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Date : 20140206


Dossier : IMM-4926-13

 

Référence : 2014 CF 134

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 6 février 2014

En présence de monsieur le juge Barnes

 

ENTRE :

SURJIT SINGH AUJLA

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue, le 5 juillet 2013, par la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Le demandeur, Surjit Singh Aujla, conteste la conclusion de la Commission selon laquelle il n’a pas démontré l’existence d’un véritable lien affectif parent‑enfant après avoir complété, en Inde, la demande d’adoption de la fille, âgée de 12 ans, de son cousin. Cette décision a entraîné le rejet de la demande de parrainage présentée par M. Aujla pour faire venir sa fille adoptive au Canada.

 

[2]               Il ressort clairement de la décision de la Commission que la seule question préoccupante était l’authenticité du lien, et, en particulier, la question de savoir si ce lien était suffisamment solide au point de pouvoir être considéré comme ayant eu lieu dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Toutes les conditions préalables énoncées aux paragraphes 117(2) et 117(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) semblent avoir été remplies notamment, une étude sur le milieu familial satisfaisante, la preuve du consentement des parents, et une adoption en Inde valide.

 

[3]               La Commission avait beaucoup de préoccupations quant aux éléments de preuve présentés par le demandeur. En fait, elle a relevé qu’au cours des neuf années antérieures, l’épouse du demandeur a rendu visite à l’enfant seulement deux fois – une fois lors de l’adoption en 2004, et une autre fois en 2012, à l’occasion du mariage de son fils. Lorsqu’on l’a interrogée afin de savoir pourquoi elle n’avait pas accompagné son époux lors de ses voyages fréquents en Inde, l’épouse a déclaré qu’elle devait rester au pays pour préparer les repas de ses deux garçons adultes. La Commission a conclu que ce témoignage n’était pas crédible.

 

[4]               La Commission a conclu que le témoignage donné par la fille était superficiel et teinté de peu d’émotion. Elle a donné peu de renseignements sur ses projets d’avenir au Canada et semblait presque neutre quant à la relation. Malgré le témoignage du demandeur selon lequel il avait des projets pour le mariage de celle‑ci, la fille a dit que la question n’avait jamais été soulevée au cours des neuf années de communication continue.

 

[5]               La Commission avait aussi des réserves quant aux mobiles avancés pour l’adoption. Le demandeur et son épouse ont déclaré qu’après avoir eu deux garçons, ils voulaient une fille. Cela n’était pas possible en raison de la stérilisation, nécessaire sur le plan médical, que l’épouse avait subie en 1981. La Commission a conclu que ce témoignage n’était pas cohérent avec ce qui ressortait du rapport d’étude sur le milieu familial, et d’une entrevue antérieure avec un agent d’immigration. Lorsque cette incohérence a été soulevée pendant l’audience, le demandeur a donné des réponses équivoques et alambiquées. La Commission a décrit ce témoignage comme « un amas de contradictions », et elle a déclaré que ce témoignage « jet[ait] un doute considérable sur la crédibilité [du demandeur] ». La Commission a aussi relevé que la décision d’adopter avait été prise quand les deux parents étaient âgés de plus de 50 ans, et plus de 20 ans après la stérilisation de l’épouse.

 

[6]               La Commission a estimé que le demandeur « n’a parlé que de façon superficielle en ce qui concerne les perspectives d’avenir [de sa fille] ». Par exemple, le demandeur a déclaré que son épouse et lui [traduction] « tenteraient » de permettre à la fille de poursuivre ses études et que, subsidiairement, elle pourrait donner un coup de main à la ferme familiale. Ce témoignage a été décrit comme étant « dénu[é] de toute expression d’amour et d’affection qu’il faudrait raisonnablement s’attendre à retrouver dans le cadre d’un véritable lien affectif parent‑enfant ».

 

[7]               La Commission a reconnu l’existence de signes extérieurs d’un lien parent‑enfant tels que, les preuves de soutien financier et des cartes, mais elle s’est interrogée sur la pratique consistant à envoyer seulement de l’argent lors d’occasions importantes comme les anniversaires.

 

[8]               Enfin, la Commission a fait part de ses doutes relatifs au manque de connaissances précises du demandeur quant aux activités et aux intérêts de sa fille. Ces incohérences n’ont fait que s’ajouter aux réserves de la Commission relativement à la crédibilité.

 

[9]               La Commission a conclu son appréciation de la preuve de la manière suivante :

[36]      Dans le cadre de la présente audience, le tribunal doit évaluer les éléments de preuve fournis en tenant compte des critères précis énoncés dans le Règlement. Il incombe à l’appelant de démontrer que l’adoption a créé un véritable lien affectif parent-enfant. Il faut aller au‑delà du seuil de la prépondérance des probabilités. J’ai donc examiné les facteurs pertinents en l’espèce en les replaçant dans le contexte global des éléments de preuve, afin de pouvoir attribuer à chacun le poids qui lui revient.

 

[37]      Ainsi qu’il est mentionné précédemment, la preuve et le témoignage comportaient des divergences et des incohérences fondamentales qui ont été soulignées correctement par la conseil de l’intimé et que j’ai examinées minutieusement. Le témoignage est également cohérent à certains endroits, comme l’a noté le conseil de l’appelant, et certains éléments sont peu probants vu les tendances naturelles des témoins à éprouver un certain degré d’incertitude par rapport à leurs souvenirs respectifs. La suggestion avancée par l’appelant est qu’il existe un véritable lien affectif parent-enfant, mais la preuve révèle une situation sensiblement différente. La nature d’une véritable adoption est liée aux événements, aux interactions et aux intérêts communs qui se manifestent plus ou moins graduellement jusqu’au seuil d’un lien durable. Par-dessus tout, il doit y avoir une affection respectueuse et mutuelle entre l’enfant et ses parents adoptifs. Je conclus qu’il ne s’agit pas de la caractéristique dominante de la relation entre l’appelant et la demandeure.

 

[38]      Les incohérences et les lacunes relevées dans les témoignages des témoins l’emportent sur les facteurs favorables dans le présent appel. La somme des conclusions individuelles dégagée à la lumière de l’ensemble des circonstances pertinentes et mesurées selon l’échelle des probabilités m’amène à conclure qu’il ne s’agit pas d’une adoption authentique. J’en arrive à la conclusion que l’adoption n’a pas créé un véritable lien affectif parent-enfant entre le couple de l’appelant et la demandeure et que, par conséquent, l’adoption n’a pas eu lieu dans l’intérêt supérieur de l’enfant au sens de la Convention de La Haye sur l’adoption. Ainsi, je conclus que la demandeure n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial grâce à l’adoption, au sens du paragraphe 117(2) du Règlement.

 

[39]      Après avoir examiné attentivement l’ensemble de la preuve documentaire et orale, de même que les observations des deux conseils, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que l’adoption a créé un véritable lien affectif parent-enfant conformément à l’alinéa 117(3)c) du Règlement. En conséquence, la demandeure n’est pas considérée comme appartenant à la catégorie du regroupement familial au sens du paragraphe 117(2) du Règlement.

 

[10]           Le demandeur soutient que la Commission n’a pas pris en compte tous les facteurs décrits dans les lignes directrices du ministre. En particulier, il a été avancé que la Commission n’a pas pris en compte la validité et les conséquences de l’adoption faite en Inde, et la plus grande partie du contenu favorable du rapport d’étude sur le milieu familial. Il a aussi été affirmé que la Commission n’a pas accordé suffisamment d’attention aux documents tels que le passeport de la fille, les reçus de transfert d’argent, les rapports de sécurité de la police, les cartes de vœux et les relevés téléphoniques. Dans sa plaidoirie, l’avocat du demandeur a affirmé que la Commission s’est seulement concentrée sur des éléments mineurs ou insignifiants, à l’exclusion de ce qui était véritablement important.

 

La question en litige

[11]           La décision de la Commission était-elle raisonnable?

 

Analyse

[12]           Les parties s’accordent pour dire que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable et, en particulier, la question de savoir si la décision appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard de la preuve et du droit.

 

[13]           Selon moi, les arguments avancés pour le compte du demandeur équivalent à une plaidoirie pour que la Cour soupèse à nouveau les éléments de preuve, et qu’elle substitue son jugement à celui de la Commission. Bien entendu, tel n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

[14]           La Commission a eu l’avantage d’entendre tous les témoignages. Elle était particulièrement troublée par le peu d’émotion des parties, et par les incohérences dans leurs explications relatives à la durée et aux mobiles de l’adoption. Un autre élément de la préoccupation de la Commission avait trait au fait que l’épouse du demandeur n’avait pas fréquemment voyagé en Inde pour rendre visite à sa fille adoptive. La qualification défavorable donnée par la Commission à l’excuse de l’épouse pour ce manquement était entièrement raisonnable. Vu la réponse à l’évidence fallacieuse donnée par l’épouse, il n’était pas déraisonnable que la Commission tire l’inférence que l’épouse n’était véritablement pas intéressée par sa fille.

 

[15]           L’argument selon lequel la Commission aurait dû prendre en compte de façon plus importante la validité de l’adoption faite en Inde et la rupture correspondante des liens légaux avec les parents biologiques n’est pas justifié. La validité de l’adoption n’était pas en cause. La seule préoccupation de la Commission était de savoir s’il y avait suffisamment d’éléments de preuve établissant une véritable relation parent‑enfant chargée d’amour et d’attention. Je reconnais que les aspects extérieurs d’une telle relation (par exemple, les coupures de journaux, les cartes, les relevés téléphoniques, les transferts d’argent), le caractère adéquat des parents, et le milieu familial général sont des facteurs pertinents. Toutefois, ces facteurs sont de loin moins importants dans l’appréciation des éléments de preuve que les expressions de connaissance, d’affection, et les espoirs d’avenir qu’une personne s’attendrait à entendre et qui, en l’espèce, selon la Commission, faisaient principalement défaut. Il n’était pas déraisonnable que la Commission fonde sa conclusion sur ces facteurs importants, et qu’elle accorde moins de poids aux autres éléments de preuve présentés par le demandeur.

 

[16]           Pour les motifs exposés ci-dessus, la présente demande est rejetée.

 

[17]           L’avocat du demandeur a proposé la certification de la question suivante :

[traduction]

Une adoption valide faite à l’étranger est‑elle pertinente pour l’appréciation de l’authenticité d’un lien parent‑enfant?

 

La réponse à cette question est évidente en soi. Une adoption valide faite à l’étranger constitue une condition préalable à une demande de parrainage basée sur l’adoption. Dans certaines situations, l’appréciation de l’authenticité du lien peut aussi être pertinente. Toutefois, en l’espèce, la réponse à la question n’est pas déterminante et la certification n’est pas justifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée.

 

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-4926-13

 

INTITULÉ :

SURJIT SINGH AUJLA

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 3 février 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :          Le juge Barnes

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                             Le 6 février 2014

 

 

COMPARUTIONS :

Baldev S. Sandhu

POUR LE DEMANDEUR

Kim Sutcliffe

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet d’avocats Sandhu

Avocats

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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