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Date : 20131203


Dossier : 

IMM-10860-12

 

Référence : 2013 CF 1207

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2013

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

MOHAMED ABUBAKAR YAHYA

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Le demandeur, M. Mohamed Abubakar Yahya, est un homme de 24 ans. Il appartient aux Bajuni, un groupe ethnique minoritaire de l’Afrique de l’Est. Bien qu’il croie qu’il est né à Chula, en Somalie, il a grandi et a passé la majeure partie de sa vie au Kenya. La prétention du demandeur selon laquelle il est un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

 

[2]               M. Yahya sollicite le contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27 (LIPR). Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de M. Tahya sera accueillie.

 

[3]               Les Bajuni de Somalie vivent principalement dans la zone côtière du Sud de la Somalie. Les Bajuni parlent le kibajuni, ainsi que le somali, et ont une physionomie différente de celle des autres somaliens. Après la chute du gouvernement de la Somalie en 1991, la situation est devenue très dangereuse à Kismayo, où M. Yahya vivait avec ses parents. Les parents de M. Yahya ont décidé de quitter la Somalie, étant donné qu’ils n’y étaient plus en sécurité, pour s’installer à Mombassa, au Kenya, en septembre 1992, lorsque M. Yahya avait trois ans. La famille Yahya y habite depuis lors. M. Yahya vendait du poisson et d’autres articles au marché. M. Yahya et ses parents sont tous analphabètes. Compte tenu du fait qu’il n’avait pas de statut au Kenya et qu’il craignait les extrémistes religieux et les clans en Somalie, M. Yahya a décidé de demander l’asile au Canada.

 

 

[4]               Après son arrivée au Canada en novembre 2011, M. Yahya a eu un épisode psychotique aigu et a dû être hospitalisé du 21 février au 24 avril 2012. Un diagnostic de schizophrénie paranoïde a été établi à son égard, et il se fait soigner au Centre de toxicomanie et de santé mentale (le CAMH) depuis le 18 avril 2012. M. Yahya a besoin d’un suivi pour prévenir une rechute. Depuis le 14 juillet 2012, il a rencontré un gestionnaire de cas chaque semaine et un psychiatre toutes les deux semaines.

 

 

[5]               La commissaire a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de la charge qui lui incombait d’établir qu’il existait une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté pour un des motifs de la Convention, ou que, selon la prépondérance des probabilités, il serait exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. La question déterminante était la crédibilité.

 

[6]               La commissaire a conclu que le témoignage du demandeur manquait de précision, qu’il prêtait à confusion et qu’il comportait un certain nombre d’incohérences. Elle a estimé qu’il était déraisonnable que le demandeur ne puisse pas fournir une confirmation provenant de ses parents ou d’autres personnes qui l’avaient connu au Kenya quant à son identité en tant que citoyen somalien. La commissaire a conclu que le demandeur manquait de crédibilité et que celui‑ci n’avait pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était citoyen somalien.

 

[7]               La présente demande soulève la question de savoir si les conclusions de la Commission quant à la crédibilité et à l’identité du demandeur sont justifiées. Les conclusions en question sont assujetties à la norme de contrôle de la raisonnabilité : Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration Canada), 2012 CF 319, [2012] ACI n369, aux paragraphes 22 ainsi que 41 à 46,.

 

 

[8]               À mon avis, la Commission n’a pas tenu compte des conséquences de la maladie mentale dont souffrait le demandeur sur la capacité de celui‑ci à fournir des éléments de preuve détaillés. Au moment de l’appréciation du témoignage, la commissaire avait affaire à un homme analphabète qui avait récemment connu un épisode psychotique aigu ayant nécessité une hospitalisation pour des mois. Le demandeur prenait des médicaments au moment où il avait témoigné. Bien que la Commission ait prétendu avoir tenu compte de la santé mentale du demandeur, ce n’est pas ce qui ressort de la transcription de l’audience ni de la décision.

 

[9]               La commissaire a choisi, par exemple, de se fonder sur l’absence de toute mention explicite de problèmes liés à la mémoire dans la lettre du CAMH pour étayer sa conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas crédible en raison de l’incapacité de celui‑ci à fournir des éléments de preuve détaillés sur certaines questions. La lettre avait été rédigée pour confirmer que le demandeur suivait un traitement thérapeutique continu. Elle n’était pas censée donner une liste complète de symptômes associés au diagnostic de schizophrénie qui avait été posé à l’égard du demandeur. Dans ces conditions, et par application de la Directive numéro 8 du président : Procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR, il était raisonnable de s’attendre à ce que la commissaire se renseigne sur la manière dont le diagnostic en question pourrait influer sur la mémoire du demandeur.

 

[10]           La Commission a conclu que le témoignage du demandeur manquait de précision et qu’il prêtait à confusion. Bien qu’il ressorte de la transcription que le témoignage manquait de précision, il ne prêtait pas, selon mon interprétation, à confusion.

 

 

[11]           La Commission a souligné que le demandeur avait déclaré qu’il était né à Chula, une petite île située en Somalie, mais avait tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité, étant donné que le demandeur ne savait pas où l’île se trouvait en Somalie. Compte tenu du fait que le demandeur avait fui la Somalie avec ses parents lorsqu’il avait trois ans, et que lui et ses parents sont tous analphabètes, il n’est pas du tout surprenant que le demandeur ne connaisse pas la géographie de la Somalie.

 

 

[12]           La commissaire a considéré que le demandeur manquait de crédibilité parce qu’il ne savait pas clairement où les Bajuni vivaient au Kenya. Toutefois, le demandeur a précisé, dans son témoignage, que les Bajuni vivent en Somalie, que certains vivent à Mombassa et à Nairobi, au Kenya, et que certains Bajuni vivant au Kenya y sont nés, alors que d’autres étaient venus d’autres pays. Le demandeur a aussi confirmé que certains Bajuni vivant au Kenya sont des citoyens kényans.

 

 

[13]           La Commission a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité, compte tenu du fait que le demandeur ne savait pas si d’autres Bajuni vivaient à Old Town Mombasa. Il ne s’agissait pas d’une déclaration contradictoire en ce qui concerne le témoignage du demandeur selon lequel certains Bajuni vivaient à Mombasa. Old Town n’est qu’un des quartiers de Mombasa. Il était déraisonnable de la part de la commissaire de s’attendre à ce que le demandeur puisse obtenir ce genre de renseignement de ses anciens clients à l’étal au marché. Il s’agit là de la preuve d’une méconnaissance fondamentale de la situation sur place.

 

 

[14]           Les réponses du demandeur aux questions concernant les tentatives de ses parents pour obtenir la citoyenneté kényane n’étaient pas incohérentes, comme l’a conclu la Commission. Lorsque les réponses du demandeur sont analysées dans leur ensemble, elles démontrent clairement que les parents du demandeur avaient demandé la citoyenneté, mais que leur demande avait été rejetée. De même, il n’y avait pas d’incohérence dans les explications fournies quant à la raison pour laquelle les parents du demandeur ne pouvaient pas fournir de preuve corroborante pour confirmer l’identité de celui‑ci. Le demandeur a clairement expliqué que la raison n’était autre que le fait qu’ils ne savaient pas comment s’y prendre.

 

 

[15]           L’examen de l’ensemble du dossier révèle que la décision n’était pas justifiée. Pour ce motif, la décision sera infirmée, et l’affaire sera renvoyée devant la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l’affaire. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée et aucune ne sera certifiée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est accueillie. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l’affaire. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-10860-12

 

INTITULÉ :

MOHAMED ABUBAKAR YAHYA

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            Le 8 octobre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

                                                            Le 3 décembre 2013

COMPARUTIONS :

Andrew Brouwer

POUR LE DEMANDEUR

 

Suranjana Bhattacharya

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ANDREW BROUWER

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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