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Date : 20131127

Dossier : IMM‑8749‑12

Référence : 2013 CF 1193

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2013

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

MOHAMMAD HUSSEIN MOHAMMAD ADAWI

NASER MOHAMMAD HUSSEIN ADAWI

NASIM MOHAMMAD HUSSEIN ADAWI

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [Loi], d’une décision rendue le 16 août 2012 [la décision] par laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a refusé de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

HISTORIQUE

[2]               Les demandeurs, des Palestiniens, sont arrivés au Canada le 26 juillet 2010 en provenance des États‑Unis et ont demandé l’asile au Canada. Le demandeur principal, qui a 45 ans, est un Palestinien apatride de Cisjordanie. Le 31 mai 2010, une succession d’événements les ont contraints, lui et ses deux fils, Naser et Nasim, à quitter leur pays d’origine et à demander l’asile au Canada, parce qu’ils auraient reçu des menaces de mort de membres armés du Hamas et d’Al‑Jihad.

 

[3]               Le demandeur principal allègue qu’après que son fils aîné eut quitté le pays pour le Canada en raison de problèmes engendrés par son refus d’aider des militants du Hamas et d’Al‑Jihad, des rumeurs selon lesquelles sa famille et lui collaboraient avec Israël ont commencé à circuler. Le 31 mai 2010, un de ses fils a été battu par deux étudiants du Hamas. Un autre de ses fils a dû intervenir pour mettre fin à l’agression. Ce soir‑là, les deux fils impliqués, qui sont les codemandeurs dans la présente affaire, ont trouvé refuge chez leur oncle à Lod, en Israël. Plus tard ce soir‑là, des hommes masqués sont entrés de force dans la maison des demandeurs; ils étaient à la recherche des deux fils et ont donné deux jours au demandeur principal pour les leur livrer, faute de quoi ils mourraient tous les trois.

 

[4]               Après avoir passé la nuit à l’hôpital avec sa femme, qui a subi un choc nerveux et fait une fausse couche après la visite des militants le 31 mai 2010, le demandeur principal s’est enfui à Lod. Il serait retourné deux fois chez lui à Ramallah avant de partir pour les États-Unis : une fois avec un de ses frères, le 2 juin 2010, afin de récupérer des vêtements et des passeports, et une seconde fois, le 20 juin 2010, accompagné de son frère et de l’agent d’un acheteur potentiel, alors qu’il tentait de vendre sa demeure. Il allègue que deux hommes masqués lui ont tiré dessus lors de ces deux visites.

 

[5]               Au début de juillet, le demandeur principal et ses deux fils se sont rendus en Jordanie, où ils ont pris un vol à destination de Chicago, le 11 juillet 2010. Le 26 juillet 2010, ils ont présenté une demande d’asile à Windsor, en Ontario.

 

[6]               L’audience de la SPR relative aux demandes des demandeurs a débuté le 16 septembre 2011 et s’est poursuivie jusqu’au 6 juillet 2012. Le 16 août 2012, la SPR a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger.

 

LA DÉCISION CONTRÔLÉE

[7]               Le seul problème soulevé par la SPR à l’égard de la demande des demandeurs en était un de crédibilité. En particulier, la SPR a relevé des incohérences, des omissions et des improbabilités dans le témoignage du demandeur principal.

 

[8]               D’abord, la SPR a déterminé que le témoignage du demandeur principal sur les derniers moments qu’il a passés dans sa demeure était contradictoire. Bien qu’il ait déclaré à l’audience qu’il avait quitté sa demeure le 31 mai 2010, sa demande d’asile au Canada indiquait qu’il y avait résidé jusqu’en « juin 2010 ». La SPR n’a pas retenu l’explication du demandeur principal selon laquelle il aurait eu des problèmes avec son interprète, puisque ce dernier était connu du demandeur principal, et que le demandeur principal avait signé une déclaration selon laquelle le contenu de son Formulaire de renseignements personnels (FRP) était complet, véridique et exact et lui avait été interprété intégralement. De plus, la SPR n’a pas été convaincue par l’allégation du demandeur principal selon laquelle il avait les idées confuses et était effrayé au moment de remplir le formulaire. La SPR a conclu que le demandeur avait eu amplement de temps entre le moment où il avait fui son pays et celui où il était arrivé au Canada pour préparer son histoire, et que, par conséquent, son état d’esprit du moment ne saurait expliquer une telle lacune dans son entrevue à son arrivée. De plus, l’allégation du demandeur selon laquelle la date de « juin 2010 » prêtait simplement à confusion et ne pouvait servir à contredire sa déclaration selon laquelle il avait cessé de vivre dans sa maison le 31 mai 2010, a été rejetée par la SPR. La SPR a indiqué que le demandeur principal était le seul des trois demandeurs à déclarer qu’il avait vécu dans sa maison jusqu’en juin 2010; en effet, ses deux fils ont mentionné la date du 31 mai 2010. Par conséquent, la SPR a conclu que l’ensemble de la preuve donnait à penser qu’il avait continué de vivre dans sa maison après le 31 mai 2010. Partant, la SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de ses allégations.

 

[9]               Ensuite, la SPR a conclu que le demandeur principal s’était contredit quant au nombre de fois où il est retourné en Palestine après sa fuite initiale. Dans son FRP, le demandeur principal a uniquement mentionné être retourné chez lui à une occasion, soit le 2 juin 2010, pour aller chercher des vêtements et des documents. Lorsqu’on lui a posé la question à l’audience, il a confirmé qu’il s’agissait de la seule fois où il était retourné dans sa maison. Or, lorsqu’on l’a confronté à ce sujet à l’audience, il a admis être retourné dans sa maison le 20 juin 2010 pour tenter de la vendre, ce qui concorde avec la description qu’il a consignée au formulaire qu’il a remis à la frontière, où il était question de l’événement. Il a par la suite expliqué avoir mal compris la question de la SPR. La SPR a estimé que le fait d’avoir mal compris une question n’expliquait pas de manière satisfaisante pourquoi il n’avait pas parlé de ce deuxième retour à l’audience. Encore une fois, la SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité des allégations du demandeur principal et a conclu que l’événement du 20 juin 2010 avait été inventé pour embellir sa demande.

 

[10]           La SPR a également jugé improbable que le demandeur principal soit retourné chez lui dans la nuit du 2 juin 2010, si près de l’échéance que lui avaient donnée le Hamas et Al‑Jihad. La SPR estimait que si les menaces et l’échéance avaient eu quelque crédibilité, le demandeur principal n’aurait pas choisi d’attendre jusqu’à la dernière minute avant de retourner chez lui chercher des vêtements et des documents. La SPR a également jugé que si le Hamas avait été déterminé à le tuer, le demandeur principal n’aurait pas été en mesure de récupérer ces objets sans danger. La SPR a donc conclu qu’il était fort probable que cet événement ait lui aussi été inventé.

 

[11]           Également, la SPR a relevé des incohérences dans le témoignage du demandeur principal quant à la question de savoir s’il était ou non sorti du véhicule lorsqu’il est allé chez lui le 20 juin 2010. Lors de la première séance, il a déclaré ne pas être entré à l’intérieur, mais avoir « fait visiter la maison » (around the house) avec son frère et l’agent d’un acheteur potentiel, tandis qu’à la deuxième séance, il a déclaré être resté dans le véhicule en tout temps. La SPR a interprété l’expression « around the house » (fait visiter la maison) selon la logique, c’est-à-dire que le demandeur principal avait fait faire le tour du propriétaire, et a conclu qu’il avait changé son témoignage. La SPR a également trouvé improbable que le demandeur principal prenne le risque de faire visiter sa maison pour la vendre deux semaines après l’échéance. Elle a ajouté qu’il est invraisemblable de penser que le demandeur principal s’attende à pouvoir vendre sa maison dans de telles circonstances, et qu’il est également invraisemblable que quelqu’un soit prêt à l’acheter. Ces évaluations du caractère plausible ont donné du poids à la conclusion de la SPR selon laquelle l’événement du 20 juin 2010 avait été inventé.

 

[12]           Compte tenu des problèmes de crédibilité susmentionnés, la SPR a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi. Leur demande a donc été rejetée.

 

QUESTION LITIGIEUSE

[13]           La SPR a‑t‑elle fait erreur en concluant que la demande des demandeurs manquait de crédibilité?

 

NORME DE CONTRÔLE

[14]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont la cour de révision est saisie est établie avec satisfaction par la jurisprudence, il est loisible à la cour de l’adopter. Ce n’est que dans les cas où cette recherche se révèle infructueuse, ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que le tribunal chargé du contrôle doit entreprendre l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48 [Agraira].

 

[15]           Dans l’arrêt Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF n° 732 (CAF) [Aguebor], la Cour d’appel fédérale a conclu que la norme de contrôle applicable à une conclusion touchant la crédibilité est celle de la décision raisonnable. En outre, dans Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21, le juge Teitelbaum a déclaré que les conclusions sur la crédibilité sont au cœur même du rôle de juge des faits de la SPR et qu’elles doivent par conséquent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable. Enfin, dans la décision Aguilar Zacarias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1155, au paragraphe 9 [Aguilar Zacarias], la juge Mary Gleason a statué que la norme de contrôle applicable aux conclusions concernant la crédibilité était celle de la décision raisonnable. La norme de la décision raisonnable est donc celle qui s’applique en l’espèce.

 

[16]           Lors du contrôle d’une décision suivant la norme du caractère raisonnable, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». (Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[17]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

POSITION DES PARTIES

Les demandeurs

[18]           Les demandeurs soutiennent que la décision contient des erreurs graves, s’agissant des conclusions défavorables en matière de crédibilité. D’abord, en ce qui a trait à la conclusion selon laquelle le témoignage du demandeur principal était contradictoire quant au dernier jour où il a vécu dans sa maison à Ramallah, les demandeurs avancent que le FRP explique clairement qu’il a quitté sa demeure le 31 mai 2010 et qu’il a passé cette nuit-là à l’hôpital en compagnie de sa femme (FRP, paragraphe 13). Ce n’est que le lendemain, le 1er juin 2010, que le demandeur principal a pris la direction de Lod (FRP, paragraphe 14). Par conséquent, il n’y a aucune contradiction entre la date inscrite sur le formulaire et le témoignage oral. Le demandeur a déclaré qu’il avait quitté sa maison le 31 mai 2010 (Dossier certifié du tribunal [DCT], à la page 194), ce qui correspond à l’information consignée au FRP. De même, le fait que les deux fils ont inscrit la date du 31 mai 2010 dans leur formulaire n’est pas un problème en soi, car ces derniers se sont rendus directement à Lod et n’ont pas accompagné leurs parents à l’hôpital. Les demandeurs soutiennent donc que la SPR a fait erreur en écartant des éléments de preuve et en tirant une conclusion de fait erronée sans tenir compte de la preuve.

 

[19]           Les demandeurs allèguent que la SPR a examiné la preuve à la loupe et a fait preuve d’un excès de zèle pour tenter de trouver des incohérences (Attakora c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1989), 99 NR 168 (CAF). La SPR s’est fondée sur la contradiction susmentionnée pour faire ressortir un manque de crédibilité, alors qu’en réalité cette contradiction n’existait pas. Étant donné la grande importance qu’a accordée la SPR à la date du dernier jour où le demandeur principal a vécu dans sa maison, il est impossible de dire à quelles conclusions la SPR serait parvenue si elle n’avait pas écarté des éléments de preuve et retenu la date du 31 mai 2010 comme étant le dernier jour où le demandeur principal avait habité sa demeure. Les demandeurs invoquent la décision Rose c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 935 [Sawyer] à l’appui de cet argument :

[8]        Les conclusions du tribunal en ce qui concerne les deux autres incompatibilités ne sont pas, à mon sens, manifestement déraisonnables. Toutefois, dans des circonstances où le tribunal a commis des erreurs donnant matière à révision relativement à deux des quatre incompatibilités sur lesquelles il a fondé sa décision, je conclus qu’une appréciation appropriée de la preuve aurait bien pu l’amener à tirer une conclusion différente relativement à la crédibilité de la preuve de M. Sawyer. On ne peut pas dire que les erreurs commises par le tribunal sont sans importance dans sa décision.

 

[20]           En ce qui concerne la crédibilité du témoignage du demandeur au sujet de son retour chez lui, le 20 juin 2010, les demandeurs font valoir que le sens correct de l’expression « around the house) (fait visiter la maison) n’est pas une question de logique, mais bien de ce qu’avait le demandeur en tête lorsqu’il décrivait ses gestes. Les demandeurs soulignent qu’à la deuxième séance, le demandeur principal a précisé sa pensée, et qu’on ne peut donc pas dire qu’il a changé son témoignage. L’expression « around the house » (fait visiter la maison) a plus d’un sens possible en anglais courant. Par conséquent, les demandeurs soutiennent que la SPR a fait une appréciation déraisonnable du témoignage et a fait erreur en fondant sa décision sur une conclusion de fait à laquelle elle est arrivée de manière abusive et arbitraire.

 

[21]           En ce qui a trait aux conclusions d’invraisemblance, les demandeurs soutiennent que la Cour d’appel fédérale a déjà fait une mise en garde à cet égard (Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 143 NR 238 (CAF)) [Giron] :

La Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (« la Commission ») a choisi de fonder en grande partie sa conclusion en l’espèce à l’égard du manque de crédibilité, non pas sur des contradictions internes, des incohérences et des subterfuges, qui constituent l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits, mais plutôt sur l’invraisemblance des critères extrinsèques, tels que le raisonnement, le sens commun et la connaissance d’office, qui nécessitent tous de tirer des conclusions que les juges des faits ne sont pas mieux placés que les autres pour tirer.

 

[22]           Les demandeurs ont également invoqué la récente décision Aguilar Zacarias, précitée :

Pour ce qui est plus précisément des conclusions concernant la crédibilité qui reposent sur des conclusions au sujet de l’invraisemblance d’un témoignage, la Cour a souvent fait la mise en garde de ne tirer de telles conclusions que dans les situations où il est clairement invraisemblable que les faits se soient produits comme le témoin le prétend, à la lumière du bon sens ou du dossier de preuve (voir, par exemple, l’arrêt Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 143 NR 238, [1992] ACF no 481 (CA); la décision Chavarro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1119, [2010] ACF no 1397, aux paragraphes 30 à 32). Comme l’a déclaré le juge Muldoon dans une décision maintes fois citée, Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, [2001] ACF no 1131 (la décision Valtchev) :

 

Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est‑à‑dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [paragr. 9, citations omises et accent ajouté]

 

[11] Ainsi, la Commission peut conclure qu’une affirmation est invraisemblable si cette affirmation est dénuée de sens à la lumière de la preuve déposée ou si (pour emprunter la formule utilisée par le juge Muldoon dans la décision Valtchev) « les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ». De plus, la Cour a déjà statué que la Commission doit invoquer « des éléments de preuve fiables et vérifiables au regard desquels la vraisemblance des témoignages des demandeurs pourraient être appréciés » [sic], sinon la conclusion au sujet de l’invraisemblance pourrait n’être que « de la spéculation non fondée » (voir la décision Gjelaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 37, [2010] ACF no 31, au paragraphe 4; voir également la décision Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 694, [2012] ACF no 885 (la décision Cao), au paragraphe 20).

 

[23]           Les demandeurs soutiennent que, dans l’affaire qui nous occupe, la SPR a fait erreur en arrivant à des conclusions relatives à la crédibilité qui sont défavorables et qui reposent exclusivement sur sa propre opinion de ce qui est invraisemblable. Il était raisonnable de croire, dans les circonstances, qu’il était important de récupérer les vêtements et les documents, même si l’échéance était proche, aux dires des demandeurs. De plus, il n’était pas invraisemblable de concevoir que le demandeur principal ait pu quitter sa maison indemne, avec les vêtements et les documents, le 2 juin 2010, étant donné que les tireurs étaient à pied et que le demandeur principal et son frère se sont éloignés rapidement au volant d’un véhicule, qui leur conférait une protection. Les demandeurs avancent que cette conclusion quant à la vraisemblance ne reposait pas sur un manque de cohérence intrinsèque, et que par conséquent, une telle conclusion doit être tirée par inférence raisonnable (Giron, précité).

 

[24]           En réponse à la conclusion selon laquelle il serait invraisemblable que, devant des menaces crédibles et des échéances, une personne sensée risque sa vie et celles de son frère et de l’agent de l’acheteur en faisant visiter sa maison en vue de la vendre le 20 juin 2010, les demandeurs répondent que ces faits se sont produits près de trois semaines après la menace, et que rien ne prouvait que le Hamas ou Al-Jihad surveillait la demeure 24 heures par jour. En fait, le Hamas et Al-Jihad avaient vu le demandeur quitter les lieux le 2 juin 2010. Il n’était pas déraisonnable ou improbable de concevoir que le demandeur risque de faire visiter sa maison afin de la vendre et de financer sa fuite au Canada. Les demandeurs avancent que la SPR a fait erreur en fondant sa conclusion sur des spéculations et conjectures.

 

[25]           Enfin, en ce qui a trait à la conclusion qu’il serait invraisemblable qu’une personne sensée soit prête à acheter une maison dans de telles circonstances, les demandeurs soutiennent que rien ne prouvait que l’acheteur potentiel avait été avisé des problèmes avant la visite, ni qu’un acheteur aurait des problèmes avec le Hamas ou Al-Jihad. La preuve indique plutôt que les problèmes rattachés aux deux groupes sont propres aux demandeurs. Par conséquent, les demandeurs font valoir que la conclusion de la SPR à ce sujet reposait également sur des spéculations et des conjectures.

 

Le défendeur

[26]           Le défendeur soutient que la SPR a raisonnablement conclu que la demande des demandeurs manquait de crédibilité. La SPR a formulé sa conclusion quant au manque de crédibilité de façon claire et sans équivoque, et que celle‑ci est étayée par des exemples qui ont mené la SPR à douter de la preuve présentée par le demandeur : Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 130 NR 236. Les conclusions quant à la crédibilité ne résultaient ni d’un examen microscopique ni d’un excès de zèle. On a plutôt conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles parce que le témoignage du demandeur présentait des contradictions, des omissions et des invraisemblances. Le défendeur fait valoir qu’il est bien établi que la cohérence entre les déclarations d’un demandeur dans son FRP et son témoignage oral contribue à conférer à la demande un fondement crédible : Castroman c Canada (Secrétaire d’État) (1994), 27 Imm LR (2d) 129 (CF 1re inst.); LS c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2010 CF 168, au paragraphe 18.

 

[27]           Le défendeur déclare que les demandeurs contestent les conclusions de la SPR quant à leur crédibilité en reformulant les explications qu’ils ont données à l’audience. Par exemple, en ce qui a trait aux incohérences qui concernent le moment où le demandeur principal a quitté sa demeure, la SPR a tenu compte dans sa décision des explications que celui‑ci a données, à savoir les problèmes avec l’interprète, son état d’esprit et l’ambiguïté des propos. Le défendeur ajoute que l’on ne peut reprocher à la SPR le fait que le FRP du demandeur principal manquait de précision. Quoi qu’il en soit, avance le défendeur, la SPR était libre de tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité, puisqu’elle a à la fois noté et considéré les explications des demandeurs dans sa décision et a donné les raisons pour lesquelles elle ne les a pas acceptées.

 

[28]           Le défendeur soutient que le simple fait qu’un demandeur fournit une explication ne signifie pas obligatoirement que la SPR doit l’accepter, ou encore que les conclusions de la SPR ne sont pas raisonnables; la SPR peut toujours examiner l’explication et décider si elle est suffisante ou non : Allinagogo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 545, au paragraphe 7; Ma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 417, au paragraphe 39. Il n’était pas déraisonnable de la part de la SPR de remettre en question la crédibilité du demandeur principal quant à son retour à la maison, ni de conclure que les incidents étaient fabriqués de toutes pièces, étant donné que son témoignage à ce sujet était contradictoire. Le défendeur ajoute que la SPR peut tirer des conclusions relatives à la vraisemblance fondées sur la logique et la raison, et qu’elle peut aussi rejeter des éléments de preuve s’ils ne concordent pas avec les probabilités applicables à l’affaire dans son ensemble : Aguebor, précité.

 

[29]           Il n’y avait pas qu’un seul facteur déterminant dans la conclusion qu’a tirée la SPR sur le manque de crédibilité du demandeur principal. Cette conclusion reposait plutôt sur un examen de la preuve, sur les omissions, les lacunes relevées dans le témoignage oral et les gestes douteux, ainsi que sur une appréciation de la vraisemblance, considérés dans leur ensemble.

 

[30]           Enfin, le défendeur fait valoir qu’il est bien établi en droit que la Cour devrait hésiter à écarter des conclusions en matière de crédibilité, celles‑ci étant au coeur de la compétence spécialisée de la SPR, en tant que juge des faits : Aguebor, précité, Solis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 ACF no 372, (1re inst.) (QL), paragraphe 3.

 

ANALYSE

[31]           Comme le défendeur le mentionne, il n’y a pas qu’un seul facteur qui a été déterminant dans la conclusion générale défavorable en matière de crédibilité. Cela étant, il est évident que, même si la Cour relève une erreur dans un ou plusieurs aspects de la décision, il convient malgré tout de déterminer si une analyse et un traitement adéquats de la preuve auraient pu mener la SPR à une conclusion différente sur la crédibilité (voir Sawyer, précité, au paragraphe 8).

 

[32]           Au nombre des conclusions problématiques de la SPR figure celle voulant qu’elle « tire donc une conclusion défavorable quant à la crédibilité des allégations du demandeur d’asile principal, du fait des éléments de preuve qui démontrent qu’il n’a pas cessé de vivre dans sa maison le 31 mai 2010 ».

 

[33]           Dans l’exposé circonstancié que contient le FRP, le demandeur principal déclare sans équivoque que Nasim et Naser ont quitté la maison de Ramallah le 31 mai 2010, et qu’ils se sont rendus à Lod, en Israël. Il déclare tout aussi clairement qu’il a lui‑même quitté sa demeure le 31 mai 2010 et a conduit sa femme à l’hôpital, qu’il est resté auprès d’elle toute la nuit et s’est ensuite rendu à Lod le lendemain, le 1er juin 2010. Son témoignage à l’audience concorde avec ces déclarations (voir DCT, p. 191 et 192). Le demandeur principal a dit que [traduction] « les enfants étaient là [Lod] le 31 mai, et moi, j’y suis arrivé à midi le 1er juin ».

 

[34]           Dans son FRP, le demandeur principal a indiqué que juin 2010 était le dernier jour où il a résidé à Ramallah et le premier jour où il a résidé à Lod (voir DCT, p. 19 et 145). La SPR s’est arrêtée à ces dates, estimant qu’il y avait là une incohérence qui minait la crédibilité du demandeur principal.

 

[35]           L’exposé circonstancié du FRP et le témoignage oral démontrent clairement que le demandeur principal a quitté sa maison le 31 mai 2010, tout en restant à Ramallah pour la nuit. Autrement dit, même s’il se trouvait à l’hôpital en compagnie de sa femme, il n’a pas résidé à Lod avant le 1er juin 2010, où il a trouvé refuge chez son frère. Il n’y a là aucune incohérence qui méritait d’être expliquée. Son exposé circonstancié concorde avec son témoignage oral. Si le demandeur principal se trouvait au chevet de sa femme à l’hôpital au cours de la nuit du 31 mai 2010, on peut penser qu’il indiquerait ne pas avoir déménagé de Ramallah à Lod avant juin 2010. Ce fait cadre également avec le témoignage du demandeur, selon lequel il est retourné chez lui à Ramallah pour prendre des documents et des vêtements le 2 juin 2010. S’il y est retourné le 2 juin, il a donc forcément quitté Ramallah le 31 mai ou le 1er juin.

 

[36]           La SPR a signalé cette contradiction au demandeur principal et n’a pas été convaincue par ses réponses. Il est difficile de concevoir comment le demandeur principal aurait pu expliquer, à la satisfaction de la SPR, une contradiction qui n’existait pas. Il a affirmé qu’il avait les idées confuses et qu’il était effrayé. Ce n’est guère surprenant, étant donné que la SPR a conclu à un manque de cohérence alors qu’il n’y en avait aucun. La SPR a refusé ses explications en soulignant qu’il avait « signé une déclaration dans son FRP selon laquelle le formulaire lui avait été interprété intégralement. Il a déclaré que les renseignements qu’il avait fournis dans son FRP étaient complets, vrais et exacts ». Cela est vrai, mais cela signifie également qu’il faut croire le demandeur principal à ce sujet s’il n’existe aucune véritable contradiction. À mon avis, la SPR a commis une erreur susceptible de révision dans sa décision. À tout le moins, la SPR a examiné à la loupe la preuve à ce sujet et a fait preuve d’un excès de zèle pour trouver des contradictions (voir Attakara, précité, au par. 9).

 

[37]           La SPR a également déterminé que le demandeur principal « s’est contredit quant au nombre de fois où il est retourné en Palestine ». Dans l’exposé circonstancié de son FRP et dans son témoignage oral, il a affirmé qu’il n’était retourné qu’une seule fois, le 2 juin 2010, mais lors de son entrevue avec Citoyenneté et Immigration Canada, il a ajouté être retourné le 20 juin 2010. L’explication du demandeur principal à ce sujet n’avait aucun sens, mais le DCT fait état de problèmes fréquents de communication et de traduction. Toutefois, le demandeur principal a également omis de mentionner la fusillade du 20 juin 2010 dans son FRP. Je ne crois donc pas qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure que :

L’absence de toute mention relative à l’incident des coups de feu du 20 juin 2010 dans l’exposé circonstancié et le fait que le demandeur d’asile principal a attendu que la contradiction soit portée à son attention avant de faire une déclaration à ce sujet m’amènent à conclure que le demandeur d’asile principal a vraisemblablement inventé l’événement du 20 juin 2010 pour embellir sa demande d’asile.

 

[38]           La SPR a ensuite jugé que l’incident du 2 juin 2010 avait été inventé, car il était improbable que le demandeur principal soit retourné chez lui, en raison des menaces qui pesaient contre lui. La SPR a trouvé particulièrement improbable qu’il choisisse de retourner chez lui à 21 h le 2 juin 2010, alors qu’il avait reçu un avertissement de 48 heures à environ 22 h le 31 mai 2010.

 

[39]           Je suis entièrement au fait des mises en garde contenues dans la jurisprudence au sujet des conclusions reposant sur des invraisemblances. (Voir Giron, précité, et Aguilar Zacarias, précité, au par. 10). On ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits présentés débordent le cadre de ce à quoi on peut raisonnablement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend : Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2001] ACF no 1131 (QL) par. 7.

 

[40]           Dans la présente affaire, rien dans la preuve n’indique que les événements qui, selon le demandeur principal, seraient survenus le 2 juin 2010 n’auraient pas pu se produire. Alors, les faits présentés débordent‑ils le cadre de ce à quoi on peut raisonnablement s’attendre? Le demandeur principal avance qu’ils n’étaient pas invraisemblables, parce qu’il importait d’obtenir certains documents, dont des passeports, des titres de propriété et des certificats de naissance. Étant donné qu’il avait besoin de ces documents, il soutient qu’il était raisonnable dans les circonstances de retourner à sa maison à Ramallah quand il le pouvait, même une heure avant l’échéance que lui avaient donnée le Hamas et Al-Jihad. Dans l’exposé circonstancié de son FRP, il a affirmé qu’à son arrivée à Lod, il a discuté avec ses frères de ce qu’ils devaient faire, et qu’ils ont tous décidé qu’[traduction] « [ils] devraient quitter le pays ». Cependant, même en admettant qu’il aurait pu avoir jugé essentiel de récupérer les passeports et d’autres documents, cela n’explique toujours pas pourquoi il a choisi de retourner chez lui une heure avant l’échéance, alors qu’il pouvait s’attendre à ce que le Hamas et Al-Jihad soient à sa recherche. En l’absence d’une telle explication, je crois que la SPR avait tout le loisir d’observer que « [n]ul ne s’attendrait à ce qu’une personne [...] choisisse d’attendre jusqu’à la dernière minute avant de retourner chez elle chercher des documents et des vêtements ». Je ne peux pas dire que cette conclusion d’invraisemblance était déraisonnable. Le récit et l’explication du demandeur principal sur ses agissements du 2 juin 2010 débordent le cadre de ce à quoi on peut raisonnablement s’attendre.

 

[41]           La SPR a également conclu que les « déclarations [du demandeur] précisant s’il était ou non sorti du véhicule le 20 juin 2010 n’étaient pas concordantes lors des deux séances ».

 

[42]           Je ne crois pas qu’il y a eu contradiction sur ce point. Lors de la première séance, on lui a demandé s’il est entré dans la maison le 20 juin. Il a répondu [traduction] « non, je ne suis pas entré, j’étais dehors, je lui ai montré la maison et lui ai dit que c’était celle-là, je lui ai montré les clés et lui ai simplement fait visiter la maison (around the house) ». (DCT, à la p. 183). Le témoignage indique clairement qu’il n’est pas entré dans la maison, mais à ce moment, la SPR n’a pas pris soin de demander des précisions sur ce que le demandeur principal voulait dire par « fait visiter la maison (around the house) » à l’agent. Il semblerait que la SPR a supposé que le demandeur voulait dire faire le tour du propriétaire. Lors de la deuxième séance, la SPR est revenue sur la question, et le demandeur a expliqué clairement que, lorsqu’il a dit avoir « fait visiter la maison (around the house) » à l’agent, il voulait dire qu’il était resté assis dans la voiture avec l’agent de l’acheteur potentiel et qu’il lui a montré la maison du doigt ainsi que les limites de la propriété (DCT, p. 196, 198 et 201). Il a expliqué que l’agent [traduction] « n’a pas pu faire le tour, j’ai simplement montré la maison ». La SPR a conclu que les « déclarations [du demandeur] précisant s’il était ou non sorti du véhicule le 20 juin 2010 n’étaient pas concordantes lors des deux séances ». Le demandeur principal n’avait cependant pas changé son témoignage à ce sujet. Lors de la première séance, la SPR lui a demandé ce qu’il voulait dire par « fait visiter la maison (around the house) », et a simplement supposé qu’il avait marché avec l’agent de l’acheteur potentiel autour de la maison. Cependant, il n’a jamais dit cela. Lorsque la question est revenue plus tard et qu’on lui a donné la chance de préciser ce qu’il voulait dire par « fait visiter la maison (around the house) », il a alors expliqué être resté assis dans la voiture en montrant du doigt les limites de la propriété. Il ne s’agit pas d’un changement de témoignage. La SPR a dit que « la logique voudrait donc qu’il ait fait faire le tour du propriétaire à l’acheteur potentiel ». La logique n’a rien à voir ici. Il s’agit d’un homme qui témoigne par l’entremise d’un interprète. Aussitôt qu’on lui a demandé ce que signifiait « fait visiter la maison (around the house) », il s’est expliqué. Rien ne justifiait de remettre en question cette explication, soi-disant pour des raisons de cohérence.

 

[43]           La SPR a également trouvé improbable que le demandeur ait risqué de faire la visite du 20 juin 2010 avec son frère et un acheteur potentiel de la maison :

[59]      La période de grâce de 48 heures accordée le 31 mai 2010 en soirée par le Hamas et Al‑Jihad prenait fin le 2 juin 2010 à 22 h. Plus de deux semaines s’étaient maintenant écoulées depuis cette date. Si les allégations du demandeur d’asile principal concernant la période de grâce et les avertissements étaient crédibles, toute personne qui aurait dès lors tenté d’accéder à la maison ou de s’en approcher aurait assurément été abattue.

 

[60]      Compte tenu des circonstances, il serait fort invraisemblable qu’une personne raisonnable risque sa vie, celle de son frère et celle d’un acheteur potentiel en vue de récolter le produit éventuel de la vente de la maison.

 

[61]      Il serait également fort invraisemblable qu’une personne raisonnable s’attende à pouvoir vendre sa maison alors qu’elle n’a pas osé s’en approcher et la faire visiter à un acheteur potentiel, puisque celle‑ci était prétendument surveillée de près par le Hamas et Al‑Jihad.

 

[62]      Il est tout aussi invraisemblable qu’une personne raisonnable soit disposée à acheter une maison sans même avoir pu la visiter ni faire le tour de la propriété, après être devenue la cible de tireurs du Hamas et d’Al‑Jihad et après que le vendeur eut tenté de la lui pointer du doigt au loin à partir d’un véhicule.

 

[63]      Qui oserait se rendre près d’une maison entourée et surveillée par des membres du Hamas et d’Al‑Jihad déterminés à tuer le propriétaire et sa famille, pour tenter de la vendre? Qui, de surcroît, voudrait acheter une telle maison?

 

[64]      Les constatations relatives à la vraisemblance viennent renforcer ma conclusion tirée précédemment selon laquelle l’incident du 20 juin 2010 a fort probablement été inventé de toutes pièces.

 

[44]           À mon avis, ces conclusions quant à l’invraisemblance sont déraisonnables. Rien ne prouve en effet que le demandeur pouvait s’attendre à ce que le Hamas ou Al-Jihad surveille la maison 24 heures par jour trois semaines après l’échéance. Le demandeur a dit dans son témoignage que les membres de ces organisations l’ont vu quitter les lieux le 2 juin 2010, et qu’il n’est jamais sorti de sa voiture le 20 juin 2010. De plus, rien ne prouve que l’acheteur potentiel ou l’agent avaient quoi que ce soit à craindre du Hamas et d’Al-Jihad, alors que ces groupes visaient expressément les demandeurs. Je ne crois pas qu’il soit raisonnable de la part de la SPR de supposer que « si les allégations du demandeur d’asile principal concernant la période de grâce et les avertissements étaient crédibles, toute personne qui aurait dès lors tenté d’accéder à la maison ou de s’en approcher aurait assurément été abattue ». Aucun élément de preuve ne permet d’étayer cette conclusion. Tout cela est purement spéculatif et va à l’encontre du sens commun. Les faits présentés par le demandeur, surtout en l’absence d’une contradiction évidente sur la question de savoir si le demandeur, son frère et l’agent de l’acheteur potentiel sont sortis ou non de la voiture, ne débordent pas de ce à quoi on pourrait raisonnablement s’attendre.

 

[45]           En définitive, nous sommes saisis d’un salmigondis d’éléments de preuve. En examinant l’affaire dans son ensemble, je crois devoir conclure que les erreurs susceptibles de révision que j’ai relevées rendent la décision incertaine, et qu’une appréciation adéquate des éléments de preuve aurait pu conduire la SPR à une autre conclusion quant à la crédibilité du demandeur principal. Les erreurs ont joué un rôle important dans la décision et l’affaire doit à mon avis être renvoyée pour nouvel examen.

 

[46]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour est du même avis.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen à un tribunal différemment constitué de la SPR.

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑8749‑12

 

INTITULÉ :                                                  MOHAMMAD HUSSEIN MOHAMMAD ADAWI ET AL c
MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 11 septembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 27 novembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Geraldine MacDonald

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Norah Dorcine

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Geraldine MacDonald

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le Défendeur

 

 

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