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Date : 20130425

Dossier : IMM-4974-12

Référence : 2013 CF 433

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2013

En présence de Madame la juge Simpson

 

ENTRE :

 

ISRAEL COBENA ANANE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Israel Cobena Anane [le demandeur] sollicite, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c 27 [la Loi], le contrôle judiciaire de la décision rendue le 24 avril 2012 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] déclarant que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger [la décision].

 

[2]               Pour les motifs suivants, la demande sera rejetée.

 

Contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen du Ghana âgé de 43 ans, pasteur pentecôtiste, qui craint d’être persécuté en raison de son appartenance à un groupe. Il dit être perçu comme homosexuel; il affirme aussi être exposé à un risque de persécution du fait de sa religion. Il est entré au Canada le 25 juin 2011, et il a présenté sa demande d’asile le 27 juin 2011.

 

[4]               Dans son formulaire de renseignements personnels [FRP] en date du 3 août 2011, il indique qu’il est chrétien et qu’il a été ordonné ministre de l’évangile de Jésus‑Christ. Il croit à l’égalité des droits et à la justice pour tous sans égard à la couleur, aux croyances ou à l’orientation sexuelle. Cependant, l’homosexualité est illégale au Ghana. Ceux qui sont identifiés comme homosexuels sont la cible de justiciers autoproclamés, et ils ne peuvent se tourner vers les autorités car ils risqueraient alors d’être poursuivis en justice.

 

[5]               Après avoir obtenu son diplôme de la l’église chrétienne internationale de Bethel à Koforidua, le demandeur s’est fait offrir un poste de pasteur. Il a occupé ce poste sans incident jusqu’en 2011.

 

[6]               Au mois de février 2011, beaucoup d’Ivoiriens sont arrivés au Ghana à cause d’une crise politique en Côte d’Ivoire, et certains d’entre eux ont joint les rangs des fidèles de l’église du demandeur et sont entrés dans la chorale de l’église.

 

[7]               Le 11 février 2011, un ancien de l’église s’est rendu chez le demandeur pour l’informer qu’un membre de l’église avait vu un Ivoirien qui s’était récemment joint à l’église et faisait partie de la chorale [A] embrasser un autre membre de l’église [B], ajoutant qu’A et B auraient été lynchés sans l’intervention d’un des dirigeants de l’église.

 

[8]               Le 5 mars 2011, A et B ont été convoqués chez le demandeur. Pendant la réunion, les anciens ont exigé qu’A et B soient suspendus de la chorale.

 

[9]               Une autre rencontre a eu lieu le 16 avril 2011, réunissant le demandeur, le conseil d’administration de l’église et A et B. Après plusieurs heures de discussion, A et B ont reconnu leur homosexualité, ce qui a provoqué de la colère et amené les administrateurs à exiger qu’ils soient livrés à la police. Toutefois, le demandeur a refusé de le faire et il a plutôt hébergé les deux hommes. Les administrateurs, réprouvant la conduite du demandeur, ont signalé à la police que celui‑ci abritait A et B .

 

[10]           Le 22 mai 2011, le demandeur a été convoqué au poste de police, où il a été interrogé à propos de sa propre orientation sexuelle. On lui a posé des question au sujet de ses neveux, qui logeaient chez lui, on lui a demandé pourquoi il n’était pas marié. On l’a finalement interrogé au sujet de A et B, et on lui ordonner de les livrer. Il n’a pas obtempéré à cet ordre, lorsqu’il est revenu chez lui après l’interrogatoire, et il a averti A et B qu’ils devaient partir de chez lui.

 

[11]           Le vendredi 10 juin 2011, un groupe d’hommes – comprenant des membres de l’église et de jeune musulmans de la région – ont fait irruption chez le demandeur et exigé qu’il leur livre A et B. Ils répétaient sans arrêt que le demandeur était homosexuel et qu’il ne méritait pas de vivre. Leur hostilité s’est accrue lorsqu’il se sont rendu compte qu’A et B n’étaient pas dans la maison, et ils ont menacé de le tuer s’il ne leur livrait pas les « homos ».

 

[12]           Le demandeur a signalé immédiatement l’incident à la police, mais n’en a reçu aucune aide parce qu’elle exigeait elle aussi qu’il livre A et B. Une policière a dit au demandeur que s’il n’était effectivement pas « homo », il devrait se marier pour « faire honte » à ses accusateurs. Cette réaction de la police à sa demande de protection a inspiré du dégoût au demandeur.

 

[13]           Le dimanche 12 juin 2011, le conseil d’administration de l’église a informé le demandeur qu’il était suspendu de ses fonctions pendant qu’une enquête se tenait sur ses antécédents. Cette décision a fait naître beaucoup de rumeurs dans la collectivité et, le 14 juin 2011, quatre hommes ont accosté le demandeur alors qu’il revenait chez lui; le demandeur s’en est tiré avec un nez en sang et une lèvre fendue. Il n’a pas fait appel à la police, parce qu’elle avait clairement indiqué qu’elle ne le protégerait pas.

 

[14]           Le demandeur dit qu’il a alors décidé de se cacher chez un pasteur à Accra. C’est là qu’il a appris qu’il avait irrité la police, qui était allé chez lui le 17 juin 2011 pour l’arrêter parce qu’il ne lui avait pas livré A et B. Le neveu du demandeur a indiqué aux policiers qu’il ignorait où se trouvait le demandeur et qu’il ne l’avait pas vu depuis une semaine. La police lui a donné instruction d’avertir le demandeur qu’il ferait mieux de revenir immédiatement à Koforidua.

 

[15]           Le demandeur a alors conclu qu’il n’avait d’autre choix que de quitter le pays. Il allègue qu’après son arrivée Canada, il a appris de ses neveux qu’il est toujours recherché et qu’eux‑mêmes ont été convoqués par deux fois au poste de police locale et interrogés sur l’endroit où il se trouvait.

 

La preuve

[16]           À l’audience, le demandeur s’est appuyé notamment sur des éléments de preuve documentaire comprenant :

         une déclaration solennelle datée du 9 novembre 2001 faite par le révérend Gideon Tetteth, lui aussi ministre de l’évangile de Jésus‑Christ, confirmant les principaux faits relatés dans le FRP du demandeur;

         une lettre datée du 12 juin 2011 suspendant le demandeur de ses fonctions de pasteur pendant la tenue d’une enquête sur son orientation sexuelle.

 

La décision

[17]           La Commission n’a pas jugé la preuve du demandeur crédible. Elle a aussi conclu qu’il disposait d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] dans les villes de Kumasi, Secondi-Takoradi et Tamale. J’examinerai d’abord la question de la PRI.

 

[18]           La Commission a tenu compte du critère à deux volets applicable (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA); Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA)).

 

[19]           Constatant que le demandeur craignait les jeunes musulmans de Koforidua, des membres de la communauté ainsi que la police, la Commission a conclu que la crainte suscitée par les jeunes musulmans et les membres de la communauté était de nature locale et que, par conséquent, le demandeur pouvait échapper à ces deux groupes en s’installant ailleurs. Les trois villes susmentionnées se trouvent en outre à une distance appréciable du domicile du demandeur à Koforidua.

 

[20]           S’agissant de la crainte du demandeur concernant la police du Ghana, la Commission a énuméré plusieurs facteurs indicatifs de la viabilité de la PRI. Premièrement, le demandeur se trouvait hors du Ghana depuis dix mois, au moment de l’audience, et la Commission a estimé qu’il n’avait pas présenté de preuve convaincante que la police de Koforidua continuait à le chercher; la preuve n’indiquait pas non plus qu’il était recherché dans tout le pays. La Commission a reconnu que le demandeur pouvait encore être exposé à un risque à Koforidua, mais s’est dite non convaincue que la police le rechercherait ailleurs au Ghana, en particulier parce qu’il n’avait pas d’antécédents criminels et qu’il ne faisait pas l’objet d’un mandat d’arrestation.

 

[21]           Examinant la preuve documentaire concernant le maintien de l’ordre au Ghana, la Commission a constaté que le pays est divisé à cet égard en 12 régions administratives et que l’effectif policier est d’un peu plus de 23 000 personnes pour 24 millions d’habitants. Des unités spécialisées sont en place à Accra, mais des obstacles importants empêchent d’étendre leur fonctionnement à tout le pays. Compte tenu de ces obstacles et de la perception générale d’incompétence de la police, la Commission a conclu que la police n’avait pas les compétences et les ressources pour se lancer à la recherche du demandeur dans tout le pays.

 

[22]           De plus, la Commission n’était pas convaincue que la police continuât même à s’intéresser au cas de A et B, signalant que la police avait attendu près d’un mois avant de faire le suivi de l’ordre donné au demandeur de livrer A et B.

 

[23]           La Commission n’a pas été convaincue non plus que le demandeur avait un statut de personne en vue qui lui nuisait. Il n’y a au Ghana que deux églises de la confession de celle qu’il dirige, et sa congrégation de 500 fidèles correspond en gros à 0,1 % de la population de Koforidua, qui est d’environ 500 000 personnes. Concernant l’affirmation du demandeur qu’il était très connu parce qu’il avait organisé des croisades en plain air dans la ville, la Commission a jugé que, s’il jouissait localement d’une certaine notoriété, celle‑ci ne s’étendait pas à tout le Ghana.

 

[24]           La Commission a également examiné la PRI en fonction de la nature particulière de l’allégation du demandeur, à savoir qu’il est persécuté parce qu’il est perçu comme homosexuel. Toutefois, comme il n’est pas homosexuel et que cette perception n’existait pas avant qu’il héberge A et B, la Commission a conclu qu’il ne serait pas perçu comme homosexuel dans les endroits présentant une PRI.

 

[25]           Relativement au deuxième volet du critère, la Commission a conclu qu’il n’était pas déraisonnable pour le demandeur d’habiter à Kumasi, Secondi-Takoradi ou Tamale. Le demandeur n’avait pas présenté d’élément de preuve indiquant qu’il ne connaissait pas bien les particularités et normes culturelles de ces villes. La Commission a également pris en compte que le demandeur avait déjà parcouru la moitié du globe pour venir s’établir à Toronto et y trouver du travail, ce qui indiquait sa tolérance au déplacement et sa capacité d’intégration.

 

[26]           Le demandeur faisait également reposer sa demande d’asile sur la crainte d’être persécuté pour des motifs religieux. La Commission a estimé qu’en tant que chrétien, le demandeur connaissait les pratiques religieuses observées dans les trois endroits où il jouissait d’une PRI. Elle a pris en compte que les chrétiens, qui représentaient 69 % de la population du Ghana, vivaient en majorité dans le sud du pays, où se trouvaient les trois villes présentant une PRI.

 

[27]           La Commission a reconnu que le demandeur devrait adhérer à une congrégation différente, tout en notant qu’il l’avait déjà fait au Canada. Soulignant l’instruction du demandeur et son expérience de travail de dix ans, elle a jugé qu’aucun élément de preuve convaincant ne laissait croire qu’il aurait plus de difficulté qu’un autre Ghanéen à trouver un emploi à Kumasi, Secondi‑Takoradi ou Tamale. La Commission a également estimé que le demandeur ne serait pas en butte à des barrières linguistiques.

 

[28]           À l’issue de cette analyse, la Commission a conclu que Kumasi, Secondi-Takoradi et Tamale constituaient des endroits où, compte tenu de l’ensemble des circonstances, le demandeur pourrait raisonnablement trouver refuge et qu’il ne serait pas exposé aux risques décrits aux articles 96 et 97 de la Loi.

 

Les questions soulevées par le demandeur

[29]           Compte tenu de l’omission de la Commission d’examiner la suffisance de la protection de l’État, sa conclusion relative à la PRI est‑elle raisonnable?

 

[30]           La Commission a-t-elle mal apprécié la crédibilité du demandeur?

 

Examen

[31]           À mon avis, la Commission n’avait pas à examiner la question de la protection de l’État, puisqu’elle avait conclu que i) le risque auquel le demandeur était exposé était local; ii) il n’avait pas de notoriété nationale; iii) il n’était pas activement recherché par la police locale; iv) même dans l’hypothèse où la police s’intéressait à lui, elle n’avait pas les ressources pour le chercher hors de Koforidua; v) il n’y avait aucune raison de penser qu’il serait encore une fois perçu comme homosexuel.

 

Conclusion

[32]           Selon moi, la conclusion relative à la PRI était raisonnable. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les problèmes de crédibilité évoqués par la Commission.

 

[33]           Aucune question n’a été proposée pour certification en vertu de l’alinéa 74d) de la Loi.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

la demande soit rejetée.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4974-12

 

INTITULÉ :                                      ISRAEL COBENA ANANE c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 14 mars 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                       Mme la juge SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 25 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kweku Ackaah-Boafo

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ndija Anderson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kweku Ackaah-Boafo

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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