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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20140228

Dossier : IMM-2825-13

Référence : 2014 CF 198

Ottawa (Ontario), ce 28e jour de février 2014

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

Catalina Luminita DAIA

 

Partie demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

Partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]          Cette demande de contrôle judiciaire est relative à une décision d’ordonner une mesure de renvoi à l’égard de la demanderesse parce qu’elle est interdite de territoire en vertu de l’article 37 de Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), ch 27 (la Loi). Il importe de noter dès le départ que la demanderesse est aussi interdite de territoire en vertu de l’article 36 de la Loi et que cette décision ne fait pas l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

Faits

[2]           La décision dont contrôle judiciaire est demandé a été rendue le 3 avril 2013. La demanderesse a plaidé coupable le 25 mai 2012 à trois chefs d’accusation de tentative de vol de cartes de crédit et à deux chefs de vol de cartes de crédit, le tout étant interdit en vertu des articles 463 et 342 du Code criminel, LRC (1985), ch C-46. Cela faisait suite à son arrestation intervenue le 4 octobre 2011. Une policière du Service de police de la ville de Montréal a témoigné quant aux circonstances ayant entouré la commission de ces infractions. Elle était l’enquêteur principal dans un projet d’enquête policière qui aurait mené à l’arrestation de la demanderesse et d’autres personnes qui agissaient de concert pour voler des cartes de crédit. Voici comment le commissaire de la Section de l’immigration décrit la façon de procéder :

Le modus operandi du groupe a été décrit comme le suivant par madame Tremblay; des personnes travaillent par groupes de trois ou quatre. Après avoir localisé une victime, souvent une dame plus âgée, au terminal de point de vente d’un magasin, les membres du groupe se placent derrière elle pour pouvoir lire le numéro d’identification personnel de la carte, le NIP, de débit ou de crédit utilisée.

 

Alors que la victime se rend à sa voiture, elle est suivie par les membres qui l’ont localisée, est abordée par une autre personne qui demande des informations à l’aide d’une carte routière déployée sous ses yeux. Alors que la victime est distraite par la nouvelle personne, les complices subtilisent les cartes de débit ou de crédit. Le groupe de personnes se rend ensuite à une succursale bancaire pour faire un retrait avec la carte volée.

 

 

La policière témoigne que de la surveillance et des preuves vidéo et photographiques démontrent la participation directe de la demanderesse dont le rôle était de demander des informations à partir de la carte routière.

 

 

Arguments

[3]          La demanderesse fait valoir trois arguments :

a)                   la Section de l’immigration a eu tort de désigner la policière comme témoin expert. La demanderesse prétend qu’il s’agit là d’une atteinte à l’équité procédurale qui entraîne donc une norme de révision dite de la décision correcte;

b)                  l’évaluation des témoignages est de l’avis de la demanderesse non raisonnable ce qui entraîne bien sûr une norme de contrôle de la raisonnabilité;

c)                   la demanderesse prétend que la Section de l’immigration avait à considérer son intention quant à faire partie d’un plan d’activités criminelles organisées, ce qui entraînerait une norme de contrôle de la décision correcte.

 

Aucun des trois motifs mis de l’avant par la demanderesse n’entraîne l’agrément de la Cour.

 

Analyse

[4]          Le premier grief concerne la désignation de la policière comme témoin expert. Le défendeur plaide que les conditions de la règle 32 des Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002-229, ont été respectées et qu’il n’y a pas lieu de discuter davantage de la désignation d’expert. Les alinéas pertinents sont les suivants :

32. (1) Pour faire comparaître un témoin, la partie transmet par écrit à l’autre partie et à la Section les renseignements suivants :

 

a) l’objet du témoignage ou, dans le cas du témoin expert, un résumé, signé par lui, de son témoignage;

 

b) la durée du témoignage;

 

c) le lien entre le témoin et la partie;

 

d) dans le cas du témoin expert, ses compétences;

 

[...]

 

32. (1) If a party wants to call a witness, the party must provide in writing to the other party and the Division the following witness information:

 

(a) the purpose and substance of the witness’s testimony or, in the case of an expert witness, a summary of the testimony to be given signed by the expert witness;

 

(b) the time needed for the witness’s testimony;

 

(c) the party’s relationship to the witness;

 

(d) in the case of an expert witness, a description of their qualifications;

 

[...]

 

Je conviens avec le défendeur que les conditions de la règle 32 ont été remplies en l’espèce. Mais, à mon avis, là n’est pas la question. La demanderesse prétend plutôt que la désignation d’expert a été faite ex post facto, sans qu’elle puisse argumenter sur la véritable qualité d’expert de la policière. Il eut fallu, dit-elle, qu’on lui permette d’être entendue. Quant à moi, le débat autour de la désignation d’expert me semble non avenu.

 

[5]          En effet, lorsqu’on examine la décision, on constate que la policière a témoigné sur ce qu’elle a vu et reçu au cours de son enquête. La description du modus operandi n’est rien d’autre que la description de faits qui ont été observés. Dans The Law of Evidence in Canada, 3e éd., LexisNexis, 2009 (A.W. Bryant, S.N. Lederman et M.K. Fuerst), nous pouvons lire à la page 771:

§12.2     As a general rule, a witness may not give opinion evidence but may testify only to facts within her or his knowledge, observation and experience. It is the province of the trier of fact to draw inferences from the proven facts. A qualified expert witness, however, may provide the trier of fact with a “ready-made inference” which the jury is unable to draw due to the technical nature of the subject matter. Thus, expert opinion evidence is permitted to assist the fact-finder form a correct judgment on a matter in issue since ordinary persons are unlikely to do so without the assistance of persons with special knowledge, skill or expertise.

 

La description d’un modus operandi et la participation de personnes différentes à une activité criminelle ne requièrent aucune expertise qui procède de la nature technique du sujet. Il est certes possible que pareil témoin présente de la preuve par ouï-dire. Mais, comme chacun le sait, cela est permis en matière administrative (Judicial Review of Administrative Action in Canada par Brown and Evans no 10:5420).

 

[6]          La simple désignation d’« expert » ne change rien au fait que, contrairement à ce que prétend la demanderesse, le témoin pouvait faire état de l’enquête dont elle avait la responsabilité sans être désignée comme « expert ». La désignation d’expert n’est aucunement nécessaire. Il eut été possible d’attaquer la crédibilité ou la force probante de cette preuve mais l’admissibilité de celle-ci ne saurait, à mon avis, faire de doute.

 

[7]          La décision récente de la Cour suprême du Canada dans Sekhon c Sa Majesté la Reine, 2014 CSC 15, [Sekhon] me conforte dans ma conclusion que la désignation d’expert faite dans les motifs de la décision n’était pas nécessaire et, de fait, n’aurait probablement pas été appropriée. Je note au paragraphe 45 que « la Cour conclut dans Mohan que « [s]i, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l’opinion de l’expert n’est pas nécessaire » (p. 23, citation du lord juge Lawton dans R c Turner, [1975] 1 QB 834, p. 841). »

 

[8]          Dans cette affaire d’importation de stupéfiants, un policier déclaré expert était venu témoigner qu’un passeur n’agit pas de façon involontaire ou qu’il ne sait pas ce qu’il transporte. La Cour a conclu que telle expertise n’était pas nécessaire et appropriée, et que le juge du procès n’aurait pas dû se fonder sur cette partie du témoignage (la minorité n’aurait pas appliqué la disposition réparatrice en appel (sous-alinéa 686(1)b)(iii) du Code criminel)).

 

[9]          Dans notre cas, la Section de l’immigration n’a pas invoqué l’expertise pour conclure comme elle l’a fait. De plus, le témoignage rendu ne requérait aucune expertise admissible en droit. Il n’y a donc pas eu atteinte à l’équité procédurale quant au fait que la désignation d’expert aurait été faite sans que la demanderesse argumente sur l’à-propos de cette désignation.

 

[10]      C’était par ailleurs la responsabilité de la Section de l’immigration de conclure sur l’application aux faits de l’espèce de l’alinéa 37(1)a) de la Loi. Cet article se lit de la manière suivante :

  37. (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

 

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

  37. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of organized criminality for

 

(a) being a member of an organization that is believed on reasonable grounds to be or to have been engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity planned and organized by a number of persons acting in concert in furtherance of the commission of an offence punishable under an Act of Parliament by way of indictment, or in furtherance of the commission of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute such an offence, or engaging in activity that is part of such a pattern; or

 

 

Ainsi, c’est au décideur d’avoir les motifs raisonnables de croire requis en vertu de l’alinéa 37(1)a). Il doit se satisfaire que les activités mises en preuve font partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert.

[11]      La demanderesse a prétendu que la désignation d’expert faite ex post facto aurait fait en sorte que la Section de l’immigration a donné une crédibilité plus grande au témoignage de la policière. Il faut certes se mettre en garde, comme le rappelle la minorité dans Sekhon, précité, contre « la thèse du ministère public affublée d’une aura d’expertise » (paragraphe 75). Ainsi, j’ai lu les transcriptions d’audience avec cette mise en garde à l’esprit. Je n’ai pu déceler d’erreur à cet égard qui aurait requis intervention en révision. En effet, la décision me semble raisonnable et je n’ai pu déceler que le décideur aurait abandonné son rôle de décideur. Il a bien sûr noté qu’il croyait la policière, mais il n’y avait rien dans son témoignage factuel qui avait été ébranlé. D’ailleurs, est-il nécessaire de répéter que la demanderesse a plaidé coupable? Eu égard à la preuve devant la Section de l’immigration, on voit mal comment cette conclusion pourrait être déraisonnable.

 

[12]      En l’espèce, c’est bien le tribunal qui est arrivé à sa conclusion qu’un groupe de personnes agissait de concert. D’ailleurs, le tribunal constate, à la page 7 de sa décision, que « [L]e groupe en question ne s’est pas formé au hasard pour la perpétration immédiate d’une seule infraction. Au contraire, la formation et l’existence d’un tel groupe s’avèrent nécessaires pour ce genre de vols par distraction. » La qualité d’expert, en notre espèce, n’a rien changé aux constatations qui devaient être faites par le tribunal.

 

[13]      La demanderesse a prétendu que l’évaluation de son témoignage par le tribunal était déraisonnable. Avec égards, je ne puis voir en quoi cette évaluation pourrait être ainsi qualifiée.

 

[14]      La demanderesse plaide son ignorance quant à ce qui se passait et au stratagème auquel elle convient s’être prêtée à plusieurs reprises. La preuve démontre la participation de la demanderesse aux activités répétées d’un groupe de personnes sur une période de quelques semaines. Les activités étaient d’ailleurs telles que la demanderesse ne pouvait les ignorer : alors qu’elle distrayait de façon très manifeste la victime, ses complices volaient le portefeuille de celle-ci. Elle ne pouvait qu’être partie prenante, et essentielle, au stratagème utilisé à répétition.

 

[15]      Elle a plaidé coupable à cinq infractions relatives à ses activités avec ce même groupe de personnes ce qui constitue la meilleure preuve possible. Elle a reconnu avoir commis ces infractions, y inclus la mens rea nécessaire. On ne saurait revenir sur ces aveux. D’autres accusations pèsent sur elle pour des activités semblables en Ontario. La demanderesse invoque la clémence de la peine qui lui aurait été imposée et prétend que « le tribunal n’a pas examiné le témoignage de la demanderesse dans son contexte et à la lumière de l’ensemble de la preuve ». Ces allégations n’ont rien à voir avec le standard de la raisonnabilité qui a été décrit dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, [Dunsmuir] au paragraphe 47.

 

[16]      Enfin, la demanderesse déclare dans son mémoire ne pas s’être livrée sciemment aux activités visées par l’alinéa 37(2)a). Cet argument est particulièrement nébuleux puisqu’il procède de la discrétion qui est conférée au Ministre de ne pas interdire de territoire quelqu’un que le Ministre est convaincu ne pose pas un préjudice à l’intérêt national. Son texte se lit de la façon suivante :

  37. (2) Les dispositions suivantes régissent l’application du paragraphe (1) :

 

 

a) les faits visés n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national;

  37. (2) The following provisions govern subsection (1):

 

 

(a) subsection (1) does not apply in the case of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest; and

 

 

[17]      Si la demanderesse voulait en fait référer à l’alinéa 37(1)a), l’argument présenté semble être que la preuve doit être offerte que la demanderesse s’est livrée de manière intentionnelle aux activités qui y sont décrites.

 

[18]      L’argument de la demanderesse n’est pas limpide. Elle semble se réclamer de la décision Talavera c Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2010 CF 768, [Talavera] mais cette décision traite de ce qui est nécessaire pour être un membre d’une organisation au sens de l’article 37. En bout de ligne, il faudrait se livrer sciemment à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées.

 

[19]       À mon sens, les plaidoyers de culpabilité considérés dans le cadre du modus operandi présenté en preuve constituaient la base requise pour satisfaire aux éléments de l’alinéa 37(1)a) de la Loi. La description faite de la façon utilisée pour voler les cartes de crédit ne laisse pas de place au doute sur la façon d’opérer de ce groupe. La participation de la demanderesse a été répétée. Les activités étaient criminelles, elles étaient organisées, de fait elles étaient concertées. La Section de l’immigration n’a pas eu tort de ne pas accepter que la demanderesse n’était pas une victime innocente. Les plaidoyers de culpabilité font disparaître tout doute à cet égard.

 

[20]      Comme dans Talavera, je constate que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable en ce qui concerne la notion de « membre ». La demanderesse n’a pas satisfait à son fardeau que la conclusion de la Section de l’immigration n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, supra, au paragraphe 47). L’argument de la demanderesse est court par rapport à la norme de contrôle applicable qui entraîne déférence pour la décision rendue. Il n’est pas inutile de rappeler que « l’appartenance à une organisation criminelle visée à l’article 37 de la Loi n’a pas à être prouvée; il suffit d’avoir des motifs raisonnables de croire qu’une personne est ou a été membre d’une telle organisation » (Castelly c Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 788, [2009] 2 RCF 327, au paragraphe 40).

 

[21]      De toute évidence, la Section de l’immigration n’aurait aucune juridiction aux termes de l’alinéa 37(2)a) de la Loi et il ne peut y avoir contrôle judiciaire d’une décision qui n’a pas été rendue. Ainsi, cet argument n’a aucune pertinence par rapport au litige devant cette Cour et il ne peut être que rejeté. Quant à celui qui serait pertinent au sujet de l’alinéa 37(1)a), il doit aussi être rejeté, comme j’ai tenté de l’expliquer.

 

[22]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question d’importance devant être certifiée.

 

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 3 avril 2013 par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada est rejetée. Il n’y a pas ici de question à certifier.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2825-13

 

INTITULÉ :                                      Catalina Luminita DAIA Et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 20 février 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Roy

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 28 février 2014

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Zofia Przybytkowski                   POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Jocelyne Murphy                          POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Zofia Przybytkowski                                                  POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

William F. Pentney                                                     POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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