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Date : 20131203

Dossier :

IMM-8622-12

 

Référence : 2013 CF 1208

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2013

En présence de monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

TIBOR ROLAND HETYEI

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Le demandeur, Tibor Roland Hetyei, est un citoyen hongrois d’origine rom de 23 ans. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ayant eu pour effet de rejeter sa prétention à la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger.

 

CONTEXTE

[2]               M. Hetyei a raconté son enfance empreinte d’actes de discrimination et de mauvais traitements en Hongrie.  Lors d’un des incidents les plus graves, en juillet 2004, alors qu’il avait 14 ans, il a été battu pendant que sa petite amie était enlevée et violée. Sa mère a emmené la jeune fille à l’hôpital le lendemain, et le viol a été rapporté à la police. En  2008, M. Hetyei a appelé la police pour les alerter qu’on saccageait la maison d’un voisin. Il a par la suite reçu une menace de mort dont il a mis la police au courant. Les agents lui ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire « [traduction] tant que le sang n’[aurait] pas coulé ». En juillet 2009, les cochons de la famille ont été abattus et il a découvert une lettre de menaces de mort dans sa boîte postale. M. Hetyei n’a pas rapporté cet incident à la police. Plus tard, en novembre 2009, toutes les fenêtres de son domicile ont été cassées. C’est à ce moment qu’il a décidé de quitter la Hongrie et de demander l’asile au Canada dans l’intention de faire venir sa mère lorsqu’il en aurait les moyens financiers.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[3]               Le tribunal a mentionné que la question déterminante en l’espèce consistait à savoir si la crainte du demandeur était objectivement raisonnable et a conclu que le demandeur n’avait pas établi l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution pour l’un des motifs prévus par la Convention ni qu’il serait personnellement exposé, selon la prépondérance des probabilités, à un risque de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de peines ou traitements cruels et inusités s’il devait retourner en Hongrie.   

 

[4]               Le tribunal n’a pas tiré de conclusions négatives du fait que le demandeur n’a pas rapporté les premiers incidents aux autorités à l’époque où il était mineur. Le tribunal a constaté que le demandeur s’est adressé à la police en 2008. Cependant, n’obtenant pas satisfaction à cette occasion, il n’a pas cherché à faire part de sa plainte à des autorités supérieures. Il n’a pas rapporté non plus l’incident des cochons et celui des vitres cassées à la police et a plutôt choisi de s’enfuir de Hongrie. Cela dit, le demandeur n’a pas été en mesure de fournir des copies des lettres de menaces de mort qu’il avait reçues.

 

[5]               Le tribunal a jugé que l’information ne permettait pas de conclure que la police n’aurait pas mené une enquête sérieuse et approfondie de l’incident de novembre 2009 et arrêté les coupables. La décision du demandeur de ne pas rapporter le crime et de s’enfuir de Hongrie a très bien pu « avoir retardé ou mené dans une impasse une possible enquête » dans laquelle il aurait dû être le témoin clé.

 

[6]               Après examen de la preuve documentaire, le tribunal a reconnu que de nombreux incidents d’intolérance, de discrimination et de persécution à l’encontre des Roms de Hongrie avaient été signalés. Au regard de cette preuve, le tribunal a tenu compte du fait que la Hongrie reconnaît « franchement » avoir eu des problèmes par le passé, mais qu’elle fait de sérieux efforts pour corriger la façon dont sont traitées les minorités dans ce pays, notamment les Roms. Le tribunal a conclu que, selon la prépondérance de la preuve objective concernant les conditions dans le pays, la Hongrie offre une protection adéquate, quoique imparfaite, aux Roms qui sont victimes d’actes criminels, d’abus de pouvoir de la police, de discrimination ou de persécution, qu’elle fait de sérieux efforts pour corriger la situation et que la police et les autorités gouvernementales sont disposées et aptes à protéger les victimes.

 

[7]               En conséquence, le tribunal a conclu que le demandeur n’avait pas produit d’éléments de preuve clairs et convaincants que la protection de l’État est inadéquate en Hongrie.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[8]               Les questions ci-après ont été soulevées dans le cadre du contrôle :

  1. Le tribunal a-t-il fait erreur en concluant que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État?

 

  1. Le tribunal a-t-il fait erreur en concluant que la protection de l’État était adéquate en Hongrie?

 

ANALYSE

Norme de contrôle

[9]               La jurisprudence a établi de manière satisfaisante que les conclusions quant à la protection de l’État sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Conka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 892, au paragraphe 12, [2013] ACF no 929; Lozada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 397, au paragraphe 17, [2008] ACF no 492 [Lozada].

 

[10]           S’agissant de la seconde question, le demandeur fait valoir que la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision correcte car il s’agit d’une question de droit. Toutefois, les arguments du demandeur portent sur l’appréciation par le tribunal de la preuve sur l’efficacité de la protection de l’État, une question mixte de fait et de droit. Il est bien établi dans la jurisprudence que les conclusions relatives à la protection de l’État sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (décision Lozada, précitée, aux paragraphes 17, 19 et 34).

 

 

Le tribunal a-t-il fait erreur en concluant que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État?

 

[11]           La conclusion du tribunal selon laquelle la présomption de la protection de l’État n’a pas été réfutée  n’est pas déraisonnable. Des quatre incidents qui se sont produits à compter de 2008, alors qu’il n’était plus un mineur, le demandeur n’en a rapporté qu’un seul à la police (la menace de mort de décembre 2008). Le demandeur a déclaré que l’unique fois où il s’est adressé à la police, les agents lui ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire tant que le sang n’aurait pas coulé.  Le tribunal a cru à tort que cela se rapportait à la note qu’avait reçue le demandeur. Toutefois, le demandeur n’a pas transmis cette plainte à des autorités supérieures et n’a plus cherché à obtenir leur protection. 

 

[12]           Le 20 juillet 2009, lorsque le sang a finalement coulé, le demandeur s’est réfugié chez son demi‑frère sans rapporter l’incident aux autorités.  Il a déclaré qu’on lui avait remis une autre lettre le menaçant de mort s’il faisait appel à la police, mais il n’a pas été en mesure d’en produire une copie. Le 15 novembre 2009, lorsque les fenêtres de sa maison ont été brisées, le demandeur a choisi de ne pas en faire part à la police, même si rien au dossier n’indique que, dans ce cas‑ci, il n’a pas été menacé de représailles s’il rapportait l’incident, et a préféré s’enfuir du pays.  

 

[13]           Réfuter la présomption de la protection de l’État impose au demandeur une lourde charge. Comme l’a déclaré le juge Mandamin au paragraphe 27 de la décision Lozada, précitée, le demandeur assume à la fois le fardeau de la preuve et le fardeau juridique. Il doit s’acquitter du fardeau de la preuve en apportant la preuve du caractère insuffisant de la protection offerte par l’État. Il doit s’acquitter du fardeau juridique en convainquant le tribunal que, selon la prépondérance des probabilités, la protection offerte est insuffisante. La qualité de la preuve qui est requise pour réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État doit être digne de foi et avoir une valeur probante (Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, aux paragraphes 18, 20, 30, [2008] ACF no 399.

 

[14]           En l’espèce, le tribunal a conclu que le demandeur n’avait assumé ni le fardeau de la preuve ni le fardeau juridique. Je ne puis considérer cette décision comme déraisonnable.

 

Le tribunal a-t-il fait erreur en concluant que la protection de l’État était adéquate?

 

[15]           Le tribunal a expliqué qu’il n’avait pas trouvé convaincante la réponse du demandeur quant à l’efficacité de la protection de l’État parce que ses réponses « ne concordent pas avec la preuve documentaire ». Le tribunal a aussi expliqué qu’il accordait plus de poids à la preuve documentaire qu’au témoignage du demandeur parce qu’elle « est tirée d’un large éventail de documents publics ».  Il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où le tribunal a omis de tenir compte des éléments de preuve ou de la situation personnelle du demandeur. En fait, le tribunal a  pris en considération le récit qu’a donné le demandeur de l’épisode où il a appelé la police une seule fois pour le compte de ses voisins en 2008. De plus, l’État n’a pas eu la possibilité raisonnable de dissiper les craintes du demandeur puisque celui-ci a quitté la Hongrie peu après l’incident de novembre 2009.

 

[16]           Au vu de l’ensemble de la décision, j’estime que le tribunal n’a pas appliqué le mauvais critère juridique, contrairement à ce que soutient le demandeur. Dans son examen de la preuve, le tribunal a tenu compte des nombreuses mesures d’ordre juridique, institutionnel et législatif qu’a prises le gouvernement hongrois pour améliorer la situation des Roms et a cherché à déterminer si ces mesures avaient été appliquées avec succès. Il ne s’est pas limité au simple examen des efforts mis en œuvre sans tenir compte de leur efficacité. 

 

[17]           Par ailleurs, le tribunal a examiné rigoureusement les conditions actuelles dans le pays ainsi que les éléments contradictoires de la preuve documentaire. Sa décision est par conséquent distincte de celle rendue dans l’affaire Flores Alcazar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 173, [2011] ACF no  17, où le tribunal a négligé d’expliquer la raison pour laquelle il avait écarté les éléments de preuve contradictoires.

 

[18]           Pour établir que la protection de l’État était inadéquate, le demandeur devait produire une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État de protéger ses citoyens. Il s’agit là d’un critère objectif. Sa réticence subjective à solliciter l’aide des autorités n’a pas établi que le demandeur n’aurait pas bénéficié de la protection de l’État.

 

[19]           Après avoir examiné la décision dans son ensemble et le dossier soumis à la Cour, je suis d’avis que le tribunal a fait une analyse transparente, justifiable et intelligible de la preuve dont il a été saisie et je conclus que sa décision s’inscrivait dans les issues possibles acceptables.

 

[20]           Aucune question grave de portée générale n’a été proposée et aucune ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE  que la présente demande est rejetée. Aucune question n’a été proposée à la certification.

 

 

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

 

DOSSIER :

IMM-8622-12

 

INTITULÉ :

TIBOR ROLAND HETYEI

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                        Toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 1ER OCTOBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 3 DÉCEMBRE 2013

COMPARUTIONS :

Adam Wawrzkiewicz

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Sybil Thompson

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ADAM WAWRZKIEWICZ

Avocat

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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