous), y compris PM c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 77, [2013] ACF no 136 [PM], et SK c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 78, [2013] ACF no 137 [SK] – où il est souligné qu’une évaluation individuelle s’impose – semble contredire une autre de ses allégations, selon laquelle les risques et motifs mixtes qui lui sont propres auraient dû être examinés. De fait, c’est justement cette approche qui est suivie dans les décisions PM et SK, et c’est cette approche que la Commission a reconnue comme était celle à adopter. Dans les décisions PM et SK, la juge Snider a conclu que la conclusion de la Commission était raisonnable compte tenu de son évaluation individualisée de la question de savoir si le demandeur en question était exposé à un risque en raison de ses liens présumés avec les TLET. La juge Snider, de fait, est revenue sur le principe de longue date suivant lequel il convient d’évaluer la situation particulière du demandeur.

 

[52]           La Commission a rigoureusement tenu compte du profil de risque propre au demandeur au moment d’examiner la demande présentée sur place. Elle a entre autres examiné les risques auxquels il était exposé avant son départ du Sri Lanka, puis les risques auxquels il serait exposé compte tenu de ce qui s’est passé après son départ, notamment compte tenu du fait qu’il a été passager du MS Sun Sea.

 

[53]           La Commission a examiné minutieusement tous les antécédents du demandeur au Sri Lanka, y compris les meurtres de son père et de son beau‑père, l’enlèvement de son frère, la détention de sa mère, les recherches ciblant son frère et les menaces qui en ont résulté. Elle a tenu compte du fait qu’il était un jeune homme tamoul du Nord. La Commission a conclu qu’aucun élément de preuve fiable n’établissait qu’il avait déjà participé aux activités des TLET ou qu’il avait été embêté par cette organisation lorsqu’il vivait au Sri Lanka, ni qu’il avait eu un quelconque contact avec l’ASL, avec le service des enquêtes criminelles de la police, avec le Parti démocratique populaire de l’Eelam ou avec les organisations paramilitaires. La Commission a également conclu que le demandeur n’avait pas établi de façon crédible que l’OPLET avait déjà été à sa recherche dans le but de lui causer un préjudice.

 

[54]           La Commission a conclu que les demandeurs d’asile déboutés ayant des liens avec les TLET ou ayant quitté leur pays illégalement, un geste qui pourrait donner à penser qu’ils sont sans doute des sympathisants des TLET, pourraient être exposés à un risque de détention et de mauvais traitements. La Commission a conclu que le demandeur en l’espèce n’avait pas de liens réels ni présumés avec les TLET lorsqu’il se trouvait au Sri Lanka, que les autorités ne s’intéressaient pas à lui et qu’il a quitté le pays en toute légalité. La Commission a souligné que le demandeur serait vraisemblablement interrogé à son retour au Sri Lanka, notamment au sujet du MS Sun Sea, s’il était révélé qu’il a voyagé à bord de ce navire, mais qu’il [traduction] « ne savait à peu près rien ».

 

[55]           Dans les anciennes lignes directrices du UNHCR datées d’avril 2009, il est dit que les jeunes hommes tamouls sont exposés à un risque, sauf que ce n’est plus le cas. Les lignes directrices de 2010, qui remplacent celles de 2009 et sur lesquelles s’est fondée la Commission, précisent qu’il existe des profils de risque particuliers, entre autres dans le cas de liens soupçonnés avec les TLET. Les lignes directrices précédentes faisaient exception au principe suivant lequel il convient de procéder à des évaluations individuelles, mais cette exception ne s’applique plus.

 

[56]           La Commission a résumé son évaluation des circonstances propres au demandeur : il ne sait rien des TLET, il n’a pas de liens avec les TLET, et son retour ne l’exposerait pas à un risque de persécution ni n’exigerait qu’il bénéficie d’une protection.

 

[57]           La décision de la Commission montre que cette dernière a tenu compte du fait que le demandeur était un jeune homme tamoul du Nord ayant voyagé à bord du MS Sun Sea. L’analyse de la demande présentée sur place révèle que le commissaire a examiné, puis rejeté, l’allégation sur laquelle le demandeur dit fonder sa demande reposant sur des motifs mixtes; le demandeur n’est pas exposé à un risque en tant que jeune tamoul né et résidant dans la province du Nord, et en tant que personne ayant voyagé à bord du MS Sun Sea, parce qu’il n’est pas soupçonné d’avoir un lien avec la cause tamoule.

 

Le temps écoulé entre l’audience et la décision constitue‑t‑il un manquement à l’équité procédurale?

[58]           Le demandeur soutient que la Commission a mis plus d’un an à rendre sa décision, et qu’elle s’est fondée de manière sélective sur des décisions que la Cour fédérale a rendues après la tenue de l’audience. Le demandeur fait valoir qu’il n’a pas eu droit à une audience complète et impartiale, parce qu’il n’a pas pu commenter ces décisions, notamment celles concernant l’appartenance à un groupe social et celles où il était question de motifs mixtes et d’opinions politiques, soit des éléments centraux de sa demande.

 

[59]           Le demandeur affirme en outre que le délai lui a été préjudiciable parce que la Loi a changé depuis l’instruction de sa demande, de sorte qu’il ne peut plus présenter de demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR].

 

[60]           Le défendeur fait valoir que la Commission n’a pas commis d’erreur en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour fédérale; c’est ce qu’elle doit faire, car les décisions de la Cour doivent servir de guide. Qui plus est, le demandeur aurait pu faire des observations après l’audience en réponse aux effets possibles de certaines décisions sur l’issue de sa demande.

 

[61]           Le défendeur souligne également que le principe d’équité procédurale n’a jamais ouvert la voie à l’obtention de deux ERAR menés indépendamment par la Commission et par l’agent d’ERAR.

 

Le délai ne peut constituer à lui seul un manquement à l’équité procédurale

[62]           Je ne suis pas d’avis qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale en raison du temps qu’a mis la Commission à rendre la décision, ni en raison du fait que la Commission s’est appuyée sur des décisions rendues après la tenue de l’audience du demandeur.

 

[63]           La décision de la Commission est détaillée et tient compte de l’énorme dossier, qui contient plus de 900 pages.

 

[64]           Le demandeur a affirmé qu’il devrait y avoir une limite au temps que prend la Commission pour rendre ses décisions. Cela dit, il n’y a aucune disposition législative applicable à cet égard. Certaines décisions seront rendues moins rapidement que d’autres, selon les circonstances.

 

[65]           Le demandeur s’est appuyé sur l’arrêt Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 RCS 307, au paragraphe 102 [Blencoe], dans lequel la Cour suprême soutient que le délai de traitement d’une instance administrative peut nuire à l’obligation d’agir équitablement et aux principes de justice naturelle s’il compromet la capacité de la partie de répondre à ce qui lui est reproché. Dans cet arrêt, il était question d’un délai de 30 mois précédant la planification de l’audience. De plus, la Cour n’a pas conclu qu’il y avait eu un abus de procédure pouvant justifier la suspension de l’instance. La Cour a également souligné que le demandeur devait subir un quelconque préjudice pour qu’il soit justifié de conclure à un manquement à l’obligation d’agir équitablement. La Cour a souligné que le droit d’obtenir un jugement dans un délai raisonnable ne s’appliquait qu’en matière criminelle. La Cour a souligné que, même si les accusations de harcèlement sexuel étaient graves, en l’absence de préjudice réel causé par le délai, ce dernier ne justifiait pas l’arrêt des procédures.

 

[66]           Une jurisprudence abondante traite du contrôle judiciaire de décisions rendues par la Commission eu égard aux demandeurs d’asile qui ont été passagers du MS Sun Sea. L’avocat a mentionné avec raison certaines décisions précédentes qui confirmaient les conclusions de la Commission selon lesquelles le fait d’avoir été passager de ce navire était un motif suffisant pour demander l’asile, ou que le fait d’avoir été passager de ce navire équivalait à faire partie d’un groupe social et que cette appartenance établissait le lien requis. Cela dit, même si, en apparence, différentes approches semblent avoir été adoptées en réponse à des situations similaires, chaque demande est différente. Le rôle de la Cour consiste à examiner le caractère raisonnable de la décision de la Commission, et non d’imposer sa propre conclusion.

 

[67]           Comme l’a souligné la juge Snider dans la décision PM :

[16]       Pour étayer sa prétention, le demandeur m’a fourni un certain nombre de décisions de la Commission, dans lesquelles différents commissaires avaient conclu, en adoptant, allègue‑t‑il, le raisonnement qu’il propose, que les demandeurs d’asile à bord du NM Sun Sea étaient des réfugiés au sens de la Convention. Le problème réside dans le fait que ces décisions de la Commission n’ont pas valeur de précédent, et ce, pour une excellente raison. Chaque affaire doit être examinée selon la situation qui lui est propre. Par exemple, dans l’une des affaires invoquées par le demandeur, le tribunal avait conclu que le demandeur d’asile avait le profil d’une personne soupçonnée d’avoir des liens avec les TLET, ce qui exacerbait le risque auquel il aurait été exposé à son retour.

 

[17]       En outre, et il s’agit d’un facteur encore plus important, la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Il est possible de parvenir à des conclusions différentes à partir de faits similaires. Je reconnais que le demandeur a mis de l’avant un raisonnement logique à l’appui de la conclusion qu’il était exposé à un risque, en raison de son arrivée au pays à bord du MS Sun Sea. Cela ne signifie toutefois pas que le raisonnement adopté par la Commission était déraisonnable. L’existence d’un éventail d’issues possibles est la caractéristique principale de la norme de la raisonnabilité et elle constitue la fondation de la déférence envers les décideurs. La question de savoir si le demandeur en l’espèce serait exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution était une question factuelle qui relevait de la Commission. Malgré le fait qu’il soit possible que moi, ou qu’un autre commissaire, ayons pu parvenir à une conclusion différente, il était raisonnablement loisible à ce tribunal de la Commission d’en arriver à cette décision, au vu du dossier de preuve en l’espèce. La Cour ne devrait pas intervenir.

 

[68]           Eu égard à l’observation selon laquelle la Commission n’aurait pas dû avoir tenu compte de la jurisprudence ultérieure à l’audience, le défendeur souligne que la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la question dans Liyanagamage c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1994) 176 NR 4, [1994] ACF no 1637 [Liyanagamage]. Cette décision est souvent citée lorsqu’il est question du critère à appliquer par la Cour pour certifier une question autre que celle à laquelle elle a répondu. La question à certifier en l’espèce était celle de savoir si la Commission aurait dû rouvrir l’audience pour permettre aux parties de faire des observations, étant donné que la Commission s’était fondée sur une décision rendue après l’audience par une instance supérieure. La Cour a répondu que non, soulignant qu’elle s’était déjà prononcée sur cette question précédemment dans Canada (PG) c Levac, [1992] 3 CF 463, [1992] ACF no 618 (CA) [Levac]. Dans la décision Levac, la Cour a conclu que la Commission n’avait pas cette obligation, bien qu’il serait peut-être prudent qu’elle le fasse dans certaines situations. La Cour a également conclu, à la lumière des faits de l’espèce, que la décision n’équivalait pas à un changement fondamental de la loi. Dans la décision Liyanagamage, la Cour a également conclu que la décision en litige ayant été rendue après l’audience de la Commission ne changeait pas fondamentalement la loi.

 

[69]           Le demandeur a donné l’exemple d’une autre demande d’asile récente, dans le cadre de laquelle la Commission avait invité les deux parties à présenter, après l’audience, des observations concernant l’incidence de l’arrêt de la Cour suprême Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] ACS no 40 [Ezokola], affirmant que la même chose aurait dû être faite en l’espèce. Selon moi, la lettre type établit que la Commission a le pouvoir discrétionnaire d’inviter les parties à faire des observations lorsqu’une décision récente a pour résultat de changer la loi de façon importante ou fondamentale et qu’elle aura une incidence sur les questions à trancher par la Commission. Dans l’arrêt Ezokola, la Cour suprême du Canada établit le sens à donner à la complicité dans des crimes contre l’humanité aux termes de l’alinéa 1Fa) de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies. Il s’agit d’un arrêt important.

 

[70]           En l’espèce, la jurisprudence postérieure à l’audience dont la Commission a tenu compte ne changeait pas le fondement de la demande d’asile du demandeur, dont chaque élément a été analysé par la Commission.

 

[71]           La Commission a fait référence à la décision B380 (rendue le 19 novembre 2012), qui réfutait l’idée selon laquelle le fait de voyager à bord du MS Sun Sea permettait de conclure à une appartenance à un groupe social au sens de la Convention. La Commission a également mentionné les décisions Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B472, 2013 CF 151, [2013] ACF no 192 (le 25 février 2013), et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B323, 2013 CF 190, [2013] ACF no 193 (le 25 février 2013), qui s’appuyaient toutes deux sur la décision B380.

 

[72]           La Commission a également mentionné deux décisions [traduction] « miroirs » rendues en janvier, soit PM (le 25 janvier 2013) et SK (le 25 janvier 2013), dans lesquelles la juge Snider est revenue sur le principe fondamental suivant lequel chaque demandeur d’asile doit faire l’objet d’une évaluation individuelle. Ce principe ne date pas d’hier. Cela dit, les jeunes hommes tamouls du Nord ont déjà fait l’objet d’une exception par le passé, car ils étaient présumés avoir besoin d’une protection. Or, ce n’est plus le cas.

 

[73]           Le demandeur souhaitait une évaluation personnalisée et une analyse des motifs mixtes, étant donné qu’il avait fourni, à l’appui de sa demande, des motifs liés à la race, à l’origine ethnique, à sa présence à bord du MS Sun Sea et à ses opinions politiques présumées en raison des antécédents de sa famille.

 

[74]           Comme il est souligné ci‑dessus, le demandeur fait maintenant valoir que sa demande ne repose pas sur l’appartenance à un groupe social. Par conséquent, si les parties avaient été avisées du fait que la Commission se fonderait sur ces décisions, le demandeur aurait eu une nouvelle occasion de souligner les autres fondements de sa demande. Or, il ressort de la décision que la Commission a tenu compte de tous les fondements de la demande. Ainsi, le demandeur n’a en aucune façon subi de préjudice. Les affaires récentes n’ont pas changé les fondements de sa demande.

 

[75]           Selon moi, le demandeur n’a pas intérêt à affirmer que la Commission lui a causé un préjudice en tenant compte de la jurisprudence susmentionnée. La Commission a mentionné les lignes directrices de 2010 et le profil de risque possible et elle a déterminé que la seule catégorie à laquelle le demandeur pourrait appartenir était celle des personnes ayant des liens présumés avec les TLET. La Commission a fait une évaluation individualisée de son profil de risque, ce qui est justement ce qu’elle devait faire selon le demandeur, soulignant que [traduction] « la question à trancher est celle de savoir si ce demandeur tamoul est soupçonné d’avoir des liens avec les TLET. Je conclus au final qu’il ne l’est pas ».

 

[76]           En pratique, la Commission ne peut passer outre la jurisprudence récente et conclure que la seule présence du demandeur à bord du MS Sun Sea l’expose à un risque de persécution, compte tenu du fait que les éléments de preuve concernant la situation dans le pays ne vont pas en ce sens, et étant donné que la jurisprudence a établi que le passage à bord du MS Sun Sea n’équivalait pas à une appartenance à un groupe social. Si elle le faisait, elle commettrait une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

 

L’incidence du délai sur l’ERAR ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale

[77]           En outre, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le délai n’a pas privé le demandeur de son droit à l’équité procédurale, même si l’article 112 de la Loi a été modifié et que l’examen des risques avant renvoi [ERAR] a fait l’objet de restrictions. Comme le soutient le défendeur, dans la décision Toth c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 1051, 417 FTR 279, le juge Zinn a conclu que la modification était constitutionnelle. Le demandeur ne sera pas admissible à un ERAR avant le mois de mars 2014, mais il a récemment fait l’objet d’un examen des risques avant renvoi de la part de la Commission. S’il devait être renvoyé, il pourrait demander un report du renvoi et demander l’examen de tout nouveau risque auquel il pourrait être exposé à ce moment‑là; dans l’éventualité d’un refus, il pourrait demander le contrôle judiciaire de la décision et un sursis à la mesure de renvoi pour que le contrôle judiciaire puisse avoir lieu, deux possibilités qui lui permettraient de signaler tout nouveau risque auquel il serait exposé à son retour.

 

Question proposée aux fins de certification

[78]           Le demandeur a proposé la question suivante aux fins de certification :

« La Commission a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale en se fondant sur des décisions rendues après l’audience (pendant que sa décision était en délibéré) sans toutefois donner aux parties l’occasion de présenter des observations à cet égard? »

 

[79]           Le défendeur a utilement souligné que la Cour d’appel fédérale s’était penchée sur la question dans Liyanagamage. Le demandeur n’est pas d’accord, soutenant que, dans cette décision, la Cour dit laisser à la Commission le soin de décider si elle invitera les parties à présenter des observations eu égard à la jurisprudence récente.

 

[80]           Bien que je convienne que la Commission puisse inviter les parties à faire des observations, la Cour d’appel a conclu qu’elle n’a pas l’obligation de le faire. La Cour d’appel a déjà répondu négativement à la question posée par le demandeur.

 

[81]           Le demandeur a subsidiairement proposé la question suivante :

« L’écoulement de plus d’un an avant la prise d’une décision en délibéré par la Section de la protection des réfugiés constitue‑t‑il un manquement à l’équité procédurale? »       

 

[82]           La question proposée aux fins de certification ne répond pas au critère établi par la Cour d’appel fédérale dans la décision Liyanagamage, soit que la question doit transcender les intérêts des parties au litige, qu’elle doit aborder des éléments qui sont de portée générale et qu’elle doit être déterminante dans l’issue de l’appel.

 

[83]           Pour reprendre les termes plus simples utilisés dans d’autres instances, la question proposée aux fins de certification doit être une question sérieuse qui a une portée générale et qui sera déterminante dans l’issue de l’appel.

 

[84]           La question proposée par le demandeur est particulière aux faits de l’espèce tels qu’il les considère. Il s’agit d’une question très étroite portant sur un délai précis. Elle a pour but d’obtenir une réponse catégorique, en dépit de l’éventail de facteurs qui pourraient être pertinents dans l’analyse visant à déterminer s’il y a eu manquement à l’équité procédurale. La réponse à la question de savoir si un délai peut constituer un manquement à l’équité procédurale dépendra des circonstances de l’espèce, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Blencoe.

 

[85]           Je suis arrivée à la conclusion qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale en l’espèce, et le temps écoulé n’était pas le facteur déterminant dans cette conclusion.

 

[86]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

3.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Geneviève Tremblay, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-2796-13

 

INTITULÉ :

B198 c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 17 octobre 2013

 

MOTIFS PUBLICS DU

JUGEMENT ET

JUGEMENT :                                  La juge Kane

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 30 octobre 2013

 

COMPARUTIONS :

Gurpreet Badh

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Hilla Aharon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smeets Law Corporation

Avocats et notaires

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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