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Date : 20140306


Dossier :

T‑284‑14

 

Référence : 2014 CF 222

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 mars 2014

En présence de monsieur le juge Russell

 

ENTRE :

JOACHIM HENGERER, HENGERER FARMS LTD., CHARLENE FOX ET LOIS FRANK

 

demandeurs

et

LE CHEF ET LE CONSEIL DE BANDE DE LA BANDE INDIENNE DES BLOOD DANS LA RÉSERVE INDIENNE BLOOD n° 148, SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,  JOHN CHIEF MOON PÈRE, FLOYD MANY FINGERS, MILDRED MELTING TALLOW, JEFF MELTING TALLOW, OLIVER RUSSELL PÈRE, CHRIS SHADE, MELVIN WADSWORTH PÈRE, CELINA GOOD STRIKER, KEVIN SCOUT ET IVAN MANY FINGERS

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

DEMANDE

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision du 17 décembre 2013 [la décision] du chef et du conseil [le conseil ou le conseil de bande] de la bande indienne des Blood de ne pas demander le renouvellement des permis autorisant Hengerer Farms [Hengerer] à utiliser les terres de la réserve Blood à des fins de production agricole.

 

[2]               Les demandeurs sollicitent une ordonnance

a)   annulant la décision;

b)   enjoignant au conseil de bande de veiller à ce que des permis agricoles et de pâturage [les permis] soient délivrés à Hengerer à l’égard des terres de réserve mentionnées dans l’affidavit signé par Joachim Hengerer le 5 février 2014.

 

CONTEXTE

[3]               Les membres du conseil de bande de la tribu des Blood de la réserve indienne Blood n° 148 [la tribu des Blood] sont les représentants élus de la tribu des Blood. Ils sont élus conformément au Kainaiwa/Blood Tribe Election Bylaw (le règlement électoral de la tribu des Blood/Kainaiwa), 1995, qui constitue un code électoral coutumier.

 

[4]               La tribu des Blood est une bande dûment constituée en vertu de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑6, modifiée [la Loi sur les Indiens], qui occupe et administre les réserves Blood nos 148 et 148A [la réserve], dans la province de l’Alberta, au nom des membres de la tribu des Blood.

 

[5]               La tribu des Blood, installée dans le sud de l’Alberta, vit dans la réserve Blood, la réserve indienne la plus étendue du Canada (518,5 milles carrés), et compte environ 11 500 membres. L’agriculture est le principal secteur d’activité de la tribu des Blood. La réserve est la plus importante réserve agricole au Canada. Parmi les autres secteurs d’activité présents dans la réserve, on compte l’extraction d’ammonite, la construction domiciliaire, l’exploitation pétrolière et gazière, des petites entreprises et le tourisme.

 

[6]               La réserve a été mise de côté à l’usage et au profit de tous les membres de la bande des Blood et elle est détenue en commun pour ses membres.

 

[7]               Le régime foncier applicable aux terres de la tribu des Blood se fonde sur les modes d’utilisation et d’occupation coutumiers et traditionnels. Le service de gestion des terres de la tribu des Blood tient un registre des terres qui fait autorité quant à l’utilisation et à l’occupation actuelles des terres de réserve par les membres individuels [les occupants] de la tribu des Blood.

 

[8]               Les membres de la tribu des Blood ne sont pas légalement en possession des terres, aux termes de l’article 20 de la Loi sur les Indiens, et aucun d’entre eux n’a de certificat de possession ou d’occupation. La tribu des Blood a toujours refusé les attributions de terres individuelles au moyen de certificats de possession, mais elle dispose d’une politique sur l’utilisation des terres et le règlement des différends, où sont reconnus et énoncés les privilèges dont jouissent les occupants.

 

[9]               La tribu des Blood n’a pas demandé, ni obtenu, le pouvoir prévu à l’article 60 de la Loi sur les Indiens d’exercer le contrôle et l’administration sur les terres de la réserve Blood.

 

[10]           Comme les occupants ont eu avec le temps de plus en plus besoin d’aide pour leurs activités agricoles et que les membres individuels de la tribu des Blood ont eu peu de succès dans leurs entreprises agricoles, le conseil a autorisé que les terres attribuées à ces membres soient exploitées par des fermiers non indiens en vertu de permis et en fonction d’un partage 1/3 – 2/3 des récoltes. L’occupant individuel à qui la terre avait été attribuée à l’origine recevait des paiements du titulaire de permis. La tribu utilisait ensuite la quote‑part d’un tiers des récoltes pour réduire les dettes de l’occupant.

 

[11]           Pour certains membres de la bande, être occupant de terres est devenu une source de revenu assurée. On a ainsi demandé de plus en plus souvent au conseil d’attribuer de nouvelles terres et d’arbitrer des différends à l’égard de ces terres. Bien des différends n’ont jamais été résolus et perdurent d’une génération à l’autre et d’un conseil à l’autre.

 

[12]           Pour faciliter le règlement des différends, le conseil a établi, le 7 juillet 2007, une politique sur le règlement des différends concernant l’utilisation et l’occupation des terres, qu’il a modifiée le 21 mai 2013. La politique reconnaît le régime foncier fondé sur les modes d’utilisation et d’occupation coutumiers et traditionnels et le fait que les réserves Blood nos 148 et 148A ont été mises de côté à l’usage et au profit de tous les membres de la tribu des Blood et sont détenues en commun pour ses membres.

 

[13]           Maintenant âgé de 63 ans, M. Hengerer a été cultivateur toute sa vie. Il exploite l’entreprise Hengerer Farms, établie trois milles au nord de la réserve. M. Hengerer s’adonne uniquement à l’exploitation agricole. Il a exercé cette activité avec son père de 1966 à 1972, et seul depuis lors. M. Hengerer cultive des terres sur la réserve depuis 1981.

 

[14]           En 2013, M. Hengerer et Hengerer Farms exploitaient environ 56 000 acres de terres sur la réserve, dont 4 800 étaient irriguées. Sur ces terres, on récolte l’orge, le blé et le canola, et on élève du bétail, soit environ 400 vaches et veaux.

 

[15]           Charlene Fox et Lois Frank sont membres de la bande indienne des Blood et des occupantes inscrites de terres de réserve.

 

[16]           Vers le 20 ou 21 décembre 2013, M. Hengerer a reçu une lettre où on l’informait que tous les permis l’autorisant à exploiter des terres dans la réserve viendraient à expiration le 31 mars 2014 au plus tard et qu’aucun autre permis ne lui serait délivré à l’avenir.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

[17]           Les motifs allégués de la décision selon laquelle les permis viendraient à expiration et aucun permis ne serait délivré à Hengerer l’avenir figurent dans un document intitulé « Land Management Committee Recommendation (12172013‑14) for Regular Chief and Council Meeting Holiday Inn, Lethbridge – December 17, 2013 » (recommandation du comité de gestion des terres (12172013‑14) en vue de la réunion ordinaire du chef et du conseil tenue au Holiday Inn, à Lethbridge – le 17 décembre 2013) [la recommandation].

 

[18]           En résumé, on alléguait qu’Hengerer

a)   n’avait pas tenu compte de directives données par le service de gestion des terres de la bande au sujet de la plantation de blé d’hiver;

b)   avait fait abstraction de repères d’arpentage;

c)   n’avait pas signalé au service de gestion des terres l’existence d’arrangements « clandestins »;

d)  n’avait pas soumis au service de gestion des terres un rapport sur l’état des cultures pour 2013;

e)   n’avait pas entretenu les clôtures en 2013;

f)   n’avait pas versé les paiements de métayage figurant dans la facture de 2013;

g)   avait tenu des propos racistes à l’endroit de membres de la bande.

 

QUESTIONS SOULEVÉES

[19]           Les parties soulèvent les questions suivantes :

a)   La décision peut‑elle faire l’objet d’un contrôle judiciaire?

b)   Dans l’affirmative, quelle est la norme de contrôle applicable?

c)   Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale?

d)   Si une erreur susceptible de contrôle a été commise, quelle réparation devrait être accordée?

 

ARGUMENTS DES PARTIES

Demandeurs

[20]           Les demandeurs affirment que la décision peut faire l’objet d’un contrôle par la Cour puisque le conseil a agi en tant qu’un office fédéral au sens de la Loi sur les Cours fédérales et de la jurisprudence applicable.

 

[21]           Hengerer nie avoir commis l’une ou l’autre des violations alléguées et affirme que le Conseil a conclu des ententes avec des occupants inscrits (les ententes ou PE) prévoyant qu’il veillerait à ce que des permis soient délivrés à Hengerer en vue de l’exploitation, du 31 mars 2013 au 31 mars 2016, d’environ 56 000 acres de terres de réserve. Le défaut du conseil de renouveler ou de veiller à faire renouveler les permis d’Hengerer constitue la violation de contrats obligatoires conclus entre la bande et les occupants.

 

[22]           Les demandeurs affirment que, compte tenu du contexte global et à la lumière des observations formulées par les avocats, le manquement du conseil à ses obligations contractuelles a constitué une atteinte à l’équité procédurale à leur endroit et a frustré leurs attentes légitimes.

 

[23]           En ce qui concerne la réparation, les demandeurs affirment que la Cour devrait annuler la décision et enjoindre au conseil de bande de respecter ses obligations contractuelles. Plus particulièrement, il faudrait enjoindre au conseil de bande de veiller à ce que soient délivrés à M. Hengerer et à Hengerer Farms des permis en vigueur jusqu’au 31 mars 2016 à l’égard des terres décrites à l’annexe A de l’affidavit du 5 février 2014 de M. Hengerer. La Cour pourrait ordonner subsidiairement, selon les demandeurs, un nouvel examen de la décision par une formation indépendante (par exemple, un conseil d’arbitrage désigné conformément à la politique sur le règlement des différends jointe comme pièce A à l’affidavit de février 2014 d’Elliot Fox), ou par le chef et le conseil, à l’exclusion des membres du comité de la gestion des terres qui, aux dires des demandeurs, ont un parti pris.

 

Défendeurs

[24]            Les défendeurs soutiennent que la décision ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire et que, même si c’était possible, le conseil avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas renouveler les permis et a agi correctement dans les circonstances, et qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. D’ailleurs, affirment les défendeurs, il n’y a eu aucune action qui obligeait le conseil à observer les principes de justice naturelle et d’équité procédurale. La décision a consisté simplement à ne plus exercer d’activités commerciales avec Hengerer.

 

[25]           Les défendeurs soulignent que les demanderesses Charlene Fox et Lois Frank ne disposent d’aucun intérêt dans les terres de réserve en cause et que, même si elles en avaient, la décision du conseil de ne pas renouveler les permis d’Hengerer n’a eu aucune incidence sur de tels droits. En effet, les occupants, y compris ces deux demanderesses, n’ont que peu ou pas de contacts directs avec les titulaires de permis, et ce sont les employés du service de gestion des terres qui interviennent auprès des titulaires et qui vérifient si leurs pratiques satisfont aux exigences des permis. Les employés du service de gestion des terres de la tribu des Blood communiquent avec tout titulaire de permis qui ne se conforme pas aux conditions de son permis; le conseil communique avec le ministre s’il y a manquement aux conditions du permis, ou il introduit une instance, notamment une demande d’injonction, en cas de non‑respect du permis. Le service de gestion des terres de la tribu des Blood a pris d’importantes mesures pour assurer la protection des ressources de la tribu et veiller à ce que rien ne perturbe les pratiques agricoles et d’élevage de la réserve. Les occupants, y compris les demanderesses occupantes, vont s’attendre à recevoir des paiements liés à l’attribution des terres le 1er avril 2014, et tout est mis en œuvre pour répondre à ces attentes.

 

[26]           Les défendeurs ajoutent que même si les droits des demandeurs étaient touchés et si le conseil avait l’obligation de consulter les demanderesses Fox et Frank, celui‑ci s’est acquitté de cette obligation au moyen de l’assemblée communautaire du 20 janvier 2014, des renseignements communiqués dans la lettre du 31 janvier 2014 et des avis publics ayant informé la collectivité par l’entremise des réseaux sociaux de la décision concernant Hengerer ainsi que des diverses mesures prises par le Conseil, cela à son tour ayant fourni l’occasion aux demanderesses Fox et Frank d’avoir leur mot à dire sur les futurs titulaires de permis pour les terres qu’elles occupent.

 

[27]           Les défendeurs font finalement valoir divers motifs pour ne pas accorder aux demandeurs les mesures de réparation qu’ils sollicitent :

a)   Un bref de certiorari annulant la décision

 

Même si la décision de ne pas renouveler les permis d’Hengerer était annulée, il ne se verrait pas nécessairement délivrer de nouveaux permis.

 

Le conseil n’a pas encore décidé s’il allait ou non consentir à la délivrance de permis en vertu du paragraphe 28(2) de la Loi sur les Indiens. Il n’y a eu manquement à aucune obligation de droit public.

 

b)   Une déclaration portant que le conseil est tenu de veiller à ce que soient délivrés à M. Hengerer ou à Hengerer Farms des permis de pâturage et agricoles valides jusqu’à l’échéance de chacune des ententes, y compris les ententes conclues avec des membres de la bande

 

Les arguments des demandeurs se fondent sur une mauvaise compréhension des PE, et il faut donc déclarer que le conseil de bande n’a pas signé de telles ententes et que, même si tel avait été le cas, celles‑ci seraient nulles aux termes du paragraphe 28(1) de la Loi sur les Indiens si elles étaient censées permettre à toute personne, autre qu’un membre de la bande des Blood, d’occuper ou d’utiliser la réserve ou de résider ou d’exercer autrement des droits sur la réserve.

 

Les PE ne sont pas censés conférer à Hengerer un droit quelconque à des permis, mais ils stipulent plutôt que l’occupant a demandé au conseil de veiller à ce que des permis soient délivrés. Le PE ne renferme pas lui‑même une telle demande.

 

c)   Un bref de mandamus enjoignant au conseil de bande de veiller à ce que soient délivrés à M. Hengerer ou à Hengerer Farms des permis de pâturage et agricoles valides jusqu’à l’échéance de chacune des ententes, y compris les ententes conclues avec des membres de la bande

 

Le conseil ne peut « veiller » à ce que des permis soient délivrés à Hengerer. Le ministre dispose du pouvoir discrétionnaire d’octroyer des permis pour une durée maximale d’un an, à moins que le conseil ne consente à une plus longue période.

 

Aucune obligation de droit public ne contraint le conseil à consentir à la délivrance de permis à Hengerer.

 

[28]           Le défendeur souligne que, bien que les demandeurs aient invoqué les droits de tous les occupants énumérés à la pièce A jointe à l’affidavit du 5 février 2014 de M. Hengerer, on ne compte en fait parmi les demandeurs que deux occupantes. Les demandeurs n’ont pas désigné comme défendeurs tous les occupants éventuellement touchés par la décision à rendre dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, et ils n’ont en fait désigné qu’un très petit nombre d’entre eux, dont aucun n’a déposé d’avis de comparution. Certaines des personnes désignées ont pris l’initiative d’exprimer leur préférence quant au choix d’un nouveau fermier.

 

[29]           Lorsqu’Elliot Fox a signé son affidavit le 20 février 2014, le service de gestion des terres de la tribu des Blood disposait de documents dans lesquels 101 occupants disaient approuver le nouveau fermier choisi pour leurs terres. En outre, 25 autres personnes s’étaient engagées verbalement à venir dans les locaux du service pour donner leur consentement écrit; le service de gestion des terres administrait lui‑même les terres de 37 autres occupants inscrits, de sorte qu’à leur égard les désignations appropriées avaient été faites. Les défendeurs croient que le nombre d’approbations serait encore plus élevé si ce n’était de l’information erronée qui a circulé à ce sujet dans la collectivité.

 

[30]           Les défendeurs déclarent que les demandeurs contestent la décision du conseil de ne plus avoir de relations commerciales avec Hengerer en 2014 et que cela suscite d’importantes perturbations au sein de la tribu des Blood. Il s’agit essentiellement d’une contestation du pouvoir inhérent du conseil de prendre des décisions au sujet des terres de la réserve Blood, du régime coutumier d’occupation et des pratiques administratives traditionnelles du service de gestion des terres de la tribu des Blood.

 

 

[31]           Les défendeurs estiment que le demandeur Hengerer a manqué de respect envers le processus établi par la tribu des Blood et envers ses dirigeants en ne suivant pas les directives se rapportant aux permis et en ne respectant pas les conditions dont sont assortis les permis. Hengerer continue en outre de prendre avec les occupants des arrangements qui dérogent aux exigences de la Loi sur les Indiens. Il se pourrait que les terres soient en jachère pendant un an si des arrangements ne sont pas pris en temps opportun en vue de la délivrance de permis. Cela occasionnerait d’importantes difficultés à la tribu des Blood dans son ensemble, particulièrement aux occupants que les demandeurs ne représentent pas et qui n’ont nullement tenté de porter atteinte à la structure de gouvernance de la tribu.

 

[32]           L’octroi aux demandeurs de l’une ou l’autre des ordonnances qu’ils sollicitent dans la présente demande mettrait en péril la saison agricole de 2014 ainsi que les intérêts de tous les membres de la tribu des Blood.

 

[33]           Toute ordonnance enjoignant au conseil de « veiller » à la délivrance de permis à Hengerer constituerait, dans les faits, une ordonnance portant atteinte au pouvoir conféré au ministre par le paragraphe 28(2) de la Loi sur les Indiens. Les demandeurs n’ont sollicité la délivrance d’aucune ordonnance contre le Canada. Bien que le ministre n’ait pas pris position sur les questions de fond en litige dans la présente demande, les défendeurs le croient susceptible de vouloir s’assurer qu’aucune ordonnance ne le lie à une ligne de conduite particulière.

 

[34]           Les défendeurs estiment aussi que toute ordonnance renvoyant l’affaire pour nouvel examen retardait la demande et l’octroi de permis pour la saison 2014, et causerait préjudice à tous les membres de la tribu des Blood, en plus de semer le chaos dans l’administration de la plus importante réserve agricole au Canada.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[35]           Les dispositions suivantes de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F‑7, sont pertinentes aux fins de la présente demande :

 

 

Définitions

 

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

[...]

 

« office fédéral »

 

 

 

« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

 

 

[...]

 

 

 

Demande de contrôle judiciaire

 

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

 

 

 

Délai de présentation

 

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous‑procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

 

 

 

Pouvoirs de la Cour fédérale

 

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

 

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

 

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

 

 

Motifs

 

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

 

a) a agi sans compétence, outrepassé celle‑ci ou refusé de l’exercer;

 

 

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

 

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle‑ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

 

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

 

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

 

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

 

Vice de forme

 

 

(5) La Cour fédérale peut rejeter toute demande de contrôle judiciaire fondée uniquement sur un vice de forme si elle estime qu’en l’occurrence le vice n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice et, le cas échéant, valider la décision ou l’ordonnance entachée du vice et donner effet à celle‑ci selon les modalités de temps et autres qu’elle estime indiquées.

 

 

Definitions

 

2. (1) In this Act,

 

 

 

[...]

 

“federal board, commission or other tribunal”

 

“federal board, commission or other tribunal” means any body, person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than the Tax Court of Canada or any of its judges, any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867 ;

 

 

[...]

 

 

 

Application for judicial review

 

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

 

 

 

 

Time limitation

 

(2) An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days.

 

Powers of Federal Court

 

 

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

 

 

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

 

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

 

Grounds of review

 

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

 

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

 

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

 

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

 

 

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

 

 

 

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

 

(f) acted in any other way that was contrary to law.

 

Defect in form or technical irregularity

 

(5) If the sole ground for relief established on an application for judicial review is a defect in form or a technical irregularity, the Federal Court may

 

(a) refuse the relief if it finds that no substantial wrong or miscarriage of justice has occurred; and

 

(b) in the case of a defect in form or a technical irregularity in a decision or an order, make an order validating the decision or order, to have effect from any time and on any terms that it considers appropriate.

 

 

[36]           Les dispositions suivantes de la Loi sur les Indiens sont aussi pertinentes aux fins de la présente demande :

Nullité d’octrois, etc. de terre de réserve

 

28. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est nul un acte, bail, contrat, instrument, document ou accord de toute nature, écrit ou oral, par lequel une bande ou un membre d’une bande est censé permettre à une personne, autre qu’un membre de cette bande, d’occuper ou utiliser une réserve ou de résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.

 

Le ministre peut émettre des permis

 

(2) Le ministre peut, au moyen d’un permis par écrit, autoriser toute personne, pour une période maximale d’un an, ou, avec le consentement du conseil de la bande, pour toute période plus longue, à occuper ou utiliser une réserve, ou à résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.

Grants, etc., of reserve lands void

 

28. (1) Subject to subsection (2), any deed, lease, contract, instrument, document or agreement of any kind, whether written or oral, by which a band or a member of a band purports to permit a person other than a member of that band to occupy or use a reserve or to reside or otherwise exercise any rights on a reserve is void.

 

Minister may issue permits

 

(2) The Minister may by permit in writing authorize any person for a period not exceeding one year, or with the consent of the council of the band for any longer period, to occupy or use a reserve or to reside or otherwise exercise rights on a reserve.

 

ANALYSE

Introduction

[37]           La saison agricole approche à grands pas. Les deux parties m’ayant prié de trancher la présente demande assez rapidement après l’instruction, tenue le 5 mars 2014 à Calgary, je serai aussi succinct que possible.

 

[38]           Certaines questions accessoires sont en jeu, mais la présente demande requiert essentiellement que la Cour réponde aux trois questions fondamentales suivantes :

a)      La décision peut‑elle faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour?

b)      Dans l’affirmative, y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale à l’endroit des demandeurs (ou de l’un quelconque d’entre eux)?

c)      S’il y a eu manquement à l’équité procédurale, quelle réparation devrait être accordée?

 

Compétence

[39]           Le conseil de bande affirme qu’il a mis fin à une relation commerciale d’ordre privé avec Hengerer conformément à son pouvoir inhérent de gérer l’utilisation des terres dans la réserve et de passer des contrats en lien avec cette utilisation. La Cour n’aurait ainsi pas compétence pour instruire l’affaire.

 

[40]           L’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales permet le contrôle judiciaire de la décision ou de l’ordonnance d’un office fédéral et, selon l’article 2 de cette loi, un office fédéral s’entend d’un « [c]onseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale [...] ».

 

[41]           On sait qu’un conseil de bande peut agir à titre d’office fédéral, mais que toutes les décisions d’un conseil de bande ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire (voir Provost c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2009] ACF n° 1505, au paragraphe 34).

 

[42]           L’on sait aussi que les actions susceptibles de contrôle doivent non seulement avoir pour source une loi fédérale, mais aussi être de nature publique, et qu’il convient de prendre en compte tous les éléments du contexte pour savoir si un office fédéral agit de telle manière qu’il relève du droit public (voir Air Canada c. Administration portuaire de Toronto, [2011] ACF n° 1725, au paragraphe 60 [Administration portuaire de Toronto]). 

 

[43]           J’estime qu’en rendant la décision en l’espèce, le conseil de bande a exercé ou était censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par la Loi sur les Indiens, et qu’il l’a fait de telle manière qu’il relevait du droit public.

 

[44]           La preuve soumise me montre qu’en mettant fin à la relation entre la bande et Hengerer, le conseil de bande considérait qu’il agissait en vertu du paragraphe 28(2) de la Loi sur les Indiens et que, bien que le pouvoir de délivrer des permis soit conféré au ministre et non au conseil de bande, le conseil de bande décide en l’espèce qui sera titulaire ou non d’un permis, de facto, en recourant à son pouvoir de consentement aux termes du paragraphe 28(2), ou en refusant de demander la délivrance ou le renouvellement d’un permis s’il veut mettre fin à la relation avec un fermier.

 

[45]           Plus particulièrement, dans la résolution du conseil de bande du 19 mars 2013 demandant la délivrance de permis à des personnes nommément désignées, dont Hengerer, on invoque les pouvoirs dont le conseil est investi en vertu de la Loi sur les Indiens, tout en mentionnant le paragraphe 28(2) de cette loi comme fondement de la demande. On déclare de même expressément dans la lettre du 18 décembre 2013 transmise par le conseil à Hengerer que les permis ont été délivrés [traduction] « en vertu du paragraphe 28(2) de la Loi sur les Indiens ».

 

[46]           Il est révélateur que le libellé des PE laisse entendre que la bande elle‑même octroie les permis. Il n’en est pas ainsi au plan juridique mais, selon ses propres documents, la bande exerce de facto son contrôle sur la délivrance de permis sous le régime de la Loi sur les Indiens.

 

[47]           Pour ce qui est de la dimension publique de la décision, j’estime, compte tenu des facteurs et orientations exposés par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 60 de l’arrêt Administration portuaire de Toronto, précité, que le conseil a rendu sa décision de telle manière qu’il relevait du droit public. Je remarque particulièrement que le conseil s’appuie expressément sur le paragraphe 28(2) de la Loi sur les Indiens et exerce de facto son contrôle sur l’attribution des permis. Il existe un nombre important de PE et le régime de délivrance de permis en son entier ainsi que les droits coutumiers et traditionnels des membres de la bande entrent ici en jeu d’une manière qui touche l’ensemble de la collectivité de la réserve Blood, comme l’ont démontré les assemblées convoquées par le conseil. On ne saurait réduire cette situation à la rupture, d’ordre interne et privé, d’une relation commerciale, et le recours à des réparations de droit public est ainsi requis.

 

[48]           Il ne fait pas de doute que la décision a directement touché les demandeurs. La preuve révèle qu’Hengerer subira un important préjudice financier et qu’il y a eu atteinte à certains droits, tout au moins, des occupants, comme l’atteste la politique sur le règlement des différends actuelle. Les PE et la déposition de Charlene Fox révèlent que, s’il est vrai que le conseil a le dernier mot quant au choix du fermier qui sera titulaire d’un permis, la coutume veut qu’on permette aux occupants de désigner le fermier qu’ils préfèrent. D’ailleurs, les PE désignant Hengerer comme titulaire pour une période de trois ans, du 1er avril 2013 au 31 mars 2016, sont manifestement destinés à constituer des documents contractuels, et non de simples protocoles d’entente établis à des fins purement internes tel que le conseil de bande l’a allégué. Le conseil ne signe pas les PE (ils sont certifiés par un employé du service de gestion des terres), mais il en entérine et approuve clairement les conditions par résolution, de telle sorte que le conseil a en fait convenu avec les occupants qui ont désigné Hengerer pour exercer le pouvoir que la Loi sur les Indiens lui accorde pour demander et obtenir des permis valides jusqu’au 31 mars 2016.

 

[49]           Si le conseil souhaite éviter les conséquences contractuelles de ses propres documents, il devrait modifier ceux‑ci pour qu’ils correspondent à la relation qu’il désire. Il ne lui suffit pas de dire à la Cour qu’il a décidé d’interpréter des documents contractuels clairs comme ne donnant pas lieu à une contrepartie contractuelle.

 

[50]           Au total, j’estime donc que les demandeurs ont établi qu’ils avaient subi un préjudice (Hengerer différemment, bien sûr, des demanderesses occupantes) en raison d’une décision prise par le conseil, en exerçant ou en étant censé exercer un pouvoir prévu par la Loi sur les Indiens, et qui comporte le type de dimension publique qui donne ouverture à l’imposition de réparations  de droit public. En d’autres mots, je suis d’avis que la Cour a bien compétence pour connaître de la présente demande.

 

Équité procédurale

[51]            J’estime comme les défendeurs que les questions d’équité procédurale ne se posent pas dans les mêmes termes pour Hengerer et pour les demanderesses occupantes. La décision a toutefois une incidence sur les droits, intérêts et privilèges tant d’Hengerer que des demanderesses occupantes, de même que des autres occupants qui ont désigné Hengerer.

 

[52]           Aucune disposition législative ne donne à croire, que ce soit dans la Loi sur les Indiens ou ailleurs, que les principes d’équité procédurale ne devraient pas s’appliquer à la décision qui nous occupe.

 

[53]           Il est bien établi que la portée de l’obligation procédurale est souple et variable et est fonction du contexte de chaque affaire (voir Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, et les nombreuses décisions qui s’en sont inspirées [Baker]).

 

[54]            Il est aussi bien établi que je dois appliquer la norme de la décision correcte aux questions d’équité procédurale, et qu’il n’est pas nécessaire de faire preuve de déférence envers le décideur à l’égard de telles questions (voir Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53).

 

[55]           En appliquant les facteurs énoncés dans Baker à la présente affaire, il m’apparaît clairement, en ce qui concerne Hengerer, que la décision revêtait une importance capitale pour son entreprise agricole et qu’il avait comme attente légitime que le conseil obtiendrait les permis dont il avait besoin pour cultiver les terres jusqu’au 31 mars 2016.Étant donné le contexte global de la longue association d’Hengerer avec la tribu des Blood et les arrangements particuliers conclus pour faire durer la relation commerciale jusqu’en 2016, avant de prendre la décision de ne pas demander le renouvellement de permis pour Hengerer, le conseil devait informer ce dernier suffisamment à l’avance de ce qui lui était reproché et lui fournir l’occasion d’exposer devant le conseil son point de vue concernant les graves allégations portées contre lui dont fait état la recommandation du comité de gestion des terres et qui ont été acceptées par le conseil et invoquées pour mettre fin à la relation.

 

[56]           L’obligation qui incombait au conseil n’entraîne pas la moindre diminution de son pouvoir de décider en dernier ressort qui doit cultiver les terres de réserve. Le conseil peut très bien souhaiter mettre fin à des relations, même de longue date, pour une multitude de raisons. Cependant lorsque, comme en l’espèce, le conseil prend la décision de mettre fin à une relation avec un fermier, Hengerer en l’occurrence, pour des raisons bien précises, il devrait fournir à ce dernier l’occasion de savoir ce qui lui était reproché et de se faire entendre.

 

[57]           Contrairement à ce que soutient l’avocat de la bande, les fermiers mécontents ne feront pas le système sombrer dans le chaos. La portée de l’équité procédurale dépend du contexte et des faits d’espèce. Tout ce que je dis en fonction de ces faits, c’est qu’on n’a pas respecté à l’endroit d’Hengerer les principes d’équité procédurale.

 

[58]           Les facteurs énoncés dans Baker appellent toutefois, quant aux occupantes demanderesses, une issue différente. La décision a principalement des répercussions sur Hengerer. On a privé les occupantes de la possibilité que le fermier désigné par elles soit le titulaire du permis. Les occupantes ne subiront toutefois vraisemblablement pas de pertes économiques, et je crois qu’il est reconnu par le système et la collectivité de la réserve que, si le conseil avalise habituellement leur choix de titulaire, il doit néanmoins avoir le dernier mot en cette matière, puisqu’il a le pouvoir et la responsabilité de s’assurer en dernier ressort que les terres de la réserve soient gérées au profit général, notamment au plan économique, de la collectivité. Il me semble qu’on ne peut séparer ce qui peut être dû aux occupants pour remplir l’obligation d’équité procédurale de ce qui peut être dû, dans chaque cas, au fermier désigné. Je ne crois pas qu’en l’espèce les occupantes demanderesses, ni d’ailleurs aucun autre occupant ayant désigné Hengerer pour qu’il cultive leurs terres de réserve, pouvaient s’attendre à davantage au plan de l’équité procédurale que ce dont Hengerer a bénéficié avant la prise de la décision qui mettait fin à sa relation commerciale.

 

Autres questions

[59]            Les défendeurs ont soulevé quelques questions accessoires, mais je crois qu’elles n’ont aucune incidence sur mes conclusions concernant la question principale. Je ne crois pas, tout particulièrement, que le défaut d’avoir respecté rigoureusement l’alinéa 303(1)a) des Règles doive influer sur le résultat. Toute la réserve Blood est touchée par les ordonnances demandées, notamment les quelque 500 occupants qui ont désigné Hengerer. Étant donné l’urgence de la situation pour les deux parties, la jonction de tous ces occupants aurait été tout simplement impossible à gérer et aurait nui à l’une et l’autre parties en raison du retard inévitable que cela aurait occasionné. De même, la désignation du conseil de bande à titre de partie touchée, bien qu’il soit aussi le tribunal ayant rendu la décision, constituait selon moi la seule façon de bien gérer l’affaire; si les défendeurs avaient voulu soulever cette question, ils auraient dû le faire avant l’instruction. Le conseil de bande a comparu à l’audience et il s’est comporté aux fins de la présente demande comme s’il avait effectivement la qualité de partie. Compte tenu de la situation et de la décision du ministre de ne pas se mêler de l’affaire, je peux facilement comprendre pourquoi les deux parties se sont senties contraintes d’aborder les choses de cette manière. Je n’ai pu trouver aucune décision de la Cour fédérale sur ce point, mais je relève que dans Lam c University of British Columbia, 2013 BCSC 2142, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a recouru à une règle identique à celle formulée à l’article 3 des Règles de la Cour pour remédier à des problèmes semblables à ceux qu’occasionnerait dans la présente affaire l’application stricte de l’article 303.

 

Réparation

[60]           La Cour estime que le conseil dispose du pouvoir de décider en dernier ressort qui devrait cultiver les terres de la réserve. Hengerer m’a démontré dans le cadre de la présente demande qu’il avait des observations très pertinentes à soumettre au conseil au sujet des motifs de la décision, des observations qu’on aurait dû lui permettre de faire valoir avant que la décision ne soit prise. Cela ne veut pas dire que le conseil doive accepter la position d’Hengerer. Ainsi, bien qu’Hengerer ait nié avoir tenu des propos racistes, ce qui a particulièrement troublé le conseil, la preuve dont je dispose ne permet toujours pas de savoir le fin mot de l’affaire. Le conseil doit cependant garder à l’esprit qu’il a convenu avec les occupants que des permis seraient délivrés à Hengerer jusqu’au 31 mars 2016, et qu’une justification suffisante est donc nécessaire pour ne pas satisfaire aux obligations et aux attentes qui découlent de cet engagement. Il revient toutefois au conseil de prendre la décision, en appliquant les règles de manière régulière tout en veillant au respect des principes d’équité procédurale à l’endroit d’Hengerer.

 

[61]           Les demandeurs affirment qu’il ne servirait à rien de renvoyer l’affaire au conseil de bande puisque celui‑ci a fait montre de parti pris à l’endroit d’Hengerer. S’il a bien pu y avoir parti pris, je ne crois pas qu’on l’ait suffisamment démontré en l’espèce. Le conseil de bande a simplement suivi les recommandations faites par le comité de gestion des terres, lui‑même constitué de membres du conseil. Hengerer peut soulever la question du parti pris devant le conseil de bande, et je m’en remets au bon jugement et au sens de la justice du conseil pour qu’il examine la question et décide qui devrait participer au vote final en vue d’une nouvelle décision, en ayant à l’esprit que tout parti pris pourrait invalider cette décision et rendre encore plus difficile de régler le différend et de passer aux vraies choses pour ce qui est de l’exercice des activités agricoles dans l’intérêt de la tribu des Blood. La Cour a pour rôle de contrôler les décisions, non de les rendre à la place du tribunal, sauf dans des situations vraiment exceptionnelles dont on n’a pas démontré l’existence dans la présente affaire. Je crois que le conseil de bande est maintenant bien conscient que les répercussions pourraient être importantes pour la bande et pour ses finances si le différend devait persister. Le conseil de bande devra respecter scrupuleusement les principes d’équité procédurale pour éviter un tel scénario et je n’ai aucune raison de croire qu’il agira autrement.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La décision est annulée et l’affaire est renvoyée au conseil de bande pour qu’il l’examine à nouveau en respectant les directives suivantes :

 

a)         Si la bande entend toujours mettre fin à sa relation avec Hengerer avant le 31 mars 2016, soit l’échéance correspondant à l’engagement pris dans les PE applicables et accepté par le conseil de bande, celui‑ci avisera par écrit et sans délai Hengerer de son intention et lui communiquera des motifs suffisants.

 

b)        Avant de prendre toute décision, le conseil de bande convoquera en bonne et due forme une assemblée de tous les membres touchés de la bande à laquelle Hengerer aura pleinement l’occasion d’aborder les préoccupations et les motifs du conseil de bande et les membres de la bande pourront s’exprimer.

 

c)         Avant la tenue d’une telle assemblée, le conseil de bande divulguera en temps utile à Hengerer les éléments de preuve sur lesquels il se fonde, pour permettre à ce dernier de traiter de ces éléments et de soumettre sa propre preuve à l’examen du conseil.

 

d)        Hengerer aura droit à ce qu’un avocat soit présent et s’exprime en son nom.

 

e)         Le conseil examinera la question du parti pris (réel ou de la crainte raisonnable de parti pris), et Hengerer pourra, à l’égard de cette question, présenter des observations et des éléments de preuve et appeler des témoins, et le conseil exclura du vote tout  membre du conseil qu’il faudra pour écarter toute crainte raisonnable de partialité, en plus d’énoncer les motifs de toute décision rendue quant à la question du parti pris.

 

f)         Le conseil rendra sa décision dans les meilleurs délais, en exposant pour celle‑ci des motifs suffisants.

 

2.      Conformément à la décision rendue par la Cour à l’audience (sur consentement des défendeurs) d’accueillir la requête des demandeurs en modification de la demande pour solliciter l’adjudication de dépens, les parties disposeront de 45 jours à compter de la date du présent jugement (ou du délai additionnel que la Cour pourra accorder sur l’avis des avocats) pour présenter des observations écrites sur la question des dépens.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

                                                           

 

DOSSIER :

T‑284‑14

 

INTITULÉ :

JOACHIM HENGERER, HENGERER FARMS LTD., CHARLENE FOX ET LOIS FRANK c LE CHEF ET LE CONSEIL DE BANDE DE LA BANDE INDIENNE DE BLOOD DANS LA RÉSERVE INDIENNE BLOOD n° 148, SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,  JOHN CHIEF MOON PÈRE, FLOYD MANY FINGERS, MILDRED MELTING TALLOW, JEFF MELTING TALLOW, OLIVER RUSSELL PÈRE, CHRIS SHADE, MELVIN WADSWORTH PÈRE, CELINA GOOD STRIKER, KEVIN SCOUT ET IVAN MANY FINGERS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 5 MARS 2014

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

                                                            LE 6 MARS 2014

COMPARUTIONS :

B.P. Kaliel c.r., Lesley Akst et

John Schmidt

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Joanne Crook

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Miller Thomson LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

 

Walsh LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

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