Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 20140107

 

Dossier : IMM-2224-13

 

Référence : 2014 CF 11

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

SINGH, IQBAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.          Aperçu

[1]               Il est reconnu qu'une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR) vise à évaluer les nouveaux risques qui sont apparus depuis le rejet de la demande d'asile. Les demandes d'ERAR ne peuvent pas et ne doivent pas servir d'appel ou de réexamen de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de rejeter une demande d'asile (Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 12).

 

II.        Introduction

[2]               Le demandeur demande le contrôle judiciaire, aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d'une décision rendue le 7 décembre 2012 par une agente principale d'immigration, rejetant la demande d'ERAR du demandeur.

 

III.       Le contexte

[3]               Le demandeur, M. Iqbal Singh, est un citoyen de l'Inde d'origine sikhe âgé de 58 ans. Il réside à Amritsar, au Pendjab, depuis novembre 1996.

 

[4]               Le demandeur soutient qu'en avril 1996, un militant sikh s'est présenté à son domicile et a ordonné à sa famille de le nourrir et de l'héberger sous la menace d'une arme.

 

[5]               Le demandeur affirme qu'après cet incident, la police, le soupçonnant d'être le complice de militants sikhs, a commencé à faire enquête à son sujet. Il précise qu'il a été arrêté en juin 2000, en octobre 2001 et en juin 2002 en raison de son affiliation perçue avec les éléments militants sikhs.

 

[6]               Monsieur Iqbal Singh est arrivé au Canada, de l'Inde, le 3 septembre 2002. Il a demandé l'asile le 8 octobre 2012.

 

[7]               Le 29 août 2003, la SPR a rejeté la demande d'asile de M. Iqbal Singh, concluant qu'il n'avait pas établi son identité et qu'il avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) raisonnable à l'extérieur du Pendjab.

 

[8]               Le 6 janvier 2004, M. Iqbal Singh a présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision, qui a été rejetée.

 

[9]               Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d'ordre humanitaire en 2007, en 2008 et en 2009. Les trois demandes ont été rejetées. La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire concernant la troisième demande (IMM‑2289‑13).

 

[10]           Le 6 février 2012, le demandeur a demandé un ERAR, demande qui a été rejetée le 7 décembre 2012.

 

[11]           Le 24 avril 2013, le demandeur a présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision relative à l'ERAR du 7 décembre 2012, soit la demande sous‑jacente dont est saisie la Cour.

 

IV.       La décision visée par le contrôle

[12]           Dans sa décision, l'agente a conclu que les allégations du demandeur étaient essentiellement les mêmes que celles qu'avait déjà appréciées la SPR. Elle a conclu que le demandeur n'avait pas fourni suffisamment de nouveaux éléments de preuve pour réfuter la conclusion de la SPR selon laquelle il avait une PRI à l'extérieur du Pendjab.

 

[13]           De plus, l'agente a conclu que le demandeur n'avait pas fourni d'éléments probants à l'égard de nouveaux risques qui le rendraient personnellement à risque en Inde.

 

[14]           L'agente a par conséquent jugé qu'il n'existait qu'une [TRADUCTION] « simple possibilité » que le demandeur soit exposé à la persécution en Inde ou qu'il y ait des motifs sérieux de croire que le demandeur s'exposerait au risque d'être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

V.        La question en litige

[15]           L'agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne s'exposerait pas à un risque personnel s'il rentrait en Inde?

 

VI.       Les dispositions légales pertinentes

[16]           Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes en l'espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérentes à celles-ci ou occasionnées par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquate.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d'une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

[...]

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

. . .

 

Examen de la demande

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

a) le demandeur d'asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n'étaient alors pas normalement accessibles ou, s'ils l'étaient, qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce qu'il les ait présentés au moment du rejet;

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l'estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

c) s'agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

[...]

Consideration of application

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

. . .

 

VII.     Les thèses des parties

[17]           Le demandeur soutient que l'agente a commis une erreur dans l'appréciation des éléments de preuve au sujet de sa situation s'il rentrait en Inde. Le demandeur estime notamment que l'agente n'a pas tenu compte de sa nouvelle situation, soit que ses titres de voyage ne sont pas en règle et qu'il sera interpellé à l'aéroport par les autorités indiennes étant donné que les passagers font l'objet d'un examen minutieux à leur arrivée.

 

[18]           Le défendeur affirme que l'agente a dûment pris en compte l'ensemble des allégations faites et des documents produits par le demandeur à l'appui de sa demande, et a clairement expliqué ses conclusions au sujet de leur valeur probante, ou leur absence de valeur probante.

 

[19]           Le défendeur soutient que le demandeur n'a pas réfuté les conclusions de la SPR et n'a pas montré qu'il s'exposerait à un risque personnel s'il rentrait en Inde. Pour cette raison, la décision était raisonnable dans les circonstances.

 

VIII.    La norme de contrôle

[20]           La norme de contrôle d'une décision d'un agent d'ERAR est celle de la décision raisonnable (Terenteva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 1431; Shaikh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 1318, au paragraphe 16).

 

[21]           Si la norme de la décision raisonnable s'applique, les tribunaux ne peuvent intervenir que si la décision et sa justification ne possèdent pas les attributs de la raisonnabilité. Pour être raisonnable, une décision doit appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

IX.       Analyse

[22]           Il est bien établi qu'une demande d'ERAR vise l'évaluation de nouveaux risques qui sont apparus depuis le rejet d'une demande d'asile. Une demande d'ERAR ne peut pas et ne doit pas servir d'appel ou de réexamen d'une décision de la SPR rejetant une demande d'asile (Raza, précité, au paragraphe 12).

 

[23]           Comme l'a écrit la juge Judith Snider dans Cupid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 176 :

[4]        [...] le gouvernement canadien a pris des mesures pour que le demandeur d'asile puisse bénéficier d'un processus dans le cadre duquel une modification des conditions et des circonstances peut être évaluée. Il s'ensuit que si les conditions dans le pays ou la situation personnelle du demandeur d'asile sont demeurées les mêmes depuis la date de la décision de la SPR, la décision de la SPR sur la question de la protection offerte par l'État — qui est une décision définitive et exécutoire rendue au terme d'un processus quasi judiciaire — doit être maintenue à l'égard du demandeur d'asile. Autrement dit, il incombe au demandeur d'asile dont la demande a été rejetée de prouver que les conditions de son pays ou ses circonstances personnelles ont changé depuis la décision de la SPR au point que celui‑ci, dont la SPR a conclu qu'il n'était pas exposé à un risque, est maintenant exposé à un risque. Si le demandeur d'ERAR ne s'acquitte pas de ce fardeau, la demande d'ERAR sera (et devrait être) rejetée. [Non souligné dans l'original.]

 

(Voir également Kaybaki c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 32; Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 240, [2008] 1 R.C.F. 365).

 

[24]           En termes simples, quand il examine les éléments de preuve relatifs à une demande d'ERAR, un agent doit se demander si l'information qu'elle contient est importante ou sensiblement différente de celle produite précédemment (Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1385, aux paragraphes 22 et 23; Elezi, précité, au paragraphe 29; Doumbouya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 1187, au paragraphe 38).

 

[25]           En l'espèce, la Cour conclut que le demandeur ne s'est pas acquitté du fardeau de prouver l'existence d'un changement important dans les conditions au pays ou dans sa situation personnelle. Le demandeur s'est contenté de répéter les faits et les risques qu'il avait déjà soulevés dans sa demande d'asile et qui ont été présentés à la SPR. Bien que le demandeur ait inclus des éléments de preuve objectifs dans sa demande d'ERAR, ceux‑ci sont de nature générale et ne font pas valoir de nouveaux risques pour le demandeur personnellement.

 

[26]           Le demandeur soutient qu'il a produit des éléments de preuve importants qui lui sont [TRADUCTION] « personnels » ou [TRADUCTION] « qui ne s'appliquent pas à tout le monde en Inde, mais seulement aux quelques jeunes sikhs comme lui »; cependant, il n'explique pas en quoi ces éléments de preuve sont de nature personnelle. Le simple fait que les éléments de preuve documentaires puissent montrer que la situation relative aux droits de l'homme propre aux militants sikhs en Inde est précaire ne signifie pas nécessairement que le demandeur court lui‑même un risque (Kaba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 647, au paragraphe 1). De plus, la Cour trouve difficile à accepter que ces éléments de preuve concernant les [TRADUCTION] « jeunes sikhs » en Inde s'appliqueraient au demandeur, étant donné que celui‑ci a 58 ans.

 

[27]           Le demandeur soutient aussi que ses titres de voyage causent un nouveau risque étant donné qu'ils ne sont pas en règle et qu'ils soulèveront des doutes auprès des autorités indiennes; cependant, il ne précise pas en quoi les documents ne sont pas en règle ou auraient changé son risque personnel depuis la décision de la SPR. La Cour convient avec le défendeur que cet argument est très hypothétique et que l'agente n'avait pas à en tenir compte.

 

[28]           Dans le même ordre d'idées, la Cour conclut que l'allégation du demandeur selon laquelle il serait interpellé par les autorités indiennes à son arrivée, étant donné l'examen minutieux mené à l'aéroport international de New Delhi, en Inde, relève aussi de la conjecture et que l'agente n'avait pas non plus à en tenir compte. Le demandeur lui‑même reconnaît la nature spéculative de cette allégation en concédant ne pas avoir [TRADUCTION] « d'éléments de preuve particuliers sur la nature de l'aéroport à New Delhi ».

 

[29]           Globalement, la Cour conclut que la décision de l'agente va dans le sens des principes énoncés dans la jurisprudence précitée. L'agente a pris en compte tous les nouveaux éléments de preuve objectifs dont elle disposait, y compris plusieurs articles de journaux et rapports produits par le demandeur concernant les conditions générales en Inde et a jugé, de façon raisonnable, que ces éléments de preuve ne démontrent pas de nouveaux risques. Le demandeur a lui-même précisé dans ses observations sur l'ERAR qu'il ne croit pas [TRADUCTION] « que la police cherchera à [l]e tuer ou même à [l]e blesser gravement lorsqu'elle [l']interrogera » (dossier certifié du tribunal, page 81). Le demandeur a aussi indiqué à la Cour, dans son litige connexe Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 10, que, dans les circonstances, [TRADUCTION] il ne « s'expose à aucun risque personnalisé, et n'a aucune crainte valide », et que [TRADUCTION] « les conditions défavorables alléguées au pays sont les mêmes pour tous dans le pays où il serait renvoyé » (au paragraphe 27).

 

[30]           La Cour convient qu'il n'existe pas plus qu'une « simple possibilité » que le demandeur s'expose à la persécution s'il rentrait en Inde et qu'il n'existe pas de motifs sérieux de croire qu'il s'exposerait au risque d'être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

X.        Conclusion

[31]           Pour tous les motifs mentionnés plus haut, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

 


JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit rejetée et ne certifie pas de question de portée générale.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :                                                    IMM-2224-13

 

INTITULÉ :                                                  Singh, Iqbal c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                         Le 18 décembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        Le juge Shore

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                 Le 7 janvier 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-François Bertrand

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Geneviève Bourbonnais

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.