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Date : 20140130


Dossier :

IMM‑10684‑12

 

Référence : 2014 CF 105

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2014

En présence de madame la juge Strickland

 

 

 

ENTRE :

RACHEL WANGUI MUTHUI

FRANCIS NJENGA NJOROGE

NATHAN MWANGI NJOROGE

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente des visas a refusé la demande de résidence permanente au Canada présentée par la demanderesse.

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Kenya résidant aux États‑Unis depuis 2001. Elle a soumis sa demande de résidence permanente au Canada en 2010 dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), code 3152 de la Classification nationale des professions (CNP), en tant qu’infirmière autorisée. Elle avait inclus dans sa demande le nom de son mari, un citoyen du Kenya, et de son fils, qui était un citoyen des États‑Unis, à titre de membres de la famille l’accompagnant. Par lettre datée du 15 août 2012, l’agente des visas l’a informée que sa demande avait été refusée au motif qu’elle ne satisfaisait pas aux conditions d’immigration au Canada et qu’elle était interdite de territoire par application du paragraphe 11(1) de la LIPR. La Cour est saisie du contrôle judiciaire de cette décision.

 

Décision à l’examen

[3]               En l’espèce, la décision est constituée de la lettre de refus susmentionnée et des motifs de la décision contenus dans les notes prises par l’agente et versées dans le système mondial de gestion des cas (les notes versées au SMGC). Il est de jurisprudence constante que les notes versées au SMGC font partie des motifs de la décision de l’agent des visas (Ghirmatsion c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 519, au paragraphe 8, [2013] 1 RCF 261 [Ghirmatsion]; Taleb c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 384, au paragraphe 25, 407 FTR 185 [Taleb]; Rezaeiazar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 761, aux paragraphes 58 et 59, [2013] ACF no 804 (QL) [Rezaeiazar]; Anabtawi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 856, au paragraphe 10, 415 FTR 66 [Anabtawi]).

 

[4]               La lettre de refus précisait que la demanderesse n’avait pas produit lors de son entrevue les documents complémentaires réclamés à son sujet et au sujet de son mari quant à leur expérience de travail, leurs études et leur statut aux États‑Unis, ainsi que des éléments de preuve concernant les fonds nécessaires pour s’établir au Canada. Les documents qui avaient été fournis ne justifiaient pas l’expérience professionnelle qu’elle avait déclarée dans sa demande, et il y avait des contradictions entre les renseignements fournis par la demanderesse et son mari dans leur demande au sujet de leurs antécédents professionnels et de leur statut aux États‑Unis. La lettre de refus signalait qu’on avait invité la demanderesse à résoudre ces contradictions au cours de son entrevue et qu’elle avait alors déclaré que les renseignements qu’elle avait fournis n’étaient ni véridiques ni exacts. La demanderesse n’avait par ailleurs pas fourni tous les relevés de comptes bancaires et éléments de preuve concernant la provenance des fonds dans les relevés qu’elle avait produits. Les documents soumis n’avaient pas convaincu l’agente que la demanderesse disposait des fonds nécessaires pour pouvoir s’établir. Interrogée lors de son entrevue, la demanderesse a admis qu’elle et son époux avaient des dettes s’élevant à environ 130 000 $.

 

[5]               L’agente a expliqué que, compte tenu des renseignements recueillis au cours de l’entrevue et de ceux qui étaient contenus au dossier, elle estimait que la demanderesse n’était pas crédible et que les renseignements et documents qu’elle avait fournis n’étaient pas fiables. L’agente n’était pas convaincue que la demanderesse et son époux pouvaient être admis au Canada et qu’ils possédaient l’expérience de travail qu’ils prétendaient posséder ou qu’ils disposaient de suffisamment de fonds pour pouvoir s’établir. Par conséquent, l’agente a conclu que la demanderesse n’était pas admissible au statut de résidente permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs qualifiés et, pour les motifs qu’elle a exposés, elle a expliqué qu’elle était convaincue que la demanderesse était interdite de territoire par application du paragraphe 11(1) de la LIPR.

 

[6]               Les notes versées au SMGC sont détaillées. En voici quelques extraits :

  • Lors de l’entrevue, on a demandé à la demanderesse d’expliquer le statut qu’elle avait aux États‑Unis étant donné que certains renseignements n’étaient pas mentionnés dans sa demande. Elle a d’abord déclaré qu’au cours de la période en question, elle avait fait un stage après ses études, mais interrogée à nouveau, elle a admis qu’elle avait travaillé sans permis entre 2009 et 2011 et qu’elle n’avait pas révélé ce fait aux autorités américaines lorsqu’elle avait demandé son permis de travail actuel;

 

  • Son époux avait déclaré dans sa demande qu’il avait un statut d’étudiant valide aux États‑Unis, sans toutefois soumettre de documents pour le confirmer. Interrogée, la demanderesse a admis que son époux n’avait plus de statut valide aux États‑Unis depuis 2002. À la question de savoir pourquoi son mari était désigné comme étudiant dans sa demande, la demanderesse a répondu qu’ils n’avaient pas pu bénéficier des services d’un avocat pour les aider à remplir leur demande;

 

  • Les emplois énumérés par la demanderesse dans sa demande ne mentionnaient pas ceux qui étaient énumérés dans les documents de l’IRS. Interrogée à ce sujet, la demanderesse a déclaré que cette omission tenait au fait qu’elle avait travaillé pour les employeurs en question pendant une brève période de temps. Toutefois, le salaire qu’elle avait gagné en exerçant ces postes dépassait celui qu’elle avait reçu de l’employeur qu’elle avait déclaré pour la période en question. De plus, aucune lettre de recommandation complète et actualisée n’avait été soumise. L’agente a déclaré que la demanderesse n’avait pas été honnête et franche au sujet des emplois qu’elle avait exercés;

 

  • Interrogée au sujet de la liste d’employeurs énumérés dans la demande de son conjoint et des documents fiscaux qui ne correspondaient pas, la demanderesse a eu du mal à expliquer à quels endroits son conjoint avait travaillé depuis 2007. L’agente des visas a expliqué à la demanderesse qu’elle ne trouvait pas ces explications crédibles;

 

  • Interrogée au sujet des fonds dont elle disposait pour s’établir, la demanderesse a déclaré qu’elle avait justifié environ 40 000 $ en fonds. Elle a d’abord nié avoir quelque dette que ce soit lorsqu’on lui a posé la question. Interrogée quant à savoir si elle avait un prêt étudiant, elle a d’abord refusé de répondre. Lorsque l’agente lui a souligné que les documents financiers qu’elle avait fournis indiquaient qu’elle remboursait des prêts, la demanderesse a reconnu qu’elle avait contracté un prêt étudiant et un prêt hypothécaire pour une dette totale d’environ 130 000 $;

 

  • Interrogée au sujet des comptes bancaires qu’elle et son époux détenaient, la demanderesse a été réticente à répondre, mais a fini par reconnaître l’existence de quatre comptes. Interrogée au sujet des sommes importantes qui avaient été transférées à partir d’un compte dont l’existence n’avait pas été divulguée, la demanderesse a déclaré qu’il s’agissait d’un compte de son mari. Interrogée quant à savoir pourquoi elle n’avait pas fourni les documents requis au sujet de ce compte, la demanderesse a répondu que c’était parce qu’il n’y avait pas véritablement de fonds dans ce compte. L’agente lui a souligné que cette explication n’était pas crédible étant donné que des sommes importantes, dans un cas 6 000 $, avaient été virées de ce compte. La provenance des fonds en question n’a pas été précisée.

 

[7]               En résumé, l’agente a déclaré ce qui suit :

[traduction]

J’ai informé l’intéressée que je ne la trouvais pas crédible et que je ne trouvais pas fiables les renseignements qu’elle avait présentés. Elle a soumis sa demande le 10 novembre, a déclaré qu’elle avait travaillé du 8 janvier au 9 juin à Alden Valley Ridge, ce qui est faux. Elle n’a pas produit les lettres d’employeur actualisées réclamées et je ne suis pas convaincue que les lettres que l’intéressée a fournies étaient fiables. Je ne suis pas convaincue que l’intéressée et son mari possèdent les diplômes qu’ils affirment posséder – ils ont peut‑être fait leurs études en ligne. Je ne dispose d’aucun élément de preuve me permettant de conclure le contraire. On trouve de faux renseignements dans la demande au sujet du statut et des emplois exercés. Il y a lieu de s’inquiéter du fait que l’intéressée ne semblait pas connaître les emplois que son mari avait exercés. Je ne suis pas convaincue que l’intéressée dispose de fonds suffisants non grevés de dettes ou d’autres obligations financières. L’intéressée n’a pas donné suite à la demande de production de documents précis et de réponses aux questions posées à l’entrevue et les documents qu’elle a fournis indiquent qu’elle n’a pas été franche et honnête et qu’elle n’est pas crédible.

 

Questions en litige

[8]               À mon avis, les questions en litige sont les suivantes :

 

                                                              i.      La décision était‑elle raisonnable?

                                                            ii.      La demanderesse a‑t‑elle été privée de son droit à l’équité procédurale?

 

Norme de contrôle

[9]               Il n’est pas nécessaire de procéder dans tous les cas à l’analyse de la norme de contrôle. Dès lors que la norme de contrôle applicable à la question dont elle est saisie est bien établie par la jurisprudence, la juridiction de révision peut adopter cette norme de contrôle (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57 [Dunsmuir]; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18).

 

[10]           Notre Cour a appliqué la norme de la décision raisonnable dans le cas du contrôle de l’appréciation faite par un agent des éléments de preuve présentés à l’appui d’une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) (Roberts c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 518, au paragraphe 15, [2009] ACF no 644 (QL); Bazaid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 17, au paragraphe 36, 425 FTR 38; Khowaja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 823, au paragraphe 7). De même, la Cour a statué que la conclusion d’un agent des visas selon laquelle un demandeur a fait une présentation erronée sur un fait important est une question mixte de fait et de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Singh Dhatt c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 556, au paragraphe 21, [2013] ACF no 592 (QL); Goudarzi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 425, au paragraphe 13).

 

[11]           La norme de contrôle applicable aux questions relatives à l’obligation de franchise a été définie comme suit par le juge Phelan dans le jugement Mescallado c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 462, au paragraphe 14, [2012] 4 RCF 446 [Mescallado] : « la norme de contrôle qui convient est la décision correcte. Quant à la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’avait pas répondu véridiquement, la norme applicable est la décision raisonnable, car il s’agit surtout d’un examen factuel ».

 

[12]           La question de savoir si un agent des visas devrait faire part au demandeur de ses réserves et lui offrir la possibilité de les dissiper est considérée comme une question d’équité procédurale assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Kamchibekov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1411, aux paragraphes 10 et 13, [2011] ACF no 1782 (QL); Obeta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1542, au paragraphe 14, [2012] ACF no 1624 (QL)). Lorsque se pose une question d’équité procédurale, la Cour doit déterminer si le processus que le décideur a suivi correspond au degré d’équité exigé eu égard à l’ensemble des circonstances (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43).

 

La décision était‑elle raisonnable?

Thèse de la demanderesse

[13]           La demanderesse affirme que la décision est déraisonnable parce que l’agente a tiré plusieurs conclusions au sujet de son expérience de travail sans tenir compte de la preuve.

 

[14]           Plus précisément, les conclusions tirées par l’agente au sujet du poste que la demanderesse avait occupé à Alden Valley Ridge étaient erronées. L’agente a déclaré que, dans sa demande, la demanderesse prétendait avoir travaillé à cet endroit à temps plein entre juin 2009 et novembre 2010; toutefois la demanderesse a en réalité affirmé y avoir travaillé de janvier 2008 à juin 2009. L’agente a déclaré que la demanderesse avait déclaré à tort qu’elle travaillait à temps plein; pourtant, le formulaire lui demandait d’indiquer les postes à temps plein continus qu’elle avait occupés ou l’expérience à temps partiel équivalente. Il n’y a donc pas eu de fausses déclarations. Quant aux autres emplois exercés par la demanderesse (à l’hôpital Adventist Glen Oaks, Home Physicians, PC et chez Sinai Health System), la demanderesse a soumis des lettres de recommandation de chacun de ses employeurs pour confirmer qu’elle y avait bel et bien travaillé. Certaines de ces lettres indiquaient le nombre d’heures travaillées, d’autres déclaraient qu’elle avait travaillé à temps plein et d’autres précisaient son salaire. Elle a également produit des relevés de salaire et de revenu de l’IRS pour chacun des employeurs en question, qui faisaient état de revenus d’environ 200 000 $ qu’elle avait gagnés à titre d’infirmière autorisée entre 2008 et 2011. Compte tenu de ces faits, la conclusion de l’agente suivant laquelle les documents n’étaient pas fiables était arbitraire et abusive.

 

[15]           La demanderesse affirme également qu’elle satisfait aux exigences de l’alinéa 75(2)a) et du paragraphe 80(7) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) ou le RIPR, si elle a accumulé au moins 1 950 heures d’expérience de travail au cours de la période de dix ans précédant la demande, et ce, peu importe qu’il s’agisse de travail à temps plein ou de travail à temps partiel. Suivant la preuve, la demanderesse a travaillé en tout 2 376 heures dans le cadre d’un emploi à temps partiel continu avant la présentation de sa demande et, à lui seul, le travail qu’elle avait effectué à l’Hôpital Adventist Glen Oaks satisfaisait aux exigences de l’article 75.

 

[16]           Quant aux fonds nécessaires pour s’établir au Canada, la demanderesse a fourni des relevés bancaires démontrant qu’elle possédait 49 435,46 $ dans ses comptes de banque. Elle a également affirmé que les éléments de preuve qu’elle avait présentés au sujet de son revenu et de celui de son mari au cours des ans confirmaient de toute évidence la provenance de cet argent. De plus, on ne lui avait pas demandé de fournir des éléments de preuve quant à ses dettes, mais elle les avait communiquées sans hésiter à l’audience lorsqu’on les lui avait demandées. Ses dettes seraient facilement réglées une fois qu’elle aurait vendu sa maison. De plus, l’hypothèque de 100 000 $ ne grève que la maison et le prêt étudiant de 30 000 $ ne grève rien. Compte tenu de tous ces éléments de preuve, la conclusion de l’agente suivant laquelle la demanderesse n’avait pas présenté d’éléments de preuve démontrant la provenance des fonds en question ou qu’elle ne disposait pas de suffisamment de fonds pour s’établir était une conclusion arbitraire tirée sans égard à la preuve.

 

[17]           Enfin, en ce qui concerne son statut, la demanderesse affirme que tous les documents pertinents ont été soumis à l’agente lors de l’entrevue, mais que l’agente les lui a remis sans en conserver de copie. Par conséquent, la conclusion de l’agente suivant laquelle la demanderesse n’avait pas fourni les documents demandés et qu’elle n’avait pas dit la vérité au sujet du statut de son mari a été tirée sans tenir compte de la preuve et elle était erronée. De plus, le statut de son conjoint aux États‑Unis n’est pas un facteur pertinent et il était déraisonnable de la part de l’agente de s’en servir pour justifier son refus de la demande.

 

Thèse du défendeur

[18]           Le défendeur cite le cadre législatif, et notamment le paragraphe 16(1) de la LIPR qui oblige les demandeurs à répondre véridiquement aux questions qui leur sont posées, à donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et à présenter les documents requis.

 

[19]           En ce qui concerne l’expérience de travail, la demanderesse devait énumérer tous les postes à temps plein ou l’équivalent rémunéré à temps partiel qu’elle avait occupés au cours des dix années précédant la demande qu’elle avait soumise en vertu de l’article 11 de l’annexe 3 (Catégorie économique – travailleurs qualifiés (fédéral)). Elle n’a déclaré que deux postes, en l’occurrence celui qu’elle avait occupé à l’Hôpital Adventist Glen Oaks de juin 2009 à novembre 2010 et celui qu’elle avait occupé chez Alden Valley Ridge de janvier 2008 à juin 2009. À l’entrevue, on lui a fait remarquer qu’entre janvier 2008 et juin 2009, elle avait en réalité travaillé pour trois employeurs (Mount Sinai, Rush North Medical Centre et Alden Valley Ridge). Interrogée quant aux raisons pour lesquelles elle n’avait pas mentionné ces emplois, la demanderesse a répondu qu’elle n’y avait pas travaillé longtemps et qu’elle n’avait gagné que 21 000 $ chez Mount Sinai. La demanderesse a ensuite révélé qu’elle avait travaillé à cet endroit pendant neuf mois.

 

[20]           Lorsque l’agente lui a dit que le salaire qu’elle avait gagné chez Alden Valley Ridge, en l’occurrence 20 823 $, ne permettait pas de penser qu’elle y avait travaillé à temps plein, la demanderesse n’a rien répondu. Ce n’est qu’après que l’agente lui eut demandé comment elle avait pu travailler à temps plein pour Alden Valley Ridge pendant un an pour obtenir moins d’argent que ce qu’elle avait gagné pendant neuf mois en travaillant pour Mount Sinai que la demanderesse a admis qu’elle n’y avait travaillé qu’à temps partiel.

 

[21]           De plus, la lettre convoquant la demanderesse à son entrevue l’invitait à soumettre des lettres de recommandation de tous ses employeurs indiquant les dates d’emploi, le nombre d’heures travaillées par semaine, la rémunération versée et les fonctions exercées. Le défendeur a souligné que les lettres de trois des employeurs (Mount Sinai, Alden Valley Ridge et Home Physicians 2011 PLC) ne précisaient pas le nombre d’heures de travail et que seule celle provenant d’Alden Valley Ridge précisait les fonctions exercées. Le Rush North Medical Centre n’avait pas fourni de lettre. Les éléments de preuve en question n’étaient pas suffisants pour démontrer que la demanderesse avait travaillé le nombre requis de 37,5 heures par semaine pendant un an. De plus, le défendeur affirme que la lettre d’Adventist Glen Oaks indiquait que la demanderesse n’avait travaillé que 36 heures par semaine, ce qui est inférieur aux 37,5 heures par semaine exigées pour être considérées comme un travail à temps plein. Compte tenu de ces faits, l’agente n’a pas commis d’erreur en évaluant ces éléments de preuve et en concluant que la demanderesse ne possédait pas l’expérience requise. La demanderesse avait l’obligation de fournir suffisamment d’éléments de preuve au moment de la présentation de sa demande pour convaincre l’agente qu’elle satisfaisait aux exigences de sa catégorie (Elisha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 520, aux paragraphes 12 et 13, [2012] ACF no 731 (QL) [Elisha]).

 

[22]           En ce qui concerne les fonds nécessaires pour s’établir au Canada, le défendeur a souligné que la demanderesse devait démontrer qu’elle disposait de fonds suffisants, c’est‑à‑dire de « fonds transférables – non grevés de dettes ou d’autres obligations financières – » (RIPR, paragraphe 76(1)b)(i)). Dans le cas qui nous occupe, la demanderesse a démontré au moyen de relevés bancaires qu’elle et son conjoint possédaient environ 49 000 $, sans toutefois fournir d’éléments de preuve sur la provenance de ces fonds. L’agente a fait observer que des virements importants avaient été effectués à partir d’un compte au sujet duquel la demanderesse n’avait fourni aucun renseignement, et ce, malgré le fait qu’on lui avait demandé de produire [traduction] « les relevés de tous les comptes bancaires que vous et votre conjoint possédiez aux États‑Unis ou à l’extérieur des États‑Unis au cours des vingt‑quatre derniers mois et des éléments de preuve indiquant la provenance des fonds ». Lors de son entrevue, la demanderesse a déclaré que le compte dont l’existence n’avait pas été divulguée et duquel provenaient les importants virements de fonds appartenait à son conjoint et qu’elle n’avait pas fourni de relevé de ce compte parce qu’il ne renfermait pas véritablement de fonds. L’agente a conclu que cette explication n’était pas crédible.

 

[23]           Interrogée à l’entrevue, la demanderesse a répondu qu’elle et son époux n’avaient aucune dette. Toutefois, l’agente a souligné que les documents de l’IRS faisaient état de prêts d’étudiants et de versements hypothécaires, et la demanderesse a finalement admis devoir plus de 130 000 $. Bien que la demanderesse prétende avoir déclaré lors de son entrevue qu’elle avait l’intention de vendre sa maison pour rembourser ses dettes, les notes versées au SMGC ne font état d’aucune déclaration en ce sens. La demanderesse n’a également pas démontré la valeur de la maison, le montant de la dette ou encore si le produit de la vente de la maison suffisait pour rembourser la dette. Il lui incombait de démontrer, au moment de sa demande, qu’elle disposait de suffisamment de fonds transférables – non grevés de dettes ou d’autres obligations financières – pour pouvoir s’établir au Canada. Or elle n’en a rien fait (Elisha, précité; RIPR, sous‑alinéa 76(1)b)(i)).

 

[24]           En ce qui concerne le statut de la demanderesse aux États‑Unis, l’agente a fait observer que la demanderesse n’avait pas fourni d’explication quant à certaines périodes. Interrogée à ce sujet, elle avait d’abord déclaré qu’elle avait travaillé dans le cadre d’un stage après avoir terminé ses études pour ensuite admettre qu’elle avait travaillé pendant presque trois ans sans permis de travail et qu’elle avait dissimulé ces renseignements aux autorités américaines lorsqu’elle avait par la suite demandé un permis de travail. À l’entrevue, l’agente a également fait observer qu’il n’y avait aucun document confirmant la prétention que l’époux de la demanderesse avait faite en 2010 suivant laquelle il avait eu un visa d’étudiant aux États‑Unis. La demanderesse a admis que son époux était sans statut depuis 2002.

 

[25]           Quant à l’argument de la demanderesse suivant lequel elle avait fourni les documents originaux lors de son entrevue au sujet du statut de son époux aux États‑Unis, l’agente a affirmé dans son affidavit qu’aucun élément de preuve de ce genre n’avait été soumis. De plus, dans son propre affidavit, la demanderesse a de nouveau admis que son époux était sans statut depuis 2002.

 

[26]           Le défendeur affirme que les nombreuses contradictions et lacunes de la preuve présentée par la demanderesse permettaient raisonnablement à l’agente de conclure que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle satisfaisait aux exigences lui permettant d’immigrer au Canada dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

 

Analyse

Interdiction de territoire

[27]           Aux termes du paragraphe 11(1) de la LIPR, l’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visas et autres documents requis par règlement et l’agent peut les lui délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme aux exigences de la LIPR. Les demandeurs ont l’obligation de répondre véridiquement aux questions qui leur sont posées lors du contrôle, de donner tous les renseignements et éléments de preuve pertinents et de présenter les documents requis (paragraphe 16(1)). Emporte interdiction de territoire pour fausses déclarations le fait de faire directement ou indirectement une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR (alinéa 40(1)a)).

 

[28]           Dans la présente demande, les deux parties se concentrent surtout sur la question de savoir si la demanderesse satisfait aux exigences techniques de la LIPR. D’ailleurs, d’entrée de jeu, dans sa lettre de refus du 15 août 2012, l’agente affirme effectivement qu’elle estime que la demanderesse ne satisfait pas aux exigences lui permettant d’immigrer au Canada. Toutefois, l’essentiel de la décision de l’agente concernait la crédibilité de la demanderesse, comme le démontrent à la fois la lettre de refus et les notes versées au SMGC, ainsi que la fiabilité des renseignements et documents fournis par la demanderesse. L’agente a finalement conclu que la demanderesse était interdite de territoire :

[traduction]

Le paragraphe 11(1) de la Loi prévoit que l’agent délivre le visa ou le document demandé s’il est convaincu, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme aux exigences de la Loi. Je suis convaincue que vous êtes interdite de territoire pour les raisons que j’ai déjà exposées. Je refuse par conséquent votre demande en vertu du paragraphe 11(1) de la Loi. (Italiques ajoutés.)

 

[29]           Malgré cela, l’agente ne mentionne pas l’alinéa 40(1)a) et ne conclut pas de façon explicite que la demanderesse a fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui a entraîné ou a risqué d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR et emportait interdiction de territoire. Et bien que le mémoire original du défendeur reproduise le texte de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, cette mention ne se retrouve plus dans son mémoire complémentaire. Lorsqu’il a comparu devant moi, le défendeur a affirmé que l’agente n’avait pas tiré de conclusion en vertu de l’article 40. Par conséquent, la question n’était pas celle de savoir si la demanderesse était « interdite de territoire » au sens de l’alinéa 40(1)a), mais bien si l’agente était convaincue qu’elle n’était « pas interdite de territoire » et qu’elle possédait l’expérience de travail exigée au sens du paragraphe 11(1). Le défendeur a cité l’article 16 de la LIPR, précité, et fait valoir que la demanderesse était également obligée de répondre véridiquement aux questions et de fournir tous les renseignements pertinents demandés.

 

[30]           À mon avis, comme l’agente n’a pas conclu dans ses motifs que des présentations erronées avaient été faites sur un fait important, elle ne pouvait pas conclure à l’interdiction de territoire par application de l’alinéa 40(1)a) (Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 166, aux paragraphes 3‑4, [2008] ACF no 212 (QL)).

 

[31]           Il existe toutefois des décisions dans lesquelles les tribunaux ont statué que l’obligation de franchise est une des exigences de la LIPR et que la violation de cette obligation justifie le refus d’une demande en vertu du paragraphe 11(1) (Mescallado, précité; Porfirio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 794, aux paragraphes 39 et 45, 99 Imm LR (3d) 320 [Porfirio]; Lan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 770, au paragraphe 10, 42 Imm LR (3d) 280 [Lan]). Par conséquent, les omissions et fausses déclarations faites par la demanderesse pourraient justifier le refus de sa demande, et ce, que ces omissions et fausses déclarations aient porté ou non sur un point important, tout comme son défaut de fournir les documents pertinents demandés.

 

[32]           Dans l’affaire Mescallado, précitée, la Cour a rejeté une demande dans laquelle le demandeur soutenait que, lorsqu’on omet de répondre à une question lors d’un contrôle – ce qui comprend les interrogatoires sous forme orale et écrite −, l’agent doit passer à une analyse fondée sur l’article 40 relativement aux critères de l’importance, puis rendre une décision quant à l’interdiction de territoire. Le juge Phelan a conclu que, bien que l’article 16 et l’article 40 aient tous les deux pour objet de garantir la véracité, ils traitent de la question d’une manière bien différente et entraînent des conséquences tout aussi distinctes. À l’article 16, il est question de véracité au sens d’exactitude et d’intégralité des renseignements. On n’y parle pas et on n’y impose pas de seuil d’importance, bien que la pertinence soit toujours requise. De plus, il est possible de refuser une demande en vertu du paragraphe 11(1) au motif qu’elle ne satisfait pas aux exigences de la Loi. En revanche, le paragraphe 40(1) définit en termes précis l’expression « fausse déclaration », qui s’entend d’une présentation erronée des faits qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Dans le cas de fausses déclarations au sens du paragraphe 40(1), la personne concernée sera déclarée interdite de territoire et le paragraphe 40(2) prolonge la durée de ce statut sur deux ans. Une contravention à l’article 16 n’entraîne pas la situation prévue au paragraphe 40(1) ou à l’article 41, pas plus qu’elle ne donne lieu à une interdiction d’une durée de deux ans en application du paragraphe 40(2). L’article 16 étant une disposition discrétionnaire, il reste à déterminer si la décision était suffisamment raisonnable pour justifier le rejet de la demande de visa de résident permanent.

 

[33]           Il incombe au demandeur de convaincre l’agent des visas qu’il satisfait aux conditions lui permettant d’immigrer au Canada. Le demandeur qui ne répond pas véridiquement aux questions qui lui sont posées risque de voir la fiabilité de l’ensemble de son témoignage remis en question et il se peut alors que l’agent ne dispose plus de suffisamment de renseignements pour pouvoir conclure que le demandeur n’est pas interdit de territoire et qu’il satisfait aux exigences de la LIPR. Comme le juge Scott l’a expliqué dans le jugement Ramalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 278, au paragraphe 37, [2012] 4 RCF 457, après avoir examiné la jurisprudence sur la question, l’agent peut rejeter, en vertu du paragraphe 11(1), une demande sans avoir à conclure expressément que le demandeur est interdit de territoire, au motif que, comme le demandeur n’a pas donné « un portrait complet » de ses antécédents, l’agent n’est pas en mesure de conclure que le demandeur « n’est pas interdit de territoire ». D’ailleurs, il ressort des notes versées au SMGC par l’agente que c’est effectivement ce qui s’est produit en l’espèce.

 

[34]           Par conséquent, la question à laquelle il faut répondre est celle de savoir s’il était raisonnable de la part de l’agente de conclure que la demanderesse n’était pas crédible et si ce manque de crédibilité suffisait pour remettre en question la fiabilité de l’ensemble de la preuve présentée par la demanderesse et, par conséquent, pour déterminer si elle n’était pas interdite de territoire et si elle satisfaisait aux exigences de la LIPR. Compte tenu des circonstances factuelles susmentionnées, j’estime que la demanderesse n’a pas fourni de renseignements complets, fidèles et véridiques lorsqu’elle a présenté sa demande de visa de résidente permanente, contrairement à l’article 16 de la LIPR. J’estime aussi que l’agente a examiné les explications avancées par la demanderesse au sujet des contradictions pour ensuite estimer qu’elles n’étaient pas crédibles ou suffisantes pour répondre aux réserves exprimées au sujet de la crédibilité.

 

[35]           Considérée dans son ensemble, l’évaluation que l’agente a faite de la crédibilité de la demanderesse n’était pas déraisonnable et elle appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). L’agente s’est mal exprimée lorsqu’elle a écrit qu’elle n’était pas convaincue que la demanderesse était « interdite de territoire » au sens du paragraphe 11(1). J’infère toutefois de son évaluation de la crédibilité que la demanderesse a manqué à son obligation de franchise et que, pour cette raison, l’agente ne pouvait se prononcer sur la question de savoir si la demanderesse n’était « pas interdite de territoire » ou si elle satisfaisait aux exigences de la LIPR.

 

Fonds nécessaires pour réussir son établissement au Canada

[36]           Le paragraphe 76(1) du RIPR prévoit que pour déterminer si un travailleur qualifié peut réussir son établissement économique au Canada, à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), son cas doit être évalué en fonction de certains critères. Ainsi, le travailleur qualifié doit avoir un emploi réservé au Canada ou disposer « de fonds transférables et disponibles — non grevés de dettes ou d’autres obligations financières — d’un montant égal à la moitié du revenu vital minimum qui lui permettrait de subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille » […] Dans le cas qui nous occupe, la demanderesse n’a pas prétendu qu’elle avait un emploi réservé.

 

[37]           Suivant les éléments de preuve qu’elle a fournis, la demanderesse possède environ 50 000 $ en fonds destinés à son établissement. Toutefois, comme l’agente l’a précisé, la demanderesse n’a pas précisé la provenance de ces fonds dans sa preuve. Une grande partie de ce montant provenait de virements de sommes importantes à partir d’un compte inconnu. Confrontée à ce fait lors de son entrevue, la demanderesse a expliqué que l’argent provenait d’un fonds appartenant à son mari. Interrogée quant à savoir pourquoi elle n’avait pas indiqué l’existence de ce compte dans ses éléments de preuve documentaire, la demanderesse a répondu que ce compte ne contenait pas véritablement de fonds. Compte tenu du fait que d’importants paiements étaient régulièrement virés de ce compte inconnu, l’agente a raisonnablement conclu que cette explication n’était pas crédible.

 

[38]           L’absence d’explication quant à la provenance des fonds destinés à l’établissement permet également de s’interroger sur la question de savoir si la demanderesse disposait réellement de ces fonds. Cela tient par exemple au fait que l’on pourrait concevoir que les fonds en question pourraient être virés à partir d’un compte appartenant à un tiers au compte de la demanderesse pour démontrer, aux fins de sa demande, que les fonds requis étaient disponibles. Les fonds pourraient ensuite être retournés au tiers en question une fois le visa délivré. Rien ne permet évidemment de penser que tel était le cas en l’espèce. Je propose ce scénario à titre d’exemple dans le seul but de souligner les raisons pour lesquelles ces renseignements sont pertinents, sont réclamés et que la demanderesse doit les fournir. Cette preuve est également nécessaire pour s’assurer que ces fonds ne proviennent pas des produits de la criminalité ou d’autres sources illégales.

 

[39]           La demanderesse affirme qu’il était déraisonnable de la part de l’agente de l’obliger à soumettre des éléments de preuve portant sur les comptes bancaires de sa famille pour les 24 derniers mois ainsi que sur la provenance des fonds destinés à son établissement. Je ne suis pas de cet avis. L’article 16 oblige les demandeurs à fournir tous les éléments de preuve et documents pertinents requis. Comme je l’ai déjà expliqué, les renseignements concernant la provenance des fonds destinés aux établissements étaient pertinents. Quant à la question de savoir si les documents étaient requis ou non, le juge von Finckenstein a déclaré, dans le jugement Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 599, au paragraphe 10, [2006] ACF no 760 (QL), qu’il était raisonnable d’exiger du demandeur qu’il produise des relevés bancaires et d’autres documents concernant son entreprise et remontant à plusieurs décennies étant donné que ces renseignements avaient trait à la provenance des fonds actuels. À mon avis, compte tenu de l’absence de précision quant à la provenance des fonds, la demanderesse ne pouvait se contenter d’affirmer que les revenus qu’elle et son mari avaient gagnés au fil des ans [traduction] « confirment la provenance des fonds ».

 

[40]           De plus, bien qu’il puisse être déraisonnable dans certains cas d’exiger du demandeur qu’il produise des documents difficilement accessibles (voir, p. ex., Lan, précité, au paragraphe 15), dans le cas qui nous occupe, il aurait été relativement facile pour la demanderesse d’obtenir des relevés bancaires de ses banques pour la période de 24 mois en question.

 

[41]           Au sujet du prêt hypothécaire et de la dette relative au prêt étudiant, la demanderesse affirme que cette dette n’est pas pertinente étant donné qu’elle ne « grève » pas l’argent contenu dans le compte bancaire. L’hypothèque ne grève que l’immeuble auquel il se rapporte et le prêt étudiant ne grève rien. À mon avis, c’est peut‑être le cas, mais le contraire aussi est possible. Normalement, une hypothèque grève effectivement l’immeuble auquel elle se rapporte, mais si l’immeuble est vendu et que le produit de la vente est insuffisant pour rembourser le prêt hypothécaire, le débiteur hypothécaire demeure normalement personnellement obligé et demeure responsable du remboursement du reste de la dette. Dans le cas qui nous occupe, bien que la demanderesse ait fini par admettre l’existence de sa dette hypothécaire, il n’y a aucune preuve documentaire démontrant l’ampleur de cette dette, quel immeuble elle grevait, la juste valeur marchande de l’immeuble et la question de savoir si la demanderesse était tenue au remboursement de la dette hypothécaire advenant le cas où le produit de la vente de l’immeuble s’avérerait insuffisant pour rembourser la dette. De même, dans le cas du prêt étudiant, la logique dicterait qu’il s’agit d’une obligation financière de la demanderesse. Toutefois, à défaut de preuve quant au prêt ou à ses modalités de remboursement, il est impossible de savoir les répercussions que ce prêt a pu avoir, le cas échéant, sur les fonds d’établissement. À défaut d’élément de preuve, c’est de façon raisonnable que l’agente a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré que les fonds d’établissement n’étaient pas grevés de dettes ou d’autres obligations financières.

 

[42]           Compte tenu du fait que l’agente a conclu de façon raisonnable que la demanderesse n’était pas crédible et qu’elle n’avait pas démontré la provenance des fonds destinés à son établissement ou le fait qu’elle disposait de ces fonds et qu’ils n’étaient pas grevés de dettes ou d’autres obligations, il n’est pas nécessaire d’examiner les conclusions tirées par l’agente au sujet des relevés d’emploi ou des autres dossiers de la demanderesse. Cela étant dit, je tiens toutefois à signaler que certaines mais pas la totalité des conclusions de l’agente s’appuyaient effectivement sur le dossier. Par exemple, bien que l’agente ait déclaré qu’elle n’était pas convaincue que la demanderesse et son époux possédaient le degré d’instruction qu’ils prétendaient avoir et qu’ils avaient pu faire des études en ligne étant donné qu’il n’y avait aucun élément de preuve contraire, la demanderesse a effectivement soumis des diplômes et des relevés et l’agente n’a pas contesté leur authenticité.

 

[43]           Pour la même raison, il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments portant sur l’interprétation et l’application qu’il convient de donner à l’alinéa 75(2)a) et au paragraphe 80(7) du RIPR.

 

La demanderesse a‑t‑elle été privée de son droit à l’équité procédurale?

Thèse de la demanderesse

[44]           La demanderesse n’expose pas sa thèse de façon claire en fonction de l’équité procédurale. Sa thèse semble se résumer à deux reproches. Elle reproche tout d’abord à l’agente d’avoir ignoré des éléments de preuve que la demanderesse lui a présentés à l’audience au sujet du statut de son mari aux États‑Unis, et fait défaut d’en conserver des copies. En second lieu, elle reproche à l’agente de ne pas lui avoir accordé la possibilité de répondre aux réserves qu’elle avait exprimées en ce qui concerne les lacunes de la preuve documentaire.

 

Thèse du défendeur

[45]           En ce qui concerne les documents que la demanderesse aurait soumis à l’agente lors de son entrevue au sujet du statut de son mari aux États‑Unis, le défendeur signale que l’agente a déclaré dans son affidavit que la demanderesse n’avait rien produit. En tout état de cause, la demanderesse admet que son mari était sans statut aux États‑Unis.

 

[46]           En ce qui concerne l’insuffisance de la preuve documentaire, le défendeur souligne que la lettre du 12 juin 2012 invitait explicitement la demanderesse à soumettre des lettres de recommandation vérifiables de tous ses employeurs des États‑Unis dans lesquelles on précisait les dates d’emploi, le nombre d’heures travaillées par semaine, la rémunération versée, ainsi que les fonctions exercées. La même lettre réclamait également des relevés bancaires pour tous les comptes bancaires. Les lacunes signalées par l’agente se rapportent au fait que les lettres d’emploi ne donnaient pas les détails demandés et que la demanderesse n’avait pas fourni d’éléments de preuve portant sur tous les emplois qu’elle avait exercés ou tous les comptes bancaires. Citant le jugement Elisha, précité, le défendeur fait valoir qu’il incombait à la demanderesse de fournir les renseignements en question.

 

[47]           Pour ce qui est des renseignements bancaires, le défendeur signale que le sous‑alinéa 76(1)b)(i) du RIPR oblige les demandeurs à disposer de fonds transférables et disponibles non grevés de dettes ou d’autres obligations financières. L’agente n’était pas tenue d’expliquer à la demanderesse qu’elle devait démontrer qu’elle satisfaisait aux exigences de la loi à défaut des preuves requises (citant Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, au paragraphe 24, [2007] 3 RCF 501 [Hassani]; Bar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 317, au paragraphe 29 [Bar]; Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 422, aux paragraphes 11 à 14 [Kaur]). L’obligation d’agir avec équité exige seulement de l’agent qu’il pose des questions appropriées au demandeur lorsqu’il a des réserves au sujet de la crédibilité, de l’exactitude ou de l’authenticité de renseignements qui seraient autrement suffisants, si on y ajoutait foi. Or, l’agente a respecté cette obligation en l’espèce.

 

Analyse

[48]           La demanderesse affirme qu’elle a remis à l’agente lors de son entrevue des documents concernant le statut de son époux, mais que ces documents lui ont été retournés sans que des copies en soient faites. L’agente nie avoir reçu les éléments de preuve en question. Ni l’agente ni la demanderesse n’ont été contre‑interrogées.

 

[49]           Bien que ni la demanderesse ni le défendeur n’aient cité de jurisprudence concernant des témoignages divergents au sujet de ce qui s’est produit lors d’une entrevue, les tribunaux ont, par le passé, préféré les notes de l’agent. Le juge Rouleau explique pourquoi il en est ainsi dans le jugement Oei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 466, au paragraphe 42, 221 FTR 112:

À mon avis, il convient d’accorder plus de poids au témoignage de l’agent des visas au sujet de ce qui s’est passé durant l’entrevue pour les raisons suivantes. D’une part, celui‑ci est corroboré par les notes qu’elle a retranscrites dans le système CAIPS, lesquelles ne font nulle mention de difficultés de communication avec le demandeur, alors qu’aucun élément ne vient appuyer ou confirmer les allégations du demandeur. En outre, les notes de l’agent ont été retranscrites dans le CAIPS le lendemain de l’entrevue du demandeur, soit le 21 mars 2001, alors que les événements étaient encore frais dans sa mémoire, et l’affidavit du demandeur date pour sa part du 31 août 2001, soit plus de cinq mois après l’entrevue. La contemporanéité des notes du CAIPS, qui corroborent le témoignage de l’agent, constitue à mon avis une raison suffisante de préférer son témoignage à celui du demandeur.

 

 

(Voir également Maxim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1029, au paragraphe 32; Karimzada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 152, au paragraphe 16; Al Nahhas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1507, aux paragraphes 14 et 15).

 

[50]           Dans la présente affaire également, les notes versées au SMGC sont contemporaines et démontrent que l’agente s’inquiétait du manque de documents confirmant l’absence de statut du conjoint de la demanderesse. Si les éléments de preuve en question lui avaient été soumis, l’agente les aurait probablement mentionnés. Par ailleurs, la demanderesse n’accuse pas l’agente de parti pris et elle n’a pas invoqué d’autres raisons pour lesquelles l’agent aurait rejeté ces éléments de preuve. De plus, l’agente a accepté l’aveu de la demanderesse que son conjoint n’avait plus de statut aux États‑Unis depuis 2002. Il s’ensuit que les documents qui auraient été soumis au sujet du statut du conjoint de la demanderesse ne contredisent pas les conclusions tirées par l’agente à cet égard ou que ces documents n’étaient pas exacts. À mon avis, la preuve ne permet pas de conclure qu’un manquement à l’équité procédurale a été commis au sujet des documents que la demanderesse aurait soumis à l’agente lors de l’entrevue. Et, en tout état de cause, toute erreur commise à cet égard ne tirerait pas suffisamment à conséquence pour justifier l’annulation de la décision (Khosa, précité, au paragraphe 43; Uniboard Surfaces Inc c Kronotex Fussboden GmbH, 2006 CAF 398, au paragraphe 24, [2007] 4 RCF 101).

 

[51]           Quant à l’argument suivant lequel l’agente n’a pas accordé à la demanderesse la possibilité de dissiper ses doutes au sujet de l’insuffisance de la preuve documentaire, la demanderesse n’a cité aucune jurisprudence à l’appui de cet argument. Et, à mon avis, la jurisprudence citée par le défendeur représente bien l’état du droit sur la question. L’avis de convocation de la demanderesse à son entrevue expliquait ce qu’elle devait apporter et, lors de l’entrevue, l’agente a souligné à la demanderesse en quoi la documentation était insuffisante pour ensuite lui demander des explications. L’agente n’avait pas l’obligation d’en faire plus (Liao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1926 (QL), au paragraphe 17; Sidhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 515, au paragraphe 76, 409 FTR 58; Dehghan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 680, aux paragraphes 49‑50, 18 Imm LR (4th) 232).

 

[52]           S’agissant du prêt hypothécaire et du prêt étudiant, il est vrai que l’avis de convocation de la demanderesse à son entrevue ne réclamait pas d’éléments de preuve au sujet de ses dettes. Toutefois, les demandeurs ont l’obligation de démontrer qu’ils disposent de fonds non grevés de dettes; c’est donc la loi qui leur impose cette obligation. Ainsi que le juge Mosley l’a dit dans le jugement Elisha, précité, au paragraphe 12, « [i]l incombait à la demanderesse de présenter une demande accompagnée de tous les documents justificatifs pertinents et de fournir, à l’appui de cette demande, une preuve crédible suffisante » (voir également Hassani, précité, aux paragraphes 22 et 26; Oei, précité, aux paragraphes 35, 36 et 37). Par conséquent, la demanderesse aurait dû fournir des éléments de preuve confirmant que ses dettes ne grevaient pas les fonds destinés à son établissement et qu’elles n’étaient assorties d’aucune obligation qui pourrait par ailleurs avoir une incidence sur la disponibilité des fonds en question. Le fait que l’agente n’ait pas accordé à la demanderesse la possibilité de répondre davantage à ses préoccupations au sujet de l’insuffisance de la preuve documentaire n’équivaut pas à un manquement à l’équité procédurale. Le juge Roy explique bien la chose dans le jugement Bar, précité, au paragraphe 24 :

[L]es règles de justice naturelle peuvent requérir que des questions supplémentaires soient posées dans les cas où il y aurait suffisance de la preuve n’eût été les doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande. Par ailleurs, si la demande, en soi, est insuffisante, il n’existe aucune obligation de communiquer avec le demandeur pour lui demander de bonifier sa demande. Pour reprendre les termes dans Hassani, ci‑dessus, si les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, aucune obligation n’existe de tenter de fournir au demandeur la possibilité de répondre. C’est la responsabilité du demandeur que de fournir la documentation qui remplisse les exigences de la loi canadienne.

 

(voir également Oei, précité, aux paragraphes 35, 36 et 37; Hassani, précité, au paragraphe 24; Obeta, précité, au paragraphe 25; Ahrairoodi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 682, au paragraphe 18, [2013] ACF no 729 (QL); Kaur, précité, au paragraphe 26). Par conséquent, la demanderesse n’a pas été privée de son droit à l’équité procédurale.

 

[53]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

                                                           

 

DOSSIER :

IMM‑10684‑12

 

INTITULÉ :

RACHEL WANGUI MUTHUI, FRANCIS NJENGA NJOROGE, NATHAN MWANGI NJOROGE c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 18 DÉCEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 30 JANVIER 2014

COMPARUTIONS :

Steven Tress

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Ian Hicks

 

pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Steven Tress

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

 

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