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Date : 20131118

Dossier : T‑1608‑11

Référence : 2013 CF 1168

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2013

En présence de madame la juge McVeigh

 

ENTRE :

 

MARVIN LONGBOAT

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LA SUCCESSION DE CASSIE BOMBERRY

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie, en vertu de l’article 47 de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5 (la Loi), d’un appel de la décision, en date du 29 juillet 2011, par laquelle un délégué du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre) a ordonné la révocation de Marvin Longboat (l’appelant) en tant qu’administrateur de la succession de George Bomberry. L’article 43 de la Loi confère au ministre le pouvoir de révoquer les administrateurs de successions d’Indiens décédés.

 

[2]               Dans les présents motifs, l’appelant, qui figure comme demandeur dans l’intitulé, sera désigné comme « l’appelant ».

 

I.                   Contexte de l’affaire

[3]               Le 30 août 1995, l’appelant a été nommé administrateur de la succession de son oncle, George Bomberry. George Bomberry, Indien inscrit, est mort intestat.

 

[4]               L’article 48 de la Loi fixe les règles régissant le partage, entre les héritiers et leurs descendants, des biens appartenant à un Indien qui meurt intestat.

 

[5]               Il y avait, parmi les héritiers de George Bomberry, sa sœur, Cassie Bomberry, morte quelque temps après George Bomberry.

 

[6]               La succession de George Bomberry était, outre quelques biens de peu d’importance, composée essentiellement de deux parcelles de terre indivises situées sur les terres de la bande Tuscarora dans la réserve indienne Six nations no 40, dans la province de l’Ontario. Ces parcelles correspondent au 1⁄4 du lot 11‑9 de River Range (Township) (la propriété de River Range) et aux 3⁄4 du lot 6‑17 de la Concession 6 (Township).

 

[7]               Les 3⁄4 du terrain de la Concession 6 comprennent la maison familiale acquise par les grands‑parents de l’appelant en 1947. Cette terre d’environ 50 acres se prête à l’agriculture et comporte un ruisseau et une zone boisée. La propriété de River Range, acquise par la grand‑mère de l’appelant en 1938, consiste en une bande étroite de terrain d’une superficie d’environ six acres. Les terres qui forment la succession sont inutilisées depuis un certain temps déjà.

 

[8]               Aucune des parties ne conteste qu’il y a maintenant presque 16 ans que l’appelant est administrateur de la succession de George Bomberry et que le partage entre héritiers de la succession et des terres en question n’a toujours pas eu lieu.

 

[9]               Le 29 juillet 2011, le ministre a ordonné que l’appelant soit révoqué en tant qu’administrateur de la succession étant donné : (1) son refus de s’acquitter de ses fonctions d’administrateur, et cela malgré les nombreuses demandes que lui ont adressées en ce sens des représentants du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministère), et (2) la lettre adressée au ministère par Archie Bomberry, administrateur de la succession de Cassie Bomberry, pour se plaindre de l’inaction de l’appelant, et demander que ce dernier soit révoqué en tant qu’administrateur de la succession afin qu’il puisse, lui Archie Bomberry, remplir les obligations qui lui incombent en tant qu’administrateur de la succession de Cassie Bomberry.

 

[10]           L’appelant fait appel de la décision du ministre, faisant valoir que c’est à tort que cette décision a été prise étant donné qu’il était encore à la recherche d’un consensus lui permettant de procéder au partage des terres entre les héritiers. Il lui fallait, pour cela, obtenir l’aide et l’appui du ministre et le temps nécessaire, et bénéficier en outre d’une procédure équitable.

 

[11]           L’appelant souhaite parvenir à un accord afin que les divers membres de la famille, autant les membres actuels que les membres à venir, puissent profiter de ces terres qui lui rappellent de si bons souvenirs d’enfance, au lieu de les voir dans l’indivision, le morcellement s’accentuant avec chaque génération. À s’en tenir aux dispositions de la Loi, on aboutirait à un gel des terrains qui en empêcherait toute utilisation productive. Il fait valoir que s’il ne parvient pas à obtenir un accord sur ce point, personne d’autre n’y parviendra et ces terres autochtones ancestrales resteront là, ne servant à rien et suscitant des tensions au sein de la famille.

 

[12]           Selon l’appelant, ce problème de terres indivises se manifeste à l’extérieur des réserves un peu partout dans le pays, alors qu’il ne se pose pas à l’extérieur des réserves en Ontario, en raison des articles 2 et 3 de la Loi sur le Partage des biens‑fonds, LRO 1990, c P.4. Il estime qu’aucune disposition législative ni aucune ligne directrice ne permettent de résoudre le problème.

 

[13]           L’appelant essaie, depuis plus de seize ans, de parvenir à un accord entre les membres de la famille. Il avait espéré que le passage du temps faciliterait une entente, les tensions s’apaisant, mais des problèmes de santé et la mort de certains des héritiers n’ont fait que retarder les choses. Selon l’appelant, cette lenteur n’a rien d’inhabituel et elle est en partie causée par son désir de respecter la personnalité propre de chaque membre de la famille.

 

II.        Les questions en litige

[14]           La Cour doit en l’espèce déterminer si la décision du ministre de révoquer l’appelant de ses fonctions d’administrateur est susceptible de contrôle judiciaire, et si, lors de la révocation de l’appelant, le ministre a, comme il était tenu de le faire, agi de manière équitable.

 

III.       Norme de contrôle

[15]           Selon les parties, la jurisprudence ne donne pas suffisamment de précisions quant à la norme de contrôle applicable à la décision du ministre de révoquer l’appelant de ses fonctions d’administrateur de la succession de George Bomberry.

 

[16]           Je ne suis pas de cet avis, car, selon moi, la jurisprudence a établi que la norme qui s’applique est celle de la décision raisonnable.

 

[17]           Selon l’arrêt Dunsmuir, lorsque la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une question donnée, c’est alors cette norme qui s’applique (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 48 et 49).

 

[18]           La Cour suprême a par ailleurs estimé que l’objectif est de « faire en sorte que les parties cessent de débattre de la norme de contrôle et fassent plutôt valoir leurs prétentions sur le fond » (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 38 (Alberta Teachers’)).

 

[19]           La cour de révision doit d’abord vérifier « si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » (Nor‑Man Regional Health Authority Inc c Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, au paragraphe 30 (Nor‑Man), citant Dunsmuir, précité, au paragraphe 62; Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, au paragraphe 24).

 

[20]           En l’espèce, il s’agit de savoir si, en exerçant le pouvoir qu’il a de révoquer l’appelant de ses fonctions d’administrateur de la succession de George Bomberry, le ministre a agi conformément au paragraphe 43(2) de la Loi.

 

[21]           Je considère que la jurisprudence a déjà établi de manière satisfaisante que la norme de contrôle applicable à cette question est celle de la décision raisonnable.

 

[22]           Selon la Cour suprême du Canada, les dispositions de la Loi relatives à la capacité de tester et à l’administration des successions confèrent au ministre un pouvoir discrétionnaire considérable (Canard c Canada (Procureur général), [1976] 1 RCS 170, aux pages 187 et 203 (Canard)).

 

[23]           La Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont, après une analyse pragmatique et fonctionnelle, décidé que les décisions prises par le ministre en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confère la Loi sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

[24]           La Cour d’appel fédérale a déterminé qu’il fallait faire preuve de déférence à l’égard des décisions ministérielles qui, dans le contexte des droits autochtones, établissent des droits entre parties privées, lorsque les décisions en cause exigent que l’on examine soigneusement la situation particulière des parties concernées (Bande indienne Tsartlip c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2000] 2 CF 314 (CAF), aux paragraphes 46 et 48 (Tsartlip)).

 

[25]           Je constate par ailleurs que le pouvoir discrétionnaire de révoquer les administrateurs de successions, que le ministre tient de l’article 43 de la Loi, fait partie des larges pouvoirs discrétionnaires que les articles 42 à 46 de la Loi confèrent au ministre lorsqu’il s’agit de prendre diverses décisions concernant les biens et les testaments. La Cour a déjà sanctionné l’application de la norme de la décision raisonnable aux décisions prises par le ministre en vertu des pouvoirs discrétionnaires que lui confèrent ces dispositions (Sappier c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2007 CF 178, au paragraphe 26 (Sappier); Morin c Canada, 2001 CFPI 1430, aux paragraphes 58 et 59 (Morin)), la Cour estimant que les dispositions conférant au ministre le pouvoir discrétionnaire de déclarer qu’un testament est nul ou d’accepter un testament (les articles 45 et 46 de la Loi) ont pour objet de mettre en équilibre des droits individuels et que, par conséquent, l’exercice que le ministre fait de son pouvoir est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité.

 

[26]           Je considère que la norme de contrôle de la décision correcte qui, selon Leonard c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2004 CF 665, paragraphe 29, s’applique aux questions d’administration successorale qui relèvent de la Loi, n’est plus aujourd’hui applicable, compte tenu du raisonnement que la Cour suprême a adopté quant à la norme de contrôle dans les arrêts Dunsmuir, Alberta Teachers’ et Nor‑Man, précités.

 

[27]           La présente affaire concerne la décision que le ministre a prise en vertu de l’article 43 de la Loi de révoquer l’appelant de ses fonctions d’administrateur de la succession de George Bomberry. Comme dans les affaires Tsartlip, Sappier et Morin, il s’agit en l’espèce d’une décision qui exige que l’on mette en équilibre les droits des parties et il faut donc examiner les circonstances qui ont porté les héritiers de George Bomberry à demander que l’appelant soit relevé de ses fonctions d’administrateur, ainsi que les droits fonciers sous‑jacents. J’estime par conséquent que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique.

 

[28]           Quant à savoir si le ministre a respecté l’obligation d’équité à laquelle il était tenu envers l’appelant, et s’il a fourni à ce dernier, avant de le révoquer à titre d’administrateur, suffisamment de renseignements sur les allégations formulées à son encontre, il s’agit là d’une question d’équité procédurale susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43).

 

IV.       Analyse

[29]           Le ministère se sert d’un document interne appelé « Manuel de procédures pour les successions d’Indiens décédés » (le manuel) pour toute décision touchant les successions relevant de sa compétence. Le chapitre sept du manuel traite de la révocation justifiée d’un administrateur. On y trouve exposés le rôle quasi judiciaire qui revient au ministère, et les étapes à suivre en cas de plainte. Le ministère a en l’occurrence suivi les étapes prévues, et considéré que la révocation se justifiait.

 

[30]           Il ressort du dossier que le ministre, à de multiples reprises et à la suite de plaintes, a fait part à l’appelant des préoccupations que lui inspiraient les carences de son administration de la succession. La question du retard a été initialement portée à l’attention de l’appelant en 1998. L’appelant s’était à l’époque expliqué sur ces retards.

 

[31]           Dans un courrier daté du 20 septembre 2001, un représentant du ministère a, encore une fois, fait part à l’appelant d’une plainte qu’il avait reçue au sujet des retards, lui faisant savoir qu’il serait révoqué s’il ne parvenait pas à régler la succession. Le 28 octobre 2002, le ministère a communiqué avec l’appelant pour lui faire part des préoccupations que lui inspirait le retard de sept ans intervenu dans l’administration de la succession.

 

[32]           Le 13 décembre 2002, le ministère a écrit à l’appelant pour lui faire savoir qu’il ne pouvait laisser la succession s’éterniser et qu’il fallait la régler. Dans cette correspondance, le ministère faisait en outre part à l’appelant d’une [traduction] « autre demande de renseignement émanant d’un des héritiers ».

 

[33]           En août 2003, le ministère a reçu, au sujet du retard, une lettre de plainte signée par tous les héritiers à l’exception de la mère de l’appelant.

 

[34]           La dernière lettre de plainte est datée du 11 août 2010, et c’est à la suite de cette plainte que le ministre a entamé la procédure de révocation de l’appelant de ses fonctions d’administrateur.

 

[35]           On constate que la révocation n’est intervenue qu’après six demandes écrites transmises à l’appelant par le ministre, et après trois discussions avec l’appelant, à l’occasion desquelles il lui a été demandé de remplir le formulaire de transfert des terres appartenant à la succession. Les lettres du ministre à l’appelant sont en date du 30 août 2010, du 14 octobre 2010, du 18 janvier 2011, du 20 janvier 2011, du 8 juin 2011 et du 13 juillet 2011. L’appelant a répondu le 26 mai 2011, mais n’a pas respecté la date limite du 13 juin 2011. Des pourparlers ont eu lieu le 13 janvier 2011, le 7 juillet 2011 et le 13 juillet 2011.

 

[36]           Dans cinq des demandes que lui a adressées le ministre, l’appelant s’est vu fixer une date limite pour le transfert des terres, et il lui a été dit que le non‑respect de cette date limite entraînerait sa révocation à titre d’administrateur. La date limite initialement fixée était le 29 octobre 2010, mais à la suite de réunions avec l’appelant, le délai a été à trois reprises prolongé. Il fut d’abord porté au 30 juin 2011, puis au 8 juillet 2011 et enfin au 28 juillet 2011.

 

[37]           Pour régler la succession, l’appelant devait remplir un formulaire de [traduction] « Transfert de biens‑fonds par le représentant personnel », et c’est à l’accomplissement de cette formalité que s’appliquait la date limite. Cette formalité n’a toujours pas été accomplie.

 

[38]           Les articles 42 et 43 de la Loi établissent, pour l’administration des successions d’Indiens, un régime spécial qui confère exclusivement au ministre la compétence sur les questions testamentaires relatives aux Indiens, dont le pouvoir de nommer et de révoquer les administrateurs de succession (voir l’annexe A).

 

[39]           Bien que l’administration de la succession d’un particulier relève normalement de la compétence provinciale, la Cour suprême a statué que les dispositions de la Loi concernant les testaments, y compris ses articles 42 et 43, sont conformes à la Constitution et écartent la compétence des tribunaux provinciaux (Canard, précité, aux pages 202, 209 et 211). Notre Cour a reconnu que cette compétence à l’égard des questions testamentaires relatives aux Indiens l’emporte sur la compétence des tribunaux successoraux de common law (Earl c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2004 CF 897, au paragraphe 13; Morin, précité, aux paragraphes 49 et 50). Je ne suis donc pas convaincue que les principes juridiques dont il est fait état dans la jurisprudence invoquée par les parties, et en particulier Elliot Estate (Re), [1976] OJ No 317, aux paragraphes 10 et 11; Radford v Radford Estate, [2008] OJ No 3526, aux paragraphes 97 à 108, concernant les exigences très strictes imposées, en droit privé, à la révocation d’un fiduciaire testamentaire soient nécessairement applicables en l’espèce.

 

[40]           Appelées à statuer sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire que la Loi confère au ministre, la Cour et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux examiné les dispositions de la Loi et les conditions régissant l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire (Tsartslip, précité, au paragraphe 51; Première Nation Ojibway de Sandy Bay c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2004 CAF 229, au paragraphe 30; Morin, aux paragraphes 45 à 51).

 

[41]           L’article 42 précise qu’en matière d’administration successorale, le pouvoir discrétionnaire du ministre doit être exercé conformément aux règlements pris par le gouverneur en conseil.

 

[42]           C’est le Règlement sur les successions d’Indiens, CRC, c 954, (le Règlement) qui, en son article 11, fixe en matière d’administration de successions d’Indiens, les pouvoirs et devoirs de l’administrateur. Celui‑ci répond de son administration au ministre dont il doit exécuter les ordres et les instructions (paragraphes 11(2), 11(14) et 11(15)). Le Règlement prévoit en outre le cas où les héritiers ne peuvent pas tomber d’accord et, en pareille hypothèse, l’administrateur doit obtenir l’approbation du ministre afin de procéder à une autre distribution des biens (paragraphe 11(7)) (voir annexe B).

 

[43]           Entre la réception de la plainte, le 11 août 2010, et la révocation de l’appelant à titre d’administrateur, le 29 juillet 2011, le ministre a accordé à l’appelant une année de plus pour parvenir à un consensus parmi les héritiers. L’appelant n’a finalement pas donné suite aux demandes du ministre, et cela après presque 15 ans pendant lesquels l’appelant a exercé les fonctions d’administrateur sans parvenir à un consensus. En janvier 1999, l’appelant a, pour l’aider, retenu les services d’un avocat, mais, selon lui, les questions concernant la division des terres ont un caractère ésotérique tel que la plupart des avocats ne comprennent pas ce que cela implique. Je constate que pendant ces 16 années, le ministre a fait de son mieux pour aider l’appelant.

 

[44]           En définitive, presque 16 ans après sa nomination en tant qu’administrateur, l’appelant n’est parvenu ni à effectuer la distribution des biens successoraux ni à exécuter les ordres du ministre comme l’exigeait le Règlement. Cela étant, la révocation du mandat d’administrateur de l’appelant constitue, de la part du ministre, un exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire que lui confère la Loi.

 

[45]           L’appelant affirme que le ministre a manqué à son devoir d’équité procédurale, estimant qu’il avait le droit d’être informé des plaintes afin de pouvoir répondre aux allégations formulées à son encontre. Il estime particulièrement injuste que la décision en cause ne lui permette pas de savoir sur quelles lettres de plainte elle repose. Selon l’appelant, l’obligation d’agir équitablement envers lui est plus grande étant donné l’intérêt personnel qu’il a à remplir ses devoirs familiaux.

 

[46]           Je suis en désaccord sur les deux points.

 

[47]           Je ne considère pas qu’on soit tenu envers lui à une plus grande obligation en raison de l’intérêt personnel qu’il a en cette affaire, car son seul devoir est d’administrer la succession, et ses intérêts personnels, aussi élevés soient‑ils, ne relèvent pas de la Loi, contrairement à ses fonctions d’administrateur successoral.

 

[48]           Tous les héritiers, sauf un, se sont, à diverses époques, plaints au ministre au sujet du retard. L’appelant était parfaitement au courant de ces plaintes et, malgré sa bonne volonté, ses efforts en vue de parvenir à un accord n’ont pas été couronnés de succès.

 

[49]           Il ressort du dossier que l’appelant était au courant des objections soulevées par les héritiers. En 2001, il a reçu copie des courriers envoyés au ministre pour se plaindre des retards, et en 2002 le ministre l’a informé par écrit de l’incidence qu’avait sur la capacité de deux autres administrateurs à régler les successions dont ils étaient responsables le fait qu’il tardait à régler la succession en cause.

 

[50]           L’appelant était au courant des éléments que le ministre a pris en compte pour le révoquer (éléments ne comprenant pas les allégations offensantes). Même si l’appelant n’a pas reçu copie de toutes les lettres de plainte, il n’a subi aucun préjudice, car il savait bien qu’on se plaignait qu’il ne remplissait pas ses obligations dans les délais prescrits. L’appelant a pu faire état de ses arguments, et le ministre en a tenu compte.

 

[51]           Selon la Cour suprême, le contexte législatif et administratif en cause permet de cerner les contours de l’obligation d’équité procédurale (Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, au paragraphe 41 (Mavi)).

 

[52]           Les articles 42 et 43 de la Loi confèrent en fait au ministre le pouvoir discrétionnaire de révoquer un administrateur par décision administrative. Je signale que ces dispositions ne donnent pas au ministre le pouvoir de trancher les différends entre l’administrateur et les héritiers. Contrairement à ce qu’affirme l’appelant, il n’appartenait pas au ministre de lui fournir l’occasion de répondre aux allégations formulées dans les plaintes, mais plutôt de décider si l’administrateur s’acquittait des obligations que lui imposaient la Loi et le Règlement.

 

[53]           La nature de l’obligation dépend des circonstances particulières de l’affaire et l’obligation prépondérante est l’équité (Mavi, précité, au paragraphe 42).

 

[54]           Cela étant, j’estime que l’appelant a été traité équitablement par le ministre. Le ministre a conclu que l’appelant n’avait pas rempli l’obligation qu’il avait de procéder à la distribution des biens successoraux. Comme nous l’avons vu plus haut, avant de révoquer l’appelant, le ministre lui a fait part, par de nombreux avis, des réunions et la prolongation des délais, qu’il pourrait être révoqué, l’informant de ce que ce dernier pourrait faire pour éviter la révocation et des conséquences qu’entraînerait le fait de ne pas donner suite aux demandes du ministre.

 

[55]           L’appelant a en dernier lieu fait valoir qu’on lui avait, par le passé, accordé une prolongation des délais afin qu’il puisse parvenir à un accord, et qu’il s’était attendu à obtenir de nouvelles prolongations. Cet argument ne saurait être retenu, car la théorie de l’expectative légitime permet seulement de prétendre à telle ou telle garantie procédurale, non à un résultat substantiel particulier (Centre hospitalier Mont‑Sinaï c Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, aux paragraphes 35 et 38).

 

[56]           Je ne relève aucune erreur dans la manière dont la décision a été prise et la demande est, par conséquent, rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande est rejetée;

2.                  Il n’y a aucune adjudication des dépens.

 

 

« Glennys L. McVeigh »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 

 


ANNEXE A

 

Loi sur les Indiens, LRC, 1985, c I‑5

 

Pouvoirs du ministre à l’égard des biens des Indiens décédés

 

42. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, la compétence sur les questions testamentaires relatives aux Indiens décédés est attribuée exclusivement au ministre; elle est exercée en conformité avec les règlements pris par le gouverneur en conseil.

 

 

(...)

 

Pouvoirs particuliers

 

43. Sans que soit limitée la portée générale de l’article 42, le ministre peut :

 

         a) nommer des exécuteurs testamentaires et des administrateurs de successions d’Indiens décédés, révoquer ces exécuteurs et administrateurs et les remplacer;

 

         b) autoriser des exécuteurs à donner suite aux termes des testaments d’Indiens décédés;

 

         c) autoriser des administrateurs à gérer les biens d’Indiens morts intestats;

 

         d) donner effet aux testaments d’Indiens décédés et administrer les biens d’Indiens morts intestats;

 

 

         e) prendre les arrêtés et donner les directives qu’il juge utiles à l’égard de quelque question mentionnée à l’article 42.

 

Powers of Minister with respect to property of deceased Indians

 

42. (1) Subject to this Act, all jurisdiction and authority in relation to matters and causes testamentary, with respect to deceased Indians, is vested exclusively in the Minister and shall be exercised subject to and in accordance with regulations of the Governor in Council.

 

 

(...)

 

Particular powers

 

43. Without restricting the generality of section 42, the Minister may

 

         (aappoint executors of wills and administrators of estates of deceased Indians, remove them and appoint others in their stead;

 

 

 

         (b) authorize executors to carry out the terms of the wills of deceased Indians;

 

         (c) authorize administrators to administer the property of Indians who die intestate;

 

         (d) carry out the terms of wills of deceased Indians and administer the property of Indians who die intestate; and

 

         (e) make or give any order, direction or finding that in his opinion it is necessary or desirable to make or give with respect to any matter referred to in section 42.

 


ANNEXE B

 

Règlement sur les successions d’Indiens, CRC, c 954

 

POUVOIRS ET DEVOIRS DES ADMINISTRATEURS

 

11. 

 

(...)

 

(2) L’administrateur nommé conformément au présent article ou la personne qui agit en qualité d’administrateur en vertu de l’article 4 doit rendre compte au ministre de la préparation adéquate de l’inventaire, de la signification de tous les avis et de l’exécution de toutes les enquêtes et fonctions qui peuvent s’imposer ou être ordonnées à l’égard de toute question mentionnée dans le présent règlement.

 

(...)

 

(7) Lorsqu’il est impossible d’effectuer une distribution partielle ou lorsque les héritiers ne peuvent tomber d’accord quant à la distribution, l’administrateur peut, avec l’approbation du ministre, convertir les valeurs nettes en espèces et les verser au receveur général afin qu’elles soient créditées à la succession en attendant la distribution finale aux ayants droit.

 

(...)

 

(14) Un administrateur doit avoir tous les pouvoirs nécessaires pour s’acquitter des fonctions spécifiées ci‑dessus et doit exécuter les ordres ou instructions et maintenir toute conclusion établie ou donnée par le ministre à l’égard de toute matière et cause testamentaires.

 

(...)

 

(15) Un administrateur doit répondre au ministre de son administration.

 

POWERS AND DUTIES OF ADMINISTRATORS

 

11. 

 

(...)

 

(2) The administrator appointed pursuant to this section or the person acting as administrator in accordance with section 4 shall be responsible to the Minister for the proper preparation of the inventory, the giving of all notices and the carrying out of all inquiries and duties that may be necessary or be ordered with respect to any matter referred to in these Regulations.

 

(...)

 

 

(7) Where a partial distribution cannot be made, or where the heirs cannot agree as to distribution, the administrator may, with the approval of the Minister, convert the net assets into cash and pay those assets to the Receiver General to be credited to the estate pending final distribution to the persons entitled thereto.

 

(...)

 

 

 

(14) An administrator shall have all such powers as are required for the carrying out of the duties herein specified, and shall carry out any order or direction and abide by any finding made or given by the Minister with respect to any matter and cause testamentary.

 

(...)

 

(15) An administrator shall be accountable to the Minister for his administration.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1608‑11

 

INTITULÉ :                                                  LONGBOAT c PGC et al.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 22 juillet 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE McVEIGH

 

DATE :                                                          Le 18 novembre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Murray Klippenstein

Silas Polkinghorne

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jodi McFetridge

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

KLIPPENSTEINS

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

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