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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20140204

Dossier : IMM-1747-13

Référence : 2014 CF 112

Ottawa (Ontario), le 4 février 2014

En présence de monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

 

OLUSHOLA ADEWOLE

 

 

 

Partie demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

Partie

défenderesse

 

         MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.          Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] à l’encontre de la décision rendue le 7 février 2013 par une agente d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] rejetant la demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire du demandeur [demande CH].

II.        Faits

[2]               Le demandeur est un citoyen du Nigéria né le 29 décembre 1967.

 

[3]               Il a présenté une première demande CH le 17 juillet 2000, mais celle-ci fut refusée en janvier 2002 après que son épouse canadienne de l’époque eut décidé de ne plus parrainer la demande à la suite de leur divorce.

 

[4]               Il a entrepris, en 2002, une relation avec une résidente permanente, Foluke Olowe, qui est devenue sa conjointe de fait, avec qui il a trois enfants nés au Canada.

 

[5]               Il a présenté une deuxième demande CH en mars 2004. La demande était parrainée par sa nouvelle conjointe de fait. La demande a été refusée en mai 2006 parce que le demandeur a été reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies en 2004.

 

[6]               Le 16 janvier 2007, le demandeur a obtenu un permis de séjour temporaire délivré pour des considérations d’ordre humanitaire, lequel était valide jusqu’au 16 janvier 2010. En septembre 2011, on a refusé le renouvellement de ce permis faute de motifs humanitaires.

 

[7]               Le demandeur a déposé la demande CH faisant l’objet du présent contrôle judiciaire le 14 novembre 2008. Pour ce faire, il a retenu les services d’un avocat, Me Stéphane Handfield.

 

[8]               En 2008, alors qu’il était admissible à présenter une demande de réhabilitation concernant sa condamnation de 2004, le demandeur a de nouveau été déclaré coupable de conduite avec facultés affaiblies.

 

[9]               En 2009, le demandeur a été accusé de tentative de meurtre contre sa conjointe de fait. Il a ensuite été interné à l’Institut Philippe-Pinel de Montréal.

 

[10]           En février 2010, l’Institut Philippe-Pinel est entré en communication avec CIC s’enquérant du statut d’immigration du demandeur. CIC a informé l’Institut Philippe-Pinel que le permis de séjour temporaire du demandeur était valide jusqu’au 16 janvier 2010.

 

[11]           En avril 2011, CIC a envoyé une lettre au demandeur ainsi qu’à son avocat, Me Handfield, demandant une mise à jour de la situation de fait du demandeur relativement à sa demande CH. L’Institut Philippe-Pinel a répondu à cette demande en indiquant que le demandeur était hospitalisé dans leurs installations et qu’il y recevait des traitements psychiatriques depuis septembre 2009. Aucune date n’était alors prévue pour son congé. L’avocat du demandeur n’a pas répondu.

 

[12]           Le demandeur fondait sa plus récente demande CH sur son lien avec le Canada, l’intérêt supérieur de ses enfants et les risques dans son pays d’origine.

 

III.       Décision contestée

[13]           D’emblée, l’agente d’immigration précise que, contrairement à sa demande CH de 2004, le demandeur n’a fourni aucun document à l’appui de ses prétentions au sujet de ses revenus, de son emploi, de ses modalités de résidence ou de sa participation au sein de sa communauté ou de sa famille.

 

[14]           L’agente d’immigration a passé en revue les prétentions du demandeur et a rendu des motifs distincts pour chacun des facteurs invoqués par celui-ci. Ultimement, elle est venue à la conclusion que les facteurs, pris individuellement ou ensemble, ne permettaient pas d’établir que le demandeur subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées s’il était tenu de présenter sa demande de résidence permanente depuis l’extérieur du Canada.

 

[15]           Relativement aux difficultés associées à l’attachement du demandeur envers le Canada et à l’intérêt supérieur des enfants, l’agente d’immigration a reconnu que plusieurs facteurs appuyaient bel et bien la demande CH au moment où celle-ci a été présentée, mais a conclu que selon la preuve dont elle disposait les circonstances positives ont, depuis, considérablement changé. S’appuyant sur la lettre de l’Institut Philippe-Pinel et sur un reportage publié par le réseau CTV de Montréal, l’agente a constaté que le demandeur a été accusé de tentative de meurtre contre sa conjointe de fait en juillet 2009 et qu’il demeure hospitalisé à ce jour. Les enfants avaient alors été placés sous garde préventive. Bien que CIC lui ait exigé de mettre son dossier à jour, le demandeur n’a fourni aucun renseignement concernant ces tristes événements, ou leurs conséquences sur ses relations avec sa famille, notamment ses enfants, ou sur son emploi. En l’absence de preuve contraire, l’agente d’immigration a conclu que le demandeur demeurait coupé de sa famille et qu’il ne leur apportait aucun soutien financier ou émotionnel. Par conséquent, elle a accordé très peu d’importance au lien du demandeur avec le Canada et indiqué qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve pour conclure que sa présence continue au Canada serait dans le meilleur intérêt de ses enfants.

[16]           Pour ce qui est des difficultés liées aux risques ou à la discrimination, l’agente d’immigration a conclu que le demandeur n’a précisé aucune crainte particulière qu’il éprouvait. Au terme d’une analyse de la documentation nationale sur le Nigéria, elle a reconnu que de nombreux et graves problèmes subsistaient dans ce pays. Toutefois, le demandeur ne provient pas d’une des régions les plus touchées par ces problèmes et, compte tenu du manque de preuve, rien n’indiquait que celui-ci serait exposé à un risque ou à des difficultés en raison de discrimination. L’agente d’immigration a également accordé un poids minimal à ce facteur.

 

[17]           L’agente d’immigration s’est enfin tournée vers un autre facteur important de la demande CH, c’est-à-dire l’interdiction de territoire du demandeur pour des raisons d’ordre criminel, concluant qu’en plus de l’interdiction de territoire liée aux condamnations de 2004 et de 2008 le demandeur a été accusé de tentative de meurtre en 2009, et qu’il était donc peu probable qu’il puisse présenter une nouvelle demande de réhabilitation sous peu. Ce facteur était si important qu’il l’a emporté sur tout facteur positif pour le demandeur.

 

IV.       Arguments du demandeur

[18]           Le demandeur s’oppose à la décision rendue à son égard et fait principalement valoir un argument : la décision de l’agente d’immigration s’appuie sur des éléments de preuve extrinsèques, soit la lettre de l’Institut Philippe-Pinel et le reportage du réseau CTV.

 

[19]           Selon le demandeur, il s’agit de preuve extrinsèque puisqu’il en ignorait l’existence. De plus, ces deux éléments de preuve constituent le fondement de la conclusion négative rendue par l’agente d’immigration à son égard, et le demandeur n’a pas pu s’expliquer quant à ces nouveaux éléments.

 

V.        Arguments du défendeur

[20]           Le défendeur prétend que l’agente d’immigration n’a pas commis d’erreur en l’espèce puisque la décision ne s’appuie pas sur des éléments de preuve dont le demandeur n’avait pas connaissance.

 

[21]           D’une part, l’agente d’immigration a envoyé une lettre demandant la mise à jour du dossier tant au demandeur qu’à son avocat. Bien que ce soit l’Institut Philippe-Pinel qui a répondu à la lettre envoyée au demandeur, ce dernier a consenti aux communications entre l’Institut et CIC. De plus, l’avocat du demandeur n’a transmis aucune réponse, et les actions d’un avocat étant indissociables de celles de son client, le demandeur a donc eu l’occasion de s’expliquer, mais ne l’a pas fait. D’autre part, le second élément de preuve contesté – le reportage – en est un tiré d’Internet qui est largement accessible et qui, au surplus, concerne le demandeur lui-même. Le demandeur est donc présumé en avoir eu connaissance.

 

[22]           En outre, le demandeur avait l’obligation d’être honnête et fournir à CIC tous les renseignements concernant son dossier, y compris ceux qui peuvent nuire à sa demande, ce qu’il n’a pas fait. Au final, le demandeur avait le fardeau de prouver qu’une exemption fondée sur des considérations d’ordre humanitaire devait être délivrée en l’espèce.

 

[23]           Le défendeur termine en soulignant qu’il importe peu qu’il s’agisse d’éléments de preuve dont le demandeur n’avait pas connaissance. Ces éléments de preuve ne changent en rien l’issue de l’affaire, étant donné que presque aucune preuve n’a été versée au dossier et que le demandeur demeure – et demeurera – interdit de territoire au Canada.

 

VI.       Question en litige

[24]           L’agente d’immigration a-t-elle commis une erreur en s’appuyant sur des éléments de preuve extrinsèques dont le demandeur n’avait pas connaissance?

 

VII.     Norme de contrôle

[25]           La question en litige dans le présent dossier est liée à l’équité procédurale et doit, par conséquent, faire l’objet d’un contrôle suivant la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43, [2009] 1 RCS 339).

 

VIII.    Analyse

[26]           Pour les raisons qui suivent, la présente Cour est d’avis que l’agente d’immigration n’a pas porté d’atteinte à l’équité procédurale en l’espèce et la décision rendue est correcte.

 

[27]           D’entrée de jeu, il convient de tracer le contexte juridique de la présente demande. Lorsqu’un tribunal est appelé à se questionner à savoir si un document en particulier aurait dû être communiqué ou non à une partie, il n’est plus approprié de se demander s’il s’agit de « preuve extrinsèque ». La Cour d’appel fédérale a enseigné qu’il faut se demander si la transmission de l’élément de preuve en question était nécessaire pour que la personne à qui il aurait été transmis ait une possibilité raisonnable de participer d’une manière significative à la prise de décision (voir Haghighi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (CA), [2000] 4 CF 407 aux paras 26-27, [2000] ACF no 854, voir également Bhagwandass c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 49 au para 22, [2001] ACF no 341).

 

[28]           Toutefois, comme le souligne le défendeur, la présente Cour a précisé que cette question revient à savoir si la personne avait connaissance ou était présumée avoir connaissance de l’élément de preuve en question (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 FCT 266 aux paras 36, 44-45, [2002] ACF no 341). Ainsi, un décideur commet une atteinte à l’équité procédurale s’il appuie sa décision sur un élément de preuve dont la transmission est nécessaire pour que la personne ait une possibilité raisonnable de participer d’une manière significative à la prise de décision ou, en d’autres termes, sur un élément de preuve dont la personne n’avait pas connaissance.

 

[29]           Les deux éléments de preuve visés par la présente demande de contrôle judiciaire, soit la lettre de l’Institut Philippe-Pinel et le reportage du réseau CTV, seront traités successivement.

 

[30]           Premièrement, en ce qui concerne la lettre, rappelons que l’Institut Philippe-Pinel a communiqué avec CIC en janvier 2010 pour s’informer du statut d’immigration du demandeur. À cette fin, le demandeur avait rempli et signé le formulaire IMM-5475 de CIC, Autorisation de communiquer des renseignements personnels à une personne désignée, permettant ainsi à CIC de transmettre à l’Institut Philippe-Pinel des renseignements personnels le concernant. Se doutant qu’il pouvait exister de nouveaux éléments dans le dossier du demandeur, l’agente d’immigration a donc demandé la mise à jour de ce dossier, et la preuve révèle que, le 14 avril 2011, elle a transmis une lettre en ce sens tant au demandeur qu’à son avocat de l’époque, Me Handfield. Un responsable de l’Institut Philippe-Pinel a répondu à cet envoi pour le compte du demandeur, affirmant que celui-ci était hospitalisé dans leurs installations et qu’il y recevait des traitements psychiatriques depuis septembre 2009. Toutefois, l’avocat du demandeur n’a pas répondu à la lettre de l’agente d’immigration de CIC. Or, il est établi qu’exception faite de rares circonstances un client ne peut se dissocier des gestes posés par son avocat en son nom :

 

[9]        […] Dans la grande majorité des cas, on ne dissocie pas les faits et gestes de l’avocat de ceux du client. L’avocat est le mandataire de son client et, aussi sévère que cela puisse paraître, si le client a retenu les services d’un avocat médiocre (ce qui, au passage, n’a pas été prouvé ici par le demandeur), il doit en subir les conséquences. Cependant, dans des cas exceptionnels, l’incompétence de l’avocat peut soulever une question de justice naturelle. Il faut alors que l’incompétence et le préjudice allégués soient clairement prouvés. […] (Dukuzumuremyi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 278 au para 19, [2006] ACF no 349, voir également Hussain c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 334 au para 19, [2010] ACF no 601).

 

Dans notre cas, rien dans le dossier de la Cour ne révèle pourquoi l’avocat, qui a pourtant répondu à diverses demandes de CIC pour le compte de son client dans d’autres circonstances, n’a pas répondu à la lettre en question que lui avait envoyée CIC par télécopieur et rien dans le présent dossier ne soulève quoi que soit concernant la compétence de l’avocat. Dans une telle situation, le silence du procureur doit être pris pour ce qu’il est. Aucune information ne fut envoyée.

 

[31]           Conséquemment, il est faux pour le demandeur de prétendre qu’il n’a pas pu fournir de renseignement au sujet des nouveaux éléments concernant sa demande : il aurait bel et bien pu se faire entendre à cet égard, par l’entremise de son avocat, mais il ne s’est pas prévalu de l’occasion qui lui était offerte. Dans une telle situation, et même sans la lettre, le demandeur a été invité à participer à la prise de décision, mais en refusant de mettre à jour son dossier, il a décliné l’offre. Il n’y a donc pas lieu de conclure que l’agente d’immigration a commis une atteinte à l’équité procédurale relativement à ce premier élément de preuve contesté.

 

[32]           Pour ce qui est du reportage du réseau CTV, il est si évident qu’il s’agit d’un élément de preuve que le demandeur aurait facilement pu trouver sur Internet – d’autant plus qu’il en est le principal intéressé – qu’il est présumé en avoir eu connaissance (voir Chandidas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 257 aux paras 26-28, [2013] ACF no 257 et Beggs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 903 au para 7, [2013] ACF no 931). Le demandeur ne peut s’affirmer surpris par l’utilisation de ce reportage dans la décision. Il s’agit d’un reportage qui relate des faits pertinents au dossier en l’espèce et ayant été commis par le demandeur lui-même. Ce dernier en était donc au courant. De plus, il était de l’obligation du demandeur de communiquer ces faits à CIC, et bien qu’ils y fussent invités, le demandeur et son avocat ont décidé de ne pas le faire. Aucune explication pouvant donner un autre éclairage ne fut fournie. L’agente d’immigration n’a donc pas porté atteinte à l’équité procédurale en appuyant sa décision sur cet élément de preuve.

 

[33]           En outre, comme l’a souligné le défendeur, le demandeur avait l’obligation d’être honnête dans sa demande et de transmettre à CIC tous les nouveaux renseignements susceptibles d’influencer sa demande, les positifs comme les négatifs. Dans une telle demande, le fardeau repose sur les épaules du demandeur. En voulant blâmer l’agente pour ne pas avoir communiqué l’information au demandeur, on tente de renverser le fardeau qui incombait à celui-ci. Ce n’est pas à CIC d’en assumer les conséquences.

 

[34]           Les parties ont été invitées à présenter une question aux fins de certification, mais aucune ne fut proposée.


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

                                                                                                  « Simon Noël »

                                                                                    _____________________________

                                                                                                            Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1747-13

 

INTITULÉ :                                      ADEWOLE c LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 29 janvier 2014

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 4 février 2014

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Éric Taillefer

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Lynne Lazaroff

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Éric Taillefer

Avocat

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

 

 

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