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Date : 20131108

Dossier : T-1851-08

 

Référence : 2013 CF 1131

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2013

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

 

ALI TAHMOURPOUR

 

 

 

plaignant

 

et

 

 

 

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

 

Commission

 

 

et

 

 

 

 

LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

 

 

 

intimée

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Il s’agit d’un appel interjeté contre une ordonnance rendue par la protonotaire Mireille Tabib aux termes de l’article 51 des Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106 [les Règles]. La protonotaire Tabib a rejeté la requête présentée par l’appelant [le plaignant] en vue d’obtenir une ordonnance obligeant le commissaire Bob Paulson et l’inspectrice Monique Beauchamp de la Gendarmerie royale du Canada [la GRC]à exposer les raisons pour lesquelles ils ne devraient pas être déclarés coupables d’outrage au tribunal à l’égard de l’ordonnance du 16 avril 2008 [l’ordonnance] rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne [le Tribunal] concernant l’appelant.

 

I.          Les questions en litige

[1]               Voici les questions en litige dans le présent appel :

A. L’appelant a-t-il établi une preuve prima facie que le commissaire Paulson et l’inspectrice Beauchamp avaient violé l’ordonnance?

                                      i.      Les faits de la présente affaire constituent-ils un outrage?

                                    ii.      Une violation prima facie de l’ordonnance a-t-elle été établie?

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je rejette l’appel de l’appelant.

 

II.        Le contexte

[3]               L’appelant est un citoyen canadien d’origine iranienne et de religion musulmane. En 1999, alors cadet à l’École de la GRC [le Dépôt] , il a été victime de discrimination systémique. Son contrat de formation a été résilié en octobre 1999 et on lui a, par la suite, refusé sa réadmission.

 

[4]               L’appelant a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission], en alléguant la violation des articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, ch H-6.

 

[5]               Après une longue enquête par la Commission, le Tribunal a jugé, le 16 avril 2008, que l’appelant avait été victime de discrimination systémique et a ordonné diverses mesures de redressement.

 

[6]               Deux mesures de réparation qui figuraient dans l’ordonnance se rapportent au présent appel :

i.        Sauf entente contraire, l’intimée [la GRC] offrira à M. Tahmourpour la chance de s’inscrire au prochain Programme d’instruction des cadets de la GRC au Dépôt;

ii.      Si M. Tahmourpour accepte l’offre de réadmission, l’intimée évaluera équitablement ses habiletés dès le début du programme de formation dans le but de déterminer les domaines dans lesquels il a besoin de formation.

 

[7]               Des négociations entre les parties ont alors débuté sur la façon de mettre en œuvre l’ordonnance. À la suite d’une demande de contrôle judiciaire de l’ordonnance présentée par la GRC devant la Cour fédérale le 6 octobre 2009, la décision du Tribunal a été annulée et les négociations ont pris fin. Le 19 juillet 2010, la Cour d’appel a rétabli la décision du Tribunal et les négociations au sujet de la mise en œuvre de l’ordonnance ont repris.

 

[8]               Au cours des mois qui ont suivi, les négociations ont bloqué et l’appelant a déposé une requête pour outrage le 1er mai 2011. Les parties ont par la suite résolu la plupart des questions non réglées découlant de l’ordonnance et l’appelant s’est désisté de sa requête pour outrage.

 

[9]               Le 19 janvier 2012, l’appelant a signé un contrat de formation des cadets [le contrat]. Une des clauses du contrat énonçait :

[traduction] [...] la Gendarmerie royale du Canada se réserve le droit, à son gré et en tout temps, de révoquer la présente offre ou de mettre fin à votre formation, notamment dans les cas suivants.

 

[...]

 

Si vous ne respectez pas les exigences, règlements, politiques, procédures ou conditions exposées dans le Guide d’instruction des cadets, ou données par le commandant divisionnaire de l’École de la GRC.

 

Si votre comportement ou votre rendement révèle un état mental ou émotionnel (psychologique) qui entraverait vos capacités d’accomplir les tâches et attributions d’un gendarme aux services généraux.

 

[10]           Le 21 février 2012, l’appelant a signé une lettre dans laquelle on lui proposait la réadmission au programme de formation au Dépôt [la lettre]. Conformément aux négociations intervenues entre les parties, l’offre de réadmission ne mentionnait pas certaines exigences en matière de formation et d’évaluation. Toutefois, l’exigence suivante demeurait :

[traduction]
[...]
Cependant, vous ne commencerez pas votre formation de la GRC à la Division Dépôt, à Regina (Saskatchewan) tant que nous n’aurons pas reçu une copie signée de cette lettre reconnaissant le contrat, et tant que vous n’aurez pas rempli toutes les conditions suivantes à notre satisfaction dans les délais précisés dans le dossier de réadmission. Plus précisément, vous devrez avoir à la fois le certificat de santé et l’habilitation de sécurité, ce qui suppose que vous devrez réussir le TAPE. [...] D’autres formulaires pourraient toutefois devoir être remplis à mesure que seront traitées les autorisations; par exemple, pour le certificat de santé, il y aura des formulaires que le médecin procédant à l’évaluation vous demandera de remplir.

 

[11]           L’appelant a été invité à s’adresser à l’inspectrice Beauchamp pour prendre les arrangements visant à respecter les exigences figurant dans la lettre. Il a été demandé à l’appelant d’obtenir un profil médical de candidat valide qui comprenait un examen psychologique.

 

[12]           L’appelant s’est opposé à cet examen, pour le motif qu’il était un cadet en voie de réadmission et non une recrue. L’inspectrice Beauchamp a répondu en confirmant son statut de cadet, mais elle a déclaré qu’il était visé par la section 23.9 du Manuel d’administration de la GRC, étant donné qu’il s’était écoulé plus de 12 mois depuis l’établissement de son profil médical initial au cours des années 1990. L’appelant a répondu en mentionnant à nouveau sa crainte d’être qualifié de recrue plutôt que de cadet en voie de réadmission, mais il a reconnu qu’un profil médical était approprié et a accepté de subir un examen psychologique.

 

[13]           L’appelant a été examiné par le Dr David Fischman, les 11 et 24 avril 2012. Le Dr Fischman a déclaré qu’il entretenait certaines préoccupations, mais qu’il n’était pas en mesure d’en arriver à une conclusion au sujet de l’aptitude de l’appelant à exercer les tâches d’un gendarme aux services généraux. L’appelant a été référé à la Dre Dorothy Cotton et examiné le 29 mai 2012.

 

[14]           La Dre Cotton a conclu : [traduction] « M. Tahmourpour ne semble pas souffrir de psychopathologie grave. Il présente cependant une faiblesse relative sur certains points (adaptabilité et stabilité émotives) et de graves lacunes (résolution de problème et communications) dans certains domaines ».

 

[15]           Le 24 septembre 2012, l’inspectrice Beauchamp a communiqué avec l’appelant pour l’informer qu’il était mis fin au processus de réadmission en qualité de cadet de la GRC, en raison des examens médicaux effectués par les Drs Fischman et Cotton.

 

[16]           L’appelant a alors déposé une requête en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant au commissaire Paulson et à l’inspectrice Beauchamp de comparaître devant un juge et d’exposer les raisons pour lesquelles ils ne devraient pas être déclarés coupables d’outrage au tribunal pour violation de l’ordonnance, aux termes des articles 466 et 467 des Règles.

 

[17]           Le 10 juin 2013, la protonotaire Tabib a rejeté la requête pour deux motifs.

 

[18]           Premièrement, elle a fait remarquer qu’il n’est pas possible de déclarer la Couronne coupable d’outrage. À ce titre, l’ordonnance aurait dû viser soit le commissaire Paulson soit l’inspectrice Beauchamp, mais aucune de ces personnes n’avait pris des mesures ou omis de prendre des mesures qu’elles étaient personnellement obligées de prendre, mesures qui auraient entraîné une violation de l’ordonnance (Telus Mobilité c Syndicat des travailleurs des télécommunications, 2002 CFPI 656). En l’absence de preuve d’une telle participation personnelle, une déclaration d’outrage ne pourrait être fondée que sur la responsabilité du fait d’autrui de la Couronne, par l’entremise du commissaire Paulson. Toutefois, le droit canadien ne prévoit pas la responsabilité du fait d’autrui à l’égard des employés de la Couronne. Elle a donc déclaré que, compte tenu des faits de l’espèce, la requête ne pouvait être accueillie.

 

[19]           Deuxièmement, la protonotaire Tabib a déclaré que ni l’alinéa (i) ni l’alinéa (ii) de l’ordonnance du tribunal n’avaient été violés.

 

[20]           Pour ce qui est de l’alinéa (i), elle a déclaré que la GRC avait respecté ses obligations envers l’appelant parce que les dispositions de l’ordonnance demandaient qu’on « lui offre une occasion d’être réadmis » et non pas « qu’il soit réadmis ». Par conséquent, les dispositions de l’ordonnance ont été respectées lorsque l’offre convenue par les parties a été soumise à l’appelant. En outre, dans sa correspondance avec la GRC, l’appelant a reconnu qu’un examen psychologique était approprié.

 

[21]           Pour ce qui concerne l’alinéa (ii), la protonotaire Tabib a déclaré que, pour établir que la GRC avait violé l’alinéa (ii) de l’ordonnance, l’appelant devrait démontrer soit que la GRC n’avait pas procédé à l’évaluation requise, soit qu’il avait été empêché de participer au programme à cause de la conduite injustifiée de la GRC. L’appelant a admis que, selon les termes de ce contrat, il était tenu de répondre au profil médical réglementaire et que des évaluations psychologiques pourraient être requises pour évaluer ses aptitudes. Il a été estimé que l’appelant ne répondait pas à ces normes. En outre, la conviction subjective de l’appelant selon laquelle les examens ont été utilisés comme une excuse pour l’empêcher de suivre sa formation au Dépôt pour d’autres motifs, ne permet pas de conclure que cette partie de l’ordonnance a été violée.

 

III.       La norme de contrôle

[22]           La norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires a été exposée par la Cour d’appel fédérale dans Canada c Aqua-Gem Investments, [1993] ACF no 103, confirmée par la Cour suprême du Canada dans ZI Pompey Industrie c ECU-Line NV, 2003 CSC 27, et formulée de façon légèrement différente par la Cour d’appel fédérale dans Merck & Co c Apotex Inc, 2003 CAF 488, au paragraphe 19 :

Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a)         l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal,

b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

 

[23]           À mon avis, la requête de l’appelant a une influence déterminante sur l’issue de l’affaire, dans la mesure où la déclaration d’outrage prévue aux articles 466 et 467 des Règles exige que le tribunal tienne une audience de justification avant de pouvoir conclure à l’outrage au tribunal, audience qui constitue nécessairement une étape essentielle dans la décision finale en matière d’outrage. C’est pourquoi j’examinerai la présente requête sur une base de novo.

 

IV.       Analyse

A.  L’appelant a-t-il établi une preuve prima facie que le commissaire Paulson et l’inspectrice Beauchamp ont violé l’ordonnance?

      i) Les faits de l’espèce permettent-ils de demander une ordonnance pour outrage?

 

[24]           Selon la jurisprudence récente, une procédure d’outrage n’est pas recevable contre la Couronne en droit canadien (Ouellet c BM, 2010 ABCA 240, au paragraphe 38 [Ouellet]). Comme Peter Hogg et autres l’expliquent dans l’ouvrage Liability of the Crown, 4e éd., Toronto, Carswell, 2011, à la p. 84 [Hogg et al], il y a de bonnes raisons de conserver cette position :

[traduction] La mise à exécution d’une telle ordonnance entraînerait une confrontation destructrice entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif, confrontation que le pouvoir judiciaire ne pourrait finalement que perdre. [...] Dans le cas tout à fait inhabituel où la Couronne désobéirait à une ordonnance, il faudrait tenir pour acquis que l’exécutif a décidé de refuser d’exécuter l’ordonnance judiciaire pour un motif grave d’intérêt public. Dans une telle situation, le tribunal ne devrait pas envisager d’infirmer la décision du pouvoir exécutif.

 

[25]           Malgré ces commentaires, Hogg et al recommande qu’un recours en outrage soit recevable contre la Couronne, aux pages 84 et 85 :

[traduction] Il est incontestable que le raisonnement qui précède est convaincant. Dans l’ensemble, nous estimons toutefois qu’il devrait être possible d’exécuter une ordonnance pour outrage contre la Couronne. Notre premier argument est que les tribunaux tiennent souvent compte des considérations d’intérêt public avant de rendre une ordonnance contre la Couronne. Par exemple, lorsqu’il est ordonné à la Couronne de produire certains documents, le tribunal est amené, le cas échéant, à examiner une demande d’immunité de divulgation des documents pour des motifs d’intérêt public. Lorsqu’il s’agit d’autres genres d’ordonnance, le tribunal dispose habituellement d’un certain pouvoir discrétionnaire et il est peu probable qu’il accorde l’ordonnance s’il existe une objection solide fondée sur l’intérêt public. Deuxièmement, lorsqu’une ordonnance de ce type a finalement été rendue contre la Couronne, si le pouvoir exécutif refuse de la respecter, la requête pour outrage entraînera la tenue d’une nouvelle audience et permettra à la Couronne de tenter de nouveau de convaincre le tribunal qu’il existe de bonnes raisons pour lesquelles l’ordonnance n’a pas été respectée. Il n’existe aucune règle qui exige qu’une ordonnance pour outrage soit rendue chaque fois qu’une ordonnance judiciaire est violée et, lorsqu’une ordonnance pour outrage est rendue, elle n’est pas obligatoirement assortie d’une pénalité.

 

[26]           Ce raisonnement est convaincant. En outre, il y a quelque chose de fondamentalement vicié dans une approche à la justice et à la suprématie de la loi qui accepte la notion archaïque selon laquelle la Couronne ne peut se rendre coupable d’outrage au tribunal, étant donné que ce recours peut être par ailleurs exercé contre toute autre personne au Canada. Cependant, en l’espèce, il ne s’agit pas d’une procédure d’outrage visant la Couronne. En fait, l’appelant est d’accord avec l’intimée que la Couronne n’a pas commis d’outrage au tribunal. Malgré cela, il soutient que le responsable d’un ministère, qui est au courant de l’existence d’une ordonnance judiciaire, peut être déclaré personnellement responsable de la violation de l’ordonnance en question. (Ouellet, aux paragraphes 27 à 29, 38 et 41; M v Home Office, [1993] UKHL 5 [Home Office]). La participation exigée peut être active ou purement passive (Manufacturers Life Ins Co c Guaranteed Estate Bond Corp, [2000] ACF no 172, au paragraphe 9; Telus Mobilité c Syndicat des travailleurs des télécommunications, 2002 CFPI 656, aux paragraphes 14 à 16).

 

[27]           Néanmoins, à la différence des décisions Ouellet et Home Office, ci-dessus, dans lesquelles les personnes visées par la procédure d’outrage étaient nommées dans les ordonnances en question, ni le commissaire Paulson, ni l’inspectrice Beauchamp n’étaient parties à l’ordonnance. Ces personnes sont toutefois nommées toutes les deux dans la requête en justification présentée par l’appelant à la protonotaire Tabib, et l’appelant soutient que ces deux personnes devraient être inscrites à titre de parties dans le présent appel. L’intimée soutient que le fait de les déclarer coupable d’outrage au tribunal reviendrait indirectement à déclarer la Couronne coupable d’outrage ou à les déclarer responsables du fait d’autrui, conclusion qui ne peut viser un représentant de la Couronne (Bhatnager c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 RCS 217, au paragraphe 25).

 

[28]           La position de l’intimée soulève des questions troublantes. Il semble arbitraire, voire injuste, que, dans les rares cas où un représentant de la Couronne refuse de respecter ou de mettre en œuvre une ordonnance judiciaire dans laquelle il n’est pas expressément mentionné, il bénéficie d’une immunité fonctionnelle dans une poursuite pour outrage, du seul fait qu’il n’est pas nommé à titre de partie dans l’ordonnance en question. Ce serait le résultat obtenu, même s’il s’agit d’un fonctionnaire chargé d’exécuter les obligations de la Couronne décrites dans une ordonnance judiciaire.

 

[29]           Exprimé autrement, dans une procédure pour outrage, certains représentants pourraient être tenus responsables contrairement à d’autre, même s’ils ont sensiblement les mêmes connaissances et les mêmes responsabilités en ce qui concerne la mise en œuvre de l’ordonnance judiciaire, pour la seule raison que le nom des premiers figure comme partie dans l’ordonnance en cause.

 

[30]           Un des principes fondamentaux qui sous-tend la primauté du droit est que les représentants de la Couronne sont tenus d’exercer leur pouvoir conformément au droit. Ce principe s’applique aux poursuites pour outrage au tribunal (Canada (CCDP) c Winnicki, 2006 CF 350, au paragraphe 2 [Winnicki]). Si un représentant de la Couronne pouvait refuser de respecter une ordonnance judiciaire de la façon décrite ci-dessus, cela compromettrait ce principe fondamental de notre système juridique. Comme l’a déclaré le juge Sean Harrington, dans Winnicki, au paragraphe 2 :

L’outrage au tribunal découle de notre notion de primauté du droit. Personne n’est au-dessus de la loi et personne ne peut faire fi des ordonnances de la Cour. L’ordre public exige que les ordonnances de la Cour soient respectées tant et aussi longtemps qu’elles ne sont pas suspendues ou annulées en appel.

 

 

[31]           Il ne devrait pas y avoir de barrière invisible ni de voile d’immunité qui protège un représentant de la Couronne lorsqu’il s’agit d’une question d’outrage au tribunal. Par conséquent, je conclus qu’un représentant de la Couronne peut être déclaré coupable d’outrage au tribunal, même s’il n’est pas nommé en qualité de partie dans l’ordonnance judiciaire, lorsque le représentant de la Couronne visé par la requête pour outrage a connaissance de cette ordonnance, qu’il est tenu, par l’effet de la loi ou d’une délégation de pouvoir, de respecter l’ordonnance en question et omet d’une façon ou d’une autre de la mettre en œuvre.

 

[32]           En l’espèce, l’article 5 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC, 1985, c R‑10, accorde au commissaire Paulson pleine autorité sur la GRC. L’inspectrice Beauchamp avait, par délégation, la responsabilité de s’occuper de la réadmission de l’appelant, conformément aux dispositions de l’ordonnance. Ces deux personnes avaient connaissance de l’ordonnance. Si une preuve prima facie était établie que l’ordonnance avait été violée, l’un ou l’autre de ces représentants devrait rendre des comptes, en exposant au cours d’une audience les raisons pour lesquelles une déclaration d’outrage au tribunal ne serait pas justifiée.

 

ii) A-t-il été établi prima facie qu’il y a eu violation de l’ordonnance?

[33]           L’appelant soutient que, si on lit ensemble les alinéas (i) et (ii) de l’ordonnance, on constate que ces dispositions ne fixent aucune condition à sa réadmission. Par conséquent, aucune condition, ni même un examen psychologique, n’aurait dû être imposée à l’appelant.

 

[34]           En outre, la formulation du contrat de formation des cadets fait référence à des conditions psychologiques susceptibles de venir à la connaissance des responsables à la suite du « [...] comportement ou [du] rendement de l’appelant ». Étant donné qu’il n’avait pas encore commencé sa formation au Dépôt, l’appelant soutient qu’il était impossible de demander un examen psychologique fondé sur son comportement ou son rendement.

 

[35]           Enfin, l’appelant affirme que les examens psychologiques, qui n’ont pas été produits à l’audience tenue par la protonotaire Tabib, devraient être admis à titre de nouveaux éléments de preuve aux termes de l’article 351 des Règles. L’appelant fonde son argument sur le fait qu’il s’agit ici d’une instance de novo, qu’il n’était pas responsable du fait que ces éléments n’avaient pas été présentés auparavant, et qu’ils sont importants pour la résolution de l’affaire (BC Tel c Bande indienne de Seabird Island, 2002 CAF 288, aux paragraphes 28 à 30). Si ces éléments de preuve étaient acceptés, l’appelant soutiendrait alors que ces examens montrent qu’il ne souffre d’aucun trouble ou maladie pathologique, et qu’ils ont été utilisés de façon inappropriée pour apprécier son aptitude à être un nouveau candidat à un poste de ce corps de police, au lieu d’évaluer son comportement ou son rendement en le considérant comme un cadet admis.

 

[36]           J’admets qu’il y a lieu de tenir compte des examens en question, à titre de nouveaux éléments de preuve, pour les motifs avancés par l’appelant.

 

[37]           Pour savoir s’il y a eu violation de l’ordonnance, il faut en examiner les dispositions. En l’espèce, les termes de l’ordonnance sont ambigus et ont nécessité de longues négociations sur la façon de les mettre en œuvre. Finalement, les parties se sont entendues sur les termes dans le contrat et la lettre, qui ont été signés par l’appelant, le 19 janvier 2012 et le 21 février 2012, respectivement. Ces dispositions prévoyaient que l’appelant devait obtenir un profil médical valide et respecter les directives émises par le commandant divisionnaire. Dans le cadre d’un profil médical, il est approprié de procéder à un examen psychologique et cette mesure est prévue dans le Manuel d’administration de la GRC. En outre, l’appelant avait convenu, le 20 avril 2012, qu’un tel examen était approprié.

 

[38]           Il est approprié d’admettre les examens à titre de preuve, mais, à mon avis, ils ne sont pas favorables à la cause de l’appelant. Ces examens ont été effectués par deux psychologues, l’un étant membre de la GRC et l’autre un psychologue de l’extérieur. Ils ne mentionnent pas que l’appelant souffre de troubles médicaux particuliers, mais ils semblent avoir été effectués de façon détaillée et ne donnent aucunement à penser qu’ils ont été rédigés dans le but d’empêcher l’appelant de travailler au sein de la GRC. En particulier, et contrairement à l’affirmation de l’appelant, les examens visaient, tant expressément qu’implicitement, à évaluer l’aptitude de l’appelant à remplir les fonctions de gendarme aux services généraux de la GRC et non pas à être candidat à de telles fonctions.

 

[39]           Étant donné que ces examens étaient appropriés et qu’ils ont été effectués conformément aux dispositions de l’ordonnance telle que l’appelant y avait consenti, il n’existe pas suffisamment de preuves permettant de conclure que le commissaire Paulson et l’inspectrice Beauchamp ont par ailleurs agi en violation de l’ordonnance ou ont omis d’agir de façon à la respecter.

 

[40]           Je conviens avec la protonotaire Tabib qu’il n’existe aucune preuve prima facie de la violation de l’ordonnance du tribunal par le commissaire Paulson ou l’inspectrice Beauchamp.

 

[41]           Compte tenu de la décision rendue dans le présent appel, il me paraît inutile de modifier l’intitulé de la cause comme le demande l’appelant.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  l’appel de l’appelant est rejeté;

2.                  les dépens sont attribués à l’intimée.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1851-08

 

INTITULÉ :                                      Tahmourpour c CCDP et GRC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 22 octobre 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 ET JUGEMENT :                           le juge Manson

 

DATE DES MOTIFS :                     le 8 novembre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Paul Champ

 

POUR L’APPELANT

Mme Falguni Debnath

 

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Champ & Associates

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

 

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