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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20131209

 

Dossier : IMM-2412-13

 

Référence : 2013 CF 1225

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario, le 9 décembre 2013

 

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

ENTRE :

 

RICHARD LUCIAN PATHINATHAR

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], relativement à une décision datée du 21 février 2013 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] a conclu que Richard Lucian Pathinathar n’avait ni la qualité de « réfugié » ni celle de « personne à protéger » au sens de l’article 96 et des alinéas 97(1)a) et b), respectivement, de la LIPR.

 

II.                Les faits

[2]               Le demandeur, âgé de 28 ans, est citoyen du Sri Lanka, d’origine tamoule et de religion catholique.

 

[3]               Le demandeur fonde sa demande d’asile sur le fait qu’étant un jeune catholique tamoul sri-lankais originaire de la province du Nord, il a été victime d’un traitement assimilable à de la persécution aussi bien de la part de l’Armée sri-lankaise [ASL] que du groupe paramilitaire appelé le Parti démocratique populaire de l’Eelam [EPDP] et que, s’il retourne dans son pays d’origine, il subira un traitement semblable ou sera tué.

 

[4]               Il a soutenu qu’en tant que jeune Tamoul originaire de la province du Nord il risque d’être persécuté (article 96) et s’expose à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités au Sri Lanka car des groupes paramilitaires cherchent à le tuer parce qu’il n’a pas payé entièrement la somme d’argent qu’on tentait de lui extorquer (alinéa 97(1)b)).

 

[5]               Devant la SPR, le demandeur a allégué qu’il a été victime de nombreuses privations, qu’il a été arrêté, qu’il a été intercepté, interrogé et agressé par l’ASL à plusieurs reprises en temps de guerre, que sa famille a dû déménager, et que son frère a été enlevé en 2006 par des militants tamouls et qu’on n’a plus jamais eu de nouvelles de lui. Il a soutenu aussi avoir été enlevé en août 2010 par un militant tamoul et contraint de payer la somme de 75 000 roupies pour qu’on le relâche.

 

[6]               Le demandeur a quitté le Sri Lanka en octobre 2010 et il est arrivé aux États-Unis le 16 novembre 2010, où il a été arrêté et gardé en détention. Plus tard libéré sous caution, il a décidé de venir au Canada, où il a demandé l’asile le 1er janvier 2011.

 

[7]               L’audience devant la SPR a eu lieu le 29 octobre 2012. À la fin de cette dernière, la SPR a donné au demandeur un délai d’un mois pour obtenir des documents auprès des services d’immigration américains. L’audience a été ajournée avant que le conseil du demandeur – Fred Saikali, un consultant en immigration – puisse présenter ses observations finales.

 

[8]               Le 7 décembre 2012, le consultant en immigration du demandeur a fourni à la SPR les documents qu’il avait obtenus du conseil avec lequel le demandeur avait fait affaire aux États‑Unis – ils n’incluaient pas ceux que la SPR avait demandés – de même qu’une lettre indiquant que son client n’avait pas les moyens d’obtenir d’autres documents mais était disposé à signer un document autorisant l’Agence des services frontaliers du Canada à obtenir les renseignements directement auprès du gouvernement des États-Unis. Il a conclu la lettre en disant que son client [traduction] « attendra la décision du commissaire dans cette affaire ».

 

[9]               Le 10 décembre 2012, la SPR a décidé que l’audience reprendrait le 26 février 2013. Le 20 février 2013, elle a toutefois envoyé par télécopieur au consultant en immigration du demandeur un avis l’informant de l’annulation de l’audience fixée au 26 février 2013.

 

[10]           La SPR a rendu sa décision le 21 février 2013.

 

III.             La décision faisant l’objet du présent contrôle

[11]           La SPR s’est dite convaincue de l’identité du demandeur.

 

[12]           La SPR a rejeté en fin de compte la prétention du demandeur selon laquelle il était un « réfugié au sens de la Convention » aux termes de l’article 96 de la LIPR ainsi qu’une « personne à protéger » au sens des alinéas 97(1)a) et b), et ce, principalement parce qu’elle avait des doutes sur sa crédibilité. Elle a également examiné la demande d’asile sur le fond mais l’a néanmoins rejetée.

 

[13]           Pour plusieurs raisons, la SPR n’a pas cru, selon la prépondérance des probabilités, que le récit du demandeur était véridique. Elle a relevé de nombreuses omissions et incohérences dans son témoignage, dans la déclaration qu’il avait faite et l’entretien qu’il avait eu à son point d’entrée [PDE], de même que dans l’exposé circonstancié accompagnant son formulaire de renseignements personnels [FRP]. Le demandeur avait déclaré qu’il avait été enlevé par l’EPDP mais, quand on l’avait interrogé, lors de l’entretien mené au PDE, sur l’identité de ses présumés ravisseurs, il avait répondu qu’il ignorait à quel groupe paramilitaire ceux-ci appartenaient. Le demandeur a été interrogé sur ce point à l’audience et il a soutenu que, lors de cet entretien, il était nerveux. La SPR est arrivée à la conclusion que si le demandeur avait réellement oublié les noms, il n’aurait pas dit [traduction] « je ne le sais pas », mais plutôt quelque chose comme [traduction] « je ne m’en souviens pas ».

 

[14]           La SPR a également signalé qu’on avait demandé au demandeur, lors de l’entretien mené au PDE, si l’un de ses frères et sœurs avait été enlevé par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul [TLET], ce à quoi il avait répondu que non. Cependant, dans son FRP, il soutient que son frère a été enlevé en 2006 et qu’on ne l’a plus jamais revu. Interrogé sur ce point à l’audience, le demandeur a déclaré qu’il avait oublié, mais la SPR a rejeté cette explication, concluant que la disparition d’un frère ou d’une sœur n’est vraisemblablement pas un fait que l’on oublie.

 

[15]           La SPR a exprimé aussi l’avis que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’a pas vécu au Sri Lanka à partir d’un certain moment après l’année 2006. Dans ses motifs, elle a signalé que le demandeur avait – avant une pause-café qui a paru très utile pour sa mémoire – une connaissance générale fort restreinte de la région et des événements qui y étaient survenus, dont des élections. Le demandeur n’a pas pu situer sa ville natale sur une carte, ni donner des détails sur l’évolution de la guerre civile, sinon que celle-ci avait débuté en 2006. La SPR a également souligné que le demandeur, dans la déclaration qu’il avait faite et l’entretien qu’il avait eu au PDE, avait déclaré qu’il craignait les TLET, mais qu’il ne pouvait pas nommer l’un des groupes paramilitaires. S’appuyant sur son expérience face aux demandeurs d’asile sri‑lankais, la SPR a conclu selon la prépondérance des probabilités qu’une personne ayant vécu dans le nord du Sri Lanka saurait que les TLET ne sont plus une menace et connaîtrait vraisemblablement certains des noms des divers groupes paramilitaires.

 

[16]           Par ailleurs, le demandeur a fourni à la SPR fort peu de preuves corroborantes à prendre en considération; il n’a même pas produit une photocopie de son passeport sri-lankais. De plus, il aurait pu fournir son formulaire de demande d’asile aux États-Unis et, plus particulièrement, la transcription de son entrevue visant à évaluer la crédibilité de sa crainte, mais il ne les avait pas obtenus du gouvernement des États-Unis. La SPR a même donné au demandeur un délai d’un mois pour obtenir ces documents du gouvernement des États-Unis, mais il a prétendu qu’il n’avait pas les moyens d’obtenir des documents supplémentaires, une déclaration que la SPR a jugée difficile à croire car il avait un représentant juridique au Canada et, à un certain moment, aux États-Unis. Elle a donc conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de l’obligation que lui imposait l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2012-256), soit celle de fournir des documents acceptables.

 

[17]           La SPR a mis également en doute le fait que le demandeur, qui était représenté par un conseil aux États-Unis à l’époque, avait décidé d’entrer au Canada pendant qu’il attendait que l’on fixe une date d’audience devant un juge de l’immigration aux États-Unis, même si, selon la prépondérance des probabilités, ce conseil lui aurait dit qu’aux États-Unis le processus d’examen des demandes d’asile est très rapide et que, à ce moment-là, le taux d’acceptation était de 96 %. En fin de compte, la SPR a conclu que le demandeur n’était probablement pas autant à la recherche d’une protection que d’un moyen d’obtenir la résidence au Canada.

 

[18]           Après avoir rejeté les prétentions du demandeur pour des questions de crédibilité, la SPR a indiqué que même si l’on acceptait que ces allégations étaient crédibles, la demande serait néanmoins rejetée. Se fondant sur la documentation, la SPR a conclu que le risque que présente l’EPDP pour le demandeur découle d’un risque généralisé dans sa région, qui cible les gens ayant de l’argent, un groupe que la jurisprudence ne reconnaît pas comme un « groupe social » au sens de l’article 96 de la LIPR.

 

[19]           La SPR a dit en terminant que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau d’établir que ses allégations étaient véridiques, que les Nations Unies ont modifié leurs directives en vue d’indiquer que les Sri-Lankais originaires de la province du Nord n’ont plus besoin de protection internationale selon les critères applicables aux réfugiés et que le demandeur ne courrait aucun risque en tant que demandeur d’asile débouté et rapatrié s’il retournait au Sri Lanka, car il y a eu avant lui des milliers de personnes dans la même situation que la sienne.

 

IV.             Les observations du demandeur

[20]           Le demandeur est d’avis que la SPR a commis une erreur grave, assimilable à un manquement à la justice naturelle, lorsqu’elle a annulé la seconde audience fixée au 26 février 2013, privant ainsi son consultant en immigration de la possibilité de traiter des documents présentés et de présenter ses observations finales. Cette erreur, soutient-il, constitue une violation de la justice naturelle et, plus précisément, de son droit à une audition, comme l’indique la jurisprudence.

 

[21]           Le demandeur ajoute que la SPR n’a pas motivé sa décision d’annuler la seconde audience et, partant, de ne pas accepter les observations du consultant en immigration.

 

[22]           À titre d’argument secondaire, le demandeur soutient que son consultant en immigration a agi indépendamment de ses instructions, du fait de son incompétence, et que cela est assimilable à une autre violation de la justice naturelle, relativement à son droit à l’assistance d’un avocat. Il prétend n’avoir jamais donné instruction à son consultant en immigration d’informer la SPR qu’il n’était pas en mesure d’obtenir d’autres documents du gouvernement des États-Unis. Il ajoute par ailleurs que son aptitude à communiquer en anglais est restreinte et qu’il n’avait pas tout à fait saisi la teneur de la lettre que lui avait envoyée le conseil avec qui il faisait affaire aux États-Unis, à savoir que c’est le demandeur d’asile lui-même qui doit prendre les mesures requises pour obtenir les documents auprès du gouvernement des États-Unis.

 

V.                Les observations du défendeur

[23]           Le défendeur est d’avis qu’il n’y a pas eu en l’espèce de manquement à l’équité procédurale, tant pour ce qui est de la décision d’annuler la seconde audience que de la présumée incompétence du consultant en immigration du demandeur.

 

[24]           Premièrement, pour ce qui est de la décision de la SPR d’annuler l’audience fixée au 26 février 2013, le défendeur soutient que la décision contestée a été prise après avoir reçu du consultant en immigration du demandeur une communication disant que son client [traduction] « attendra la décision du commissaire dans cette affaire ». Étant donné que l’on ne peut pas dissocier la conduite du conseil de celle de son client, la SPR était en droit de présumer que cette lettre était une indication claire du demandeur à la SPR, par l’intermédiaire de son consultant en immigration, qu’il n’avait pas l’intention de revenir en salle d’audience pour présenter des observations. La seconde audience, devenue maintenant inutile, a été annulée.

 

[25]           Deuxièmement, pour ce qui est de l’argument du demandeur à propos de l’incompétence de son consultant en immigration, le défendeur soutient que le demandeur n’a pas satisfait au critère à trois volets qui est énoncé dans la jurisprudence. Selon ce critère, pour que la conduite d’un représentant soit assimilable à un manquement à l’équité procédurale, il faut que le demandeur établissent trois éléments :

 

1.  les présumés actes ou omissions du représentant relevaient de l’incompétence;

2.  la présumée conduite a porté préjudice au demandeur;

3.  une erreur de justice a été commise, en ce sens que, n’eût été de la présumée conduite, il y a une probabilité raisonnable que l’issue de l’audience initiale aurait été différente.

 

[26]           Le défendeur soutient que le demandeur n’a produit aucune preuve attestant que les actes de son consultant en immigration relevaient de l’incompétence et que, qui plus est, il n’est pas parvenu à établir que cette incompétence lui a été préjudiciable et a causé une erreur de justice.

 

[27]           Par ailleurs, le défendeur est d’avis qu’il ressort clairement de la décision de la SPR que celle-ci a pris en considération les documents que le demandeur a fournis. Cependant, elle a signalé de manière raisonnable que le demandeur n’avait rien fait pour obtenir les documents demandés auprès du gouvernement des États-Unis, même si le conseil avec lequel il faisait affaire dans ce pays lui avait dit que c’était lui-même qui devait le faire. Il incombait au demandeur de produire des documents appropriés à la SPR, et il ne l’a pas fait.

 

VI.             L’affidavit supplémentaire et les pièces additionnelles du demandeur

[28]           Le demandeur a produit un affidavit supplémentaire, qui sert deux fins. Premièrement, le demandeur présente à la Cour une plainte officielle déposée le 7 octobre 2013 contre son consultant en immigration, auprès du Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada. Cette plainte s’inspire en grande partie des arguments invoqués dans les observations initiales du demandeur. Deuxièmement, ce dernier souhaite porter à l’attention de la Cour une décision favorable de la SPR, datée du 12 juillet 2012 et traitant de l’existence d’un risque pour les Tamouls de sexe masculin au Sri Lanka.

 

VII.          Le mémoire des arguments supplémentaire du défendeur

[29]           Prenant appui sur ses observations initiales, le défendeur a produit des arguments supplémentaires à l’appui de ses prétentions.

 

[30]           Le défendeur réitère que le demandeur n’a pas établi que les actes de son ancien consultant en immigration relevaient de l’incompétence, et que ces actes lui ont été préjudiciables et ont causé une erreur de justice. Le demandeur, qui a omis d’obtenir lui-même les documents américains que la SPR avait demandés, n’a pas démontré qu’il aurait été en mesure d’obtenir ces documents, n’eût été de l’incompétence de son consultant en immigration. Par ailleurs, il n’a présenté aucun argument qu’il aurait pu invoquer dans ses observations à la SPR et qui traiterait des conclusions importantes sur la crédibilité qui ont été tirées dans les décisions.

 

[31]           Le défendeur soutient de plus que, contrairement à ce que laisse entendre le demandeur, jamais la SPR n’a mentionné qu’elle ne voulait pas entendre d’observations. En fait, elle lui a donné la possibilité d’en faire mais, par l’entremise de son consultant en immigration, il lui a envoyé une lettre indiquant qu’il attendait la décision du commissaire dans cette affaire, une lettre que la SPR a considéré de manière raisonnable comme la renonciation du demandeur à son droit de présenter des observations.

 

[32]           Quant à l’argument du demandeur selon lequel il n’a jamais donné instruction à son consultant en immigration de faire savoir à la SPR qu’il n’était pas en mesure d’obtenir des documents supplémentaires aux États-Unis, le défendeur ajoute que le demandeur n’a produit aucune preuve sur les instructions réelles qu’il a données. De ce fait, la Cour n’est nullement en mesure d’évaluer ce point.

 

[33]           Le défendeur soutient également que le demandeur n’a pas établi que son aptitude restreinte à communiquer en anglais l’empêcherait de prendre les mesures requises pour obtenir les documents demandés du gouvernement des États-Unis. En fait, il existe une preuve que le demandeur a lui-même écrit en anglais au conseil avec lequel il faisait affaire aux États-Unis. De plus, si l’on considère que la SPR a insisté un certain nombre de fois sur la mesure dans laquelle il était important que le demandeur obtienne ces documents du gouvernement des États-Unis, le demandeur aurait vraisemblablement su que les documents auraient pu être utiles pour la décision à rendre dans l’affaire et qu’il aurait dû prendre toutes les mesures requises pour les obtenir.

 

[34]           Enfin, le défendeur soulève une objection à propos de la décision additionnelle de la SPR que le demandeur a présentée avec son affidavit supplémentaire, car il s’agit là d’une preuve nouvelle dont la Cour n’a pas à tenir compte.

 

VIII.       La question en litige

[35]           Y a-t-il eu en l’espèce manquement à l’équité procédurale, de sorte qu’il est justifié que la Cour intervienne?

 

IX.             La norme de contrôle applicable

[36]           Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 55, 60 et 79 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43).

 

X.                L’analyse

[37]           Contrairement à ce que laisse entendre le demandeur, la présente affaire ne comporte aucun manquement à l’équité procédurale qui justifie que la Cour intervienne.

 

[38]           Tout d’abord, la Cour traitera de la question de l’incompétence du conseil avant celle du droit à une audience, car la réponse à la première question est cruciale pour la manière de disposer de la seconde allégation d’inéquité procédurale. En règle générale, il est bien connu que l’on ne peut pas dissocier la conduite d’un avocat (d’un conseil, en l’occurrence) de celle du client, car l’avocat agit comme représentant du client. En fait, le client qui choisit librement d’être représenté doit accepter les conséquences de cette décision, sous réserve de certains cas extraordinaires dans lesquels la conduite de l’avocat témoignera d’une négligence telle qu’il sera justifié d’infirmer une décision au stade du contrôle judiciaire (Huynh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 642, au paragraphe 23, 21 Imm LR (2d) 18 et Robles c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 374, au paragraphe 31, [2003] ACF no 520).

 

[39]           Dans la présente affaire, le fait que le premier conseil du demandeur ne soit pas un avocat ne change rien à cet égard, car les principes qui s’appliquent à la relation entre un demandeur et un consultant en immigration sont les mêmes (Dvorianova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 413, au paragraphe 17, [2004] ACF no 505 et Cove c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 266, [2001] ACF no 482).

 

[40]           Comme l’a signalé avec justesse le défendeur, pour qu’un demandeur puisse établir que la conduite de son représentant (c.-à-d., son incompétence) est assimilable à un manquement à l’équité procédurale justifiant que la Cour intervienne, ce demandeur doit satisfaire à un critère à trois volets qui est énoncé dans la jurisprudence (R c GDB, 2000 CSC 22, aux paragraphes 26 à 29, [2000] 1 RCS 520 et Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 269, aux paragraphes 17 et 24, [2008] ACF no 344 [Yang]) :

 

1.  les présumés actes ou omissions du représentant relevaient de l’incompétence;

2.  la présumée conduite a porté préjudice au demandeur;

3.  une erreur de justice a été commise en ce sens que, n’eût été de la présumée conduite, il y a une probabilité raisonnable que l’issue de l’audience initiale aurait été différente.

 

[41]           Le fardeau de prouver l’incompétence d’un avocat (ou d’un conseil) incombe au demandeur (décision Yang, précitée, au par. 18) qui, en l’espèce, ne satisfait à aucun des trois volets du critère.

 

[42]           Le demandeur devait tout d’abord établir que les présumés actes ou omissions de son représentant relevaient de l’incompétence, mais il n’a fourni aucune preuve dénotant que les actes de son consultant en immigration allaient à l’encontre de ses instructions. Il a effectivement déposé une plainte officielle auprès du Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada contre son consultant en immigration. La plainte a été déposée le 7 octobre 2013, tandis que la présente demande de contrôle judiciaire l’a été le 2 avril 2013. Il est vrai que la Cour a déclaré antérieurement que de telles formes de notification sont considérées comme une étape importante dans le maintien d’allégations d’incompétence (Ghahremani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1494, au paragraphe 11, [2006] ACF no 1891). À l’audience, l’avocat du demandeur a informé la Cour que le Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada a récemment rejeté la plainte déposée contre le consultant. De plus, le demandeur n’a produit aucune preuve sur les instructions données à son consultant en immigration qui permettrait à la Cour de décider si la conduite du consultant relevait de l’incompétence. De ce fait, le demandeur ne satisfait pas au premier volet du critère applicable.

 

[43]           Il incombait aussi au demandeur d’établir qu’il a subi un préjudice et qu’une erreur de justice a été commise, ce qu’il n’a pas fait; il ne satisfait donc pas aux deux derniers volets du critère applicable. En fait, la SPR a principalement rejeté les prétentions du demandeur en se fondant sur des conclusions nombreuses et sérieuses quant à sa crédibilité, et ce dernier ne les a même pas contestées. En fait, la SPR a relevé plusieurs contradictions dans le récit du demandeur, dont le fait troublant que ce dernier semblait avoir oublié que son frère avait été enlevé et qu’on ne l’avait plus jamais vu, et ses conclusions quant à la crédibilité suffiraient, à elles seules, pour rejeter les prétentions du demandeur. Cependant, ce dernier conteste simplement le fait qu’on l’a censément privé de son droit à une audition – et il ne met de l’avant aucun élément d’information qui montrerait en quoi ces conclusions sont déraisonnables ou qui expliquerait les incohérences et les invraisemblances que la SPR a relevées dans sa preuve. Qui plus est, comme l’a déclaré à juste titre le défendeur, le demandeur n’a pas pu expliquer de quelle façon, n’eût été de la présumée incompétence de son conseil, il aurait obtenu les documents américains pour lesquels la SPR avait ajourné l’audience au départ. Il n’a donc pas été établi qu’il y a une probabilité raisonnable que, sans l’incompétence de son consultant en immigration, l’issue de l’audience aurait été différente et que, de ce fait, une erreur de justice a été commise qui justifierait que la Cour intervienne.

 

[44]           Pour ces motifs, je conclus que la présumée incompétence du consultant en immigration du demandeur n’est pas assimilable à un manquement à l’équité procédurale qui permettrait à la Cour d’infirmer la décision de la SPR.

 

[45]           Cependant, l’argument principal qu’invoque le demandeur en l’espèce est que la SPR a manqué à l’équité procédurale quand elle a annulé la seconde audience, fixée au 26 février 2013. La Cour conclut que ce n’est pas le cas. Comme l’a déclaré avec raison le défendeur, le 7 décembre 2012 le consultant en immigration du demandeur avait envoyé les documents obtenus du gouvernement américain, accompagnés d’une lettre disant, à la fin : [traduction] « Mon client attend la décision du commissaire dans cette affaire. » De plus, un agent de gestion d’instance de la SPR, dans une conversation tenue avec le consultant le 30 janvier 2013, s’est enquis des documents et a transmis un message télécopié le même jour (voir le mémoire des arguments du défendeur, à la page 15). Le consultant a ensuite envoyé à la CISR, le 4 février 2013, la lettre du 7 décembre 2012 de pair avec les documents (voir le dossier certifié du tribunal, page 49). Cela montre qu’il y a eu un échange constant entre la SPR et le consultant et que, à aucun moment après l’annulation de l’audience le 20 février 2013, le consultant ne s’est opposé à cette annulation parce qu’il voulait présenter des observations.

 

[46]           Comme il a été dit plus tôt, on ne peut généralement pas dissocier la conduite de l’avocat (ou du conseil) de celle du client. Malgré cette règle, il est parfois possible d’infirmer une décision si une partie démontre avec succès l’incompétence de cette personne. Il a été démontré plus tôt que ce n’est pas le cas en l’espèce et, compte tenu de la conclusion antérieure, il me faut analyser la situation en tenant compte du fait que l’argument lié à l’incompétence du conseil a été rejeté. Le demandeur prétend qu’il a droit à une audience et à la présentation d’observations. Bien que cela soit sans aucun doute exact et constitue l’un des principes les plus importants de notre système judiciaire, je conclus que, comme le défendeur l’a déclaré, le demandeur a renoncé à son droit d’être entendu et de présenter des observations à cause des actes de son consultant en immigration. La SPR a considéré la communication qu’elle a reçue de ce dernier pour le compte du demandeur comme un message du demandeur lui-même. Après avoir lu la communication du 7 décembre 2012 ainsi que la teneur de l’échange qui a suivi, et en tenant compte du fait que le conseil agit comme un représentant (c.‑à‑d. au nom) du demandeur, cette interprétation semble précisément correcte ou, à tout le moins, il était certainement loisible à la SPR de l’interpréter de cette façon.

 

[47]           Un demandeur doit assumer les conséquences des actes d’un représentant qu’il a librement choisi.

 

[48]           Au vu de ce qui précède, je conclus que la présente affaire ne comporte aucune manquement à l’équité procédurale qui justifierait que la Cour intervienne. En me fondant sur les motifs que le demandeur a évoqués, je conclus donc que la décision de la SPR est correcte et qu’il y a lieu de la confirmer.

 

[49]           Par ailleurs, si les parties avaient présenté des arguments ou des questions qui auraient amené à examiner les motifs de la SPR dans leur ensemble, la Cour en serait tout de même venue à conclure que la décision est raisonnable (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47), parce que, comme il a été indiqué plus tôt, la SPR a tiré d’importantes conclusions au sujet de la crédibilité (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, au paragraphe 4, [1993] ACF no 732) que le demandeur n’a pas contestées, et que ces conclusions peuvent justifier le refus d’une demande d’asile (Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 11 Imm LR (2d) 81, au paragraphe 7, [1990] ACF no 604).

 

[50]           Les parties ont été invitées à soumettre des questions à certifier, mais aucune n’a été proposée.

 


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE QUE la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Simon Noël »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2412-13

 

INTITULÉ :                                      PATHINATHAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 4 DÉCEMBRE 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 9 DÉCEMBRE 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Styliani Markaki

POUR LE DEMANDEUR

 

Gretchen Timmins

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Styliani Markaki

Avocat

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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