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Date : 20130927

Dossier : IMM-9590-12

Référence : 2013 CF 992

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2013

En présence de monsieur le juge Annis

 

 

ENTRE :

 

TAJARAF HUSSAIN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, d’une décision selon laquelle le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

Contexte

[2]               M. Hussain est né en 1977 au Pakistan. Il pratique l’agriculture et compte huit ans de scolarité. II est musulman sunnite, mais a noué des liens étroits avec la communauté ahmadie. Au début de 2010, les habitants de sa région se sont mis à le boycotter socialement pour cette même raison et, en mars 2010, il a commencé à recevoir des appels téléphoniques menaçants des Talibans de la localité et de quelques fanatiques sunnites. Il a fait rapport de ces incidents à la police, qui n’y a pas donné suite.

 

[3]               Le 20 mai 2010, une bande de fanatiques sunnites ont saccagé et pillé sa maison et l’ont battu. Ils l’ont prévenu qu’il serait tué s’il continuait de fréquenter des Ahmadis. Il a rapporté cet incident à la police, mais, cette fois non plus, elle n’a pas agi. Le 26 juin 2010, il a été agressé par des fanatiques sunnites alors qu’il rentrait du bureau. Il a été blessé et s’est fait soigner à une clinique de sa localité. Il a rapporté cet incident aussi à la police, qui n’y a toujours pas donné suite. Il s’est caché chez un ami ahmadi durant juillet et août 2010. Après quoi, il est retourné dans sa localité pensant que les fanatiques l’avaient oublié, mais les Talibans ont recommencé à lui faire des menaces par téléphone. Craignant d’être tué, il a demandé un visa de visiteur au Canada. Il ne craignait pas de quitter sa femme enceinte et sa fille car les Talibans ne s’attaquent pas aux femmes et aux enfants.

 

[4]               Le 15 septembre 2010, pendant qu’il attendait son visa, il a reçu un appel des Talibans qui l’ont prévenu de ce qu’ils lui trancheraient la tête lorsqu’ils le rattraperaient sur la route. Il a quitté le Pakistan le 24 septembre 2010. Sa femme a donné naissance à leur deuxième enfant, un garçon, une semaine plus tard et elle continue à recevoir des coups de téléphone menaçants de la part des Talibans.

 

Décision contestée

[5]               La Section de la protection des réfugiés [SPR] a conclu, le 23 août 2012, que M. Hussain n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention. Dans ses motifs, le tribunal de la SPR a fait observer que les questions déterminantes tenaient à la crédibilité du demandeur et au fondement objectif de la crainte de persécution invoquée.

 

[6]               Le commissaire a fait observer qu’un témoignage prêté sous serment est présumé véridique à moins qu’il n’existe une raison valable d’en douter. Il a également fait remarquer qu’un tribunal doit être convaincu qu’il est probable, et non seulement possible, qu’un récit soit véridique. Le commissaire a ensuite signalé que, en dépit du fait qu’il était représenté par un conseil et qu’il était au courant, comme il l’était précisé dans le Formulaire de renseignements personnels [FRP], de la nécessité de fournir des éléments de preuve documentaire pour étayer sa demande, le demandeur n’a produit aucun document convaincant corroborant son association à un groupe ahmadi du Pakistan. Il n’avait aucun reçu des dons qu’il avait prétendu avoir versés à ce groupe. Le seul affidavit qu’il avait produit avait été rédigé par un cousin de son ami (soit une personne intéressée) et non par le groupe concerné au Pakistan, et ne précisait pas que l’auteur était un Ahmadi ou qu’il occupait une fonction l’autorisant à s’exprimer au nom des Ahmadis. La preuve produite après l’audience émanait également du groupe Ahmadi du Canada, et non de celui du Pakistan. À défaut de preuve documentaire, la SPR ne pouvait conclure que le demandeur avait des liens avec le groupe ahmadi du Pakistan et n’a donc pas cru que le demandeur avait été ciblé pour cette raison.

 

[7]               Le demandeur n’a pas produit des éléments de preuve documentaire suffisants ou convaincants pour établir que sa femme et ses enfants avaient été pris pour cibles depuis son départ, quoiqu’il ait prétendu que des menaces avaient été proférées à leur égard même avant qu’il ne quitte le Pakistan. Il n’a produit aucune preuve documentaire convaincante pour appuyer son allégation selon laquelle les fanatiques sunnites et les Talibans ne s’en prennent pas aux femmes et aux enfants. La raison qu’il a fournie pour expliquer pourquoi il était sorti de sa cachette après deux mois, à savoir qu’il pensait qu’on l’avait oublié, n’était pas vraisemblable et révélait l’absence d’une crainte subjective de persécution.

 

[8]               Le rapport médical qu’il a présenté n’indiquait pas la façon dont il avait subi ses blessures. La SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les blessures avaient été infligées lors de la perpétration d’un acte criminel ordinaire.

 

[9]               Compte tenu de l’ensemble de la preuve, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible pour ce qui concernait les éléments significatifs et essentiels de sa demande d’asile. Comme elle a conclu à l’absence d’une crainte subjective de persécution et, comme la crainte alléguée de persécution n’avait aucun fondement objectif, la SPR a conclu qu’il était moins que possible que le demandeur soit persécuté s’il retournait au Pakistan. Il ne serait pas plus exposé à un risque de mort ou de peines et de traitements cruels et inusités ni à un risque de torture.

 

Questions en litige

[10]           Le demandeur pose les quatre questions suivantes :

a.       La SPR a-t-elle tiré une conclusion de fait déraisonnable en concluant que la preuve documentaire présentée après l’audience provenait du groupe ahmadi du Canada plutôt qu’à celui du Pakistan?

b.      La SPR a-t-elle tiré une conclusion de fait déraisonnable en concluant que le demandeur n’avait pas fourni les reçus des dons qu’il avait versés à la communauté ahmadie du Pakistan?

c.       La SPR a-t-elle tiré une conclusion de fait déraisonnable en concluant que l’affidavit produit par le demandeur n’indiquait pas si l’auteur était membre de la communauté ahmadie?

d.      La SPR a-t-elle fait erreur en ne donnant aucun poids à l’affidavit produit par le demandeur parce qu’il avait été rédigé par le cousin de son ami?

 

[11]           Ces questions peuvent se résumer en une seule : la SPR a-t-elle tiré des conclusions de fait et des conclusions mixtes de fait et de droit qui sont déraisonnables?

 

Norme de contrôle

[12]           Les parties ont convenu que la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait et aux conclusions mixtes de fait et de droit est celle de la décision correcte. Voir, par exemple, la décision Hussaini c Canada (MCI), 2012 CF 239, aux paragraphes 11 à 14 :

11   La Cour suprême du Canada a conclu, dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], qu’il n’y a que deux normes de contrôle : la norme de la décision correcte pour les questions de droit, et la norme du caractère raisonnable pour les questions mixtes de fait et de droit et les questions de fait. Elle a indiqué également que, lorsque la norme de contrôle a été déterminée précédemment, l’analyse de la question ne doit pas nécessairement être reprise : Dunsmuir, par. 62.

 

12   Les conclusions relatives à la crédibilité reposent sur les faits. Elles doivent être révisées selon la norme du caractère raisonnable et faire l’objet d’une grande retenue : Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF), au paragraphe 4.

 

13   Récemment, la Cour suprême du Canada a affirmé que l’examen de la suffisance des motifs doit être effectué dans le cadre de l’analyse de la question de savoir si la décision dans son ensemble, à savoir les motifs et le résultat, est raisonnable : Newfoundland & Labrador Nurses Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, 208 ACWS (3d) 435, par. 22.

 

14   Par conséquent, la norme de contrôle applicable à l’égard de la question de savoir si les motifs de l’agent relatifs à la crédibilité étaient adéquats est celle du caractère raisonnable. De même, la norme de contrôle des motifs de l’agent relativement à la question du statut de réfugié au sens de la Convention est aussi celle du caractère raisonnable.

 

Analyse

[13]           Le demandeur soutient que la SPR a tiré de nombreuses conclusions de fait quant à sa crédibilité et à son défaut de produire des preuves de son association à la communauté ahmadie du Pakistan. Il fait valoir que ces conclusions étaient arbitraires et qu’elles ont donné, que ce soit collectivement ou individuellement, à une erreur susceptible de contrôle. Je souscris à cette observation selon laquelle des erreurs se sont produites par suite d’une mauvaise appréciation de la preuve et conviens que la décision doit être infirmée.

 

[14]           Essentiellement, l’erreur provient de la conclusion – admise comme étant erronée – selon laquelle d’importants documents n’émanaient pas du secrétaire financier de la mosquée ahmadie au Pakistan. Croyant qu’ils provenaient de Toronto, la SPR a rejeté ces documents et a tiré des conclusions défavorables importantes relativement à la crédibilité du demandeur.

 

[15]           Le défaut de la SPR de déterminer adéquatement l’origine de ces documents et les conséquences néfastes qui en ont découlé sont expliqués comme suit au paragraphe 14 de l’énoncé de ses motifs :

La preuve documentaire présentée après l’audience [une lettre à l’en‑tête de la mosquée] provient du groupe ahmadi au Canada. Ce document ne mentionne pas, lui non plus, que le demandeur d’asile est impliqué auprès du groupe ahmadi au Pakistan. Étant donné qu’il n’y a pas de preuve documentaire convaincante, le tribunal n’est pas persuadé que le demandeur d’asile était impliqué auprès du groupe ahmadi au Pakistan; par conséquent, le tribunal ne croit pas qu’il ait été ciblé par des talibans et des musulmans sunnites fanatiques au Pakistan, comme il le prétend.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[16]           Il est clair que la SPR s’est fondée largement sur l’absence présumée de documents provenant du Pakistan qui auraient pu corroborer l’association du demandeur au groupe ahmadi. C’est en raison du défaut apparent du demandeur d’établir ce lien que la SPR n’a pas cru que les autorités l’avaient pris pour cible, fait autour duquel s’articulait son exposé narratif.

                                                            

[17]           Par ailleurs, la SPR a commis une erreur de droit en ne donnant aucun poids à l’affidavit non assermenté présenté par le demandeur. Voici comment la SPR explique ses motifs, à la page 13 :

Le tribunal ne donne aucun poids à l’affidavit rédigé par le cousin de l’ami du demandeur d’asile puisqu’il s’agit d’une personne ayant un intérêt quant à l’issue de la demande d’asile. À la question 31 du Formulaire de renseignements personnels, il est expliqué au demandeur d’asile qu’il doit fournir une preuve documentaire pour étayer sa demande d’asile. À l’audience, le demandeur d’asile était représenté par un conseil, et pour cette raison, le tribunal s’attendait à recevoir une preuve documentaire provenant du groupe ahmadi au Pakistan décrivant l’implication du demandeur d’asile auprès du groupe.

 

 

 

[18]           La SPR, à ce deuxième égard, n’a pas reconnu que l’« ami du cousin » était lui‑même le secrétaire financier de la mosquée qui avait fourni des preuves des contributions financières du demandeur et de la relation étroite que ce dernier entretenait avec la communauté ahmadie. Par conséquent, la SPR a, là encore, conclu à tort que le demandeur n’avait pas produit de document attestant de ses pratiques religieuses au Pakistan qui émanait d’une personne habitant au Pakistan. Le demandeur a soulevé d’autres points relativement au raisonnement bâti par la SPR au paragraphe 13 susmentionné, mais il est inutile de les examiner vu la totale méprise quant à l’origine de l’affidavit.

 

[19]           Pour ces motifs, j’estime que la conclusion tirée par la SPR quant à la crédibilité du demandeur et rejetant l’allégation de persécution religieuse était déraisonnable et, comme elle était à la base de la décision, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie.

 

 

« Peter Annis »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9590-12

 

INTITULÉ :                                      TAJARAF HUSSAIN c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 24 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 27 septembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Max Berger

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alison Engel-Yan

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Max Berger Max

Professional Law Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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