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Date : 20121127

Dossier : T‑1466‑08

Référence : 2012 CF 1370

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

GREG IRVINE et autres;

RICK TURNBULL et autres; et

WAYNE KNAPMAN et autres

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande issue de la réunion de trois demandes, présentée conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de trois décisions en matière de griefs par lesquelles des arbitres de griefs de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) ont rejeté les demandes présentées par les demandeurs en vue d’obtenir une indemnité correspondant au niveau II de disponibilité pour le temps passé en disponibilité en tant que membres de Groupes tactiques d’intervention de la GRC (les GTI).

CONTEXTE

[2]               Les demandeurs sont, dans la présente affaire, 64 membres actuels ou ex‑membres des GTI de la GRC qui faisaient partie des divisions H, J ou K. La division H représente la Nouvelle‑Écosse, où il existe un GTI pour l’ensemble de la province; la division J représente le Nouveau‑Brunswick, où il existe un GTI pour l’ensemble de la province, et la division K représente l’Alberta, où l’on compte trois GTI, à Calgary, Red Deer et Edmonton respectivement. La situation des membres des GTI était, aux fins de l’espèce, la même dans le cas des trois provinces en question.

[3]               Le Manuel des opérations tactiques de la GRC définit comme suit le Groupe tactique d’intervention (GTI) : « [g]roupe composé d’une équipe d’assaut et de tireurs d’élite‑observateurs qui ont reçu une formation spécialisée en matière de tir et de procédures tactiques ». GTI peuvent être déployés pour assurer un soutien armé tactique dans des situations d’urgence comme une prise d’otages, l’immobilisation ou la prise d’assaut de véhicules à risque élevé ou des situations d’urgence dans les pénitenciers. Les GTI ne sont pas des équipes de première intervention; leur rôle consiste à fournir des renforts dans des situations extrêmes. Les demandeurs sont des membres de la GRC qui ont adhéré de leur plein gré à un GTI en en faisant la demande, en recevant une formation spécialisée et en subissant une série d’examens de compétences.

[4]               En tant que membres des GTI, les demandeurs sont censés se rendre disponibles pour répondre aux situations d’urgence au fur et à mesure qu’elles se présentent. Il leur est interdit de faire quoi que ce soit qui pourrait nuire à leur capacité de répondre efficacement à une urgence, tel que consommer de l’alcool ou se rendre dans des régions éloignées. Lorsqu’ils reçoivent un appel du GTI, les demandeurs doivent abandonner ce qu’ils sont en train de faire pour répondre à la situation, en laissant de côté toute activité à laquelle ils sont en train de s’adonner pendant leurs heures libres, notamment avec des amis ou leur famille.

[5]               Lorsqu’ils sont devenus membres du GTI, les demandeurs se sont chacun vu remettre un téléavertisseur qu’ils étaient censés avoir sur eux en tout temps. Les membres du GTI ne sont dispensés de l’obligation d’avoir avec eux un téléavertisseur que lorsqu’ils ont prévenu à l’avance qu’ils se trouveront à l’extérieur de la province. Les demandeurs n’ont reçu aucune indemnité pour demeurer dans cet état de disponibilité permanente en vue de répondre en tout temps à des situations mettant la vie de personnes humaines en danger.

[6]               Les demandeurs ont déposé des griefs en vue d’être rémunérés pour la période pendant laquelle ils avaient été en disponibilité selon la formule d’indemnité correspondant au niveau II de disponibilité, suivant laquelle ils devaient être payés une heure de travail pour chaque période de disponibilité de huit heures. Le grief de la division K a été entendu le 8 août 2008 par un arbitre des griefs, le surintendant J.R.A.J. Héroux (la décision Héroux). La décision  de refuser de verser une indemnité de disponibilité aux demandeurs de la division H a été prise par un arbitre des griefs, l’inspecteur J.R.Y. Royer, le 15 décembre 2008 (la décision Royer H), qui a également rendu une décision au sujet de la division J le 30 décembre 2008 (la décision Royer J). Les observations formulées par les demandeurs dans les trois décisions étaient très semblables, ainsi que les motifs des décisions, ce qui explique pourquoi les demandes ont été réunies en une seule. Les arbitres ont conclu que, selon les politiques de la GRC, et plus précisément le Manuel d’administration, le temps que les demandeurs avaient passé au sein du GTI ne constituait pas une mise en disponibilité de niveau II, de sorte que leur demande d’indemnité a été refusée.

LES DÉCISIONS

La décision Héroux – Division K

[7]               Le surintendant Héroux a commencé sa décision en résumant les rôles et les responsabilités des membres des GTI. Il a également examiné les autres observations des demandeurs, notamment celles qui suivent :

1.                  En raison du contrat conclu entre la GRC et les provinces, les services des GTI doivent être offerts : ils constituent un aspect obligatoire des services de police. Par conséquent, les GTI doivent être considérés comme un « service essentiel obligatoire »;

2.                  Les membres des GTI sont disponibles pour répondre à des appels en tout temps, à moins d’inscrire leur nom dans un registre pour indiquer qu’ils ne sont pas disponibles. Les membres des GTI ont droit à une indemnité à ce titre et le seul mode de paiement est le versement d’une indemnité de disponibilité de niveau II. Le fait d’être membre d’un GTI suppose que l’on accepte d’être obligé de répondre aux urgences à bref délai;

3.                  Le chef de la division J des GTI reçoit une indemnité et les membres du GTI de la Direction générale (DG) d’Ottawa reçoivent des indemnités de disponibilité de niveau II depuis environ avril 2003;

4.                  Il est illogique, dans le cas des GTI, d’obliger, en vertu d’une politique, les membres à faire approuver à l’avance les lieux où ils seront en disponibilité; les membres des GTI sont en effet tenus de répondre aux urgences, peu importe l’endroit où ils se trouvent dans la province. Le bon sens exige que, dans le cas des GTI, l’obligation relative au « lieu » se rapporte à une unité déterminée. Comme les GTI couvrent tout le territoire de la province, il est déraisonnable de présumer qu’une approbation sera donnée pour un endroit déterminé.

[8]               Le surintendant Héroux a également résumé les observations formulées par le défendeur en réponse au grief, mentionnant notamment que :

1.                  Les demandeurs ont adhéré de leur plein gré au GTI. Les membres sont indemnisés lorsqu’ils sont déployés pour répondre à un incident, et l’obligation de porter un téléavertisseur n’ouvre pas droit à une indemnité de disponibilité de niveau II;

2.                  L’utilisation de téléavertisseurs vise à faciliter la tâche des membres des GTI pour leur éviter de devoir se trouver en tout temps près d’un téléphone. Les heures libres des membres ne sont assujetties à aucune restriction, hormis l’obligation d’aviser les autorités de leur intention de s’absenter de la province;

3.                  Suivant la définition du « niveau II de disponibilité », le membre se rend disponible pour le service « à un endroit indiqué ». Les membres des GTI appartiennent à des « unités », ce qui, suivant la politique, suppose que l’on doive indiquer les endroits où les membres doivent se rendre disponibles. Or, aucun endroit n’a été identifié pour la mise en disponibilité dans le cas de cette division;

4.                  L’obligation relative à l’« endroit indiqué » ne vaut que pour les services « de première ligne », ce que le GTI n’est pas. La responsabilité première de répondre aux incidents critiques n’incombe pas aux GTI. La section II.9.E du Manuel d’administration (voir ci‑après) vise les services des détachements dits « de première ligne »;

5.                  La DG d’Ottawa joue un rôle différent de celui des autres divisions des GTI. Les membres de la DG voient leur liberté considérablement limitée en raison de la nécessité de répondre à des événements d’ampleur internationale. Par exemple, ils doivent respecter des périodes de réponse minimales rigoureuses qui limitent leur capacité de prendre des congés;

6.                  Les membres de la GTI peuvent être appelés en tout temps à se déployer, mais tout membre de la GRC peut être rappelé au travail en tout temps. Ils n’ont pas droit à une indemnité de disponibilité de niveau II;

7.                  Les facteurs décisifs pour déterminer si une indemnité de disponibilité de niveau II devrait être autorisée sont : les attentes du public, les contraintes budgétaires et les politiques et normes applicables.

[9]               Le surintendant Héroux a ensuite cité les dispositions du Manuel d’administration de la GRC applicables à la décision :

AM II.4. – SOLDE ET INDEMNITÉS

[…]

I.          8.         Disponibilité

                        […]

                        2.         Le membre a droit à une rémunération d’au moins une heure pour chaque période de disponibilité. L’arrondissement des heures doit se faire conformément à l’al. II.4.1.1 f.

[…]

I.          8.         b.         Membre

                        […]

                        2.         Niveau II de disponibilité

1.         Conformément à la politique divisionnaire, on peut demander la rémunération, sous forme de paiement ou de congé, des heures accumulées au niveau II de disponibilité.

2.         Pour le paiement des heures accumulées, remplir une formule 1112 distincte en utilisant les codes 16 et O et en indiquant « Paiement niveau II de disponibilité » et le taux ordinaire de rémunération […]

[…]

AM II.9. – HORAIRES DE TRAVAIL ET RELAIS

[…]

E.         1.         Dans le contexte du présent chapitre, les termes suivants se définissent comme suit :

[…]

E.         1.         j.          niveau II de disponibilité : s’applique lorsqu’un membre se rend disponible pour le service à relativement brève échéance, à un endroit indiqué;

[…]     

H.        MISE EN DISPONIBILITÉ

H.        1.         Généralités

[…]

H.        1.         b.         Lorsqu’on a envisagé toute autre possibilité et qu’il demeure nécessaire d’assurer une protection en faisant en sorte que des membres soient aisément disponibles pour répondre aux appels en dehors des heures de service, les membres participants accumulent des heures au niveau II de disponibilité.

H.        1.         c.         Les heures de travail au niveau II de disponibilité s’accumulent à raison d’une heure pour chaque période de huit heures au taux régulier et sont rémunérées conformément aux dispositions du chap. II.4. du MA et des suppléments divisionnaires.

            […]

H.        2.         Commandant

H.        2.         a.         Après avoir envisagé toute autre possibilité, demander au c. div. ou à son représentant, l’autorisation de mettre des membres en disponibilité.

H.        3.         C. div. ou son représentant

H.        3.         a.         Dans la mesure du possible, éviter toute mise en disponibilité.

H.        3.         b.         S’assurer qu’on a pris toutes les mesures possibles pour éviter le niveau II de disponibilité, p. ex. relais de 24 heures, noyautage de détachements, communications centrales, approbation de la collectivité concernant le niveau de service.

H.        3.         c.         Conformément aux principes de la police communautaire, indiquer aux gouvernementaux et communautaires le niveau de service qui sera offert en dehors des heures de service avec les ressources disponibles.

H.        3.         d.         Étudier soigneusement les solutions de rechange à la mise en disponibilité en tenant compte de la probabilité de réception d’un appel urgent.

H.        3.         e.         Si on croit que les autres solutions de rechange ne sont pas pratiques, autoriser la mise en disponibilité de membres en cas d’urgence, ou si le besoin est prévu.

H.        3.         f.          Ne pas approuver la mise en disponibilité permanente d’un membre.

[…]

MOT   2.1  Organisation et sélection (se trouvait auparavant dans le MOT 5.E. avant le 2005‑08‑23)

[…]

2.  Critères de sélection

2. 1.     Pour les descriptions d’emploi et les exigences de poste, voir l’ann. 5‑8 du MGC conjointement avec les critères de sélection GTI divisionnaires.

2. 2.     Le candidat GTI reçu doit :

2. 2. 1. être un volontaire m.r. qui compte au moins deux années d’expérience des tâches policières opérationnelles;

2. 2. 2. être disposé à s’engager à remplir les fonctions GTI pour une période de trois ans;

[…]

2. 2. 5. consentir à améliorer ses aptitudes tactiques et continuer de s’entraîner régulièrement;

[…]

 

[10]           Le surintendant Héroux précise ensuite qu’il a tiré les conclusions de fait suivantes :

1.                  Les demandeurs se sont portés volontaires pour faire partie du GTI;

2.                  Aucun commandant ou commandant divisionnaire (c. div.) n’a demandé que les demandeurs soient mis en disponibilité et aucun c. div. n’a approuvé une telle mesure;

3.                  Le c. div. n’a pas indiqué d’endroit où la mise en disponibilité de niveau II était autorisée pour les membres des GTI;

4.                  Rien ne permettait de penser que les demandeurs avaient été amenés à croire qu’ils avaient droit à une indemnité de disponibilité de niveau II.

[11]           S’agissant des observations formulées par les demandeurs, le surintendant Héroux a fait observer qu’ils avaient soumis très peu de renseignements au sujet des allégations du traitement inéquitable qu’ils auraient subi de la part du chef de la section GTI et de la DG. Dans le cadre du grief, le défendeur s’est contenté de répondre qu’il n’existait aucun arrangement de cette nature au sein de la division K, et la question n’a pas été débattue davantage.

[12]           Le surintendant Héroux a poursuivi en discutant du recours à la mise en disponibilité comme outil de gestion. Il a déclaré que la mise en disponibilité avait des répercussions considérables sur la vie personnelle des membres et sur le budget de la GRC. La politique de la GRC relative à la mise en disponibilité oblige le c. div., le directeur ou leur représentant à préciser dans quel cas les membres des GTI ont le droit de recevoir une indemnité de mise en disponibilité de niveau II. Le surintendant Héroux a conclu [traduction] « les membres des GTI s’acquittent de tâches spéciales, mais ils le font de leur plein gré ».

[13]           Le surintendant Héroux a par ailleurs affirmé ce qui suit : [traduction] « le fait d’avoir sur soi un téléavertisseur ou un téléphone cellulaire après ses heures normales de travail pour pouvoir être joint en cas d’urgence n’ouvre pas droit à une indemnité de disponibilité de niveau II ». Il a ajouté que les demandeurs [traduction] « ne sont pas prêts à accepter le fait qu’ils ont adhéré au GTI de leur plein gré et à prendre acte des politiques actuelles régissant les GTI ». Le surintendant Héroux a conclu qu’il ne dispose d’aucun élément de preuve lui permettant de penser que la politique a été appliquée de façon injuste parce qu’on a refusé de verser aux demandeurs une indemnité de disponibilité de niveau II pour la période pendant laquelle ils avaient été membres d’un GTI. Les demandeurs n’avaient pas démontré à son avis que le refus de leur verser une indemnité de compensation de niveau II contredisait les politiques applicables. Le surintendant Héroux a rejeté le grief.  

Les décisions Royer – Divisions H et J

[14]           Les arguments et observations des parties ainsi que les motifs de l’arbitre se ressemblaient beaucoup dans le cas de la décision Royer H et de la décision Royer J (les décisions Royer). Les décisions Royer reposaient sur les mêmes motifs que ceux de la décision Héroux, à quelques différences mineures près. Parmi les observations des demandeurs signalées par l’inspecteur Royer qui n’avaient pas été discutées dans la décision Héroux, mentionnons les suivantes :

1.                  Les répartiteurs devaient, selon le protocole, communiquer avec les membres des GTI par « téléavertissement collectif » lorsque le chef d’équipe le leur en donnait l’ordre, et tout appel était considéré comme une urgence. Une fois l’appel lancé aux membres des GTI, chacun d’entre eux avait l’obligation de répondre sans délai. Un appel ne pouvait être traité par un seul membre des GTI; tous les membres des GTI étaient donc sur appel. La politique de la division H prévoyait que [traduction] « chaque GTI est composé de 15 membres ». Jusqu’à maintenant, le délai de réponse le plus long d’un GTI a été de cinq heures;

2.                  Le chef de la division J touche une indemnité de disponibilité de niveau II, tout comme les membres du Groupe des crimes graves et des techniques de sécurité;

3.                  Les membres des GTI doivent exécuter des tâches autres que leurs fonctions habituelles, notamment en conservant un degré de forme physique élevé et en consacrant au moins dix heures par semaine à l’entraînement physique. Ils ne réclament aucune indemnité supplémentaire à ce titre.

Parmi les observations complémentaires formulées par le défendeur dans le cadre du grief, mentionnons les suivantes :

1.                  Les divisions des GTI en question répondent à une trentaine d’appels par année, mais réclament une indemnité de niveau II comme s’ils étaient disponibles en permanence. Les membres des GTI ne répondent pas à chaque appel; ils ne répondent aux appels que s’ils sont disponibles. Il est loisible à chaque membre de refuser un appel.

2.                  L’indemnité de disponibilité de niveau II vise à indemniser les membres qui se portent volontaires pour répondre sans délai en tant qu’intervenants de première ligne et pour offrir des services d’urgence à la population. Ces services se limitent normalement aux services généraux et aux unités municipales et s’appliquent aux unités dans des collectivités où il n’existe pas de quarts de travail de 24 heures et où l’on a besoin que des membres soient disponibles sans délai pour offrir des services de maintien de l’ordre d’urgence. Il n’y a habituellement qu’un seul membre en disponibilité de niveau II en permanence. L’indemnité de disponibilité de niveau II n’est autorisée qu’en fonction des besoins et les membres de ces unités ne reçoivent pas d’indemnité à temps plein.

3.                  Les membres du Groupe des crimes graves et des techniques de sécurité ont reçu une indemnité de disponibilité de niveau II, mais il n’y avait qu’une seule personne sur appel à un endroit donné. Les membres du GTI de la DG exercent leurs activités dans un milieu opérationnel bien précis qui est différent de celui des divisions en question.

4.                  Les membres qui ont adhéré à un GTI savaient qu’ils avaient à se rendre disponibles et à porter un téléavertisseur sans avoir droit à une rémunération supplémentaire.

[15]           De plus, les extraits suivants du Manuel des opérations tactiques de la GRC (MOT) ont été examinés :

MOT 5.F.2.a.              Le membre GTI doit :

MOT 5.F.2.a.7.           se conformer aux modalités établies, notamment porter l’équipement de protection approuvé.

MOT 5.G.2.                Le candidat GTI reçu doit :

MOT 5.G.2.f.              être exempt de phobies ou de problèmes personnels qui pourraient nuire à son rendement.

 

[16]           Les consignes suivantes, que l’on trouve dans le MA et dont il n’avait pas été question dans la décision Héroux, ont également été jugées pertinentes :

AM II.9.D.5.               On ne dérange pas le membre dans son temps libre, à moins d’en être contraint par les nécessités du service et par les responsabilités qui incombent au membre.

AM II.9.H.3                C. div. ou son représentant

AM II.9.H.3.e.            Si on croit que les autres solutions de rechange ne sont pas pratiques, autoriser la mise en disponibilité de membres en cas d’urgence, ou si le besoin est prévu.

[traduction]

AM‑2104   1.              Nous sommes tenus d’assurer à nos clients des services communautaires de maintien de l’ordre 24 heures par jour.

                   2.              a. L’indemnité de disponibilité de niveau II vise à indemniser les membres qui se portent volontaires pour répondre sans délai en tant qu’intervenants de première ligne et pour offrir des services de maintien de l’ordre d’urgence aux collectivités que nous desservons. Ces services se limitent normalement aux services généraux et aux unités municipales.

                                    b. La mise en disponibilité de niveau II s’applique aux unités où il n’existe pas de quarts de travail de 24 heures et où l’on a besoin que des membres soient disponibles sans délai pour offrir des services de maintien de l’ordre d’urgence et pour répondre aux appels en dehors des heures de service.

                   3.              Les membres participants des unités suivantes peuvent réclamer une indemnité de disponibilité de niveau II sous réserve de l’approbation de leur officier hiérarchique ou de son représentant :

                                    a. tous les détachements qui n’assurent pas une protection 24 heures sur 24;

                                    b. les unités opérationnelles spécialisées et les unités de soutien, au besoin;

                                    c. les unités fédérales, au besoin;

                                    Nota : Les heures de mise en disponibilité de niveau II doivent être approuvées par l’officier hiérarchique compétent.

[…]

 

[17]           L’inspecteur Royer a dressé la liste des questions principales qui lui étaient soumises en expliquant qu’il s’agissait de savoir si les demandeurs avaient reçu l’ordre de se rendre disponibles et si on les avait dérangés dans leur temps libre en s’attendant à ce qu’ils soient disponibles pour répondre aux urgences en tout temps.

[18]           En ce qui concerne la première question, l’inspecteur Royer a signalé que les demandeurs lui avaient cité l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Brooke c Canada (Sous‑commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [1993] ACF no 240 (CAF), 152 NR 231 [Brooke], au paragraphe 7 :

Un membre est en disponibilité quand il en reçoit l’ordre; ce n’est pas le bien‑fondé de l’ordre, mais l’ordre lui‑même qui le met en état de disponibilité. Il n’appartenait pas aux caporaux Brooke ou Browning ou à un autre membre de remettre en question la décision, manifestement approuvée par leur supérieur à l’échelon le plus élevé, de constituer le GSIU de manière qu’une équipe fût à tout moment en disponibilité au sens du sous‑alinéa H.8.a.2. Leur rôle était d’obéir aux ordres.

 

[19]           L’inspecteur Royer ne croyait pas que l’on pouvait établir un parallèle entre l’affaire Brooke et la présente espèce. Il a expliqué que, dans l’affaire Brooke, l’ordre d’être en disponibilité était [traduction] « non ambigu et avait été donné par écrit », qu’il était fondé sur des politiques précises applicables au GTI et qu’il énonçait certaines contraintes précises aux activités effectuées en dehors des heures de travail. L’inspecteur Royer a conclu que les demandeurs avaient adhéré au GTI de leur plein gré et qu’ils n’avaient donc pas reçu l’ordre d’être en état de disponibilité, de sorte que le raisonnement suivi dans l’arrêt Brooke ne s’appliquait pas.

[20]           Quant à la question de savoir si on avait dérangé de façon inacceptable les membres des GTI dans leur temps libre, l’inspecteur Royer a souligné qu’à la différence des membres du GTI de la DG, les demandeurs étaient d’abord et avant tout des policiers à temps plein assignés à leurs unités respectives. L’attachement des membres envers leur GTI est certes louable, mais leur décision d’y adhérer est de toute évidence une décision volontaire. L’inspecteur Royer a souligné que le demandeur avait admis que la latitude dont jouissent les membres des GTI n’était pas restreinte par leur appartenance à l’équipe et que leurs supérieurs leur avaient dit que leur temps libre leur appartenait véritablement et qu’ils pouvaient en disposer comme ils le souhaitaient.

[21]           L’inspecteur Royer a ensuite examiné la décision de la Cour fédérale Bramall c Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1999] ACF no 156 [Bramall] dans laquelle le demandeur avait l’obligation de porter un téléavertisseur et de prendre un véhicule appartenant à la GRC pour rentrer chez lui afin d’être prêt à répondre aux appels :

6          Le demandeur a contesté par voie de grief le refus de la GRC de lui verser une indemnité de disponibilité après que l’ordre d’annulation eut été donné en décembre 1990. Il n’a pas convaincu l’arbitre de grief au niveau II du bien‑fondé de sa thèse. Les principales conclusions que tire l’arbitre de grief au niveau II dans sa décision sont les suivantes (aux p. 19 et 20 du dossier du demandeur) :

 

[traduction]

a) Je conclus également que l’ordre d’annuler toutes les mises en disponibilité que l’OR/GTI a donné à la réunion qu’il a convoquée le 19 décembre 1990 visait tous les membres du GTI et toutes les unités de soutien. La Consigne supplémentaire 6 a effectivement cessé d’exister et l’obligation d’être en état de préparation opérationnelle à n’importe quelle heure de la journée a disparu. [...] Je suis convaincu que le membre s’estimant lésé n’était pas tenu de demeurer disponible et en mesure d’assumer immédiatement le travail après que l’OR/GTI eut donné l’ordre, le 19 décembre 1990, de mettre fin à toutes les mises en disponibilité.

 

b) La description de travail du membre s’estimant lésé exigeait que le titulaire porte un téléavertisseur et prenne un véhicule appartenant à la GRC pour rentrer chez lui. Elle précisait en outre que « le titulaire ne reçoit aucune indemnité de disponibilité calculée au taux des heures supplémentaires en raison de cette exigence ». [Non souligné dans l’original.] Selon moi, cette dernière phrase veut dire qu’on ne devrait pas spécifiquement assimiler l’obligation de porter un téléavertisseur et l’obligation de prendre un véhicule de la GRC pour rentrer chez soi à un ordre de demeurer en disponibilité. Bien que ces deux exigences puissent être représentatives de l’importance de la fonction exercée par le titulaire, elles ne constituent en aucune façon un ordre implicite d’être en disponibilité. [...]

 

c) Je conclus qu’un membre n’est en disponibilité que si l’ordre est suffisamment explicite pour qu’une personne raisonnable qui examine cet ordre et les circonstances puisse parvenir à la conclusion que ce membre ne pouvait qu’être en disponibilité. L’obligation de porter un téléavertisseur, un téléphone cellulaire ou des appareils utilisés dans le métier, ou l’obligation de prendre un véhicule de la Gendarmerie sont insuffisantes en elles‑mêmes pour constituer un ordre de mise en disponibilité.

 

            [Italiques de l’inspecteur Royer]

 

(…)     

 

10          L’avocate du demandeur a prétendu que la décision contestée touche le droit et les faits […] Toutefois, je n’interviendrais pas même s’il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire commandant un moins haut degré de retenue. La décision visée par le contrôle n’est ni « déraisonnable », ni « manifestement erronée » (Southam, aux paragraphes 56 et 60).

 

[22]           L’inspecteur Royer a souscrit à la décision Bramall et a conclu qu’on n’avait pas dérangé les demandeurs dans leur temps libre, et qu’aucune attente qu’ils demeurent en disponibilité n’avait été créée. Il a affirmé que la personne raisonnable qui examinerait la situation ne conclurait pas que les demandeurs n’avaient d’autre choix que d’être en disponibilité.

[23]           L’inspecteur Royer a conclu que les demandeurs n’avaient [traduction] « pas reçu l’ordre d’être en disponibilité et que la direction n’avait rien fait pour que les membres du GTI s’attendent, implicitement ou explicitement, à ce qu’on les que l’on dérange dans leur temps libre et ne s’attendait pas par la suite à ce qu’ils répondent volontairement aux appels et soient disponibles en tout temps ». En examinant leur plainte, l’inspecteur Royer a conclu qu’essentiellement, les demandeurs n’étaient pas prêts à accepter les politiques existantes régissant les GTI et le recours à la mise en disponibilité. L’inspecteur Royer a rejeté le grief sur le fond.

QUESTIONS EN LITIGE

[24]           Les demandeurs soulèvent formellement les questions suivantes dans le cadre de la présente demande :

a.                   Les arbitres des griefs ont‑ils commis une erreur dans leur application des politiques de la GRC?

b.                  Les arbitres des griefs ont‑ils fondé leur décision sur des conclusions de fait erronées?

c.                   Les décisions rendues en réponse aux griefs étaient‑elles déraisonnables?

 

[25]           Les demandeurs affirment que toutes les questions susmentionnées devraient être assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable. Les questions en litige se résument donc à celle de savoir si les décisions rendues en réponse au grief étaient raisonnables.

 

NORME DE CONTRÔLE

[26]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question que la Cour doit examiner est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision procédera à l’examen des quatre facteurs qui constituent l’analyse relative à la norme de contrôle.

[27]           Dans l’arrêt Millard c Canada (Procureur général), [2000] ACF no 279, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’interprétation que le commissaire de la GRC avait faite du Manuel d’administration de la GRC était assujettie à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable. Le juge Yves de Montigny est parvenu à la même conclusion dans la décision Sinclair c Canada (Procureur général), 2006 CF 528, au paragraphe 27. La question qui nous est soumise vise des différends portant sur les faits et l’interprétation, par la GRC, de ses propres politiques internes. Ainsi que la Cour suprême le déclare, dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 51, en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la déférence est de mise. La norme de contrôle applicable en l’espèce est donc celle de la décision raisonnable.

[28]           Lors du contrôle d’une décision d’après la norme de la décision raisonnable, la Cour s’attachera, dans son analyse, « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour n’interviendra que si la décision contestée était déraisonnable parce qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[29]           Les dispositions suivantes de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LR, 1985, c R‑10 s’appliquent à la présente instance :

(1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), un membre à qui une décision, un acte ou une omission liés à la gestion des affaires de la Gendarmerie causent un préjudice peut présenter son grief par écrit à chacun des niveaux que prévoit la procédure applicable aux griefs prévue à la présente partie dans le cas où la présente loi, ses règlements ou les consignes du commissaire ne prévoient aucune autre procédure pour corriger ce préjudice.

 

(2) Un grief visé à la présente partie doit être présenté :

 

a) au premier niveau de la procédure applicable aux griefs, dans les trente jours suivant celui où le membre qui a subi un préjudice a connu ou aurait normalement dû connaître la décision, l’acte ou l’omission donnant lieu au grief;

 

b) à tous les autres niveaux de la procédure applicable aux griefs, dans les quatorze jours suivant la signification au membre de la décision relative au grief rendue par le niveau inférieur immédiat.

 

 

(3) Ne peut faire l’objet d’un grief en vertu de la présente partie une nomination faite par le commissaire à un poste visé au paragraphe (7).

 

 

(4) Sous réserve des restrictions prescrites conformément à l’alinéa 36b), le membre qui présente un grief peut consulter la documentation pertinente placée sous la responsabilité de la Gendarmerie et dont il a besoin pour bien présenter son grief.

 

(5) Le fait qu’un membre présente un grief en vertu de la présente partie ne doit entraîner aucune peine disciplinaire ni aucune autre sanction relativement à son emploi ou à la durée de son emploi dans la Gendarmerie.

 

(6) Le membre qui constitue un niveau de la procédure applicable aux griefs rend une décision écrite et motivée dans les meilleurs délais possible après la présentation et l’étude du grief, et en signifie copie au membre intéressé, ainsi qu’au président du Comité en cas de renvoi devant le Comité en vertu de l’article 33.

 

 

 

 

 

 

(7) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, déterminer, pour l’application du paragraphe (3), les postes dont le titulaire relève du commissaire, directement ou par l’intermédiaire d’une autre personne.

 

(1) Le commissaire constitue le dernier niveau de la procédure applicable aux griefs; sa décision est définitive et exécutoire et, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales, n’est pas susceptible d’appel ou de révision en justice.

 

(2) Le commissaire n’est pas lié par les conclusions ou les recommandations contenues dans un rapport portant sur un grief renvoyé devant le Comité conformément à l’article 33; s’il choisit de s’en écarter, il doit toutefois motiver son choix dans sa décision.

 

 

 

 

(3) Par dérogation au paragraphe (1), le commissaire peut annuler ou modifier sa décision à l’égard d’un grief visé à la présente partie si de nouveaux faits lui sont soumis ou s’il constate avoir fondé sa décision sur une erreur de fait ou de droit.

 

(1) Subject to subsections (2) and (3), where any member is aggrieved by any decision, act or omission in the administration of the affairs of the Force in respect of which no other process for redress is provided by this Act, the regulations or the Commissioner’s standing orders, the member is entitled to present the grievance in writing at each of the levels, up to and including the final level, in the grievance process provided for by this Part.

 

 

(2) A grievance under this Part must be presented

 

(a) at the initial level in the grievance process, within thirty days after the day on which the aggrieved member knew or reasonably ought to have known of the decision, act or omission giving rise to the grievance; and

 

 

(b) at the second and any succeeding level in the grievance process, within fourteen days after the day the aggrieved member is served with the decision of the immediately preceding level in respect of the grievance.

 

(3) No appointment by the Commissioner to a position prescribed pursuant to subsection (7) may be the subject of a grievance under this Part.

 

(4) Subject to any limitations prescribed pursuant to paragraph 36(b), any member presenting a grievance shall be granted access to such written or documentary information under the control of the Force and relevant to the grievance as the member reasonably requires to properly present it.

 

(5) No member shall be disciplined or otherwise penalized in relation to employment or any term of employment in the Force for exercising the right under this Part to present a grievance.

 

 

(6) As soon as possible after the presentation and consideration of a grievance at any level in the grievance process, the member constituting the level shall render a decision in writing as to the disposition of the grievance, including reasons for the decision, and serve the member presenting the grievance and, if the grievance has been referred to the Committee pursuant to section 33, the Committee Chairman with a copy of the decision.

 

(7) The Governor in Council may make regulations prescribing for the purposes of subsection (3) any position in the Force that reports to the Commissioner either directly or through one other person.

 

 

(1) The Commissioner constitutes the final level in the grievance process and the Commissioner’s decision in respect of any grievance is final and binding and, except for judicial review under the Federal Courts Act, is not subject to appeal to or review by any court.

 

(2) The Commissioner is not bound to act on any findings or recommendations set out in a report with respect to a grievance referred to the Committee under section 33, but if the Commissioner does not so act, the Commissioner shall include in the decision on the disposition of the grievance the reasons for not so acting.

 

(3) Notwithstanding subsection (1), the Commissioner may rescind or amend the Commissioner’s decision in respect of a grievance under this Part on the presentation to the Commissioner of new facts or where, with respect to the finding of any fact or the interpretation of any law, the Commissioner determines that an error was made in reaching the decision.

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Les demandeurs

            Interprétation des politiques de la GRC – Caractère volontaire

 

[30]           Les demandeurs citent la définition de « mise en disponibilité de niveau II » que l’on trouve à l’article II.9.E.1.i. du MA :

niveau II de disponibilité : s’applique lorsqu’un membre se rend disponible pour le service à relativement brève échéance, à un endroit indiqué (souligné par les demandeurs).

Les demandeurs mettent cette définition en contraste le « niveau I de disponibilité », lequel n’est pas volontaire. La définition de « niveau I de disponibilité » que l’on trouve à l’article II.4.I.8.a.2 du MA est la suivante :

niveau I de disponibilité : s’applique lorsqu’un membre a l’ordre de demeurer disponible et est apte à intervenir immédiatement en cas de nécessité (souligné par les demandeurs).

[31]           Les demandeurs affirment que le surintendant Héroux et l’inspecteur Royer ont tous les deux commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas droit à une indemnité de disponibilité de niveau II parce qu’ils avaient adhéré de leur plein gré au GTI. La mise en disponibilité de niveau II est, par définition, volontaire.

[32]           Quant à l’arrêt Brooke analysée par l’inspecteur Royer, la définition qu’on y trouve de la mise en disponibilité dans le cas des membres des groupes spéciaux d’intervention d’urgence (GSIU) est pratiquement identique à celle que le MA donne de la mise en disponibilité de niveau I. Cette définition prévoyait ce qui suit : « un membre est en disponibilité lorsqu’il a reçu l’ordre de demeurer disponible et est en mesure d’assumer le travail immédiatement ». L’observation de la Cour d’appel fédérale suivant laquelle « un membre est en disponibilité quand il en reçoit l’ordre » ne s’applique pas à une mise en disponibilité volontaire, c’est‑à‑dire à une mise en disponibilité de niveau II.

Interprétation des politiques de la GRC – Autorisation de mise en disponibilité de niveau II

[33]           Le surintendant Héroux et l’inspecteur Royer ont tous les deux estimé que la décision de mettre un membre en disponibilité au niveau II était une décision de gestion qui devait être prise en tenant compte de considérations politiques et budgétaires. Il a été jugé qu’il n’y avait pas de demande de mise en disponibilité des demandeurs au niveau II et que cette mise en disponibilité n’avait pas été approuvée. Les demandeurs citent l’arrêt Brooke et affirment que la question n’est pas de savoir s’il y a eu autorisation de mise en disponibilité, mais bien de savoir si les demandeurs étaient effectivement en disponibilité. Les demandeurs citent notamment les extraits suivants de l’arrêt Brooke :

7          Quant aux deuxième et troisième éléments, ils caractérisent certes l’autorisation de mise en disponibilité, mais n’ont aucun rapport avec la question que l’intimé devait trancher, savoir si les membres du GSIU étaient effectivement en disponibilité vu les circonstances de la cause. C’est à l’officier donnant l’ordre, et non à ceux qui reçoivent cet ordre, de prendre en considération les facteurs prescrits. Un membre est en disponibilité quand il en reçoit l’ordre; ce n’est pas le bien‑fondé de l’ordre, mais l’ordre lui‑même qui le met en état de disponibilité. Il n’appartenait pas aux caporaux Brooke ou Browning ou à un autre membre de remettre en question la décision, manifestement approuvée par leur supérieur à l’échelon le plus élevé, de constituer le GSIU de manière qu’une équipe fût à tout moment en disponibilité au sens du sous‑alinéa H.8.a.2. Leur rôle était d’obéir aux ordres.

 

[…]

 

10        Les facteurs que l’intimé a pris en considération et qui l’ont amené à conclure que le requérant n’était pas en disponibilité parce que l’officier qui a donné cet ordre n’y était pas habilité n’ont rien à voir avec la question de savoir si le requérant a reçu l’ordre « de demeurer disponible et [était] en mesure d’assumer le travail immédiatement ». L’intimé a commis une erreur de droit en fondant sa décision sur ces facteurs. Si l’intimé avait raison de conclure que l’OR/GSIU n’avait pas l’autorisation de mettre les membres en disponibilité question sur laquelle il n’est pas nécessaire que la Cour prononce ‑‑ le résultat en était, non pas que ceux‑ci n’avaient pas été mis en disponibilité, mais que l’ordre donné à cet effet était illégal. La sanction ne consiste pas à refuser l’indemnité à ceux qui ont obéi et n’avaient pas le droit de contester les ordres reçus avant de subir des inconvénients qui leur donnaient droit à l’indemnité […]

 

 

[34]           Les demandeurs se sont vu remettre des téléavertisseurs qu’ils devaient garder sur eux en tout temps pour pouvoir être en mesure de répondre sans délai aux urgences. Les demandeurs affirment que cette obligation a eu pour effet de les mettre en disponibilité et que le surintendant Héroux et l’inspecteur Royer ont commis une erreur en fondant leurs décisions sur la question de savoir si leurs supérieurs avaient autorisé leur mise en disponibilité.

A‑t‑on dérangé les demandeurs dans leur temps libre?

[35]           Les demandeurs citent l’article II.9.D.5 du MA, qui prévoit ce qui suit : « On ne dérange pas le membre dans son temps libre, à moins d’en être contraint par les nécessités du service et par les responsabilités qui incombent au membre ». Les demandeurs résument également l’arrêt Brooke en affirmant qu’un membre est en disponibilité lorsqu’il : (1) est tenu d’être en état de préparation et d’aptitude opérationnelles, pour activation, déploiement et engagement à n’importe quelle heure de la journée, même pendant les fins de semaine et les jours fériés »; (2) est tenu d’être accessible à tout moment par téléphone; (3) est tenu de s’abstenir de toute activité dont la nature ou le lieu l’empêcherait de répondre promptement aux appels d’urgence. Les demandeurs affirment que toute conclusion contraire constitue une conclusion de droit erronée tirée de façon abusive ou arbitraire.

[36]           Les décisions ont confirmé que les membres des GTI devaient avoir leur téléavertisseur sur eux en tout temps et être disposés à répondre aux urgences à tout moment, peu importe ce qu’ils étaient en train de faire. Les demandeurs affirment que, comme dans l’affaire Brooke, les membres des GTI sont nécessairement tenus d’être en état de préparation et d’aptitude opérationnelles pour activation en tout temps et de s’abstenir de toute activité dont la nature ou le lieu les empêcheraient de répondre promptement aux appels d’urgence. Les demandeurs satisfont à l’exigence de la définition de niveau II de disponibilité du fait qu’ils se rendent « disponibles pour le service à relativement brève échéance ».

[37]           Les demandeurs affirment qu’il y a lieu d’établir une distinction entre l’affaire Bramall citée par l’inspecteur Royer et la présente espèce. Dans l’affaire en question, un ordre verbal avait été donné en décembre 2001 pour annuler l’état de disponibilité des membres du GSIU. M. Bramall soutenait que le défaut de ses supérieurs de l’informer de cet ordre d’annulation, ajouté à l’obligation qui lui était faite de porter un téléavertisseur pendant ses heures libres, signifiait qu’il continuait à être en disponibilité après décembre 2011. La décision rendue dans cette affaire était fondée sur la conclusion que, même si M. Bramall avait l’obligation de porter un téléavertisseur, il n’était pas en fait tenu de répondre aux appels d’urgence du GSIU. En revanche, les demandeurs ont l’obligation d’abandonner ce qu’ils sont en train de faire pour répondre immédiatement à tout appel du GTI. Les demandeurs soutiennent qu’on les a dérangés dans leur temps libre pour cette raison et que le surintendant Héroux et l’inspecteur Royer ont commis une erreur en tirant une conclusion différente.

Endroits indiqués

[38]           Le surintendant Héroux a fondé en partie sa décision sur sa conclusion que [traduction] « le c. div. ou son représentant n’a pas indiqué d’endroit où la mise en disponibilité du niveau II avait été autorisée pour les GTI ». Il a conclu que la définition de mise en disponibilité de niveau II (voir plus haut) exigeait qu’il y ait un endroit indiqué autorisé pour la mise en disponibilité.

[39]           Les demandeurs soutiennent que la nature des situations d’urgence auxquelles répondent les GTI fait en sorte que le temps et les coordonnées exactes des incidents sont nécessairement inconnus et imprévisibles. Toutefois, chaque GTI relève d’une région désignée et répond aux urgences uniquement sur le territoire de cette région; dans le cas de la division J, cette région est le Nouveau‑Brunswick; dans le cas de la division H, cette région est la Nouvelle‑Écosse. La division K compte toutefois trois GTI dont chacune vise une région déterminée de l’Alberta. Par conséquent, il existe des endroits indiqués où un membre des GTI peut être appelé à se présenter.

[40]           Il n’est pas possible d’approuver à l’avance les coordonnées exactes des urgences auxquelles un GTI devra répondre, mais il faut nécessairement que, lorsqu’ils sont appelés à intervenir, les membres des GTI soient implicitement autorisés à se présenter à l’endroit de la région du GTI qui exige un soutien armé tactique. Les demandeurs soutiennent que l’absence d’« endroit indiqué » était un motif déraisonnable sur lequel le surintendant Héroux a fondé sa décision.

[41]           En somme, les demandeurs affirment que les décisions de refuser de leur verser une indemnité de disponibilité de niveau II étaient déraisonnables, reposaient sur des conclusions de fait erronées et n’appartenaient pas aux issues possibles acceptables. Les demandeurs demandent l’annulation des décisions et leur renvoi au commissaire de la GRC pour qu’il rende de nouvelles décisions.

 

Le défendeur

A‑t‑on dérangé les demandeurs dans leur temps libre?

[42]           Le défendeur affirme que ce que l’inspecteur Royer cherchait à démontrer en citant l’arrêt Bramall était qu’à lui seul, le port d’un téléavertisseur ne suffisait pas pour constituer une mise en disponibilité. Pour qu’il y ait disponibilité, il doit y avoir une décision de la gestion qui concrétise ce statut. Contrairement à l’interprétation que les demandeurs en font, l’arrêt Bramall démontre clairement que les exigences auxquelles les membres des GTI sont assujettis ne sont pas suffisantes pour qu’on puisse les considérer comme étant en disponibilité au niveau II.

[43]           Le défendeur souligne que, dans l’affaire Brooke, on avait conclu qu’un ordre de mise en disponibilité des membres du GTI avait été donné. Dans le cas qui nous occupe, plusieurs critères doivent être respectés avant qu’on puisse conclure à une mise en disponibilité de niveau II, comprenant un ordre indiquant un endroit déterminé, ce qui n’a pas été fait. Les arbitres ont raisonnablement conclu qu’il n’existait pas d’ordre ou d’approbation de mise en disponibilité de niveau II, de sorte que le raisonnement suivi dans l’arrêt Brooke ne s’applique pas en l’espèce.

Endroits indiqués

[44]           Le défendeur affirme qu’il faut qu’un endroit ait été indiqué pour qu’il y ait mise en disponibilité de niveau II. Or, rien ne permet de penser qu’une telle approbation a été donnée en l’espèce. Le simple fait d’appartenir à un GTI ne saurait être considéré comme une indication d’un endroit au sens de la politique. Interprétée dans son ensemble, la politique relative à la mise en disponibilité exige clairement qu’une mesure précise soit prise par le directeur, le c. div. ou leur représentant pour indiquer les endroits où une mise en disponibilité est exigée sur le plan opérationnel. Les consignes sont incompatibles avec toute interprétation suivant laquelle les membres des GTI sont en disponibilité du seul fait qu’ils font partie de ce groupe.

[45]           Le défendeur fait également valoir que l’inspecteur Royer n’a pas expressément fait état du fait qu’aucun endroit n’avait été indiqué pour justifier ses décisions, mais qu’il y a fait allusion implicitement. L’inspecteur Royer a déclaré que le GTI ne satisfaisait pas aux exigences de l’article II.4.1.8.a.3. du MA, qui précise qu’un endroit indiqué doit être approuvé pour qu’il y ait mise en disponibilité. L’inspecteur a également fait observer dans sa décision Royer J que la politique exigeait une décision de la direction indiquant un endroit déterminé avant pour qu’il y ait mise en disponibilité de niveau II. Le défendeur affirme qu’il était raisonnable de conclure que l’Alberta, la Nouvelle‑Écosse et le Nouveau‑Brunswick ne constituaient pas des « endroits » au sens de la politique de mise en disponibilité de niveau II.

Déférence à l’égard des décisions

[46]           Le défendeur affirme qu’il y a lieu de faire preuve de déférence envers les décisions rendues en l’espèce. Les arbitres sont des hauts fonctionnaires de la GRC qui interprètent une politique relative au déploiement des agents de police dans un contexte qui leur est familier. Les deux arbitres ont exposé en détail l’ensemble des faits et des arguments présentés et ont discuté du point de vue des deux parties au débat. Ils ont exposé des raisons convaincantes pour conclure à l’existence de certains faits et pour parvenir à une conclusion, et il convient de respecter leurs décisions.

[47]           Le défendeur signale que nul ne conteste le fait que les membres des GTI sont des volontaires et que la nature de leurs fonctions exige qu’ils se rendent disponibles à brève échéance. Ainsi qu’il a été jugé dans l’arrêt Chen c Law Society (Manitoba), 2000 MBCA 26, même si les motifs exposés ne sont pas parfaits, la décision à l’examen ne devrait pas être infirmée dès lors qu’il est possible de comprendre pourquoi et comment le tribunal y est parvenu. Les arbitres ont estimé de façon raisonnable que le fait d’appartenir au GTI était insuffisant à lui seul pour concrétiser une mise en disponibilité de niveau II. Si l’on retenait les arguments des demandeurs, il s’ensuivrait que chaque membre d’un GTI recevrait une heure de paye pour chaque période de huit heures dès lors qu’il est membre du GTI, ce qui contredit de toute évidence les politiques de la GRC. Le défendeur affirme que les décisions étaient raisonnables et qu’elles ne devraient pas être modifiées.

ANALYSE

[48]           Pour défendre les décisions, le défendeur soutient que, même si les membres des GTI sont de facto en disponibilité, ils sont, par déduction raisonnable, soustraits à l’application des politiques relatives au solde et aux indemnités. Le défendeur affirme que le GTI ne cadre pas avec le modèle de mise en disponibilité prévu par les politiques. Il s’ensuit, selon le défendeur, que – contrairement à ce que prétendent les demandeurs –, il ne peut y avoir de mise en disponibilité permanente et qu’il n’y a mise en disponibilité au sens de la politique que lorsque la direction décide de l’activer. Or, aucune activation n’a eu lieu dans le cas des membres du GTI en question; aucun c. div. ou représentant de ce dernier n’a autorisé la mise en disponibilité des membres du GTI et aucune approbation d’un endroit où les membres des GTI devaient être déployés n’a été accordée. En d’autres termes, le défendeur affirme que la politique applicable en matière de solde et d’indemnités n’a jamais été censée s’appliquer aux membres des GTI, comme la lecture de cette politique le démontre clairement. Les membres se portent volontaires pour faire partie des GTI en sachant parfaitement bien qu’ils ne recevront pas d’indemnité de disponibilité de niveau II lorsqu’ils ne sont pas en service. Le défendeur affirme qu’ils ne peuvent se livrer maintenant à une lecture biaisée de la politique pour bénéficier du statut d’employé en disponibilité permanente et pour recevoir une indemnité à laquelle ils n’ont pas droit.

[49]           La première question à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir si les raisons que donne maintenant le défendeur pour refuser de reconnaître le statut de membres en disponibilité de niveau II aux membres du GTI peuvent être acceptées comme motifs justifiant les décisions.

La décision Héroux

[50]           La décision Héroux, qui porte sur la division K, reconnaît certains arguments formulés par le défendeur dans le cadre du grief qui se rapportent à l’argument général susmentionné :

-                      les GTI offrent du soutien aux membres « de première ligne »; par conséquent, les GTI ne sont pas le service qui est appelé en premier. La division a reconnu la valeur ajoutée que les GTI représentent pour les services policiers;

-                      les modalités prévues à l’article II.9.E du MA n’ouvrent pas droit automatiquement à une indemnité de disponibilité pour les membres des GTI : on doit d’abord leur demander de se rendre disponibles pour répondre à une urgence. Les modalités de l’article II.9.E du MA visent les services « de première ligne »;

-                      les services des GTI ont un aspect « urgence » et on ne doit y recourir qu’avec modération;

-                      les GTI sont des groupes volontaires dont les membres expriment de plein gré le désir d’en être membres. La Division a clairement mentionné ses attentes et chacun des membres des GTI était au courant de celles‑ci;

-                      la division K n’a pas désigné les GTI comme « endroit » de mise en disponibilité de niveau II. Les membres des GTI étaient indemnisés pour le temps passé en déploiement.

[51]           Voici les motifs invoqués par l’arbitre pour justifier ses conclusions, ainsi que le raisonnement suivi pour la décision Héroux relative à la division K :

[traduction]

Troisièmement, mon examen de la politique applicable et du dossier m’a permis de conclure ce qui suit :

         Le plaignant n’a pas remis en question le pouvoir du défendeur dans le cadre du grief de prendre la décision contestée;

         Le plaignant s’est porté volontaire pour devenir membre du GTI;

         Rien ne permet de penser que le commandant ou c. div. du plaignant avait demandé au c. div. ou à son représentant que le plaignant soit mis en disponibilité et/ou que le c. div. ou son représentant a approuvé cette mise en disponibilité;

         À la division K :

-                      le c. div. ou son représentant n’ont pas identifié d’endroit où la mise en disponibilité de niveau II était autorisée pour les GTI;

 

-                      il existait des moyens de communication pour joindre les membres du GTI pour éviter leur mise en disponibilité, ainsi qu’il est mentionné dans les observations du plaignant au sujet de la mise en disponibilité de niveau I (c.‑à‑d., le port d’un téléavertisseur, le respect d’un protocole pour la répartition aux centres de communication par l’intermédiaire d’une « radiocommunication collective » et l’inscription à registre destiné au GTI par le biais du SIRI);

 

 

         Le fait d’avoir sur soi un téléavertisseur ou un téléphone cellulaire après ses heures de travail normales pour pouvoir être accessible en cas d’urgence ne donnait pas droit automatiquement à une indemnité de disponibilité de niveau II;

         Le plaignant a soumis très peu de renseignements pour appuyer son argument qu’il avait été traité de façon inéquitable en faisant allusion au chef du GTI de la division J et aux membres du GTI de la direction générale qui recevraient une indemnité de disponibilité de niveau II, ce à quoi le défendeur dans le cadre du grief a rétorqué qu’aucune attente semblable n’existait dans le cas de la division K;

         Le plaignant conteste la politique qui exige que le c. div. ou son représentant ou le directeur indiquent des endroits approuvés pour la mise en disponibilité alors qu’il affirme par ailleurs que l’application de cette désignation aux membres des GTI est illogique parce qu’ils ne travaillent pas à un endroit « déterminé »;

         Rien ne permet de penser que le défendeur dans le cadre du grief a amené le plaignant à croire que la mise en disponibilité de niveau II s’appliquait dans son cas.

 

[52]           Le caractère volontaire de l’appartenance au GTI est clairement un des facteurs qui a joué dans cette décision. Toutefois, dans cette décision, le caractère volontaire s’entend de la décision initiale d’adhérer au GTI : [traduction] « Le plaignant s’est porté lui‑même volontaire pour devenir membre des GTI ». Les demandeurs affirment que [traduction] « la mise en disponibilité de niveau II est, par définition, volontaire » comme le démontre clairement la définition de l’expression « niveau II de disponibilité » à l’article 9.E.1.i. du MA. Je ne crois pas que le surintendant Héroux ait affirmé que le caractère volontaire ne faisait pas partie de la définition. Il a souligné que les membres avaient choisi de devenir membres des GTI et qu’ils choisissaient de recevoir le niveau d’indemnité que la politique leur permettait de recevoir. Il n’y a rien qui se démarque avec le niveau I de disponibilité à cet égard.

[53]           Dans le même ordre d’idées, lorsque le surintendant Héroux explique que [traduction] « le fait d’avoir sur soi un téléavertisseur ou un téléphone cellulaire après ses heures normales de travail pour pouvoir être joint en cas d’urgence n’ouvre pas droit à une indemnité de disponibilité de niveau II », je ne crois pas qu’il expliquait que le fait d’appartenir à un GTI impliquait d’être « dérangé dans son temps libre ». Le surintendant Héroux ne s’est pas attardé au caractère de facto de l’appartenance à un GTI. Les motifs de sa décision révèlent dans l’ensemble qu’il s’est concentré sur l’interprétation d’une politique qui n’était pas censée s’appliquer selon lui aux GTI, ce qui correspond en gros à l’argument invoqué par le défendeur dans la présente demande. Le surintendant Héroux était nettement conscient de la définition du niveau II de disponibilité parce qu’il la cite dans sa décision.

[54]           Lorsqu’il tire sa conclusion, le surintendant Héroux reconnaît – ce qui permet de penser qu’il s’est clairement concentré sur l’ensemble de la politique – que la « politique de mise en disponibilité » [traduction] « constitue un outil de gestion comportant d’importantes incidences sur le budget de la GRC et sur la vie personnelle des membres pendant leurs heures libres, comme les restrictions imposées à l’activation de la mise en disponibilité permettent de le penser ». Le surintendant Héroux reconnaît donc que le fait d’appartenir à un GTI suppose que l’on soit jusqu’à un certain point « dérangé dans son temps libre ».

[55]           En ce qui concerne le caractère volontaire, le surintendant Héroux conclut que [traduction] « le plaignant n’est pas prêt à accepter le fait qu’il a adhéré au GTI de son plein gré et à prendre acte des politiques actuelles régissant les GTI ».

[56]           On ne peut accuser le surintendant Héroux de ne pas avoir reconnu que le caractère volontaire faisait partie de la définition du niveau II de disponibilité. Le surintendant Héroux situe le caractère volontaire et le fait d’être dérangé dans ses temps libres dans le contexte de l’ensemble de la politique et conclut que, même si les membres des GTI se rendent eux‑mêmes volontairement disponibles pour le travail et qu’ils sont dérangés dans leur temps libre en raison des exigences du rôle qu’ils jouent au sein de la GTI, l’indemnité de disponibilité de niveau II doit, suivant la politique, être activée et autorisée selon certaines modalités. En particulier, rien ne permet de penser que le [traduction] « le commandant ou c. div. du plaignant avait demandé au c. div. ou à son représentant que le plaignant soit mis en disponibilité et/ou que le c. div. ou son représentant a approuvé cette mise en disponibilité ».

[57]           Les demandeurs font valoir que leur statut d’employés en disponibilité de facto est bien connu et que leur c. div. l’a, tout comme chacune des personnes faisant partie de la hiérarchie de la GRC, reconnu, de sorte qu’il y a lieu de considérer que cette mise en disponibilité a été autorisée. Toutefois, le surintendant Héroux affirme que, suivant la politique, le statut de mise en disponibilité de niveau II exige un formalisme qui n’existe pas dans le cas qui nous occupe. Il ressort en effet clairement de la politique que le commandant a l’obligation, suivant l’article II.9.H.2.a du MA, « [a]près avoir envisagé toute autre possibilité, [de] demander au c. div. ou à son représentant l’autorisation de mettre les membres en disponibilité ». Suivant l’article II.9.H.3.a, le c. div. ou son représentant doit « [d]ans la mesure du possible, éviter toute mise en disponibilité » et ne doit « pas approuver la mise en disponibilité permanente d’un membre », suivant l’article II.9.H.3 du MA.

[58]           Dans le cas qui nous occupe, il est évident que le concept de GTI ne cadre pas avec les directives en question de la politique. Les membres sont de facto soumis à une forme de mise en disponibilité permanente qui, suivant la politique, ne peut être approuvée. De plus, il n’y a pas eu de demande d’autorisation.

[59]           Ces considérations viennent accréditer la thèse du défendeur suivant laquelle la politique n’a jamais été censée s’appliquer à la situation des GTI, que les membres des GTI le savaient lorsqu’ils se sont portés volontaires et qu’ils ont donc accepté l’indemnité qu’ils recevraient et, enfin, que les plaignants de la division K cherchent à s’approprier la définition niveau II de disponibilité de l’article II.9 du MA sans tenir compte du contexte plus large de l’ensemble de la politique.

[60]           Je crois également que c’est le raisonnement qu’a suivi le surintendant Héroux dans sa décision relative à la division K. Cette décision ne nie pas les réalités du rôle que jouent les GTI. Lorsque le surintendant Héroux parle du caractère volontaire, il n’affirme pas seulement que les membres des GTI acceptent d’être de facto en disponibilité; il affirme également qu’ils acceptent de leur plein gré de ne pas être payés en fonction de la rémunération applicable aux personnes en disponibilité au niveau II parce que, si l’on tient compte de l’ensemble de son contexte, la politique n’est pas censée s’appliquer au GTI et prévoit que la mise en disponibilité de niveau II n’est utilisée que dans des cas très limités.

[61]           Les demandeurs citent l’arrêt Brooke et affirment que [traduction] « pour déterminer si un membre a droit à une indemnité de disponibilité, il ne faut pas se demander si l’ordre était dûment autorisé, mais bien si le membre était effectivement en état de disponibilité ».

[62]           Suivant les dispositions applicables du Manuel d’administration dont il était question dans l’affaire Brooke, la mise en disponibilité ne pouvait être autorisée que lorsqu’il existe une situation d’urgence ou des circonstances exigeant que les membres soient mis en disponibilité, ce qui exclut toute mise en disponibilité permanente et continue. Voici ce que la Cour a déclaré sur ce point, aux paragraphes 7 et 10 de l’arrêt Brooke :

C’est à l’officier donnant l’ordre, et non à ceux qui reçoivent cet ordre, de prendre en considération les facteurs prescrits. Un membre est en disponibilité quand il en reçoit l’ordre; ce n’est pas le bien‑fondé de l’ordre, mais l’ordre lui‑même qui le met en état de disponibilité.

 

[…]

 

Les facteurs que l’intimé a pris en considération et qui l’ont amené à conclure que le requérant n’était pas en disponibilité parce que l’officier qui a donné cet ordre n’y était pas habilité n’ont rien à voir avec la question de savoir si le requérant a reçu l’ordre « de demeurer disponible et [était] en mesure d’assumer le travail immédiatement ».

 

 

[63]           Dans le cas qui nous occupe, aucun ordre (bien fondé ou non) n’a été donné pour mettre les membres du GTI de la division K en état de disponibilité. L’argument des demandeurs est qu’ils sont de facto en disponibilité et que ce fait est bien connu et est autorisé par toute personne dont l’autorisation est requise. Mais cette situation est différente de celle qui existait dans l’affaire Brooke. Dans le cas qui nous occupe, la réalité de facto de ce que font les membres des GTI et l’approbation de ce rôle par la hiérarchie de la GRC ne sont pas remises en question dans la décision Héroux. La question qui se pose est celle de savoir si la politique du MA dans son ensemble autorise le versement d’une indemnité de disponibilité de niveau II aux membres du GTI de la division K. Dans sa décision, le surintendant Héroux répond par la négative à cette question. Les membres du GTI ne se sont jamais vu attribuer le statut d’employés en disponibilité au niveau II au sens de la politique et, lorsqu’ils ont adhéré au GTI, ils étaient parfaitement au courant de cette situation et l’ont acceptée de leur plein gré.

[64]           À mon avis, on ne sait pas avec certitude de quelle façon le statut des membres des GTI est censé cadrer avec la politique du MA. Toutefois, compte tenu de la preuve et des arguments soumis au surintendant Héroux, je ne puis affirmer que les conclusions que ce dernier a tirées étaient déraisonnables. À mon avis, le surintendant Héroux a suffisamment justifié sa décision, le processus décisionnel qu’il a suivi était suffisamment transparent et intelligible et la décision qu’il a rendue appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. En d’autres termes, la décision Héroux est raisonnable.

Les décisions Royer

[65]           Bien que les demandeurs estiment que les décisions Royer et la décision Héroux sont semblables en raison de leurs questions communes, j’estime que les décisions Royer sont différentes en raison de la démarche suivie pour aborder ces questions.

[66]           L’inspecteur Royer fonde ses décisions sur ce qu’il appelle les « facteurs clés » suivants :

                     Les plaignants ont‑ils reçu l’ordre d’être en disponibilité?

                     La direction a‑t‑elle explicitement ou implicitement dérangé les membres des GTI de la division H [ou la division J] dans leur temps libre du fait qu’elle s’attendait de façon explicite ou implicite à ce qu’ils répondent aux appels et soient disponibles en tout temps?

 

[67]           Sur la première question, l’analyse de l’inspecteur Royer est relativement brève :

[traduction

Le plaignant a cité l’arrêt Brooke c Shoemaker de la Cour d’appel fédérale dans laquelle la Cour a accepté les arguments du caporal Brooke et a expliqué ceci :

 

Un membre est en disponibilité quand il en reçoit l’ordre; ce n’est pas le bien‑fondé de l’ordre mais l’ordre lui‑même qui le met en état de disponibilité. Il n’appartenait pas aux […] ou à un autre membre de remettre en question la décision […] Leur rôle était d’obéir aux ordres. [Caractères gras ajoutés.]

 

Il importe de signaler que l’« ordre » qui avait été donné dans l’affaire Brooke c Shoemaker ne comportait aucune ambiguïté et qu’il avait été donné par écrit. Il était également fondé sur la consigne complémentaire 6 des politiques applicables au GTI et était exhaustif au point de préciser des limites aux activités effectuées durant le temps libre.

 

Il est évident que, dans le cas qui nous occupe, le plaignant n’a pas démontré ou laissé entendre que les membres du GTI avaient reçu l’ordre d’être en disponibilité. Par conséquent, cet argument doit être écarté.

 

[68]           Comme nous l’avons déjà mentionné, suivant l’interprétation qu’ils en font, les demandeurs considèrent que l’arrêt Brooke permet d’affirmer que [traduction] « pour déterminer si un membre a droit à une indemnité de disponibilité, il ne faut pas se demander si l’ordre était dûment autorisé, mais si le membre était effectivement en état de disponibilité ».

[69]           Selon moi, ni l’inspecteur Royer ni les demandeurs n’énoncent correctement la question. Je crois que la véritable question est, compte tenu des réalités inhérentes à la qualité de membre du GTI et du fait que les membres se sont effectivement rendus eux‑mêmes disponibles pour le service à relativement brève échéance à des endroits indiqués, celle de savoir si, lorsqu’on la considère dans son ensemble, et en tenant compte de ce que les membres savaient et ont accepté lorsqu’ils ont choisi de devenir membres du GTI, la politique du MA donne droit aux membres des GTI à une indemnité de disponibilité de niveau II. L’inspecteur Royer se contente d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire Brooke en faisant valoir qu’aucun ordre n’a été donné en l’espèce. Il néglige de se demander si l’autorisation de facto donnée par la hiérarchie de la GRC pour les actes effectivement accomplis par les membres du GTI signifie effectivement que ces derniers ont droit à une indemnité de disponibilité de niveau II ou de s’interroger sur ce que l’absence d’« ordre » nous dit au sujet de l’intention générale de la politique en ce qui concerne le paiement d’une indemnité de disponibilité de niveau II aux membres des GTI.

[70]           L’analyse que l’inspecteur Royer fait de ce qu’il considère être le second « facteur clé » et les conclusions qu’il tire à ce sujet sont encore plus problématiques. Contrairement au surintendant Héroux, l’inspecteur Royer s’attache au caractère volontaire des fonctions assumées et néglige de se demander s’il fait partie de la définition du niveau II de disponibilité. Voici ce que l’inspecteur Royer écrit au sujet du caractère volontaire :

[traduction

Ainsi qu’il est précisé à l’article 2.2.1 du MOT, les membres réguliers adhèrent au GTI de leur plein gré. Ils acceptent ainsi d’accomplir des fonctions supplémentaires à temps partiel, en plus des fonctions principales liées à l’application de la loi qu’ils exercent à temps plein, et ce, en conformité avec les règles de fonctionnement et les politiques en vigueur à ce moment‑là, que le plaignant a confirmées dans son exposé.

 

 

[71]           On ne sait pas avec certitude ce que l’inspecteur Royer décide ici. Affirme‑t‑il que les membres des GTI ne sont pas en disponibilité au niveau II parce qu’ils acceptent de leur plein gré les tâches supplémentaires qu’implique leur adhésion au GTI? Une telle affirmation serait illogique si l’on tient compte de la définition du niveau II de disponibilité, parce que le caractère volontaire fait partie de cette définition. La mise en disponibilité de niveau I n’a lieu que si un ordre est donné, tandis que la mise en disponibilité de niveau II est volontaire. À titre subsidiaire, l’inspecteur Héroux veut‑il dire ce que je crois que le surintendant Héroux affirmait dans sa décision relative à la division K lorsqu’il expliquait que, lorsqu’ils adhèrent au GTI, les membres acceptent les [traduction] « règles de fonctionnement et les politiques en vigueur à ce moment‑là », ce qui suppose qu’ils acceptent qu’ils n’ont pas droit à une indemnité de disponibilité de niveau II, suivant les politiques de la GRC, et ce, malgré la définition. Je suis porté à retenir cette seconde hypothèse, car, sinon, il n’y aurait aucune raison d’ajouter « en conformité avec les règles de fonctionnement et les politiques en vigueur à ce moment‑là, que le plaignant a confirmées dans son exposé ».

[72]           L’inspecteur Royer semble toutefois méconnaître les réalités inhérentes au fait d’appartenir à un GTI lorsqu’il analyse la question de savoir si l’on a dérangé les demandeurs dans leur temps libre et lorsqu’il conclut que les membres n’ont [traduction] « pas reçu l’ordre d’être en disponibilité et que la direction n’avait rien fait pour que les membres du GTI s’attendent, implicitement ou explicitement, à ce qu’on les dérange dans leur temps libre et ne s’attendait pas par la suite à ce qu’ils répondent volontairement aux appels et soient disponibles en tout temps ». À mon avis, la preuve appuie la conclusion opposée.

[73]           Il est vrai que, dans ses décisions, l’inspecteur Royer dit bien que [traduction] « la décision de mettre une équipe en disponibilité est une décision qui revient à la direction, qui doit la soupeser en fonction des priorités et des engagements opérationnels et financiers de la division ». Il fait donc ainsi allusion aux considérations de politique plus générales du MA. En fait, tout comme le surintendant Héroux, l’inspecteur Royer conclut que [traduction] « les membres des GTI s’acquittent de tâches spéciales, mais ils le font de leur plein gré, ce qui m’amène à reconnaître qu’ils ne sont pas prêts à accepter le fait qu’ils ont adhéré au GTI de leur plein gré et à prendre acte des politiques actuelles régissant les GTI ». Toutefois, c’est dans son analyse que réside le problème. L’inspecteur Royer affirme que l’un des « facteurs clés » de sa décision est le suivant : [traduction] « La direction a‑t‑elle explicitement ou implicitement dérangé les membres des GTI de la division H [ou la division J] dans leur temps libre du fait qu’elle s’attendait de façon explicite ou implicite à ce qu’ils répondent aux appels et soient disponibles en tout temps? » À mon avis, les conclusions qu’il tire au sujet de ce « facteur clé » sont déraisonnables et ne tiennent pas compte des éléments de preuve sur la question.

[74]           Dans ces conditions, la Cour doit décider si cette erreur rend les décisions Royer déraisonnables. Le défendeur soutient que les décisions Royer ne sont pas déraisonnables, parce qu’en faisant une analogie avec la décision Héroux et en examinant le dossier, je peux trouver dans l’ensemble de la politique des raisons justifiant les conclusions finales tirées par l’inspecteur Royer. Je ne crois pas que je puisse agir ainsi, parce qu’en agissant de la sorte, je ne trouverais pas dans le dossier des raisons justifiant les décisions de l’inspecteur Royer, mais je rendrais plutôt la décision à sa place. La décision du surintendant Héroux n’était pas inévitable et je dois tenir compte du fait que l’inspecteur Royer affirme expressément que le fait que les demandeurs n’ont pas « été dérangés dans leur temps libre » constitue l’un des deux « facteurs clés » sur lesquels ses décisions reposaient. Il s’ensuit que, s’il avait examiné raisonnablement les éléments de preuve portant sur la question de savoir si les demandeurs avaient été dérangés dans leur temps libre, l’inspecteur Royer aurait fort bien pu arriver à une conclusion différente sur l’un de ses « facteurs clés », ce qui signifie qu’il aurait pu tirer une conclusion différente dans toutes ses décisions. Dans ces conditions, j’estime que les décisions Royer doivent être renvoyées pour nouvel examen.

JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.                  REJETTE la demande de contrôle judiciaire de la décision Héroux;

2.                  ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire des décisions Royer; ANNULE les décisions Royer et RENVOIE les affaires au commissaire de la GRC pour qu’il rende une nouvelle décision en conformité avec mes motifs;

3.                  ADJUGE au défendeur les dépens en ce qui concerne la décision Héroux;

4.                  ADJUGE aux demandeurs les dépens en ce qui concerne les décisions Royer.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑1466‑08

 

INTITULÉ :                                      GREG IRVINE et autres, RICK TURNBULL et autres et WAYNE KNAPMAN et autres

 

                                                            et

 

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 18 octobre 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 27 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Clay Jacobson                                                                         POUR LES DEMANDEURS

 

James N. Shaw                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L., SRL                                       POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Calgary (Alberta)

 

William F. Pentney                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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