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Date : 20131108

Dossier : IMM‑2996‑13

Référence : 2013 CF 1141

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 8 novembre 2013

En présence de monsieur le juge Hughes

Dossier : IMM‑2996‑13

 

ENTRE :

B376

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Le demandeur faisait partie des nombreux passagers du MS Sun Sea quand le navire a accosté au Canada. Il a présenté une demande d’asile le 10 octobre 2010, laquelle a finalement été instruite le 3 avril 2012. Le commissaire de la Section de la protection des réfugiés saisi de la demande a rendu sa décision quelque huit mois plus tard, le 12 mars 2013. Il a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger, et a donc rejeté sa demande d’asile. La Cour est saisie du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que l’affaire doit être renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen.

 

[3]               Il n’est pas contesté que le demandeur est un jeune homme tamoul qui a grandi dans le Nord du Sri Lanka, jusqu’à ce qu’il parte à bord du MS Sun Sea. Lui et les membres de sa famille avaient été pris dans la récente guerre au Sri Lanka; ils avaient dû déménager dans une autre partie du Nord et s’étaient finalement retrouvés dans un camp que le gouvernement avait mis en place pour les personnes déplacées à cause de la guerre. Aucun élément de preuve n’établit que le demandeur ait été recruté par les TLET ou qu’il ait fait partie des TLET, un groupe tamoul défait à la guerre. Apparemment, la sœur du demandeur avait été recrutée par les TLET et avait vécu dans leurs camps jusqu’à ce qu’elle s’échappe quelques mois plus tard.

 

[4]               Le demandeur affirme avoir été battu et torturé quand il vivait au camp. Après avoir été relâché, affirme‑t‑il, il devait se présenter chaque jour au camp, et lui et sa famille recevaient des appels de menace de la part de ceux qui le soupçonnaient d’avoir été, ou d’être encore, membre des TLET.

 

[5]               La guerre au Sri Lanka est terminée. Toutefois, le gouvernement se méfie toujours des sentiments persistants à l’égard des TLET. Il y a aussi, apparemment, ceux qui ont des comptes personnels à régler.

 

[6]               Le demandeur semble avoir obtenu sans difficulté un passeport sri‑lankais et a facilement acheté un billet d’avion pour la Thaïlande. Dans un formulaire de renseignements personnels (FRP) modifié soumis quelques semaines avant l’audience, le demandeur affirme qu’il avait dû verser un pot‑de‑vin de 500 $ à un agent sri‑lankais à l’aéroport pour pouvoir sortir du pays, argent qu’il avait caché dans son passeport.

 

[7]               Les questions examinées par le commissaire sont exposées aux paragraphes 27 à 29 de ses motifs :

[27]     La crédibilité du demandeur d’asile est une question importante en l’espèce. Or, tel qu’il est mentionné ci‑après, le tribunal estime qu’un grand nombre d’éléments allégués par le demandeur d’asile ne sont pas étayés par une preuve crédible ou digne de foi. Le tribunal se demande également s’il existe une possibilité sérieuse que le demandeur d’asile, un jeune homme tamoul qui a vécu dans le Nord du Sri Lanka, soit persécuté ou personnellement exposé aux risques ou aux dangers énoncés à l’article 97 s’il était renvoyé au pays, et ce, malgré le fait que le récit de ce dernier comporte des irrégularités. Enfin, le tribunal doit se demander si le fait que le demandeur d’asile a été l’un des passagers du MS Sun Sea pourrait en soi augmenter cette possibilité ou cette probabilité, au même titre que le fait d’être un demandeur d’asile débouté, s’il devait retourner au Sri Lanka

 

[28]     En plus de soutenir qu’il a besoin de protection au titre de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le demandeur d’asile a aussi revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention du fait de sa race, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social et de ses opinions politiques. Tel qu’il est indiqué précédemment, le conseil a fait savoir à l’audience que le demandeur d’asile n’invoquerait pas le motif de la nationalité. De plus, lorsque le conseil a été invité à donner une brève description du « groupe social » auquel appartenait le demandeur d’asile, il a répondu qu’il s’agissait des [traduction] « jeunes hommes tamouls à bord du navire Sun Sea ».

 

[29]     Le tribunal a examiné la question de la race, motif sur lequel se fonde la demande d’asile (le demandeur d’asile est un Tamoul) dans le contexte de l’expression d’opinions politiques ou d’opinions politiques « présumées » en ce qui concerne les Tamouls.

 

[8]               Les conclusions tirées par le commissaire se trouvent aux paragraphes 84 à 88, 99 et 100 de ses motifs :

[84]     Compte tenu de tous les éléments de preuve exposés précédemment, le tribunal estime, selon la prépondérance des probabilités, que l’existence de liens ou de liens présumés avec les TLET expose désormais les Tamouls du Sri Lanka au risque d’être mis en détention ou maltraités par les représentants du gouvernement plutôt que le fait d’être un Tamoul originaire du Nord, comme l’indiquait la formulation précédente, qui prévoyait que les Tamouls du Nord seraient persécutés ou exposés aux risques ou aux dangers énoncés à l’article 97. Ainsi, qu’en est‑il de la situation d’un Tamoul qui retourne dans ce pays, comme le demandeur d’asile, et qui s’est rendu au Canada à bord du MS Sun Sea?

 

[85]     Tel qu’il est indiqué précédemment, le tribunal estime, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile n’était pas soupçonné d’avoir des liens avec les TLET par les autorités et que ces dernières ne s’intéressaient donc pas à lui. Il s’agissait là de la situation lorsqu’il a quitté le pays. Le tribunal estime que, selon la prépondérance des probabilités, à ce moment‑là, le gouvernement ne soupçonnait pas le demandeur d’asile d’avoir des liens avec les TLET ou de connaître leurs activités.

 

[86]     Si, au retour du demandeur d’asile, les autorités de sécurité concluent qu’il se trouvait à bord du MS Sun Sea, elles voudront le questionner à ce sujet. Il est possible qu’elles se demandent si le demandeur d’asile connaît l’identité de la personne qui a organisé ou financé le voyage à bord du navire ou de celle qui a été payée pour qu’il puisse monter à bord. Il est possible que les autorités demandent au demandeur d’asile s’il a appris des choses au sujet d’une personne ou d’un membre de l’équipage qui avait des liens avec les TLET. À l’exception de quelques prises de bec, le demandeur d’asile soutient n’avoir pratiquement rien entendu. En réponse aux questions que lui a posées son conseil, le demandeur d’asile a déclaré qu’il ne savait pas s’il y avait des membres ou d’anciens membres des TLET à bord du MS Sun Sea et qu’il ne serait pas en mesure d’identifier des membres des TLET qui se seraient trouvés à bord.

 

[87]     Il est important de souligner que les autorités sri‑lankaises en sauront probablement déjà beaucoup au sujet du demandeur d’asile à son retour au pays. Grâce aux dossiers du CID et des camps pour personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, elles sauront que la situation du demandeur d’asile, comme celle de centaines de milliers d’autres, a été examinée à la fin du conflit, mais que le demandeur d’asile n’a jamais été envoyé dans un camp de détention spécial réservé aux personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET. Compte tenu de la situation particulière du demandeur d’asile, le tribunal peut difficilement conclure (et il ne le fait pas) que les autorités du pays croiraient que le demandeur d’asile connaît la façon dont l’opération du passage de clandestins a été organisée, qu’il connaît le nom des personnes qui l’ont organisée, ou qu’il est en mesure de fournir des renseignements au sujet des activités des TLET au Sri Lanka.

 

[88]     Le conseil avance que le simple fait que le demandeur d’asile se trouvait à bord du MS Sun Sea devrait, en soit, permettre de conclure que le demandeur d’asile serait persécuté à son retour. En d’autres mots, pour cette raison, il est possible de conclure que le demandeur d’asile a qualité de réfugié au sens de la Convention du fait de son appartenance à un groupe social. En fait, au début de l’audience, le conseil a défini le groupe social en question comme étant les [traduction] « jeunes Tamouls de sexe masculin qui se trouvaient à bord du navire Sun Sea ». Ce genre de formulation utilisée pour définir un « groupe social » a récemment été examiné et rejeté par le juge en chef de la Cour fédérale dans la décision MCI c. B380 de 2012.

 

[...]

 

[99]     Pour prendre sa décision en l’espèce, le tribunal doit se fonder sur les éléments de preuve qui lui ont été présentés. Il a examiné les documents portant sur le traitement des rapatriés au Sri Lanka. Le tribunal estime que les éléments de preuve à ce sujet fournis par le demandeur d’asile sont, au mieux, partagés, et, tel qu’il est mentionné précédemment, qu’ils exposent des points de vue différents de diverses sources sur le traitement des rapatriés par le passé. Le tribunal estime, en se fondant sur les éléments de preuve qui ont été soumis à son attention en l’espèce, que le demandeur d’asile n’a pas établi au moyen d’éléments de preuve crédibles, que les demandeurs d’asile déboutés renvoyés au Sri Lanka sont systématiquement persécutés ou exposés aux risques ou aux dangers énoncés à l’article 97, notamment au risque d’être soumis à la torture, à moins qu’ils soient soupçonnés d’avoir des liens avec les TLET. Selon moi, cela comprend les passagers du MS Sun Sea.

 

[100]   Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, en particulier la situation du demandeur d’asile, au sujet duquel le tribunal a conclu qu’il était connu des autorités sri‑lankaises et que celles‑ci ne l’associent probablement pas aux TLET, le tribunal estime que le demandeur d’asile n’a pas établi au moyen d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté ou probablement torturé ou agressé à son retour au pays ou que toute période de détention à laquelle il pourrait être soumis pendant qu’il est interrogé se prolongerait au‑delà de la période de temps nécessaire pour l’interroger ainsi que trouver et examiner les dossiers du gouvernement le concernant, sans qu’il soit exposé à un risque de persécution ou de préjudice.

 

[9]               Nulle part dans ses motifs le commissaire ne tient expressément compte du paragraphe 108(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

 

QUESTIONS EN LITIGE

[10]           La Cour doit trancher les questions suivantes :

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du commissaire?

2.         Le commissaire était‑il contraint de faire une analyse au titre du paragraphe 108(4) de la LIPR?

3.         Le commissaire a‑t‑il négligé ou mal interprété des éléments de preuve essentiels?

4.         Le commissaire a‑t‑il omis de faire preuve d’équité envers le demandeur en ce qui concerne les modifications que celui‑ci avait apportées à son FRP à propos du pot‑de‑vin qu’il avait dû verser pour sortir du pays?

5.         La décision du commissaire selon laquelle il n’y avait pas de lien avec le motif de la race ou des opinions politiques permettant d’accorder l’asile était‑elle correcte ou raisonnable?

 

1. Norme de contrôle

[11]           Il faut considérer deux éléments. Le premier concerne les conclusions tirées par le commissaire sur le fondement de la preuve, susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. S’il est allégué que le commissaire a fait abstraction d’éléments de preuve essentiels, le contrôle doit porter sur la question de savoir si des éléments de preuve ont été négligés et s’ils étaient essentiels.

 

[12]           Pour ce qui est du paragraphe 108(4) de la LIPR, je suis d’accord avec le juge Rennie, qui a statué, au paragraphe 12 de la décision Subramaniam c Canada (MCI), 2012 CF 843, que la Commission doit tenir compte du paragraphe 108(4) dès lors qu’elle conclut à une évolution de la situation au sens de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR. Ainsi, une conclusion tirée en application du paragraphe 108(4) sera contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, mais une conclusion portant sur l’opportunité d’appliquer le paragraphe 108(4) ne commandera aucune retenue.

 

2. Le commissaire était‑il contraint de tirer une conclusion au titre du paragraphe 108(4) de la LIPR?

 

[13]           Pour trancher cette question, la Cour doit d’abord examiner les conclusions que le commissaire a tirées d’après les éléments de preuve en vue de déterminer si ces éléments étaient suffisamment importants pour déclencher une analyse au titre du paragraphe 108(4).

 

[14]           Je commence par les conclusions du commissaire exposées aux paragraphes 50 à 55 :

[50]     En se fondant sur les éléments de preuve liés aux événements suivants, le tribunal a estimé que des éléments importants du récit du demandeur d’asile n’étaient pas dignes de foi.

 

[51]     À son arrivée à Port Pedro, le demandeur d’asile a reçu l’ordre de s’enregistrer à un camp du CID situé à proximité. Le tribunal ne considère pas qu’il s’agit d’un acte de persécution; il estime plus probable que ce geste s’inscrit dans les efforts déployés par le gouvernement pour veiller à ce que la guerre ne reprenne pas. Le simple fait de suivre la trace des jeunes Tamouls ne constitue pas, selon le tribunal, un acte de persécution dans ce contexte.

 

[52]     Selon le demandeur d’asile, il a été sauvagement battu et menacé de se faire laisser tomber sur la tête après que ses chevilles ont été ligotées. Toutefois, après avoir été interrogé, il a été relâché à la condition de se présenter chaque jour au camp pour [traduction] « s’inscrire » et de ne pas révéler ce qui lui serait arrivé au camp. D’après l’analyse du tribunal, le fait que le demandeur d’asile a été relâché constitue une preuve solide que les soupçons du gouvernement à son égard concernant l’existence de liens avec les TLET étaient très faibles, voire inexistants. Si le gouvernement l’avait sérieusement soupçonné d’avoir des liens avec le groupe, pourquoi les agents ont‑ils relâché le demandeur d’asile plutôt que de l’envoyer dans un des camps de détention pour les membres des TLET?

 

[53]     Quant aux déclarations du demandeur d’asile au sujet des nombreux appels qu’il aurait reçus du CID, le tribunal les estime peu crédibles; le demandeur d’asile a déclaré que les membres du CID l’avaient accusé d’avoir été recruté par les TLET et de leur avoir menti au sujet du rôle qu’il avait joué auprès des TLET, et qu’ils lui avaient ordonné de [traduction] « commencer à dire la vérité », à défaut de quoi sa famille et lui seraient tués.

 

[54]     L’appréciation de la crédibilité repose sur deux principes. En premier lieu, lorsqu’un demandeur d’asile jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter. En second lieu, pour apprécier la crédibilité, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a le droit de se fonder sur des critères comme la raison et le bon sens. En l’espèce, en appliquant le critère du bon sens, le tribunal estime qu’il y a des raisons de douter de la sincérité des allégations du demandeur d’asile liées à ces appels téléphoniques. Le demandeur d’asile n’a pas fourni d’explication satisfaisante à cet égard.

 

[55]     Tel qu’il est mentionné précédemment, le demandeur d’asile avait déjà été détenu au camp du CID, puis relâché à condition qu’il s’y présente chaque jour, ce qu’il a fait. Il a écrit que, après avoir commencé à recevoir ces appels, il restait chez lui, sauf lorsqu’il devait se présenter quotidiennement au camp où se trouvaient les personnes qui l’avaient accusé et qui avaient exigé qu’il soit à leur disposition de façon permanente. Bien qu’il ait déclaré avoir eu peur lorsqu’il se présentait au camp, il n’a pas fourni d’élément de preuve indiquant qu’il ait de nouveau été agressé physiquement. Pour quelles raisons le CID aurait‑il eu besoin de lui téléphoner alors qu’il pouvait le trouver facilement, comme le tribunal l’a expliqué précédemment? Quoi qu’il en soit, et malgré le fait que ces appels se sont échelonnés sur une période relativement longue, rien ne permet de penser que les personnes ayant fait ces appels se soient jamais présentées à l’endroit où vivait le demandeur d’asile pour quelque raison que ce soit, notamment pour l’arrêter. Le tribunal estime que ces faits ne témoignent pas de soupçons authentiques de la part du gouvernement quant au fait que le demandeur d’asile entretenait quelque relation que ce soit avec les TLET.

 

[15]           Voici maintenant les paragraphes 96 et 97 des motifs du commissaire :

[96]     Il est légitime que le gouvernement sri‑lankais soit inquiet que l’organisation terroriste des TLET renaisse de ses cendres après sa défaite à la fin de 2009. Il est légitime que les personnes retournant au Sri Lanka, comme le demandeur d’asile, soient questionnées, parfois longuement, et que leurs dossiers soient examinés par les autorités du pays avant qu’ils soient relâchés, comme cela s’est produit au Canada à leur arrivée. Quant aux dossiers que possède le gouvernement sri‑lankais au sujet du demandeur d’asile, ils contiennent probablement des renseignements indiquant qu’il a été questionné à plusieurs reprises, qu’il n’a pas été envoyé dans un camp de détention pour les membres des TLET, qu’il a été relâché d’un camp pour personnes déplacées dans leur propre pays, qu’il a été autorisé à se déplacer à l’intérieur du pays, qu’il a renouvelé son passeport de manière licite et qu’il a été autorisé à quitter le pays librement sans tracas, ainsi que le tribunal l’a déjà conclu. Comme le tribunal l’a mentionné précédemment, le document relatif au pays indique que les autorités sri‑lankaises effectuent des contrôles de l’immigration à l’entrée et à la sortie du pays. De plus, tous les passeports des voyageurs qui passent par des bureaux d’entrée, comme l’aéroport de Colombo d’où le demandeur d’asile a quitté le pays, sont enregistrés dans un système d’autorisation informatisé. Par conséquent, les autorités sri‑lankaises sauraient le moment auquel le demandeur d’asile a quitté le pays et qu’il était autorisé à le faire. Après avoir examiné la preuve, et compte tenu de sa décision selon laquelle le demandeur d’asile ne présente pas beaucoup d’intérêt pour les autorités sri‑lankaises quant à l’existence de liens avec les TLET, le tribunal estime que, bien que le demandeur d’asile puisse être mis en détention à son retour au pays, il ne le serait pas pour très longtemps, et qu’il s’agit d’une procédure à laquelle peut avoir recours un pays comme le Sri Lanka compte tenu des circonstances de l’affaire. C’est d’ailleurs une procédure à laquelle aurait pu avoir recours le Canada lorsque le demandeur d’asile est arrivé ici.

 

[97]     Le tribunal a estimé qu’il était peu probable que le gouvernement sri‑lankais croie que le demandeur d’asile avait des liens avec les TLET lorsqu’il se trouvait au pays et au moment où il a été autorisé à quitter le pays. Bien que de nombreux éléments appuient la proposition selon laquelle les personnes pour lesquelles le gouvernement a conclu à l’existence probable de liens avec les TLET courent le risque d’être persécutées ou maltraitées, il ne faudrait pas présumer de l’existence de tels liens uniquement parce que la personne se trouvait à bord du MS Sun Sea.

 

[16]           Enfin, voici les paragraphes 99 et 100 des motifs du commissaire :

[99]     Pour prendre sa décision en l’espèce, le tribunal doit se fonder sur les éléments de preuve qui lui ont été présentés. Il a examiné les documents portant sur le traitement des rapatriés au Sri Lanka. Le tribunal estime que les éléments de preuve à ce sujet fournis par le demandeur d’asile sont, au mieux, partagés, et, tel qu’il est mentionné précédemment, qu’ils exposent des points de vue différents de diverses sources sur le traitement des rapatriés par le passé. Le tribunal estime, en se fondant sur les éléments de preuve qui ont été soumis à son attention en l’espèce, que le demandeur d’asile n’a pas établi au moyen d’éléments de preuve crédibles, que les demandeurs d’asile déboutés renvoyés au Sri Lanka sont systématiquement persécutés ou exposés aux risques ou aux dangers énoncés à l’article 97, notamment au risque d’être soumis à la torture, à moins qu’ils soient soupçonnés d’avoir des liens avec les TLET. Selon moi, cela comprend les passagers du MS Sun Sea.

 

[100]   Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, en particulier la situation du demandeur d’asile, au sujet duquel le tribunal a conclu qu’il était connu des autorités sri‑lankaises et que celles‑ci ne l’associent probablement pas aux TLET, le tribunal estime que le demandeur d’asile n’a pas établi au moyen d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté ou probablement torturé ou agressé à son retour au pays ou que toute période de détention à laquelle il pourrait être soumis pendant qu’il est interrogé se prolongerait au‑delà de la période de temps nécessaire pour l’interroger ainsi que trouver et examiner les dossiers du gouvernement le concernant, sans qu’il soit exposé à un risque de persécution ou de préjudice.

 

[17]           L’examen de ces motifs ne révèle absolument pas si le commissaire a jugé crédibles ou non les éléments de preuve que le demandeur a présentés pour établir qu’il avait été torturé au camp. Une lecture attentive des motifs permet d’inférer que le commissaire a peut‑être jugé ces éléments crédibles, étant donné qu’il a clairement conclu que ceux sur les appels téléphoniques continus n’étaient pas dignes de foi. Au paragraphe 65 de ses motifs, le commissaire dit que le demandeur « soutien[t] » avoir subi de mauvais traitements au camp.

 

[18]           L’examen d’un article de journal fait par le commissaire aux paragraphes 93 à 95 de ses motifs n’est pas reproduit ici en raison de sa longueur; il ne renvoie pas à des articles plus récents qui corrigent ou examinent l’article auquel le commissaire fait référence. Le demandeur a soumis ces articles plus récents, et ils figurent parmi les documents que le commissaire aurait dû consulter, mais il ne les a pas commentés. Si le commissaire s’était penché sur les articles plus récents, il aurait réalisé que l’article qu’il avait examiné avait été sévèrement critiqué.

 

[19]           Au paragraphe 99 de ses motifs, que j’ai reproduit ici, le commissaire reconnaît que les éléments de preuve portant sur le traitement des rapatriés au Sri Lanka étaient « au mieux, partagés » et qu’il y avait « des points de vue différents de diverses sources sur le traitement des rapatriés par le passé ».

 

[20]           Étant donné le doute entourant les conclusions du commissaire sur la crédibilité de la preuve concernant la torture, le fait que le commissaire a apparemment négligé des articles pertinents et le fait qu’il a reconnu que les éléments de preuve sur le traitement des rapatriés étaient partagés, je conclus que le commissaire, en n’effectuant pas d’analyse au titre du paragraphe 108(4), a commis une erreur susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Pour ce motif, l’affaire doit être renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen.

 

[21]           Je me pencherai maintenant sur la décision rendue par le juge Harrington de la Cour dans B135 et autres c Canada (MCI), 2013 CF 871. Le juge Harrington disposait d’éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés à la Commission, à savoir des éléments de preuve sur deux passagers du MS Sun Sea qui avaient été renvoyés au Sri Lanka. L’un d’entre eux se trouve dans un endroit inconnu; l’autre a été battu et torturé pendant un an. Ces éléments de preuve ne pouvaient avoir été présentés au commissaire en l’espèce, car ces événements sont survenus après la présentation des observations finales dans la présente affaire. Quand la présente affaire sera examinée à nouveau, il est permis de supposer que le ministre transmettra ces éléments de preuve et d’autres éléments semblables au commissaire qui sera saisi de l’affaire.

 

3. Le commissaire a‑t‑il négligé ou mal interprété des questions essentielles?

 

[22]           Comme je l’ai conclu en ce qui concerne les questions précédentes, la réponse est oui.

 

4. Le commissaire a‑t‑il omis de faire preuve d’équité envers le demandeur en ce qui concerne les modifications que celui‑ci avait apportées à son FRP à propos du pot‑de‑vin qu’il avait dû verser pour sortir du pays?

 

[23]           J’ai examiné la transcription du témoignage du demandeur à cet égard. Le problème a nettement été exposé au demandeur, qui a eu l’occasion de réagir et qui a réagi. En outre, le demandeur a présenté de vastes observations après l’audience à ce sujet. Il a amplement eu droit à l’équité.

 

[24]           L’avocat du demandeur soutient que le commissaire n’a pas totalement apprécié les raisons pour lesquelles le demandeur n’avait pas mentionné le pot‑de‑vin plus tôt, à savoir que d’autres événements semblaient plus importants pour lui. Je conclus que le commissaire a traité cet élément de preuve de manière raisonnable.

 

5. La décision du commissaire selon laquelle il n’y avait pas de lien avec le motif de la race ou des opinions politiques permettant d’accorder l’asile était‑elle correcte ou raisonnable?

 

[25]           Chaque cas doit être examiné sur le fond. Il ne saurait y avoir de vastes généralisations en ce qui concerne les questions de race ou d’opinions politiques. Sur le fond, je conclus à l’existence des difficultés exposées ci‑dessus, et l’affaire sera renvoyée.

 

CONCLUSION – CERTIFICATION – DÉPENS

[26]           En conclusion, l’affaire sera renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen. L’affaire reposant sur des faits qui lui sont propres, aucune question ne sera certifiée. Aucune raison spéciale ne justifie l’adjudication de dépens.

 

 


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT,

LA COUR STATUE que :

1.         La demande est accueillie;

2.         L’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen;

3.         Aucune question n’est certifiée;

4.         Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2996‑13

 

INTITULÉ :                                                  B376 c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 7 novembre 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE HUGHES

 

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 8 novembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shepherd Moss

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Hilla Aharon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Shepherd I. Moss

Avocat

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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