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Date : 20131203


Dossier : IMM-12781-12

 

Référence : 2013 CF 1210

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 3 décembre 2013

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

 

AIMÉ-LANDRY AHISHAKIYE

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.  Aperçu

[1]               En raison d’une mauvaise appréciation des faits attribuable à la confusion suscitée par le témoignage du demandeur, laquelle a poussé la Section de la protection des réfugiés [SPR] à commettre une erreur de fait dans sa conclusion sur la crédibilité, la Cour ne considère pas que la décision est raisonnable, une fois appréciée dans son ensemble et en contexte.


II. Introduction

[2]               Le demandeur demande le contrôle judiciaire de la décision du 6 novembre 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de l’article 96 de la Convention ni une personne à protéger aux termes de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

 

III. Contexte

[3]               Le demandeur, M. Aimé‑Landry Ahishakiye, est un jeune Tutsi de Bujumbura, au Burundi.

 

[4]               Au début de 2010, le demandeur s’est inscrit à l’Université Espoir d’Afrique. Le demandeur dit s’être lié d’amitié avec un certain nombre d’étudiants de cet établissement qui appuyaient le parti politique des Forces nationales de libération [FNL] du Burundi.

 

[5]               Le demandeur explique que ces étudiants se sont mis à insister pour qu’il adhère au parti en avril 2010 et ils ont continué à exercer des pressions sur lui pendant des mois, même en dépit de ses nombreux refus.

 

[6]               En mai 2010, le demandeur a présenté une demande de visa canadien pour venir étudier à l’Université de Sherbrooke. Ce visa lui a été refusé, car les cours étaient déjà commencés lorsque sa demande a été examinée par l’ambassade du Canada.

 

[7]               Le demandeur déclare que le 24 septembre 2010, l’un des étudiants qui lui avaient demandé de se joindre aux FNL l’a interpellé et exhorté à y adhérer en lui remettant une carte de membre avec rudesse. Il déclare aussi qu’au cours de la soirée, il a reçu un coup de téléphone chargé de menaces du même étudiant et a continué à recevoir des appels du même genre jusqu’à peu avant son départ pour le Canada. 

 

[8]               Le 27 septembre 2010, le demandeur a cessé d’aller à ses cours à l’Université Espoir d’Afrique. Il déclare qu’il n’osait plus sortir de chez lui après avoir reçu ces coups de téléphone menaçants.

 

[9]               Le 16 décembre 2010, le demandeur a obtenu un visa d’étudiant pour étudier à l’Université de Sherbrooke, et a quitté le Burundi pour le Canada le 29 décembre 2010.

 

[10]           Le 5 janvier 2011, le demandeur a présenté une demande d’asile à Etobicoke (Ontario). Il n’a pas fréquenté l’Université de Sherbrooke à son arrivée au Canada.

 

[11]           Le 6 novembre 2012, la SPR a statué que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger.

 

IV. Décision faisant l’objet du contrôle

[12]           Dans sa décision, la SPR a jugé que le demandeur n’était pas crédible et qu’il n’avait pas établi l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution ni d’une menace à sa vie, ni encore d’un risque de traitements ou de peines cruels et inusités s’il retournait au Burundi. 

[13]           Après avoir apprécié la crédibilité du demandeur, la SPR a conclu qu’il n’était pas plausible que les parents du demandeur prennent la situation de leur fils, alors âgé de 19 ans, « à la légère », comme l’a déclaré l’intéressé, lorsqu’il leur a appris qu’il subissait des menaces de la part d’autres étudiants.

 

[14]           La SPR a fait remarquer qu’on aurait raisonnablement pu s’attendre des parents du demandeur qu’ils entrent en contact avec la direction de l’établissement où les FNL exerçaient des pressions sur leur fils pour le recruter. La SPR a conclu que cette absence de réaction de la part des parents jetait un doute considérable sur la crédibilité du témoignage du demandeur.

 

[15]           Outre sa conclusion relativement à la crédibilité du demandeur, la SPR a souligné que la preuve objective au dossier n’établissait pas qu’il correspondait au profil des personnes généralement ciblées par les FNL, ou que le parti cherchait à recruter des membres contre leur gré. La SPR a par conséquent conclu que la preuve objective n’établissait pas l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution ni d’une menace à sa vie, ni encore d’un risque de traitements ou de peines cruels et inusités.

 

V. Question en litige

[16]           La décision de la SPR est-elle raisonnable?

 

VI. Dispositions législatives pertinentes

[17]           Les dispositions qui suivent de la LIPR sont pertinentes en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

VII. Position des parties

[18]           Le demandeur a avancé plusieurs raisons à l’appui de son allégation selon laquelle la décision de la SPR n’était pas raisonnable, et toutes ont à voir avec la façon dont la SPR a apprécié la preuve au dossier.  

 

[19]           Tout d’abord, le demandeur soutient que la SPR a mal interprété son témoignage. Selon lui, la SPR a confondu deux conversations qu’il avait eues avec ses parents au sujet des FNL : la première conversation, au cours de laquelle il leur a raconté que les membres des FNL cherchaient à le recruter, et la seconde, au cours de laquelle il leur a confié que les FNL le menaçaient. 

 

[20]           Le demandeur fait valoir qu’étant donné que la SPR a mal interprété les éléments de preuve et tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité, il est impossible de savoir avec certitude comment la SPR aurait statué dans d’autres circonstances.

 

[21]           Le demandeur soutient que la SPR a également mal interprété la preuve au dossier au sujet du mode de recrutement des FNL. Il déclare que la preuve montre en fait que les FNL usaient effectivement de violence pour recruter de nouveaux membres en 2010, essentiellement à l’aide de jeunes partisans.

 

 

[22]           Le demandeur soutient de plus que la SPR a commis une erreur en concluant que son témoignage sur la réaction de ses parents aux menaces des FNL n’était pas plausible. Il fait valoir qu’il a déclaré en termes clairs qu’il n’y avait pas de services de sécurité à l’université et que, en conséquence, on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre de ses parents qu’ils communiquent avec pareils services au sujet de la sécurité de leur fils. En outre, le demandeur souligne que, dès lors que la SPR a accepté que la police du Burundi n’était pas fiable, elle n’avait aucune raison logique de s’attendre que le demandeur s’adresse à l’université pour résoudre le problème.

 

[23]           Enfin, le demandeur soutient que la SPR a manqué à un principe de justice naturelle en fondant sa conclusion relative à la crédibilité sur un doute dont elle n’a pas fait part au demandeur. Plus précisément, le demandeur affirme que la SPR a fait erreur en tirant une conclusion quant aux opinions politiques de son père sans d’abord lui demander directement si son père était un partisan du CNDD-FDD.

 

[24]           Le défendeur fait valoir que la SPR était en droit de trouver que le récit des événements du demandeur n’était pas crédible et qu’elle n’a pas fait erreur en ne tenant pas compte de la preuve relative aux atrocités commises par les FNL au Burundi à l’époque. Le défendeur soutient que, au contraire, la SPR ne disposait d’aucun élément de preuve étayant les prétentions du demandeur selon lesquelles les FNL recouraient à la menace et à la force pour recruter de nouveaux membres. 

 

[25]           Le défendeur fait aussi valoir que la SPR n’a pas commis d’erreur dans son appréciation du témoignage du demandeur quant à la réaction de ses parents aux menaces des FNL. Il soutient qu’en alléguant que la SPR a confondu les deux conversations qu’il a mentionnées dans son témoignage, le demandeur cherche à défendre ses propres intérêts et à justifier le témoignage que la SPR a mis en doute. De plus, le défendeur affirme que la SPR était en droit de ne pas trouver crédible que le demandeur abandonne tout simplement ses études sans même demander de l’aide aux autorités.

 

[26]           Quant à l’allégation du demandeur selon laquelle la SPR a manqué à un principe de justice fondamentale, le défendeur avance que la SPR n’a pas conclu que le père du demandeur était actif sur le plan politique ni qu’il était un partisan ou défenseur du CNDD-FDD. La SPR a simplement conclu qu’il occupait un poste approuvé par le gouvernement en place.

 

VIII. Norme de contrôle

[27]           La norme de contrôle applicable aux questions portant sur l’appréciation de la preuve ou sur une conclusion en matière de crédibilité est celle de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1993], 160 NR 315 (CAF), au paragraphe 4).

 

[28]           La décision doit donc être justifiable, transparente et intelligible. Elle ne doit être infirmée que si elle est abusive et arbitraire, si elle n’est pas fondée sur la preuve ou si elle découle d’une erreur flagrante quant à l’interprétation de faits importants (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

[29]           Le demandeur allègue aussi que la SPR a manqué à un principe de justice naturelle. La norme de contrôle applicable aux questions touchant à l’équité procédurale et à la justice naturelle est la norme de la décision correcte (Sketchley c Canada (Attorney General), 2005 CAF 404, [2006] 3 RCF 392, au paragraphe 46).

 

IX. Analyse

[30]           De l’avis de la Cour, le demandeur a montré que la SPR a fondé sa décision sur une conclusion défavorable quant à sa crédibilité, conclusion qui découlait d’une confusion suscitée par le témoignage et, en conséquence, sur l’exposé circonstancié proprement dit.

 

[31]           Dans sa décision, la SPR s’est essentiellement fondée sur la réaction qu’ont eue les parents du demandeur à l’égard des menaces faites à leur fils par les FNL pour conclure que son histoire n’était pas crédible et a conclu comme suit :

[18]      Le demandeur a expliqué qu’il ne s’était pas adressé à la police parce que la police n’est pas fiable. Il est évident au regard de la preuve documentaire que la population n’accorde aucune confiance aux forces de sécurité. Le tribunal considère raisonnable que le demandeur se soit abstenu de faire appel à la police.

 

[19]      Cependant, lorsque le tribunal a demandé au demandeur s’il avait tenu ses parents au courant des pressions exercées sur lui pour qu’il rejoigne le FNL, le demandeur a répondu que oui, mais que ses parents avaient pris ses révélations à la légère. Le tribunal juge peu probable, voire invraisemblable, que les parents du demandeur aient pris à la légère les révélations du demandeur que le FNL cherchait à le recruter contre son gré. Le demandeur lui-même a insisté dans son exposé circonstancié qu’il avait ressenti de l’inquiétude face à la possibilité d’être mépris par les forces de sécurité pour un membre du FNL, un mouvement que le demandeur qualifie de mouvement rebelle dans son exposé circonstancié. [Non souligné dans l’original.]

 

[32]           Comme nous l’avons mentionné plus tôt, le demandeur prétend que c’est parce que la SPR a par inadvertance confondu deux conversations distinctes qu’il a eues avec ses parents qu’elle en est arrivée à cette conclusion. À l’inverse, dans ses observations, le défendeur soutient que ces deux conversations ne forment en fait qu’une seule et même conversation et que le demandeur cherche simplement à établir une distinction temporelle entre les faits.

 

[33]           La Cour ne peut souscrire à la prétention du défendeur. Comme il ressort clairement de la transcription de l’audience (Dossier certifié du tribunal, pages 293 à 294), le demandeur a relaté deux conversations distinctes qu’il a eues avec ses parents au sujet des menaces que lui faisaient les FNL. Ce n’est qu’après que la SPR eut interrogé le demandeur sur la date à laquelle il a commencé à recevoir de véritables menaces que le demandeur a parlé de la réaction de ses parents. Le demandeur a déclaré que ses parents avaient eu « très peur » et qu’ils avaient « été choqués ». La Cour se réfère à la transcription du passage en question :

PRÉSIDENTE : Vous aviez quoi? Dix-huit ans?

 

DEMANDEUR : J’avais, oui, à l’époque j’avais 18 ans.

 

PRÉSIDENTE : Vous en avez parlé à vos parents de vos problèmes?

 

DEMANDEUR : Oui. Donc à l’époque, donc, c’était pas des problèmes. Donc tout simplement j’ai parlé à mes parents : « Ah, vous savez quoi? Il y a des personnes qui me parlent de politique, du FNL ». Et donc mon père disait : « (Inaudible) du FNL? Pourquoi ils te parlent? » Et tout. Bon, moi je disais, bon, ils me parlent. Il me demandait donc : « Est-ce qu’ils te menacent? Est-ce que tu vois qu’il y a des signes de t’impliquer dedans? » Etc. Et donc moi je disais, bon, ils me parlent tout simplement du FNL. Donc ils discutent entre eux en parlant du CNDD, du FNL. Donc ils discutent en tous cas et donc moi j’ai pas beaucoup de trucs à dire parce que j’ai pas – j’ai pas vraiment de connaissances dans ce domaine-là et… Donc ils ont pris ça à la légère quoi donc. Il n’y avait pas de menace, il y avait rien du tout. Donc ils étaient au courant de ça.

 

PRÉSIDENTE: Mais le 24 septembre, là c’était quand même assez sérieux. C’est le soir même qu’on vous avez appelé pour vous menacer.

 

DEMANDEUR: Oui, oui. Donc là, à partir…

 

PRÉSIDENTE : Vous en avez parlé à vos parents.

 

DEMANDEUR : Oui, oui.

 

PRÉSIDENTE : Et?

 

DEMANDEUR: Donc quand – donc après la fin de cet appel-là donc j’ai déjà – donc tout simplement donc j’ai parlé à mes parents. Je leur ai dit que je viens de recevoir un appel et que j’avais reconnu un des étudiants qui avaient – qui étudiaient avec moi. Et donc il me disait que simplement j’allais regretter ma décision parce que j’avais pas pris la carte du parti qu’il m’avait donnée.

 

PRÉSIDENTE : Quelle a été leur réaction ?

 

DEMANDEUR : Ils ont eu très peur. Ils ont été choqués.

 

[34]           La Cour convient avec le demandeur que la SPR a mal interprété les explications qu’il a données au cours de son témoignage. Il est clair à la lecture de la transcription que le demandeur essayait de rapporter tout son exposé circonstancié à la SPR dans son témoignage, mais qu’il n’en a pas eu la possibilité. Dans son témoignage, le demandeur a non seulement parlé de l’incident du 24 septembre 2010, mais aussi des faits qui l’ont précédé. Ce n’est qu’après avoir été interrompu et interrogé par la SPR au sujet des menaces qui lui ont été adressées au téléphone ce 24 septembre 2010 que le demandeur a parlé de la réaction qu’avaient eue ses parents à ces menaces. Préalablement à cette intervention de la SPR, le demandeur avait décrit ce qu’il avait vécu avant qu’on ne lui profère des menaces.

 

[35]           Étant donné la mauvaise appréciation des faits attribuable à la confusion suscitée par le témoignage du demandeur, confusion qui a poussé la SPR à tirer une conclusion erronée sur un fait, la Cour ne considère pas que la décision est raisonnable une fois appréciée dans son ensemble et en contexte.

 

[36]           La SPR s’est essentiellement fondée sur cette appréciation pour justifier sa décision selon laquelle le demandeur manquait de crédibilité. Elle n’a pas accordé beaucoup d’attention aux autres éléments de preuve sur lesquels était fondée l’allégation d’une crainte justifiée, en dépit du fait que la preuve documentaire produite par le demandeur appuyait raisonnablement cette allégation de crainte de subir la persécution des jeunes membres des FNL au Burundi.

 

[37]           Comme la Cour en a statué dans la décision Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c El Attar, 2013 CF 1012, « un résultat raisonnable ne saurait justifier une décision dépourvue de motifs suffisants, lorsqu’il y a obligation de donner des motifs et que ces motifs ne peuvent être étoffés compte tenu du dossier », au paragraphe 10, et Komolafe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 431).

 

[38]           À défaut d’une analyse approfondie des autres éléments de preuve au dossier, la Cour ne peut conclure que les principes énoncés dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre‑Neuve‑et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 appuient la décision. Même si la SPR a estimé que certains éléments de preuve n’étaient pas crédibles, elle devait poursuivre son analyse pour déterminer s’il subsistait d’autres éléments de preuve crédibles étayant une crainte fondée de persécution (Joseph c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 548, au paragraphe 11). Ce principe s’applique particulièrement en l’espèce où les éléments de preuve considérés comme non crédibles ne concernaient que des questions accessoires.

 

[39]           Ce facteur étant en soi déterminant de l’affaire, la Cour ne voit pas la nécessité de traiter des autres motifs soulevés par le demandeur.

 

X. Conclusion

[40]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la question soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision (de novo). Aucune question de portée générale n’est soulevée aux fins de certification.

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-12781-12

 

INTITULÉ :

AIMÉ-LANDRY AHISHAKIYE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                        Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 2 DÉCEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT  

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 3 DÉCEMBRE 2013

COMPARUTIONS :

Raoul Boulakia

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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