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Date : 20131106


Dossier :

T‑666‑12

 

Référence : 2013 CF 1132

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 novembre 2013

En présence de madame la juge Strickland

 

ENTRE :

AMIR ATTARAN

 

demandeur

Et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 22 février 2012 par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a rejeté la plainte déposée par le demandeur, en application de l’article 40 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (la LCDP), qui reprochait à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) le caractère discriminatoire du délai de traitement par elle des demandes de parrainage des parents et des grands‑parents en vue de l’obtention de la résidence permanente. La présente demande de contrôle judiciaire est présentée conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

 

Contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen canadien. Le 9 juillet 2009, il a présenté à CIC une demande de parrainage de son père et de sa mère, des citoyens américains vivant en Californie, en vue de leur immigration au Canada. Le 28 juillet 2010, insatisfait du délai de réponse par CIC, le demandeur a déposé une plainte devant la Commission (la plainte devant la CCDP).

 

[3]               La plainte devant la CCDP comportait deux allégations principales de discrimination systémique, fondées sur l’âge et sur la situation de famille :

 

                     CIC exerce entre les diverses demandes de parrainage une discrimination fondée sur l’âge. Les personnes souhaitant entrer au Canada doivent passer un examen médical; cela était toutefois préjudiciable au père et à la mère du demandeur puisqu’ils étaient susceptibles de contracter une maladie liée à l’âge au cours de la longue période de traitement de la demande de parrainage et de devenir de ce fait non admissibles pour des raisons médicales. Tel n’est pas le cas pour les autres membres de la catégorie du regroupement familial qui sont plus jeunes ou ceux dont les demandes sont traitées plus rapidement.

 

                     En raison du temps requis par CIC pour traiter les demandes de parrainage des parents et des grands‑parents, le demandeur doit attendre beaucoup plus longtemps pour être réuni avec son père et sa mère, ses seuls parents par le sang, qu’il ne serait nécessaire pour les personnes voulant parrainer d’autres membres de leur parenté qui sont leurs seuls parents par le sang. Il en résulte de la discrimination fondée sur la situation de famille.

 

[4]               Au moment du dépôt de la plainte du demandeur, CIC visait à traiter dans un délai de 37 mois les demandes de parrainage des parents et des grands‑parents, alors que le délai visé était de 42 jours dans le cas des époux, des enfants à charge et des « autres membres de la parenté », et le jour même dans le cas des enfants adoptés et des orphelins.

 

[5]               Le 30 août 2010, la Commission a commencé à faire enquête sur la plainte du demandeur. Le 5 novembre 2010, CIC a remis sa réponse écrite à la plainte à l’enquêteuse, Mme Belanger, réponse que la Commission a transmise au demandeur le 12 novembre 2010. Le 6 décembre 2010, le demandeur a communiqué à l’enquêteuse sa réponse aux observations de CIC. Mme Belanger n’étant pas en mesure de poursuivre l’enquête, celle‑ci a été confiée en juillet 2011 à une nouvelle enquêteuse, Mme Murkami. Le demandeur a soumis des observations écrites supplémentaires à l’enquêteuse les 7 février 2011 et 12 août 2011.

 

[6]               Le 15 novembre 2011, la Commission a remis aux parties un exemplaire du rapport de l’enquêteuse, qui recommandait le rejet de la plainte par la Commission conformément au sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP, puisque l’examen de celle‑ci, compte tenu des circonstances, n’était pas justifié. L’enquêteuse s’est penchée sur deux questions principales : (1) la différence de traitement alléguée dans la prestation de services, et (2) la discrimination systémique alléguée.

 

[7]               Quant à la première question, l’enquêteuse a d’abord examiné s’il y avait traitement différencié et discriminatoire de la part de CIC et si, dans l’affirmative, il en existait une explication raisonnable qui ne soit pas un prétexte à la discrimination pour un motif illicite. L’enquêteuse a conclu qu’il semblait bien que CIC réservait un traitement différent, en fonction de la situation de famille, au demandeur et aux autres personnes parrainant leurs parents et grands‑parents en vue de l’obtention de la résidence permanente au Canada.

 

[8]               En ce qui concerne les examens médicaux, l’enquêteuse a conclu que les parents et grands‑parents étaient tenus de subir un tel examen à une étape plus avancée du processus de demande de parrainage que ne l’étaient les autres membres de la catégorie du regroupement familial. Pour obtenir un visa de résident permanent, tous les demandeurs doivent disposer d’un certificat médical valide au moment de l’admission au Canada; les certificats médicaux n’ont une durée de validité que de 12 mois. Le délai de traitement des demandes de parrainage étant plus long pour les parents et grands‑parents que pour les autres membres de la catégorie du regroupement familial, et de plus de 12 mois en tout état de cause, il ne servait à rien de leur faire subir des examens médicaux au tout début du processus.

 

[9]               Pour ce qui est du délai de traitement des demandes de parrainage, l’enquêteuse a conclu que CIC réservait un traitement différent, en fonction de leur situation de famille, au demandeur et aux autres répondants de parents et de grands‑parents. L’enquêteuse a toutefois accepté l’explication de CIC voulant que le gouvernement du Canada fixe des cibles quant au nombre d’immigrants, de chaque groupe, autorisés chaque année à entrer au pays. En outre, le « Plan des niveaux d’immigration », approuvé par le Cabinet, oriente les décisions prises par CIC au sujet de la coordination et du traitement des demandes présentées chaque année. CIC fait correspondre ses opérations, dans la mesure du possible, au nombre d’admissions prévues et, par extension, aux fonds qui lui sont accordés chaque année pour mettre en œuvre le programme d’immigration. Compte tenu de ces éléments, et du grand nombre de demandes présentées au titre de la catégorie du regroupement familial, il était nécessaire au plan stratégique que CIC décide d’un ordre de priorité entre les demandes correspondant aux diverses sous‑catégories de cette catégorie.

 

[10]           On a conclu dans le rapport d’enquête que CIC ne faisait pas de discrimination fondée sur l’âge à l’égard du demandeur puisque l’âge était une caractéristique personnelle, non pas de ce dernier, mais bien de ses parents.

 

[11]           L’enquêteuse a également rejeté la prétention de discrimination systémique du demandeur après avoir conclu que les actes de CIC n’empêchaient pas, ni ne tendaient à empêcher, les parents et les grands‑parents d’un répondant d’obtenir des visas de résidents permanents, même s’il y avait pour eux un délai d’attente plus important. Il ressortait de la preuve, en outre, une explication raisonnable de CIC quant au classement par ordre de priorité des demandes de la catégorie du regroupement familial traitées.

 

[12]           Dans sa réponse au rapport d’enquête en date du 11 décembre 2011, le demandeur a fait valoir que l’enquêteuse s’était trompée en (1) décrivant incorrectement le service en cause, (2) en ne faisant pas enquête et rapport sur la priorité accordée aux « autres membres de la parenté » de la catégorie du regroupement familial, (3) en jugeant raisonnable, sans preuve à l’appui, le moyen de défense avancé par le défendeur, (4) en ne concluant pas à l’existence d’une discrimination systémique compte tenu des faits admis par le défendeur et non contestés, (5) en ne s’attardant pas à la discrimination fondée sur l’âge, et (6) en enfreignant les principes d’équité procédurale.

 

[13]           Dans sa réponse présentée le 12 décembre 2011, CIC a fait valoir à nouveau que le législateur, le ministre de CIC et le Ministère établissaient des processus et procédures assurant au mieux l’équilibre requis afin que le gouvernement du Canada puisse atteindre les objectifs énoncés au paragraphe 3(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) et dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002‑227) (le Règlement IPR). CIC a également relevé dans ses observations l’annonce par le ministre, le 4 novembre 2011, d’un plan destiné à régler la question de l’arriéré des demandes de résidence permanente des parents et des grands‑parents.

 

[14]           Le 21 décembre 2011, la Commission a procédé à la « communication réciproque » des observations des parties. Le demandeur y a donné suite le 9 janvier 2012 en transmettant sa réponse à la Commission tel qu’il lui était demandé. La Commission a prorogé le délai accordé à CIC pour présenter sa réponse, ce que CIC a fait le 20 janvier 2012, trois jours après avoir obtenu de la Commission les observations du demandeur à son intention. Le 23 janvier 2012, le demandeur a présenté à la Commission un dernier ensemble d’observations écrites où il faisait part de ses préoccupations d’ordre procédural.

 

Décision de la Commission

[15]           Le 22 février 2012, la Commission a approuvé le rapport de l’enquêteuse et a exposé les motifs pour lesquels elle rejetait la plainte du demandeur (la décision). C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[16]           Dans sa lettre d’accompagnement datée du 2 mars 2012, la Commission a présenté le résumé suivant :

 

                   CIC n’a pas semblé avoir réservé au demandeur un traitement différent et préjudiciable fondé sur l’âge.

 

                   CIC a fourni une explication raisonnable quant au traitement plus rapide des demandes de parrainage touchant les enfants et les époux que celles touchant les parents et les grands‑parents.

 

                   Les actes de CIC n’ont pas empêché, ni tendu à empêcher, une personne ou une catégorie de personnes d’obtenir des visas de résidents permanents pour parents et grands‑parents.

 

                   Compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci par le Tribunal n’était pas justifié.

 

[17]           La Commission a conclu que le demandeur alléguait essentiellement dans sa plainte de discrimination que CIC traitait les demandes de parrainage des parents et des grands‑parents au titre de résidents permanents plus lentement que les demandes de parrainage visant d’autres sous‑catégories d’immigrants, tels les enfants et les époux. Elle a conclu que les actes de CIC constituaient une différence de traitement fondée sur la situation de famille et l’âge qui défavorisait les répondants tels que le demandeur. Elle a toutefois jugé que l’explication donnée par CIC était raisonnable et ne relevait pas du prétexte : le traitement différent découlait de l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire de gérer les flux d’immigration au Canada en fixant le nombre visé d’immigrants de chaque catégorie.

 

[18]           Quant à la prétention du demandeur selon laquelle l’enquêteuse avait décrit incorrectement sa plainte de discrimination dans la prestation d’un [traduction] « service de parrainage » comme ayant pour objet le [traduction] « traitement des demandes de visas de résidence permanente pour les parents et grands‑parents de répondants canadiens », la Commission a répondu que les demandes ou services en matière de parrainage ne constituaient pas des services autonomes. La demande de parrainage et la demande de résidence permanente constituent toutes deux des étapes dans le traitement réservé aux demandeurs de visas de résidence permanente.

 

[19]           La Commission a reconnu que l’enquêteuse ne s’était pas penchée sur l’allégation selon laquelle les demandes de parrainage des « autres membres de la parenté », tels que les tantes et les oncles, étaient traitées en priorité. Elle a toutefois conclu, comme l’avait fait valoir CIC, que les « autres membres de la parenté » ne pouvaient faire partie de la catégorie du regroupement familial que dans certaines situations précises, qui ne correspondaient pas à la situation du demandeur. En outre, le nombre de demandes visant ces personnes était si peu élevé par rapport au nombre total de demandes pour la catégorie du regroupement familial qu’établir toute comparaison était de bien peu d’intérêt. En tout état de cause, il relevait du pouvoir discrétionnaire du ministre de fixer un ordre de priorité, que ce soit au sein de la catégorie du regroupement familial ou en fonction de l’âge.

 

[20]           La Commission a également souscrit à l’explication avancée par CIC en réponse à l’allégation de discrimination systémique, qui résulterait de l’effet conjugué de l’ordre de priorité établi au sein de la catégorie du regroupement familial et de l’obligation pour tous les demandeurs de subir un examen médical dans les douze mois précédant l’admission au Canada. Plus précisément, CIC a expliqué que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire de gérer les flux d’immigration au Canada en fixant le niveau souhaité pour les diverses catégories d’immigrants. La Commission a d’ailleurs relevé que le demandeur n’avait pas directement contesté le pouvoir discrétionnaire du ministre à cet égard.  

 

[21]           Quant aux manquements à l’équité procédurale invoqués par le demandeur, la Commission a conclu que toutes les irrégularités administratives ayant pu exister avaient été corrigées et qu’on avait pleinement accordé au demandeur l’occasion de présenter sa cause. L’équité procédurale commandait, non pas de remettre au demandeur copie des documents de CIC, mais plutôt de l’informer de l’essentiel de la preuve et de l’argumentation de la partie adverse. Or, tout au long du processus d’enquête, le demandeur a été mis au fait de la thèse de CIC et il était parfaitement en mesure d’y répondre.

 

[22]           La Commission a finalement conclu que le « Plan d’action pour accélérer la réunification familiale », annoncé par CIC le 4 novembre 2011, s’attaquait directement aux problèmes soulevés dans la plainte.  

 

Contexte législatif

[23]           Comme la présente demande met en jeu la LIPR, le Règlement IPR, la LCDP et l’interaction entre ces textes législatifs, il est utile d’entrée de jeu d’exposer brièvement les dispositions pertinentes.

 

La LIPR

[24]           L’article 94 de la LIPR prévoit l’obligation pour le ministre de déposer un rapport sur l’application de cette loi pendant l’année civile précédente. Le rapport doit notamment préciser les instructions données au titre de l’article 87.3 et les autres activités et initiatives en matière de sélection des étrangers ainsi que le nombre d’étrangers devenus résidents permanents et dont il est prévu qu’ils le deviendront pendant l’année suivante.

 

[25]           Le paragraphe 87.3(2) prévoit que le traitement des demandes doit se faire « de la manière qui, selon le ministre, est la plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral ». À cette fin, le ministre peut donner des instructions pour le traitement des demandes, notamment des instructions :

 

(a)                prévoyant les groupes de demandes à l’égard desquels s’appliquent les instructions;

 

(b)               prévoyant l’ordre de traitement des demandes, notamment par groupe;

 

(c)                précisant le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe;

 

(d)               régissant la disposition des demandes dont celles faites de nouveau.

 

[26]           Il est déclaré au paragraphe 87.3(7) que l’article 87.3 n’a pas pour effet de porter atteinte au pouvoir du ministre de déterminer de toute autre façon la manière la plus efficace d’assurer l’application de la LIPR.

 

[27]           L’article 12 crée trois catégories d’immigrants pouvant demander de devenir des résidents permanents au Canada : la catégorie de l’immigration économique, la catégorie des réfugiés et la catégorie du regroupement familial. La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement. En vertu du paragraphe 13(1), tout citoyen canadien et tout résident permanent peuvent, sous réserve des règlements, parrainer un étranger de la catégorie du regroupement familial. Le paragraphe 16(2) impose pour sa part à l’étranger concerné l’obligation de se soumettre à un examen médical.

 

[28]           L’article 14 autorise la prise de règlements qui régiront le traitement des demandes de résidence permanente :

14. (1) Les règlements régissent l’application de la présente section et définissent, pour l’application de la présente loi, les termes qui y sont employés.

 

(2)  Ils établissent et régissent les catégories de résidents permanents ou d’étrangers, dont celles visées à l’article 12, et portent notamment sur :

 

 

 

a)   les critères applicables aux diverses catégories, et les méthodes ou, le cas échéant, les grilles d’appréciation et de pondération de tout ou partie de ces critères, ainsi que les cas où l’agent peut substituer aux critères son appréciation de la capacité de l’étranger à réussir son établissement économique au Canada;

 

 

 

b)   la demande, la délivrance et le refus de délivrance de visas et autres documents pour les étrangers et les membres de leur famille;

 

c)   le nombre de demandes à traiter et dont il peut être disposé et celui de visas ou autres documents à accorder par an, ainsi que les mesures à prendre en cas de dépassement;

 

d)   les conditions qui peuvent ou doivent être, quant aux résidents permanents et aux étrangers, imposées, modifiées ou levées, individuellement ou par catégorie;

 

e)   le parrainage, les engagements ainsi que la sanction de leur inobservation;

 

 

f)    les garanties à remettre au ministre pour le respect des obligations découlant de la présente loi;

 

 

g)   les affaires sur lesquelles les personnes ou organismes désignés devront ou pourront statuer ou faire des recommandations au ministre sur les étrangers ou les répondants.

 

14. (1) The regulations may provide for any matter relating to the application of this Division, and may define, for the purposes of this Act, the terms used in this Division.

 

(2)  The regulations may prescribe, and govern any matter relating to, classes of permanent residents or foreign nationals, including the classes referred to in section 12, and may include provisions respecting

 

(a)  selection criteria, the weight, if any, to be given to all or some of those criteria, the procedures to be followed in evaluating all or some of those criteria and the circumstances in which an officer may substitute for those criteria their evaluation of the likelihood of a foreign national’s ability to become economically established in Canada;

 

(b)  applications for visas and other documents and their issuance or refusal, with respect to foreign nationals and their family members;

 

(c)  the number of applications that may be processed or approved in a year, the number of visas and other documents that may be issued in a year, and the measures to be taken when that number is exceeded;

 

(d)  conditions that may or must be imposed, varied or cancelled, individually or by class, on permanent residents and foreign nationals;

 

 

(e)  sponsorships, undertakings, and penalties for failure to comply with undertakings;

 

(f)   deposits or guarantees of the performance of obligations under this Act that are to be given by any person to the Minister; and

 

(g)  any matter for which a recommendation to the Minister or a decision may or must be made by a designated person, institution or organization with respect to a foreign national or sponsor.

 

Le Règlement IPR

[29]           Le paragraphe 30(1) du Règlement IPR prévoit que l’étranger qui demande la résidence permanente doit être titulaire d’un certificat médical fondé sur sa visite médicale la plus récente devant avoir eu lieu dans les douze mois qui précèdent.

 

[30]           Le paragraphe 70(1) prévoit que l’agent concerné délivre un visa de résident permanent à l’étranger qui satisfait aux conditions qui y sont énoncées. Trois catégories de résidents permanents sont également établies : la catégorie du regroupement familial, la catégorie de l’immigration économique et la catégorie des réfugiés au sens de la Convention.

 

[31]           L’article 72 traite de la manière dont l’étranger peut devenir résident permanent du Canada. Il doit notamment satisfaire aux critères de sélection et aux autres exigences applicables à la catégorie visée par sa demande.

 

[32]           Les articles 116 et 117 définissent et établissent, comme suit, la catégorie du regroupement familial :

116. Pour l’application du paragraphe 12(1) de la Loi, la catégorie du regroupement familial est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents sur le fondement des exigences prévues à la présente section.

 

117. (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

 

a)   son époux, conjoint de fait ou partenaire conjugal;

 

 

b)   ses enfants à charge;

 

 

c)   ses parents;

 

 

d)   les parents de l’un ou l’autre de ses parents;

 

e)   [Abrogé, DORS/2005‑61, art. 3]

 

f)    s’ils sont âgés de moins de dix‑huit ans, si leurs parents sont décédés et s’ils n’ont pas d’époux ni de conjoint de fait :

 

 

      (i)         les enfants de l’un ou l’autre des parents du répondant,

 

      (ii)        les enfants des enfants de l’un ou l’autre de ses parents,

 

 

      (iii)       les enfants de ses enfants;

 

g)   la personne âgée de moins de dix‑huit ans que le répondant veut adopter au Canada, si les conditions suivantes sont réunies : [. . .]

 

h)   tout autre membre de sa parenté, sans égard à son âge, à défaut d’époux, de conjoint de fait, de partenaire conjugal, d’enfant, de parents, de membre de sa famille qui est l’enfant de l’un ou l’autre de ses parents, de membre de sa famille qui est l’enfant d’un enfant de l’un ou l’autre de ses parents, de parents de l’un ou l’autre de ses parents ou de membre de sa famille qui est l’enfant de l’un ou l’autre des parents de l’un ou l’autre de ses parents, qui est :

 

      (i)         soit un citoyen canadien, un Indien ou un résident permanent,

 

      (ii)        soit une personne susceptible de voir sa demande d’entrée et de séjour au Canada à titre de résident permanent par ailleurs parrainée par le répondant.

 

116. For the purposes of subsection 12(1) of the Act, the family class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of the requirements of this Division.

117 (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

 

 

(a)  the sponsor’s spouse, common‑law partner or conjugal partner;

 

(b)  a dependent child of the sponsor;

 

(c)  the sponsor’s mother or father;

 

(d)  the mother or father of the sponsor’s mother or father;

 

(e)  [Repealed, SOR/2005‑61, s. 3]

 

(f)   a person whose parents are deceased, who is under 18 years of age, who is not a spouse or common‑law partner and who is

 

      (i)         a child of the sponsor’s mother or father,

 

 

      (ii)        a child of a child of the sponsor’s mother or father, or

 

 

      (iii)       a child of the sponsor’s child;

 

(g)  a person under 18 years of age whom the sponsor intends to adopt in Canada if . . .

 

 

 

(h)  a relative of the sponsor, regardless of age, if the sponsor does not have a spouse, a common‑law partner, a conjugal partner, a child, a mother or father, a relative who is a child of that mother or father, a relative who is a child of a child of that mother or father, a mother or father of that mother or father or a relative who is a child of the mother or father of that mother or father

 

 

 

      (i)         who is a Canadian citizen, Indian or permanent resident, or

 

      (ii)        whose application to enter and remain in Canada as a permanent resident the sponsor may otherwise sponsor

 

 

La LCDP

[33]           Le paragraphe 3(1) de la LCDP énumère les motifs de distinction illicite, parmi lesquels figurent l’âge et la situation de famille. L’article 5 prévoit que constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public d’en priver un individu, ou de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

[34]           Il n’y a pas acte discriminatoire s’il existe un motif justifiable de priver ou défavoriser un individu pour un motif de distinction illicite (alinéa 15(1)g)). Pour qu’un acte discriminatoire soit considéré comme ayant un motif justifiable, il doit être démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité (paragraphe 15(2)).

 

[35]           Toute personne croyant qu’une autre a commis un acte discriminatoire peut déposer une plainte devant la Commission (article 40). Une fois la plainte de discrimination déposée, la Commission peut charger un enquêteur d’enquêter sur la plainte (article 43). L’enquêteur doit présenter un rapport à la Commission (paragraphe 44(1)). Dès réception du rapport, la Commission a le pouvoir discrétionnaire de rejeter la plainte si elle est convaincue que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci n’est pas justifié (sous‑alinéa 44(3)b)(i)). C’est ce qui s’est produit dans la présente affaire.

 

Questions en litige

[36]           Selon le demandeur, les questions en litige sont les suivantes :

i)                    La Commission a‑t‑elle omis erronément de faire enquête pour déterminer si les demandes des répondants de parents étaient traitées plus lentement que les demandes des répondants d « autres membres de la parenté » d’âge avancé semblable?

 

ii)                  La Commission a‑t‑elle accepté erronément la simple affirmation du caractère inévitable de la discrimination en raison du manque de ressources?

 

iii)                La Commission a‑t‑elle considéré erronément que l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire de contrôler l’immigration prévalait sur la LCDP?

 

iv)                La non‑communication d’observations par la Commission enfreint‑elle les principes d’équité procédurale?

 

[37]           Le défendeur estime pour sa part que les questions en litige sont les suivantes :

 

i)                    La demande est‑elle théorique?

 

ii)                  Dans la négative,

 

(a)                la décision était‑elle raisonnable?

 

(b)               la décision était‑elle équitable sur le plan de la procédure?

 

[38]           À mon sens, il convient de reformuler les questions en litige comme suit :

i)                    La demande est‑elle théorique?

 

ii)                  La Commission a‑t‑elle outrepassé sa compétence?

 

iii)                La décision, y compris l’enquête, était‑elle équitable sur le plan de la procédure?

 

iv)                La décision était‑elle raisonnable?

 

Norme de contrôle

[39]           Lorsque la jurisprudence établit la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à une question donnée, cette norme peut être adoptée par la cour de révision (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 57 et 62 [Dunsmuir]). La norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte lorsqu’est en cause un manquement à l’équité procédurale par la Commission, ou l’exercice par celle‑ci de sa compétence (Ayangma c Canada (Procureur général), 2012 CAF 213, au paragraphe 56; Dunsmuir, précité, au paragraphe 59; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53 [Sketchley]). La décision correcte est donc la norme qui convient au contrôle de la deuxième et de la troisième questions en litige, notamment, s’agissant d’une question de compétence, quant à la prétention du demandeur selon laquelle la Commission a outrepassé sa fonction d’examen préalable.

 

[40]           La norme de contrôle qu’appellent les conclusions de fait de la Commission et l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de rejeter une plainte est celle de la décision raisonnable (Tahmourpour c Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, au paragraphe 6 [Tahmourpour]; Wu c Banque Royale du Canada, 2010 CF 307, au paragraphe 20). La prétention du demandeur selon laquelle la Commission a outrepassé sa compétence en rejetant sa plainte, en raison du pouvoir discrétionnaire du ministre, ne met pas en cause une question de compétence, mais bien plutôt le pouvoir discrétionnaire de la Commission de renvoyer une plainte au Tribunal ou de la rejeter. C’est là une question mixte de fait et de droit qui commande la norme de la raisonnabilité (Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 963 c Société des Alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 RCS 227 (CSC), à la page 233; Première nation de Big River c Dodwell, 2012 CF 766, au paragraphe 36 [Big River]; Alliance Pipeline Ltd c Smith, 2011 CSC 7, [2011] 1 RCS 160, au paragraphe 36; Dunsmuir, précité, au paragraphe 51).

 

Argumentation des parties et analyse

i)          La demande est‑elle théorique?

[41]           Le défendeur fait valoir, à titre de question préliminaire, que la demande est désormais théorique puisqu’il n’existe plus de litige actuel entre les parties. Cela viendrait du fait que, le 4 novembre 2011, postérieurement au dépôt de la plainte du demandeur le 11 août 2010, le gouvernement du Canada a annoncé son intention de modifier sensiblement le mode de traitement des demandes visant le parrainage de parents et de grands‑parents. Il s’agissait notamment d’augmenter de 60 % le nombre de parents et de grands‑parents parrainés admis en 2012; de créer un super visa autorisant les parents et grands‑parents parrainés à demeurer au Canada, sans le faire renouveler, pendant 24 mois; de consulter les Canadiens sur les modifications à apporter au programme pour parents et grands‑parents; de marquer une pause pouvant aller jusqu’à 24 mois dans l’acceptation de nouvelles demandes de parrainage de parents et de grands‑parents. De plus, la demande de parrainage du demandeur a atteint la deuxième étape de traitement le 30 mars 2012, ce qui veut dire qu’elle a été traitée et qu’on a invité les parents du demandeur à présenter leurs demandes de visas de résidents permanents.

 

[42]           Le défendeur soutient qu’accorder au demandeur la réparation souhaitée reviendrait à ordonner à la CCDP de faire enquête sur une pratique qui n’existe plus. Il ajoute qu’il n’y a plus de délai de traitement qui touche le demandeur personnellement.

 

[43]           Lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur a soutenu que d’autres répondants de parents et de grands‑parents attendaient toujours que leurs demandes soient traitées. La différence entre les divers délais de traitement demeure donc pour ces personnes un litige actuel. Aucune preuve ne démontre d’ailleurs que les modifications apportées aux politiques, le 4 novembre 2011, ont eu une incidence quelconque sur les délais de traitement.

 

Analyse

[44]           Dans l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, la Cour suprême du Canada a déclaré que la doctrine relative au caractère théorique était un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal puisse refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite. « Le principe général s’applique quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l’affaire. » Si, après l’introduction des procédures, « surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu’il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique ».

 

[45]           La Cour a exposé une démarche en deux temps permettant de déterminer si une affaire est théorique. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, il faut se demander si le tribunal devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire et instruire l’affaire. La Cour a dit considérer une affaire théorique si elle ne répondait pas au critère du litige actuel. La Cour a également énoncé les facteurs à considérer pour déterminer si, en tout état de cause, il convient pour le tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre une affaire.

 

[46]           En l’espèce, l’objet initial de la plainte du demandeur était que les délais de traitement différents appliqués aux demandes de parrainage par CIC ont constitué une distinction défavorable au parrainage de ses parents, laquelle était fondée sur l’âge et la situation de famille. À mon avis, puisque la demande de parrainage du demandeur a maintenant été traitée, il n’y a plus entre ce dernier personnellement et CIC de litige actuel.

 

[47]           Le demandeur a toutefois également fait valoir dans sa plainte qu’il s’agissait là de discrimination systémique. À cet égard, bien que le gouvernement du Canada ait apporté ultérieurement des modifications au mode de traitement des demandes de parrainage des parents et des grands‑parents, le défendeur n’a présenté aucun élément de preuve tendant à démontrer que les délais de traitement ont sensiblement changé, et que cela a eu une incidence importante sur les délais de traitement différents entre les diverses sous‑catégories de membres de la famille qui composent la catégorie du regroupement familial. Par conséquent, l’objet de la plainte initiale de discrimination systémique constitue toujours un litige actuel, et la demande n’est pas théorique.

 

ii)         La Commission a‑t‑elle outrepassé sa compétence?

Thèse du demandeur

[48]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur de compétence en statuant, par‑delà sa fonction d’examen préalable, que [traduction] « l’exercice par le ministre de la CIC de son pouvoir discrétionnaire de gérer les flux d’immigration au Canada » était une explication raisonnable, ne relevant pas du prétexte, à opposer à la plainte de discrimination. Selon le demandeur, la Commission ne s’est pas conformée à l’arrêt Bell c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854, au paragraphe 53, sub nom. Cooper c Canada (Commission canadienne des droits de la personne) [Cooper], où la Cour suprême a déclaré que la Commission n’avait pas compétence pour trancher une question de droit.

 

Thèse du défendeur

[49]           Le défendeur soutient de son côté que la Commission ne décidait pas d’une question de droit lorsqu’elle a rejeté la plainte du demandeur. Il s’agissait plutôt d’une décision administrative relevant directement, en vertu de l’article 44 de la LCDP, de sa compétence. Rejeter une plainte au motif que son examen n’est pas justifié n’équivaut pas à trancher une question de droit au sens où on l’entendait dans Cooper, précité. Essentiellement, il se dégage comme principe de cet arrêt qu’un tribunal administratif tel que la Commission n’a pas compétence pour se prononcer sur les questions de droit générales, comme la validité constitutionnelle de sa propre loi habilitante.

 

Analyse

[50]           À mon avis, compte tenu de la décision dans son ensemble et du rôle imparti à la Commission par la LCDP, les arguments du demandeur en matière de compétence ne sauraient être retenus.

 

[51]           Il ressort clairement de la jurisprudence que, lorsqu’elle décide s’il y a lieu ou non de déférer une plainte au Tribunal, la Commission ne doit procéder qu’à un examen préalable. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, conformément aux dispositions de la LCDP et eu égard à l’ensemble des faits, la tenue d’une enquête est justifiée. Il s’agit essentiellement de s’assurer du caractère suffisant de la preuve (Cooper, précité, au paragraphe 53; Herbert c Canada (Procureur général), 2008 CF 969, au paragraphe 16 [Herbert]; Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 RCS 879, à la page 899 [SEPQA]). En d’autres termes : « Il s’agit d’un rôle très modeste. En effet, la Commission ne peut pas juger si la plainte est fondée ou non, mais doit plutôt déterminer si, eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête » (Coupal c Canada (Procureur général), [2006] ACF no 325 (1re inst.) (QL), au paragraphe 12 [Coupal]).

 

[52]           Les cours de justice ont cependant maintes fois reconnu que, lorsqu’elle effectue son examen préalable, la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire très vaste pour déterminer, compte tenu des circonstances, si un examen est justifié ou si la plainte devrait plutôt être rejetée, conformément à l’article 43 de la LCDP (Herbert, précitée, au paragraphe 18; Tahmourpour, au paragraphe 6; Première nation de Big River First Nation, précitée, au paragraphe 82; Slattery c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] ACF no 181 (1re inst.)(QL), conf. par [1996] ACF no 385 (CA) (QL) [Slattery]).

 

[53]           L’enquêteuse a conclu dans la présente affaire, après analyse des allégations et de la preuve, que l’examen de la plainte ne semblait pas justifié. Elle a donc recommandé à la Commission, en application du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP, de rejeter la plainte. La Commission a adopté les recommandations de l’enquêteuse en plus d’exposer ses propres motifs dans la décision.

 

[54]           La Commission n’a rien fait de plus que de procéder à l’examen préalable de la plainte et de déterminer qu’il y avait lieu de la rejeter. Il fallait examiner pendant l’enquête si la preuve était suffisante, et notamment s’il existait un motif justifiable pour les délais de traitement plus longs appliqués par CIC aux dossiers de parrainage des parents et des grands‑parents. On s’est penché sur le pouvoir discrétionnaire du ministre, étant donné que cela éclairait la question du motif justifiable, plus précisément celle de savoir si l’existence de ce pouvoir permettait d’expliquer d’une manière raisonnable, qui ne soit pas le prétexte d’une distinction pour un motif illicite, les délais plus longs de traitement. L’enquêteuse a recommandé le rejet de la plainte en application du sous‑alinéa 43(3)b)(i), en partie parce qu’elle a jugé l’explication de CIC raisonnable.

 

[55]           Je ne crois pas que l’arrêt Cooper, précité, étaye l’argument du demandeur selon lequel la Commission a tiré une conclusion de droit en souscrivant à l’explication donnée par CIC au sujet des délais de traitement différents – il s’agissait de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire du ministre −, et a par conséquent outrepassé sa compétence. Dans l’arrêt Cooper, la question était de savoir si la CCDP, ou le tribunal désigné par elle pour faire enquête sur une plainte, avait le pouvoir de se prononcer sur la constitutionnalité d’une disposition de sa loi habilitante, la LCDP. La Cour suprême a conclu que la Commission avait le pouvoir d’interpréter et d’appliquer sa propre loi habilitante, mais qu’elle n’était pas habilitée à se prononcer sur les questions de droit générales. Elle a tiré la conclusion suivante, qui aide à comprendre cette distinction : « Le pouvoir de refuser de recevoir une plainte, de rejeter une demande ou de refuser d’accomplir une des nombreuses fonctions dont peut être chargé un organisme administratif n’équivaut pas au pouvoir de trancher des questions de droit [...] » (Cooper, précité, au paragraphe 55).

 

[56]           La Cour suprême a aussi décrit succinctement (au paragraphe 49) le processus de règlement des plaintes établi par la LCDP :

[49]      […] Lorsqu’elle reçoit une plainte, la Commission nomme un enquêteur, qu’elle charge d’enquêter sur la plainte et de lui faire rapport (art. 43 et par. 44(1)). La Commission peut, après avoir reçu le rapport de l’enquêteur et sollicité les commentaires des parties à son sujet, prendre des mesures pour que soit constitué un tribunal pour examiner la plainte, si elle est convaincue, compte tenu des circonstances, qu’un examen est justifié (al. 44(3)a)). Elle peut également rejeter la plainte [...]

 

Il ressort clairement de l’arrêt Cooper, et des articles 43 et 44 de la LCDP, que la Commission a compétence pour rejeter une plainte si elle estime, en fonction des faits, qu’un examen n’est pas justifié, et qu’une telle décision n’équivaut pas à trancher une question de droit.

 

[57]           La Commission a adopté les recommandations formulées, et a notamment souscrit à l’explication de CIC concernant les différences de traitement. Elle a rejeté la plainte après avoir conclu, compte tenu des circonstances, que son examen par un tribunal n’était pas justifié. Rien dans les motifs ne laisse entendre que la Commission a apprécié la preuve pour tirer une conclusion quant au bien‑fondé de la plainte, ni qu’elle s’est prononcée sur davantage que la question de savoir s’il existait un fondement raisonnable, au vu de la preuve, pour passer à l’étape suivante du renvoi au Tribunal (SEPQA, précité, aux pages 899 et 900; Mercier c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] ACF no 361 (CA) (QL), au paragraphe 13 [Mercier]). Bref, la Commission n’a pas décidé de manière définitive du succès ou du rejet de la plainte, et elle n’a pas tranché l’affaire.

 

[58]           La décision était une décision administrative qui relevait directement de la compétence de la Commission. Ce que le demandeur conteste essentiellement a plus à voir, selon moi, avec le caractère raisonnable de la décision, quant à l’acceptation de l’explication de CIC fondée sur le pouvoir discrétionnaire du ministre, qu’avec les questions de compétence qu’il a soulevées.

 

iii)        La décision, y compris l’enquête, était‑elle équitable sur le plan de la procédure?

[59]           Le demandeur fait valoir pour deux motifs principaux que l’enquête de la Commission est viciée : l’enquêteuse a procédé de manière erronée à la communication de documents tant avant qu’après l’établissement du rapport d’enquête, et l’enquête a manqué de rigueur et de neutralité. Le défendeur affirme que la décision était équitable sur le plan de la procédure puisqu’on a procédé à une communication adéquate, et qu’elle se fondait sur une enquête rigoureuse.

 

Communication de documents

Thèse du demandeur

[60]           Le demandeur soutient que la Commission a omis de lui communiquer certaines observations écrites de CIC, et que cela l’a privé de son droit d’y répondre. Avant l’établissement du rapport d’enquête, les documents non communiqués ont été une version modifiée, le 3 mars 2011, de la réponse initiale du 5 novembre 2010 de CIC à la plainte, ainsi qu’une lettre du 21 octobre 2011 adressée à la Commission et dans laquelle CIC répondait à certaines questions posées par l’enquêteuse.

 

[61]           Le demandeur affirme que la communication des observations à jour est obligatoire lorsqu’y figurent des éléments de fait distincts de ceux dont le rapport d’enquête fait état, que la partie adverse aurait eu le droit de tenter de réfuter les eût‑elle connus au stade de l’enquête (Mercier, précité, au paragraphe 18). Il ajoute que cette règle s’applique également à l’étape préalable au rapport d’enquête, et que la procédure interne de la Commission astreint celle‑ci à une obligation de communication continue.

 

[62]           Le demandeur affirme également qu’une fois le rapport d’enquête établi, CIC a pu jeter un « coup d’œil » sur les observations, formulées par lui, qui ont fait l’objet de la communication réciproque et que la Commission avait transmises à CIC après lui avoir accordé une prorogation de délai pour le dépôt de ses propres observations en réponse, lesquelles ont fait l’objet de la communication réciproque. CIC a déposé ses observations trois jours après avoir reçu les observations du demandeur, et aurait profité de cet avantage procédural pour adapter sa réponse, en y intégrant comme nouvel élément de preuve un tableau statistique démontrant que le nombre d’ « autres membres de la parenté » parrainés était peu élevé par rapport au nombre de membres d’autres groupes de la catégorie du regroupement familial. En ne communiquant pas ce tableau, on a empêché le demandeur d’y répondre. Or, la Commission s’est manifestement appuyée sur ce nouvel élément de preuve, puisqu’elle a déclaré dans sa décision que le nombre de demandes pour d’autres membres de la parenté était si peu élevé par rapport au nombre total de demandes pour la catégorie du regroupement familial, et de demandes pour les parents et les grands‑parents, que toute comparaison s’avérait être d’un intérêt restreint.

 

[63]           Le demandeur estime également que la Cour devrait se pencher sur les pratiques de communication de la Commission et lui fournir à cet égard des orientations.

 

Thèse du défendeur

[64]           Selon le défendeur, l’équité procédurale n’exige pas de la Commission qu’elle « communique systématiquement » tout document au plaignant (Mercier, précité, au paragraphe 18). La communication est jugée adéquate lorsqu’elle permet au plaignant de connaître la thèse de la partie adverse. En l’espèce, on n’a pas privé le demandeur de son droit de réponse, puisqu’il n’y a eu aucune question soulevée dans l’un ou l’autre documents préalables au rapport d’enquête ici en cause qui n’ait fait l’objet d’une divulgation complète dans le dossier dont le demandeur a pu disposer une fois les observations finales présentées à la Commission. En outre, le demandeur n’a pas expliqué en quoi la non‑communication de l’un ou l’autre document l’avait empêché de faire valoir le bien‑fondé de sa cause.

 

[65]           Quant à la communication préalable au rapport d’enquête, le défendeur soutient que la réponse modifiée du 3 mars 2011 de CIC ne différait que légèrement de sa réponse initiale du 5 novembre 2010 précédemment communiquée au demandeur. Seulement deux paragraphes étaient modifiés; on y traitait d’aspects techniques du processus d’examen des demandes de résidence permanente, d’intérêt accessoire à la plainte du demandeur dans son ensemble. Pour ce qui est de la lettre du 21 octobre 2011 envoyée par CIC à la Commission en réponse à des questions posées par l’enquêteuse, on y traitait principalement, sinon exclusivement, d’une question soulevée dès le début de l’enquête par le demandeur, en termes exprès, concernant le pouvoir discrétionnaire du ministre d’établir un ordre de priorité parmi les diverses sous‑catégories de la catégorie du regroupement familial.

 

[66]           Selon le défendeur, rien n’étaye l’allégation du demandeur selon laquelle CIC a tiré un avantage indu en pouvant jeter un « coup d’œil » sur ses observations qui faisaient l’objet de la communication réciproque. Il est manifeste de prime abord que les propres observations de CIC visées par la communication réciproque ne constituaient pas une réponse aux observations du demandeur, mais bien uniquement des commentaires sur la réponse du demandeur au rapport de l’enquêteuse.

 

[67]           Quant au nouvel élément de preuve, les données du tableau statistique faisaient directement écho à une allégation formulée par le demandeur en réponse à un commentaire figurant dans le rapport d’enquête. Les données confirmaient les observations présentées par CIC dans sa réponse du 11 décembre 2011 au rapport d’enquête, selon lesquelles, dans les faits, le Ministère recevait très peu de demandes visant la sous‑catégorie des « autres membres de la parenté ». Par conséquent, la communication prématurée des observations du demandeur, dans le cadre de la communication réciproque, ne constituait pas en l’espèce un manquement à l’équité procédurale.

 

Analyse

[68]           Le principe général en matière de communication ici applicable est qu’il faut accorder à chaque partie, pour respecter l’équité procédurale, la possibilité suffisante de connaître et de réfuter l’ensemble de la preuve contre laquelle elle doit se défendre. Il en découle l’obligation pour la Commission non pas de communiquer systématiquement à chaque partie tous les documents qu’elle reçoit de l’autre, mais plutôt de l’informer de la substance de la preuve obtenue par l’enquêteur de manière à ce qu’elle puisse y répliquer (Canada (Procureur général) c Cherrier, 2005 CF 505, au paragraphe 23 [Cherrier]; Mercier, précité, au paragraphe 18).

 

[69]           De manière générale, la Commission n’est pas tenue de communiquer les observations exactes des parties. Les observations sont plutôt résumées dans le rapport d’enquête, à l’égard duquel chaque partie dispose d’un droit de réponse. Tel que le demandeur le fait toutefois remarquer, il peut y avoir exception à la règle lorsque dans les observations d’une partie figurent des éléments de fait distincts de ceux dont le rapport d’enquête fait état, que la partie adverse aurait eu le droit de tenter de réfuter les eût‑elle connus au stade de l’enquête (Mercier, précité, au paragraphe 18).

 

[70]           On l’a dit, les deux documents préalables au rapport d’enquête ici en cause sont la version modifiée de la réponse initiale de CIC à la plainte, ainsi qu’une lettre envoyée par CIC à la Commission en réponse à certaines questions posées par l’enquêteuse.

 

[71]           Après avoir comparé la teneur des observations initiales du 5 novembre 2010 de CIC et de ses observations modifiées du 3 mars 2011, j’estime que dans la version modifiée ne figurent pas d’éléments de fait distincts de ceux dont le rapport d’enquête fait état, et que le demandeur n’a été privé ni de l’accès à la substance de la preuve recueillie, ni de la possibilité de la réfuter.

 

[72]           Il n’y a dans la réponse modifiée que deux changements dignes de mention. Le premier consiste en l’ajout d’un paragraphe qui précise, en faisant allusion à l’observation du demandeur selon laquelle les demandes visant les frères et sœurs sont traitées à l’intérieur d’un délai de 42 jours, qu’en réalité un tel traitement accéléré est réservé aux seuls frères et sœurs qui sont devenus orphelins, sont âgés de moins de 18 ans et n’ont ni époux ni conjoint de fait. En d’autres circonstances, les frères et sœurs répondant aux critères d’un enfant à charge peuvent être ajoutés à la demande de l’un ou l’autre de leurs parents, et dans ce cas le délai de traitement sera pour eux le même que pour ce parent. L’explication ainsi donnée correspond essentiellement aux dispositions de l’alinéa 117(1)f) du Règlement IPR.

 

[73]            Dans ses observations initiales du 5 novembre 2010, CIC avait expliqué qu’on accordait la priorité aux enfants adoptés ou devant être adoptés au Canada, puis à la famille nucléaire, soit les époux, conjoints et enfants à charge, et enfin aux autres membres de la catégorie du regroupement familial, tels que les frères et sœurs orphelins, âgés de moins de 18 ans et n’ayant ni époux ni conjoint de fait. Le paragraphe ajouté ne renfermait aucun élément de fait nouveau sur ce point, et il n’avait aucune incidence sur les éléments fondamentaux de la plainte. On y précisait simplement les circonstances particulières où la priorité est accordée aux frères et sœurs.

 

[74]           De plus, si on a ensuite confirmé dans le rapport d’enquête, quant aux délais de traitement des demandes de parrainage, que CIC avait bien traité le demandeur différemment en fonction de sa situation familiale, on y a toutefois accepté les explications données par CIC, concernant, entre autres, la nécessité au plan stratégique que le Ministère établisse un ordre de priorité entre les demandes des diverses sous‑catégories de la catégorie du regroupement familial. C’était là l’élément essentiel et le demandeur a eu amplement la possibilité, s’il le souhaitait, de réfuter à tous égards les précisions données quant à la priorité accordée aux « frères et sœurs ». Il y a lieu de noter à cet égard que le demandeur a en fait présenté trois réponses après avoir reçu les observations du 5 novembre 2010 de CIC (le 6 décembre 2010 ainsi que les 7 février et 12 août 2011).

 

[75]           Le deuxième changement apporté par la réponse modifiée de CIC consistait en l’ajout d’un nouveau paragraphe où CIC réaffirmait simplement sa position, par ailleurs énoncée dans les deux versions de ses observations, faisant ressortir que tant les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, de même que les employeurs et les établissements d’enseignement, avaient leur rôle à jouer dans la sélection des nouveaux immigrants. Tout en s’acquittant de son mandat, ainsi, CIC doit s’aligner sur les priorités établies par le gouvernement fédéral pour le Canada. Le nouveau paragraphe n’a introduit aucun nouvel élément de fait et a consisté, pour l’essentiel, en une nouvelle formulation de la position de CIC déjà exposée dans ses observations du 5 novembre 2010; on a communiqué ces observations au demandeur, et celui‑ci a eu l’occasion – et il l’a saisie − de les réfuter.

 

[76]           Pour ce qui est de la lettre du 21 octobre 2011 adressée par CIC à la Commission avant l’établissement du rapport d’enquête, on y répondait à trois questions posées par l’enquêteuse, quant à la question de savoir si CIC pouvait accepter plus d’immigrants d’une sous‑catégorie ou d’une catégorie que des autres, quant à la justification offerte par CIC au sujet de l’établissement d’un ordre de priorité parmi les demandes de la catégorie du regroupement familial, et quant à la demande de données statistiques permettant de comparer le nombre visé et le nombre véritable d’immigrants par sous‑catégorie ou catégorie. Tous les renseignements figurant dans la lettre du 21 octobre 2011 ont été résumés dans le rapport d’enquête, qui a ensuite été communiqué au demandeur, qui, à son tour, a répliqué au rapport au moyen d’observations. Le demandeur n’a donc pas été privé de son droit à l’équité procédurale simplement parce qu’on ne lui aurait pas communiqué la lettre comme telle.

 

[77]           On peut aisément établir une distinction entre les renseignements en cause en l’espèce et ceux qui l’étaient dans Mercier, précité. Dans cette dernière affaire, les nouvelles observations mettaient en question les constatations et conclusions tirées dans le rapport de l’enquêteur ainsi que la crédibilité de la plaignante, sur le fondement de renseignements non consignés dans le rapport ni divulgués à la demanderesse, et ainsi cette dernière n’avait pas eu la possibilité de connaître la preuve contre laquelle elle devait se défendre. Cela diffère de la situation en l’espèce, où les renseignements en cause ont finalement figuré dans le rapport d’enquête, ou bien n’avaient aucune incidence sur les éléments fondamentaux de la plainte.

 

[78]           À l’étape postérieure au rapport d’enquête, l’enquêteuse a bien commis une erreur en remettant à CIC, trois jours avant le dépôt de ses propres observations, une copie des observations du demandeur qui étaient visées par la communication réciproque. L’enquêteuse a admis avoir agi par mégarde et s’en est excusée. Cela ne justifie toutefois pas l’intervention de la Cour puisqu’il n’y a pas eu manquement à l’obligation d’équité procédurale envers le demandeur. Après avoir examiné les observations du 9 et du 23 janvier 2012 du demandeur, ainsi que les observations du 20 janvier 2012 de CIC, j’estime que le demandeur n’a pas été lésé par cette communication prématurée.

 

[79]           Dans sa lettre du 9 janvier 2012, le demandeur a attiré l’attention de l’enquêteuse sur quatre « faits admis » qu’aurait comportés la lettre du 12 décembre 2011 de CIC, et a formulé des commentaires à leur égard. Dans sa lettre du 20 janvier 2012, CIC a déclaré qu’il se limitait dans ses observations à dissiper certains malentendus quant aux faits exprimés dans la réponse du demandeur. CIC a ajouté qu’il ne ferait aucun commentaire sur le processus d’enquête, ni ne traiterait des erreurs qui, selon le demandeur, entachaient l’examen de la preuve par l’enquêteuse et la communication de documents, ou constituaient par ailleurs un manquement à l’équité procédurale.

 

[80]           À mon avis, les seuls renseignements pouvant être d’importance dans la lettre du 20 janvier 2012 ont trait à la réponse que CIC donne à la prétention du demandeur selon laquelle le Ministère accorde, par rapport aux demandes de parrainage de parents et de grands‑parents, une priorité plus élevée aux demandes de parrainage des autres membres de la parenté, comme les tantes et les oncles, et traite des années plus tôt ces dernières demandes. CIC a déclaré que cela était tout simplement faux, et qu’il croyait que ce à quoi le demandeur faisait allusion, c’était l’alinéa 117(1)h) du Règlement IPR :

[traduction]

Il s’agit d’une disposition rarement appliquée qui autorise un citoyen canadien admissible […] sans membre proche de sa famille au Canada, ni hors du Canada qui pourrait être parrainé au titre du regroupement familial, y compris un parent ou un grand‑parent, à parrainer un membre de sa parenté, sans égard à son âge ou à son lien de famille avec le répondant. En raison de la situation de famille particulière requise par cette disposition, peu de demandes de parrainage sont acceptées à l’égard de cette sous‑catégorie. En 2011, seulement 113 demandeurs ont obtenu des visas de résidence permanente en application de cette disposition à caractère unique, tel qu’il est précisé à l’annexe A.

 

[81]           L’annexe A mentionnée est un tableau statistique révélant qu’entre 2001 et la première moitié de 2011, on a reçu de 211 à 705 demandes par année de pareils autres membres de la parenté; de 42 à 153 demandes par année ont été acceptées pendant cette période de dix ans, pour un nombre total de 843 demandes. L’annexe A constitue elle‑même un nouvel élément de preuve et elle n’a pas été communiquée au demandeur.

 

[82]           On a reconnu dans la décision que le rapport d’enquête n’avait pas traité de l’allégation du demandeur selon laquelle priorité de traitement était accordée aux demandes de parrainage d’« autres membres de la parenté », comme les tantes et les oncles, par rapport aux demandes visant les parents et les grands‑parents. On a toutefois déclaré que, tel que CIC l’avait expliqué dans ses observations, les « autres membres de la parenté » ne pouvaient être membres de la catégorie du regroupement familial que dans certaines circonstances restreintes, auxquelles ne correspondait pas la situation du demandeur. En outre, le nombre de demandes pour de telles personnes était si faible par rapport au nombre total de demandes au titre de la catégorie du regroupement familial, et au nombre total de demandes pour les parents et les grands‑parents, que toute comparaison entre eux était de bien peu d’intérêt. De plus, encore une fois, l’ordre de priorité était établi par le ministre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, tel que CIC l’avait expliqué.

 

[83]           On mentionnait dans le rapport d’enquête lui‑même que de 57 000 à 63 000 nouveaux immigrants seraient de la catégorie du regroupement familial en 2010, 75 % d’entre eux étant des époux, conjoints ou enfants à charge, et 25 % des grands‑parents. Des tableaux statistiques étaient joints au rapport, qui permettaient de connaître le nombre cible et le nombre réel d’immigrants admis entre les années 2000 et 2010 au titre de la catégorie du regroupement familial. Le nombre des immigrants admis a varié de 61 515 à 68 863.

 

[84]           Après analyse de ces divers éléments, j’estime que la preuve n’étaye pas la prétention du demandeur selon laquelle CIC a adapté sa réponse en fonction de la communication prématurée, ou a tiré avantage de cette communication. S’il est vrai que le tableau de l’annexe A constituait un nouvel élément de preuve, on ne peut pas dire qu’il illustrait une nouvelle théorie. Dans sa lettre du 12 décembre 2011, par exemple, CIC a fait remarquer que « les tantes et les oncles » ne relevaient pas de la catégorie du regroupement familial, mais a dit croire que le demandeur faisait en réalité allusion dans ses observations aux dispositions de l’alinéa 117(1)h) du Règlement IPR. CIC a aussi déclaré qu’on recevait peu de ce type de demande et qu’en raison des circonstances exceptionnelles où un lien existait entre elles et un répondant, on accordait une priorité plus élevée au traitement de ces demandes. La lettre a été transmise au demandeur, qui y a répondu par une lettre en date du 9 janvier 2012, dans laquelle il citait une partie de cette déclaration même de CIC.

 

[85]           La position de CIC concernant l’établissement d’un ordre de priorité, l’objet central de la plainte du demandeur, a clairement été énoncée dans le rapport d’enquête et d’autres documents. Même si on a fourni dans l’annexe A des chiffres réels étayant la position précédemment divulguée de CIC, selon laquelle peu de demandes étaient présentées en application de l’alinéa 117(1)h), ce document a simplement servi à confirmer cette position. Le demandeur n’explique pas en quoi la non‑communication du tableau statistique a pu avoir une incidence sur sa réponse au rapport d’enquête. Les statistiques n’ayant servi qu’à confirmer la position précédemment divulguée de CIC, il est difficile de voir quelle a pu être l’atteinte au droit de réplique du demandeur.

 

[86]           Selon moi, on n’a pas voulu dissimuler de nouveaux éléments de fait en ne communiquant pas le tableau statistique, et sa non‑communication n’a pas privé le demandeur de son droit de répondre à la preuve. Il n’y a donc pas eu manquement à l’obligation d’équité procédurale.

 

Rigueur et neutralité

Thèse du demandeur

[87]           Le demandeur soutient qu’on a manqué de rigueur dans l’enquête puisque le rapport d’enquête n’a pas traité des délais de traitement différents entre les demandes de parrainage des parents et de parrainage des « autres membres de la parenté », potentiellement du même âge (c.‑à‑d. les tantes et les oncles). Les motifs de la Commission montrent que celle‑ci s’est méprise au sujet de sa compétence, et que les allégations de discrimination ne sont pas à écarter du seul fait que le groupe de comparaison est peu important. Il était également erroné de considérer que la Commission n’avait pas à faire enquête sur une discrimination qui découlait d’une distinction établie par le ministre. À cet égard, le demandeur cite la décision Singh (Re), [1989] 1 CF 430 (CAF), qui confirme (aux paragraphes 21 et 22) que la Commission a compétence pour faire enquête sur les décisions ministérielles qui visent les immigrants parrainés. Le défaut de la Commission d’examiner une question fait en sorte que la rigueur de l’enquête est compromise (Guay c Canada (Procureur général), [2004] ACF no 1205 (1re inst.) (QL), au paragraphe 42 [Guay]; Dupuis c Canada (Procureur général), [2010] ACF no 608 (1re inst.) (QL), au paragraphe 11 [Dupuis]).

 

[88]           L’enquête a aussi manqué de rigueur, affirme le demandeur, parce qu’on n’a présenté aucun élément de preuve financier quant à l’affectation par CIC de ses ressources, et qu’il n’est donc pas possible de savoir si les contraintes financières que ce ministère a invoquées sont bien réelles ou ne constituent qu’un prétexte. La Commission a commis une erreur en acceptant la simple affirmation par CIC que ses ressources financières restreintes occasionnaient des retards dans le traitement des demandes de parrainage de parents et de grands‑parents, et en jugeant que cette explication était raisonnable et ne relevait pas du prétexte. Selon le demandeur, la décision Coupal, précitée, aux paragraphes 36 et 38, et l’arrêt Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c Colombie‑Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 RCS 868 [Grismer] permettent d’affirmer que, devant les commissions et conseils des droits de la personne, il faut étayer par une véritable preuve financière les arguments voulant que le manque de ressources rende la lutte contre la discrimination trop onéreuse. Le demandeur avance que l’annonce récente par CIC de l’augmentation du nombre de parents et grands‑parents parrainés qui seront admis au Canada permet de douter du manque de moyens financiers du Ministère.

 

Thèse du défendeur

[89]           Le défendeur estime que l’enquête a été rigoureuse, même si on ne s’est pas penché expressément sur la question de la différence dans le traitement des demandes de parrainage des parents et de parrainage des« autres membres de la parenté » comme les tantes et les oncles. Le défendeur relève que la plainte initiale du demandeur ne renfermait aucune allégation en ce sens, celle‑ci ayant été formulée pour la première fois dans un courriel du 12 août 2011 adressé à l’enquêteuse.

 

[90]           Le défendeur soutient que le rapport n’a pas nécessairement manqué de rigueur du seul fait que l’enquêteuse n’a pas examiné une question. Le demandeur a soumis directement à la Commission, dans sa réponse du 11 décembre 2011 au rapport de l’enquêteuse et dans ses observations du 9 janvier 2012, qui ont fait l’objet de la communication réciproque, la question du délai de traitement des demandes visant les « autres membres de la parenté ». La Commission s’est ensuite penchée sur la question omise, et elle a formulé dans sa décision une réponse raisonnable aux arguments du demandeur au sujet de ces autres membres de la parenté. Lorsque les parties ont l’occasion de soumettre directement à la Commission une question que l’enquêteur n’a pas examinée, celle‑ci peut (Slattery, Herbert, précitées), comme en l’espèce, corriger l’omission. Le demandeur n’a pas été privé de son droit à l’équité procédurale.

 

[91]           Le défendeur soutient que la Commission n’a pas non plus commis d’erreur en prêtant foi aux déclarations de CIC quant à l’impossibilité, compte tenu de ses ressources actuelles, d’accroître la capacité de traitement des demandes. La Commission dispose d’une grande latitude dans sa fonction de recherche des faits, et il n’était pas déraisonnable qu’elle accepte qu’un ministère affirme devoir respecter son budget.

 

[92]           De plus, c’est à tort que le demandeur a invoqué les décisions Coupal et Grismer. Il s’agissait de savoir dans ces deux affaires si l’acte discriminatoire de l’employeur constituait une exigence professionnelle justifiée. Pour satisfaire au critère applicable, l’employeur doit notamment démontrer que l’acte contesté est nécessaire et qu’il ne peut par ailleurs, sans contrainte excessive, répondre aux besoins du plaignant. Les tribunaux ont conclu dans un tel contexte que de simples affirmations quant aux conséquences financières de mesures d’adaptation ne suffisaient pas. En l’espèce, toutefois, CIC n’est assujetti à aucun fardeau de preuve qu’on pourrait invoquer pour exiger la production d’une preuve financière.

 

Analyse

[93]           Pour décider s’il est justifié que la Cour intervienne, il faut d’abord déterminer ce qu’il incombait à la Commission de faire pour s’acquitter, envers le demandeur, de son obligation d’équité procédurale.  

 

[94]           À cet égard, les obligations de l’enquêteur et de la Commission sont liées mais distinctes. L’enquêteur doit établir un rapport en faisant preuve de rigueur et de neutralité. La Commission doit communiquer ce rapport aux parties, leur offrir l’occasion de faire toutes les observations pertinentes en réponse au rapport, et tenir compte de ces observations lorsqu’elle rend sa décision (Tse c Federal Express Canada Ltd, 2005 CF 599, aux paragraphes 20 à 22). En l’espèce, la Commission a communiqué le rapport de l’enquêteuse et a accepté les commentaires des deux parties. Par conséquent, s’agissant de l’équité procédurale, il reste seulement à déterminer si l’enquête a été menée avec rigueur et neutralité.

 

[95]           Dans la décision Slattery, précitée, qui fait autorité sur la question de l’obligation d’équité procédurale lors d’une enquête de la Commission, le juge Nadon (qui siégeait alors à la Cour fédérale) a statué que le contrôle judiciaire s’impose lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante. Les omissions mineures qui entachent le rapport d’un enquêteur ne seront pas fatales, puisque les parties pourront les porter à l’attention de la Commission dans leurs commentaires.

 

[96]           Le contrôle judiciaire est toutefois justifié lorsque le plaignant ne peut pas remédier aux omissions du rapport de l’enquêteur au moyen d’observations présentées en réponse à la Commission. Cela peut se produire lorsque l’omission est de nature si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention de la Commission sur elle ne suffit pas à y remédier (Slattery, précitée, au paragraphe 57). De même, lorsque les observations en réponse font état d’omissions importantes ou substantielles dans l’enquête et étayent ces affirmations, la Commission doit expliquer pourquoi, le cas échéant, elle estime que ces divergences ne sont pas importantes ou ne suffisent pas à mettre en doute la recommandation de l’enquêteur (Herbert, précitée, au paragraphe 26).

 

[97]           Dans Slattery, précitée, le juge Nadon a formulé les commentaires suivants sur les facteurs à prendre en compte pour apprécier le degré de rigueur d’une enquête (au paragraphe 55) :

[55]      Pour déterminer le degré de rigueur de l’enquête qui doit correspondre aux règles d’équité procédurale, il faut tenir compte des intérêts en jeu : les intérêts respectifs du plaignant et de l’intimé à l’égard de l’équité procédurale, et l’intérêt de la CCDP à préserver un système qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif […]

 

[98]           Dans cette affaire, la demanderesse faisait valoir que certains des renseignements requis pour étayer sa plainte, qui contenait une allégation de discrimination systémique, étaient difficiles à obtenir parce qu’ils étaient protégés par le secret entourant l’employeur, et que l’enquêteuse avait omis d’interroger des témoins pertinents. Comme je l’ai dit, le juge Nadon a statué que le contrôle judiciaire s’imposait lorsqu’un enquêteur n’avait pas examiné une preuve manifestement importante. Il a aussi déclaré ce qui suit (au paragraphe 69) :

[69]      Le fait que l’enquêteuse n’ait pas interrogé chacun des témoins recommandés par la requérante et le fait que la conclusion tirée par l’enquêteuse ne mentionne pas chacun des prétendus incidents de discrimination n’ont pas non plus de conséquence absolue. Cela est encore plus vrai lorsque la requérante a l’occasion de combler les lacunes laissées par l’enquêteuse en présentant subséquemment ses propres observations. En l’absence de règlements qui lui donnent des lignes directrices, l’enquêteuse, tout comme la CCDP, doit être maître de sa propre procédure, et le contrôle judiciaire d’une enquête prétendument déficiente ne devrait être justifié que lorsque l’enquête est manifestement déficiente […]

 

[99]           Dans Miller c Canada (Commission des droits de la personne), [1996] ACF no 735 (1re inst.) (QL), le juge Dubé a énoncé comme suit le critère du caractère rigoureux, ou exhaustif, d’une enquête (au paragraphe 10) :

[10]      Les principes de l’arrêt SEPQA ont été suivis et développés dans plusieurs décisions de la Cour fédérale. Selon ces décisions, le principe de l’équité procédurale exige que la Commission se fonde sur des éléments valables et objectifs pour déterminer si la preuve justifie la constitution d’un Tribunal. Les enquêtes que l’enquêteur mène avant la décision doivent respecter au moins deux conditions : la neutralité et l’exhaustivité. En d’autres termes, l’enquête doit être menée de façon qu’elle ne puisse être décrite comme une enquête empreinte de partialité ou d’iniquité et elle doit être exhaustive, c’est‑à‑dire qu’elle doit tenir compte des différents intérêts des parties concernées. L’enquêteur n’est pas tenu d’interroger chaque personne que proposent les parties. Il n’est pas tenu non plus, dans son rapport, de commenter chacun des incidents de discrimination reprochés, surtout lorsque les parties ont la possibilité de combler les lacunes dans leurs réponses.

 

[100]       En examinant le bien‑fondé des arguments du demandeur, il importe de signaler que la norme établie dans Slattery, précitée, n’exige pas que le rapport de l’enquêteuse soit parfait. La Cour ne doit pas chercher la perfection, mais plutôt s’assurer que le demandeur a été traité de façon juste au cours de l’enquête et que sa plainte de discrimination a été examinée. La Cour n’a pas à analyser à la loupe le rapport de l’enquêteur ou à reprendre son travail (Guay, précitée, au paragraphe 36; Besner c Canada (Procureur général), 2007 CF 1076, au paragraphe 35). Pour que les arguments du demandeur soient retenus, il faut que les lacunes alléguées aient rendu le rapport de l’enquêteuse « manifestement déficient ».

 

[101]       Tel qu’il ressort clairement du rapport d’enquête, la thèse de CIC est que le ministre dispose du pouvoir discrétionnaire d’établir l’ordre de priorité qu’il désire parmi les membres de la catégorie du regroupement familial. On traite en priorité les demandes de parrainage des orphelins et des enfants à charge sans famille. On traite ensuite les demandes des membres de la famille nucléaire, qui comprend les époux, les conjoints de fait et les enfants à charge. On traite enfin les demandes des frères et sœurs orphelins qui n’ont ni époux ni conjoint de fait, des parents et des grands‑parents ainsi que des personnes qui tombent sous le coup de l’alinéa 117(1)h), soit un membre de la parenté du répondant, quel que soit son âge, si le répondant n’a pas de parent proche au Canada, ni de parent qui relèverait de la catégorie du regroupement familial à l’étranger. Dans ce dernier cas, il s’agit essentiellement du parrainage d’un membre plus éloigné de la famille, ou « autre membre de la parenté », lorsque le parrain vit seul au Canada. Le demandeur soutient que ce dernier groupe peut comprendre les « tantes et oncles », qui sont d’âge semblable aux parents et grands‑parents, mais à qui, ajoute‑t‑il, on accorde priorité par rapport à ces derniers, dont le lien familial avec le répondant est pourtant plus étroit.

 

[102]       S’il est vrai qu’on n’a pas fait enquête précisément sur les demandes de parrainage des « autres membres de la parenté », l’enquête a néanmoins été rigoureuse, selon moi, puisque cette omission n’était pas capitale. La plainte du demandeur est fondée essentiellement sur la prétention que CIC faisait des distinctions entre les diverses demandes de parrainage en fonction de la situation de famille et de l’âge. L’enquêteuse a conclu que CIC traitait différemment des autres, sur le fondement de la situation de famille, le plaignant et les autres répondants de parents et de grands‑parents. Toutefois, même si l’enquêteuse s’était penchée plus en détail sur le traitement des demandes visant les « autres membres de la parenté », cela n’aurait pas modifié sa conclusion finale selon laquelle le ministre disposait du pouvoir discrétionnaire d’établir parmi les demandes de parrainage un ordre de priorité tenant compte du nombre d’immigrants ciblé et des politiques d’immigration. 

 

[103]       En outre, lorsqu’il est possible pour les parties de soumettre directement à la Commission une question que l’enquêteur n’a pas examinée, l’omission dans l’enquête peut être rectifiée (Herbert, précitée, au paragraphe 26). L’omission a été rectifiée en l’espèce puisque, le demandeur ayant exposé la question non examinée dans ses observations du 11 décembre 2011 postérieures au rapport d’enquête, on en a pris acte et on en a traité directement dans la décision. La Commission a accepté la thèse de CIC selon laquelle les « autres membres de la parenté » ne peuvent faire partie de la catégorie du regroupement familial que dans certaines circonstances restreintes, des circonstances non présentes dans le cas du demandeur, et selon laquelle, le nombre de demandes visant les parents et les grands‑parents par rapport à toutes les demandes au titre de la catégorie du regroupement familial est si restreint que procéder à toute comparaison serait de bien peu d’intérêt. Plus important encore, la Commission a conclu que l’établissement de l’ordre de priorité parmi les demandes de la catégorie du regroupement familial relevait de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. Il se peut bien que le demandeur ne soit pas d’accord avec ce raisonnement, mais celui‑ci suffisait pour corriger l’omission de l’enquêteuse. L’explication donnée permet de voir que, dans les circonstances, l’omission n’avait pas d’importance et ne suffisait pas à mettre en doute la recommandation de l’enquêteuse.

 

[104]       En outre, alors que le demandeur a fait état des « autres membres de la parenté », comme les tantes et les oncles, à titre de groupe de comparaison parce qu’il était possible que les tantes et les oncles d’une personne soient du même groupe d’âge que ses parents, l’enquêteuse a conclu que l’âge avancé était une caractéristique personnelle des parents du demandeur, et non du demandeur lui‑même. L’enquêteuse a ainsi conclu qu’il n’existait aucun lien avec le motif de l’âge, et que le demandeur n’avait pas démontré l’existence prima facie d’une discrimination fondée sur l’âge. C’est pourquoi le fait de ne pas avoir examiné davantage cet élément de la plainte n’a pas constitué non plus un manque de rigueur.

 

[105]       Tel qu’il a été déclaré dans Slattery (précitée, au paragraphe 56), il faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des décideurs administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider si un examen est justifié. Cela étant et compte tenu que, en l’espèce, le défaut par l’enquêteuse de traiter des demandes de parrainage des « autres membres de la parenté » ne constituait pas un défaut d’examiner une preuve manifestement importante, le rapport d’enquête ne manquait pas de rigueur et il ne s’en est suivi aucun manquement à l’équité procédurale.

 

[106]       Le demandeur fait également valoir que l’enquête manquait de rigueur parce que l’on avait accepté, sans preuve, l’explication de CIC selon laquelle le manque de ressources financières occasionnait les retards dans le traitement des demandes de parrainage de parents et de grands‑parents, et empêchait de mettre de côté l’ordre de priorité établi.

 

[107]       Le demandeur se fonde sur la décision Coupal, précitée, pour soutenir que la Commission ne peut accepter sans preuve à l’appui les déclarations générales de difficultés financières, mais j’estime qu’une distinction peut être établie entre cette affaire et la nôtre. Non seulement cette décision touchait le domaine de l’emploi, mais l’élément de preuve non considéré jouait un rôle important et décisif pour ce qui est de déterminer si l’employeur disposait d’autres options que le recours au test obligatoire d’aptitudes physiques prévu par une nouvelle politique de l’organisation.

 

[108]       Il était question dans l’arrêt Grismer, précité, d’une personne qui souffrait d’un trouble altérant sa vision périphérique. Le Superintendent of Motor Vehicles de la Colombie‑Britannique (le Surintendant) a annulé son permis de conduire sans qu’on procède à une évaluation individuelle de sa vision. La Cour suprême a statué que le critère de l’arrêt Meiorin s’appliquait à l’examen des plaintes de discrimination fondées sur une loi concernant les droits de la personne. Elle a conclu que le Surintendant n’avait pas démontré que le risque ou le coût occasionné par le recours à des évaluations individuelles lui imposait une contrainte excessive.

 

[109]        Conformément au critère de Meiorin, le défendeur doit prouver (1) qu’il a adopté la norme dans un but ou objectif rationnellement lié aux fonctions exercées; (2) qu’il a adopté la norme de bonne foi, en croyant qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but ou cet objectif; (3) que la norme est raisonnablement nécessaire à la réalisation de son but ou objectif, en ce sens qu’il ne peut pas composer avec les personnes qui ont les mêmes caractéristiques que le plaignant sans que cela lui impose une contrainte excessive, que cette contrainte revête ou non la forme d’une impossibilité, d’un risque grave ou d’un coût exorbitant.

 

[110]       Le troisième volet du critère reprend essentiellement les dispositions du paragraphe 15(2) de la LCDP, qui prévoit que, pour qu’on puisse considérer qu’une différence de traitement décrite à l’alinéa 15(1)g) a un motif justifiable, il faut démontrer que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

 

[111]       À mon avis, si le ministre doit se conformer à la LCDP dans la mise en œuvre de la LIPR, l’exigence susmentionnée et l’analyse qu’elle requiert s’appliquent imparfaitement à la présente espèce. Dans notre cas, la catégorie de personnes visées pourrait comprendre les parrains de chacune des catégories d’immigrants éventuels au Canada. Si chaque parrain d’un immigrant éventuel pouvait soutenir qu’une différence de traitement découlant de la politique d’immigration du ministre nécessite la prise de mesures d’adaptation, cela non seulement irait à l’encontre du cadre établi par la LIPR, mais ferait échouer la politique d’immigration du Canada. Cela constituerait, à mon sens, une contrainte excessive.

 

[112]       Pour l’application du troisième volet du critère, on a jugé dans Grismer, précitée, que la question cruciale était de savoir si la norme non conciliante du Surintendant était raisonnablement nécessaire pour assurer une sécurité routière raisonnable. Dans la présente affaire, la question cruciale pourrait être de savoir si le traitement non conciliant prévu par le ministre était raisonnablement nécessaire à l’atteinte par le Canada de ses objectifs en matière d’immigration. À mon avis, il l’était.

 

[113]       Le budget de CIC n’est pas illimité. L’enquêteuse a conclu que, même si CIC consacrait des sommes exceptionnellement élevées à l’évaluation des demandes visant les parents et les grands‑parents, il ne pourrait malgré tout traiter qu’un nombre de demandes approuvé par le Cabinet. La Commission ayant été satisfaite de l’explication de CIC selon laquelle la différence de traitement résultait de l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel de gérer les flux d’immigration au Canada, par l’établissement de niveaux pour les diverses catégories d’immigrants, et d’un ordre de priorité parmi ces catégories et leurs sous‑catégories, une preuve financière renseignant sur le budget de CIC, ou la manière dont les sommes disponibles ont été ou auraient pu être allouées, n’était pas pertinente et n’aurait pu modifier l’issue. Par conséquent, le défaut de l’enquêteuse d’exiger une telle preuve financière n’a pas constitué, dans les circonstances, un manque de rigueur dans l’enquête.   

 

[114]       Bien que d’autres lacunes procédurales mineures aient entaché l’enquête, elles ne sont pas d’une importance qui justifie l’intervention de la Cour même si, pour les questions d’équité procédurale, la retenue judiciaire à l’égard de la Commission n’est pas requise. Les lacunes étaient des accessoires inhérents au processus, et sans conséquence compte tenu de l’enquête dans son ensemble. Comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Uniboard Surfaces Inc c Kronotex Fussboden GmbH and C KG, 2006 CAF 398, [2007] 4 RCF 101 (au paragraphe 48) :

[48]      […] Elles constituent tout au plus un manquement à certaines règles procédurales et l’on ne saurait d’aucune façon prétendre qu’elles ont entraîné une violation des exigences de l’obligation d’équité procédurale envers la demanderesse. La demanderesse a participé à toutes les phases de l’enquête et ses points de vue ont été sollicités en tout temps. En somme, la demanderesse a eu toute possibilité de se faire entendre. Malgré ses imperfections, l’enquête était, tout bien pesé, équitable, raisonnable et appropriée dans les circonstances. Pour reprendre la formule employée par la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique c. Vancouver (Ville), « c’est l’équité qui s’impose et non la perfection » (au paragraphe 46).

 

 

iv)        La décision de la Commission était‑elle raisonnable?

Thèse du demandeur

[115]       Le demandeur soutient que la Commission n’avait pas compétence pour rejeter sa plainte après avoir conclu que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire. Comme le confirme la décision Naqvi c Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1993] DCDP no 2, 10, la LCDP s’applique aux décisions des fonctionnaires de l’immigration, et le demandeur affirme que cette décision lie la Commission. Bien que la Commission n’ait pas déclaré expressément que la législation sur les droits de la personne ne s’appliquait pas aux décisions en matière d’immigration, le raisonnement qu’elle a suivi allait bien en ce sens. 

 

Thèse du défendeur

[116]       Pour sa part, le défendeur soutient que ce n’est pas parce que les fonctionnaires de l’immigration doivent se conformer aux dispositions de la LCDP que la Commission ne peut pas rejeter une plainte de discrimination dans le domaine de l’immigration. La Commission dispose en vertu du paragraphe 44(3) de la LCDP d’un vaste pouvoir discrétionnaire en vue de déterminer si l’examen d’une plainte est justifié (Herbert, précitée, au paragraphe 18; Tahmourpour, précité, au paragraphe 6; Slattery, précitée, au paragraphe 78).

 

[117]       La Commission a reconnu qu’au cœur de la plainte se trouvait une allégation de discrimination fondée sur le fait que CIC traitait les demandes de parrainage des parents et des grands‑parents, en vue de l’acquisition de la résidence permanente, plus lentement que les demandes de parrainage visant d’autres sous‑catégories d’immigrants, et établissait ainsi une distinction défavorable fondée sur l’âge et la situation de famille. Toutefois, la différence de traitement résultait de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre de gérer les flux d’immigration au Canada en établissant des niveaux cibles pour les diverses catégories d’immigrants. Comme elle estimait que le ministre avait agi dans les limites de son pouvoir discrétionnaire légitime en fixant un ordre de priorité parmi diverses sous‑catégories pour l’examen des demandes au titre de la catégorie du regroupement familial, la Commission a conclu qu’il fallait rejeter la plainte puisque son examen n’était pas justifié. L’évaluation que la Commission a faite de la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre d’établir un ordre de priorité entre les demandeurs de la catégorie du regroupement familial est conforme à la jurisprudence de la Cour fédérale (Vaziri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1159, au paragraphe 36 [Vaziri]; Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 758, aux paragraphes 40 et 41 [Liang]; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 110, au paragraphe 37 [Li]).

 

[118]       Cela étant, affirme le défendeur, la conclusion de la Commission selon laquelle l’établissement de délais de traitement différents pour les diverses sous‑catégories de la catégorie du regroupement familial relevait du pouvoir discrétionnaire légitime du ministre constituait une issue raisonnable. Il était également raisonnable pour la Commission de conclure que l’examen de la plainte du demandeur n’était pas justifié.

 

Analyse

[119]       Le demandeur formule son argumentation en termes de compétence, c’est‑à‑dire qu’il prétend que la Commission n’avait pas compétence pour rejeter sa plainte au motif que le ministre exerçait son pouvoir discrétionnaire. Ce que le demandeur conteste toutefois réellement, selon moi, c’est la décision de la Commission de rejeter sa plainte. Au cœur de la plainte, par conséquent, est la question de savoir s’il était raisonnable pour la Commission d’admettre que le ministre disposait du pouvoir discrétionnaire d’établir un ordre de priorité parmi les demandes de parrainage pour la catégorie du regroupement familial. 

 

[120]       Rien au dossier n’étaye la prétention du demandeur voulant que la Commission ait en fait conclu qu’elle n’avait pas compétence sur les questions de droits de la personne soulevées en matière d’immigration. La Commission a plutôt mené une enquête sur la plainte conformément à la procédure prévue par la LCDP. Puis, ayant conclu que le demandeur avait fait l’objet d’une discrimination fondée sur la situation de famille dans la prestation de services, elle a alors examiné si CIC pouvait fournir à l’égard de ses actions une explication raisonnable qui ne soit pas le prétexte d’une distinction fondée sur un motif illicite. Bien que le demandeur puisse ne pas souscrire aux raisons pour lesquelles la Commission a conclu que l’explication donnée était acceptable, il n’en reste pas moins que la Commission a reconnu qu’elle avait compétence et qu’elle a exercé sa compétence.

 

[121]       Ce qu’il convient de se demander au stade actuel c’est si la loi ou la preuve offrait un fondement raisonnable à la décision de la Commission de ne pas renvoyer la plainte au Tribunal (Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle‑Écosse (HRC), 2012 CSC 10, [2012] 1 RCS 364, au paragraphe 45).

 

[122]       À mon avis, il était raisonnable pour la Commission de rejeter la plainte parce que CIC avait expliqué par un motif justifiable les conséquences discriminatoires du traitement des demandes de parrainage des parents et des grands‑parents.

 

[123]       Dans Vaziri, citée dans la décision, l’une des questions en litige était de savoir si, à défaut de règlement pris en application du paragraphe 14(2) de la LIPR, le ministre avait agi sans pouvoir en fixant des objectifs quant au nombre de demandes de visas à approuver par catégorie, et en prévoyant des méthodes pour l’établissement d’un ordre de priorité entre les demandes parrainées de la catégorie du regroupement familial.

 

[124]       Dans cette affaire, le demandeur avait demandé à parrainer la venue de son père au Canada. Par la suite, le ministre avait fixé des objectifs quant aux niveaux d’immigration au Canada en établissant un rapport de 60 pour 40 entre les immigrants économiques et tous les autres immigrants, et avait assorti d’autres restrictions le traitement des demandes pour les parents et les grands‑parents en accordant la priorité aux conjoints et aux enfants à charge au sein de la catégorie du regroupement familial. Ces mesures ont eu pour effet de ralentir le traitement des demandes de parrainage des parents et des grands‑parents. Le demandeur a soutenu qu’à moins d’y être autorisé en vertu d’un règlement pris en application de la LIPR, le ministre n’était pas légalement habilité à fixer ces objectifs ou à mettre en place un processus portant sérieusement atteinte aux droits des parents et des grands‑parents de faire parrainer leurs demandes de résidence permanente. Or, aucun règlement de ce type n’avait encore été pris.

 

[125]       La décision est digne d’intérêt puisqu’on y donne une vue d’ensemble du système d’immigration au Canada, y compris des pouvoirs conférés au ministre par la LIPR. Quant à la nécessité d’établir des orientations et des méthodes, la juge Snider a déclaré ce qui suit (au paragraphe 20) :

[20]      […] Il est nécessaire de prendre des mesures comme celles permettant d’établir un pourcentage de 60 pour 40 et de fixer des niveaux par catégorie et de prévoir des méthodes en ce qui concerne la répartition des ressources ministérielles si l’on veut atteindre les objectifs généraux et les objectifs par catégorie. Ces orientations et ces méthodes permettent un traitement ordonné et efficace des demandes et assurent que l’on tient compte à tous les échelons des divers intérêts en présence […]

 

[126]       La juge Snider a souligné que le ministre était chargé d’administrer le régime mis en place par la LIPR, et d’exercer les pouvoirs conférés par la LIPR et le Règlement IPR. Le gouverneur en conseil dispose du pouvoir de prendre des règlements, et il pourrait adopter des règlements fixant des objectifs en matière d’immigration et établissant les méthodes permettant d’atteindre ces objectifs. La juge Snider a tiré la conclusion suivante :

[35]      Pris globalement, les arrêts Carpenter Fishing, Capital Cities et CTV offrent des pistes de solution utiles pour trancher la présente demande. Le ministre est chargé de l’application de la LIPR. Si aucun règlement n’a été pris, il a le pouvoir de définir les orientations du gouvernement en ce qui concerne la gestion de l’afflux des immigrants au Canada, à condition que ses orientations et ses décisions soient prises de bonne foi et qu’elles soient compatibles avec l’objet et l’esprit de la LIPR. Le gouverneur en conseil conserve le pouvoir de définir par règlement la façon dont le ministre doit appliquer la LIPR et il peut supplanter les pouvoirs du ministre. Cependant, lorsque aucun pouvoir législatif ou réglementaire n’a été exercé de façon expresse, le ministre doit pouvoir disposer de toute la latitude nécessaire pour administrer le système. Sans les orientations et les méthodes que les demandeurs contestent, le système ne pourrait fonctionner. Or, il n’est pas possible que le législateur fédéral ait voulu que le système ne fonctionne pas.

 

Pouvoir explicite d’établir un ordre de priorité entre les demandeurs de la catégorie du regroupement familial

 

[36]      À l’appui de leur thèse principale, les demandeurs soutiennent également que le ministre n’était pas expressément autorisé à établir un ordre de priorité entre les divers groupes de demandeurs relevant de la catégorie du regroupement familial ou d’établir des distinctions entre eux. Je constate que la LIPR et le Règlement reconnaissent cette distinction, comme en font foi, par exemple, les privilèges spéciaux accordés aux époux et aux conjoints à la section 2 du Règlement. Il semblerait que le genre de distinction dont les demandeurs se plaignent fasse partie inhérente de la LIPR. Toutefois, même si ce n’était pas le cas, je suis convaincue que la faculté d’établir ce genre de distinction relève des pouvoirs dont le ministre est investi et qui lui permettent de gérer les mouvements d’immigration en tenant compte de considérations de principes sociaux et économiques. On pourrait dire que ce type de distinction s’apparente à celle que faisait le ministre des Pêches et des Océans dans l’affaire Carpenter Fishing, précitée, en se fondant sur la longueur du bateau et le rendement antérieur du titulaire du permis. Il n’y a rien dans la LIPR ou le Règlement qui semble diminuer ce pouvoir, ce qui témoigne une fois de plus du fait qu’on a affaire à une loi cadre.

 

[127]       De même dans Liang, précitée, le juge Rennie s’est penché sur une allégation selon laquelle le ministre avait, de façon déraisonnable, tardé à traiter des demandes de résidence permanente, lorsqu’il avait choisi d’accorder une priorité élevée aux demandes présentées à des dates ultérieures, et sur la base de critères différents. Après avoir traité de l’adoption du paragraphe 87.3(1) de la LIPR, le juge a conclu que cette disposition confirmait le pouvoir du ministre d’établir des politiques relatives au traitement des demandes qui permettent de mieux atteindre les objectifs du gouvernement, et offrait au ministre un outil lui permettant d’exercer un tel pouvoir : les instructions ministérielles.  

 

[128]       Quant à la question du traitement tardif des demandes, le juge Rennie a décrit les obligations ministérielles comme suit :

[40]      La jurisprudence canadienne a reconnu, depuis longtemps, que les ministres ont le devoir d’exercer leurs obligations juridiques dans un délai raisonnable. Cette obligation juridique a longtemps coexisté avec l’idée que les ministres sont responsables de la gestion, et de la direction de leurs ministères, et qu’ils ont le pouvoir de faire des choix politiques et d’établir des priorités. Ces deux propositions, en apparence contradictoires, ont été conciliées par l’octroi au ministre d’une grande latitude lorsqu’il décide combien de temps il faut pour le traitement de tout type de demande, en fonction de ses choix politiques. Ainsi, si le ministre a décidé que les objectifs du Canada en matière d’immigration seraient mieux atteints par le traitement des demandes de parrainage de conjoints dans un délai moyen de quatre (4) ans, il n’appartient pas à la Cour de dire qu’elle croit que le ministre pourrait ou devrait traiter de telles demandes en deux (2) ans. Il revient au ministre, et non pas à la Cour, de gérer le ministère.

 

[41]      C’est la raison pour laquelle le temps de traitement prévu par le ministre, et le ministère se voit accorder tant de poids. Non seulement le ministre est le mieux placé pour savoir combien de temps le traitement d’une demande pourrait prendre, mais il s’est aussi vu accordé, par le législateur, le pouvoir d’établir ce temps de traitement d’une façon qui fait l’équilibre entre les divers objectifs de la LIPR. Toutefois, lorsqu’une demande a été retardée au‑delà de ce temps de traitement, sans explication satisfaisante, la Cour a le droit d’intervenir, et d’obliger le ministre à remplir son obligation. Cette approche est compatible avec le principe selon lequel le ministre est responsable, devant le Parlement, de ses choix politiques et les tribunaux ne sauraient nier de tels choix : Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 110. Ainsi, la retenue est accordée à la décision du ministre, lorsqu’il adopte des politiques, mais cette retenue a une limite : l’obligation juridique du ministre, en vertu de la LIPR.

 

[129]       Dans Li, précité, la Cour d’appel s’est également penchée sur la question du classement par ordre de priorité. Elle a observé que le délai de traitement des demandes de parrainage au titre de la catégorie du regroupement familial concernant les parents et les grands‑parents avait considérablement augmenté depuis l’entrée en vigueur de la LIPR en 2002. Cela était en partie attribuable à la décision du gouvernement de classer par ordre de priorité les demandes au titre de la catégorie du regroupement familial dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler une « initiative de restructuration de la catégorie du regroupement familial » en vertu de laquelle les demandes des époux, des conjoints de fait, des partenaires conjugaux et des enfants sont traitées en priorité afin de réduire de façon importante le délai de traitement global des demandes de parrainage et de visa de résident permanent. Toutefois, elle a également contribué à faire augmenter le délai moyen de traitement des demandes relatives aux parents et aux grands‑parents, auxquelles on n’a pas accordé un caractère prioritaire dans la catégorie du regroupement familial. En mars 2010, le délai moyen de traitement des demandes de parrainage à l’égard des parents et des grands‑parents était de 34 mois.

 

[130]       La Cour d’appel a tiré la conclusion suivante à l’égard de la demande en cause :

[36]      L’argument de l’appelant semble être fondé sur le raisonnement qu’il est déraisonnable pour le gouvernement de percevoir des frais d’examen de demande de visa de résident permanent quelque 34 mois avant de fournir le service alors qu’il lui serait facile de modifier le Règlement afin de régler cette question. L’appelant soutient au paragraphe 42 de son mémoire [traduction] « que le ministre devrait être tenu d’aviser le demandeur lorsqu’il est prêt à fournir le service consistant à examiner sa demande de résidence permanente et de lui offrir alors de payer les frais relatifs à ce service s’il souhaite aller de l’avant avec cette demande ».

 

[37]      Or, ce raisonnement pose un problème : il suppose que la Cour peut s’ingérer dans le processus de décision politique. Il arrive souvent que les demandes de services gouvernementaux soient concurrentes et c’est au gouvernement qu’il appartient d’y répondre. Il est parfois nécessaire de faire des choix difficiles, comme d’accorder priorité au traitement administratif des demandes des époux et des enfants au titre de la catégorie du regroupement familial. Ces choix peuvent avoir des effets sur d’autres demandes visant les mêmes services gouvernementaux ou des services gouvernementaux semblables. Or, il incombe au gouvernement, et non aux tribunaux, de décider des mesures réglementaires à prendre, le cas échéant, afin d’atténuer ces effets. En l’absence d’une limite législative ou constitutionnelle quant aux choix réglementaires faits par le gouvernement, les tribunaux n’interviendront pas pour imposer leurs propres choix réglementaires : Thorne’s Hardware Ltd. c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106, p. 111; De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655, par. 26.

 

[131]       Ces décisions sont importantes puisqu’elles démontrent que le ministre agit dans les limites de sa compétence lorsque, aux fins de l’administration de la LIPR, il choisit d’établir un ordre de priorité quant au traitement des demandes de parrainage. Il est vrai que ces décisions ne s’intéressaient pas à l’exercice de ce pouvoir en lien avec la LCDP, mais j’estime que cette question trouve réponse dans l’article 5 et l’alinéa 15(1)g) de cette loi. C’est‑à‑dire que même si le fait de défavoriser un individu ou une catégorie d’individus à l’occasion de la fourniture du service de traitement de demandes de parrainage constitue normalement un acte discriminatoire, tel n’est pas le cas s’il existe un motif justifiable de le faire.

 

[132]       En l’espèce, on a conclu dans le rapport d’enquête que le demandeur semblait avoir été traité différemment en raison de sa situation de famille, mais on a aussi accepté la preuve de CIC selon laquelle ce ministère comptait sur le gouvernement pour fixer des objectifs quant au nombre d’immigrants, et de quel groupe, il admettrait chaque année au Canada, et dans la mesure du possible affectait ses ressources en conséquence. CIC a aussi fait valoir dans sa preuve que toute différence de traitement pouvant toucher les répondants de parents et de grands‑parents relevait de l’obligation du ministre de gérer les processus d’immigration en tenant compte de considérations de politique sociale et économique.  

 

[133]       Compte tenu de ce qui précède, j’estime qu’il était raisonnable pour la Commission, d’une part, de juger que cette preuve était suffisante pour démontrer que le traitement différent réservé par CIC reposait sur un motif justifiable, et d’autre part, de se fonder sur cette preuve pour conclure que l’examen de la plainte n’était pas justifié.

 

[134]       En conclusion, la décision de la Commission de rejeter la plainte du demandeur était transparente, justifiable et intelligible. Au vu de la preuve, la conclusion de la Commission selon laquelle l’examen de la plainte du demandeur par le Tribunal n’était pas justifié appartenait aux issues acceptables.

 

[135]       Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[136]       Les parties ont proposé conjointement que le montant des dépens soit fixé 2 500 $. Je suis d’accord et j’octroie au défendeur ce montant de dépens.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Le défendeur a droit à ses dépens, fixés à 2 500 $.

 

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-666-12

 

INTITULÉ :

AMIR ATTARAN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            Le 2 MAI 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 6 NOVeMBRe 2013

COMPARUTIONS :

Amir Attaran

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

David Cowie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Amir Attaran

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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