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Date : 20140121


Dossier :

IMM‑8671‑11

 

Référence : 2014 CF 70

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 21 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

ANJU JOSEPH MANNIL,

BENCY SUSAN THOMAS,

DEBBIE OSIFO, EDUARDO RACOMA,

MISAN RAGHEB ABURMAILEH,

JOCELYN MAE SALAS,

ROSELINE JACOB,

JOFFREY CACANANTA,

KHALED AL QAWASMEH,

TAMARA AHMAD MOHAMAD SHAKER, FRANK LESTER ENCISCO,

JANET ALAIR ARABIA ET

MARIA CANDIDA MANAHAN ALCARAZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I. Aperçu

[1]               Les demandeurs de visa n’ont aucun droit d’exiger que leurs demandes soient traitées, surtout si celles‑ci ne sont pas reçues dans les délais prescrits par les instructions ministérielles [IM] (Lukaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 8, 424 FTR 243, aux paragraphes 41 et 42).

 

II. Introduction

[2]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judicaire de la décision par laquelle un agent de prestation des services [agent] a refusé de traiter leurs demandes de résidence permanente (demande de RP) présentées au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, au motif que le plafond annuel lié à la Classification nationale des professions (CNP) [plafond annuel] imposé par les IM‑2 établies en application de l’article 87.3 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] avait été atteint.

 

III. Le contexte

[3]               Monsieur Anju Joseph Mannil, le demandeur principal, et huit autres demandeurs, tous représentés par la même consultante en immigration, ont préparé des demandes de RP au titre du code 3152 (infirmiers autorisés et diplômés/infirmières autorisées et diplômées) et du code 3131 (pharmaciens/pharmaciennes) de la CNP.

 

[4]               Les demandeurs ont expliqué que, le 26 juin 2011, la consultante en immigration avait remis les demandes remplies à FedEx et lui avait donné comme instruction spéciale d’en différer la livraison jusqu’au 4 juillet 2011.

 

[5]               Le 30 juin 2011, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a reçu les demandes de RP.

 

[6]               Le même jour, les plafonds annuels fixés par les IM‑2 sont venus à échéance. Les nouvelles instructions ministérielles 3 [IM‑3] sont entrées en vigueur le 1er juillet 2011. Ces dernières rouvraient le processus de demande pour tous les groupes de la catégorie des travailleurs qualifiés.

 

[7]               Le 18 juillet 2011, l’agent a examiné les demandes de RP des demandeurs et a refusé de les traiter parce qu’elles avaient été reçues alors que les plafonds annuels fixés par les IM‑2 à l’égard des codes de la CNP visés avaient déjà été atteints.

 

[8]               Le 19 juillet 2011, CIC a posté les demandes de RP et les lettres de décision à la consultante en immigration à son adresse postale à Dubaï.

 

[9]               Le 6 septembre 2011, la consultante en immigration a communiqué par courriel avec CIC pour s’informer de l’état de plusieurs demandes de RP. Dans son courriel, elle mentionnait que FedEx avait livré les colis le 30 juin 2011, bien qu’elle lui ait donné expressément comme instruction d’en différer la livraison jusqu’au 4 juillet 2011. À cette date, les plafonds annuels relatifs au code CNP 3152 (infirmiers autorisés/infirmières autorisées) et au code CNP 3131 (pharmaciens/pharmaciennes) fixés par les IM‑3 avaient déjà été atteints.

 

[10]           Le 19 septembre 2011, l’agent a répondu à la consultante qu’il ne pouvait répondre à sa demande de renseignements « en bloc » pour des raisons de confidentialité, étant donné qu’elle visait plusieurs demandes de RP. L’agent a cependant signalé que, si les demandes de RP avaient été reçues le 30 juin 2011, elles auraient été examinées en fonction des IM‑2 et auraient donc été retournées, puisque les plafonds annuels fixés par les IM‑2 avaient déjà été atteints.

[11]           Les 29 octobre et 3 novembre 2011, la consultante en immigration a envoyé deux autres courriels concernant l’état de plusieurs demandes.

 

[12]           Le 15 novembre 2011, l’agent a répondu à ces nouvelles demandes d’information en envoyant un courriel distinct pour chacun des demandeurs, où il expliquait la décision rendue à l’égard de chaque demande de RP le 18 juillet 2011. Ce sont ces courriels qui font l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[13]           Le 28 novembre 2011, neuf des demandeurs ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agent. Le 23 janvier 2012, quatre autres demandeurs ont présenté des demandes similaires.

 

[14]           Ces 13 demandes ont été regroupées par la Cour et traitées en tant qu’instance à gestion spéciale.

 

IV. La décision contrôlée

[15]           Dans chacun des neuf courriels datés du 15 novembre 2011, l’agent a expliqué que les demandes de RP avaient été reçues alors que les plafonds annuels fixés par les IM‑2 à l’égard du code CNP 3152 (infirmiers autorisés et diplômés/infirmières autorisées et diplômées) et du code CNP 3131 (pharmaciens/pharmaciennes) avaient déjà été atteints et qu’elles ne pouvaient pas pour cette raison être traitées.

 

[16]           L’agent a expliqué que la demande de RP de chacun des demandeurs avait été retournée sans avoir été traitée (lettre de décision, dossier certifié du tribunal, p. 4).

 

V. La question en litige

[17]           L’agent a‑t‑il enfreint les règles de l’équité procédurale en omettant d’aviser en temps opportun les demandeurs que leurs demandes ne seraient pas examinées aux fins de traitement?

 

VI. Les dispositions législatives pertinentes

[18]           L’article 87.3 de la LIPR est pertinent :

87.3      (1) Le présent article s’applique aux demandes de visa et autres documents visées au paragraphe 11(1), sauf celle faite par la personne visée au paragraphe 99(2), aux demandes de parrainage faites par une personne visée au paragraphe 13(1), aux demandes de statut de résident permanent visées au paragraphe 21(1) ou de résident temporaire visées au paragraphe 22(1) faites par un étranger se trouvant au Canada ainsi qu’aux demandes prévues au paragraphe 25(1) faites par un étranger se trouvant hors du Canada.

 

Atteinte des objectifs d’immigration

 

(2) Le traitement des demandes se fait de la manière qui, selon le ministre, est la plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral.

 

 

Instructions

 

(3) Pour l’application du paragraphe (2), le ministre peut donner des instructions sur le traitement des demandes, notamment en précisant l’un ou l’autre des points suivants :

 

a) les catégories de demandes à l’égard desquelles s’appliquent les instructions;

 

b) l’ordre de traitement des demandes, notamment par catégorie;

 

 

c) le nombre de demandes à traiter par an, notamment par catégorie;

 

 

d) la disposition des demandes dont celles faites de nouveau.

87.3      (1) This section applies to applications for visas or other documents made under subsection 11(1), other than those made by persons referred to in subsection 99(2), sponsorship applications made by persons referred to in subsection 13(1), applications for permanent resident status under subsection 21(1) or temporary resident status under subsection 22(1) made by foreign nationals in Canada and to requests under subsection 25(1) made by foreign nationals outside Canada.

 

 

Attainment of immigration goals

 

(2) The processing of applications and requests is to be conducted in a manner that, in the opinion of the Minister, will best support the attainment of the immigration goals established by the Government of Canada.

 

Instructions

 

(3) For the purposes of subsection (2), the Minister may give instructions with respect to the processing of applications and requests, including instructions



(a) establishing categories of applications or requests to which the instructions apply;

 

(b) establishing an order, by category or otherwise, for the processing of applications or requests;

 

(c) setting the number of applications or requests, by category or otherwise, to be processed in any year; and

 

(d) providing for the disposition of applications and requests, including those made subsequent to the first application or request.

 

[19]           L’article 87.3, introduit dans la LIPR en février 2008, autorise le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada à donner des instructions sur l’ordre de traitement des demandes et supprime l’obligation de traiter chaque demande reçue. Ces instructions ministérielles prévoyaient que les demandes seraient triées selon de nouveaux critères d’admissibilité.

 

[20]           Dans la présente affaire, l’ensemble d’instructions ministérielles applicable est le MI‑2. Comme la Cour l’a expliqué dans Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 758, 413 FTR 145 :

[7]        […] Le premier ensemble d’instructions ministérielles a été publié le 29 novembre 2008 (les IM1). Elles s’appliquaient aux demandes reçues à partir du 27 février 2008. Conformément aux IM1, les demandes ne seraient admissibles au traitement que si le demandeur : disposait d’une expérience dans l’une des 38 professions énumérées; possédait une offre d’emploi réservé (OER); résidait légalement au Canada à titre de travailleur étranger temporaire ou d’étudiant international.

 

[8]        En définitive, les IM1 n’ont pas eu le succès escompté dans la réduction de l’accroissement des demandes. Au début, l’arriéré a diminué, mais en bout de ligne, le niveau des demandes a augmenté au‑delà du niveau antérieur au projet de loi C‑50. Ainsi, le 26 juin 2010, un deuxième ensemble d’instructions ministérielles a été publié (les IM2). Elles s’appliquaient aux demandes reçues à partir de cette date. Les IM2 énonçaient que les demandes ne seraient admissibles au traitement que si le demandeur avait une OER ou si le demandeur avait de l’expérience dans l’une des 29, contrairement aux 38 précédentes, professions énumérées. Les IM2 ont crée [sic] un plafond national pour les demandes TQF : un nombre maximal de 20 000 demandes (à l’exclusion des demandes assorties d’une OER) seraient traitées par année. Dans ce plafond, chaque profession était assujettie à un nombre maximal de 1 000 demandes pouvant être traitées par année. Les demandes dépassant ce plafond seraient retournées sans être traitées.

 

 

VII. La norme de contrôle

[21]           La question du retard indu dans le processus décisionnel relève de l’équité procédurale et il est établi qu’elle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Snieder c Canada (Procureur général), 2013 CF 218, au paragraphe 20).

 

VIII. L’analyse

[22]           Les demandeurs présentent, pour l’essentiel, un argument : l’agent a commis une erreur en omettant de les informer en temps opportun de sa décision. Les demandeurs ne contestent ni la décision ni son contenu; en fait, ils reconnaissent que la décision était appropriée (mémoire des faits et du droit des demandeurs, au par. 21).

 

[23]           De plus, les demandeurs ont rappelé, avec maints détails, les circonstances de la livraison hâtive des demandes de RP par FedEx, ce qui, allèguent‑ils, a amené l’agent à refuser de traiter leurs demandes. Les demandeurs demandent à la Cour de tenir compte de ces circonstances particulières, qui échappaient à leur contrôle, pour déterminer s’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

 

[24]           La Cour est d’avis que les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’un manquement à l’équité procédurale attribuable à un délai déraisonnable.

 

[25]           Trois conditions doivent être réunies pour qu’un délai soit jugé déraisonnable :

1)                  le délai a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;

2)                  le demandeur et son conseiller juridique n’en sont pas responsables;

3)                  l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante.

            (Liang, précitée, au paragraphe 26; voir également Snieder, précitée.)

 

[26]           En l’espèce, l’agent a rendu sa décision 18 jours après avoir reçu les demandes de RP, même s’il avait reçu 1 500 demandes dans la première semaine de juillet 2011. Il a ensuite posté les lettres de décision et les demandes de RP non traitées le 19 juillet 2011, soit le jour suivant.

 

[27]           Comme le fait valoir le défendeur, ce à quoi Cour souscrit, l’agent a rédigé sans délai un avis de décision négative et l’a transmis aux demandeurs.

 

[28]           Bien qu’aucune des parties n’ait présenté de preuve sur ce qui constituerait un délai raisonnable pour le traitement d’une demande de RP au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, notre Cour a estimé, dans la décision Liang, précitée (au paragraphe 29), que de six à douze mois constituaient un délai raisonnable à l’intérieur duquel un demandeur (au titre des IM‑1) pouvait s’attendre à recevoir une décision de la part de CIC. La décision de l’agent respecte bien cette fourchette. La Cour estime donc que le premier volet du critère établi dans la décision Liang n’a pas été rempli : le délai en question n’était pas plus long que ce que la nature du processus exigeait. (La Cour reconnaît que les délais mentionnés dans la décision Liang concernaient des demandes traitées selon les IM‑1; elle note que le même « délai raisonnable » s’appliquerait aux IM‑2, compte tenu, notamment, de l’objectif de réduire l’accumulation des demandes et de permettre à CIC d’éliminer son arriéré.)

 

[29]           La Cour estime en outre que le deuxième volet du critère n’a pas été rempli, car il semble que la consultante en immigration des demandeurs  responsable du délai.

 

[30]           Il est bien établi que c’est au décideur qu’il incombe de prouver que l’avis de décision négative a bel et bien été envoyé ou « acheminé » au demandeur; cependant, si le défendeur établit, selon la prépondérance des probabilités, que la communication a été transmise, c’est le demandeur qui assume le risque potentiel de sa non‑réception (Caglayan cCanada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 485, 408 FTR 192, au paragraphe 13; voir aussi Zare c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1024, [2012] 2 RCF 48, et Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 124).

 

[31]           En l’espèce, les demandeurs affirment que la consultante en immigration n’a jamais reçu les lettres de décision expédiées par l’agent le 18 juillet 2011; ils n’ont cependant fourni aucune preuve permettant d’établir que les lettres n’ont pas été envoyées à leur consultante en immigration ou qu’elles lui ont été envoyées par un moyen peu fiable.

 

[32]           Les notes que l’agent a versées au Système mondial de gestion des cas (SMGC) le 18 juillet 2011 renvoient explicitement aux demandes de RP qui ont été retournées aux demandeurs par la poste, ce qui est une pratique courante de CIC. L’exactitude de l’adresse de la consultante inscrite au dossier n’est pas non plus contestée. Par ailleurs, la preuve au dossier indique que les lettres de décision ont bel et bien été livrées à l’adresse de la consultante en immigration à Dubaï; elles ont cependant toutes été retournées à CIC par le service postal de Dubaï, avec la mention « non réclamées » par le destinataire, en janvier 2012 (voir les pièces EE‑QQ, affidavit de Catherine F. Brown).

 

[33]           En l’absence de tout élément de preuve réfutant la présomption selon laquelle les lettres ont été dûment livrées à la consultante en immigration, et démontrant par le fait même qu’elle n’était pas responsable du délai, la Cour ne voit pas la nécessité de se pencher sur la question de savoir si le délai était raisonnablement justifié.

 

[34]           Par conséquent, étant donné que le critère à trois volets du délai déraisonnable énoncé dans la décision Liang, précitée, n’a pas été respecté, la Cour ne croit pas qu’il existe des motifs suffisants qui justifieraient son intervention. Le délai était raisonnable.

 

[35]           Les demandeurs sont de toute évidence consternés par le fait que la livraison hâtive de leurs demandes de RP a entraîné leur disqualification, mais il n’appartenait pas à CIC de remédier au problème. L’agent a appliqué la loi et les instructions ministérielles comme il y était tenu. Il ne lui était pas loisible d’accorder un traitement spécial aux demandeurs et de faire abstraction des plafonds annuels. La réparation pour la livraison hâtive de l’envoi postal des demandeurs en tant que clients lésés incombe uniquement à FedEx.

 

IX. Conclusion

[36]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire des demandeurs soit rejetée. L’affaire ne soulève aucune question de portée générale devant être certifiée.

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM‑8671‑11

 

INTITULÉ :

ANJU JOSEPH MANNIL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 20 JANVIER 2014

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 21 JANVIER 2014

COMPARUTIONS :

Richard Kurland

 

pour les demandeurs

 

Jennifer Dagsvik

 

pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kurland, Tobe

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE défendeur

 

 

 

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