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Date : 20140306


Dossier : T-119-13

 

Référence : 2014 CF 212

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 mars 2014

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

BRIAN MACINNES

 

demandeur

et

LE DIRECTEUR DE L’ÉTABLISSEMENT MOUNTAIN ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I. Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une Évaluation en vue d’une décision effectuée par le Service correctionnel du Canada [SCC] qui maintenait la classification du demandeur comme détenu à sécurité moyenne. La demande est jumelée à une demande visant l’obtention d’un jugement déclaratoire portant que les droits du demandeur garantis par les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 [Charte], ont été violés en raison de soins médicaux insuffisants et visant aussi, par conséquent, l’obtention d’une ordonnance de mandamus obligeant les défendeurs à fournir un traitement médical et des soins médicaux au demandeur dans un délai prescrit.

 

II. Contexte

[2]               Le demandeur, M. Brian MacInnes, a été condamné à une peine d’emprisonnement de sept ans et dix mois après avoir plaidé coupable à sept chefs d’accusation de vol qualifié, à trois chefs d’accusation de profération de menaces, à un chef d’accusation de refus de s’arrêter pour la police, à un chef d’accusation de possession d’un véhicule volé, à un chef d’accusation de conduite dangereuse, à un chef d’accusation relatif à l’utilisation d’une arme à feu factice et à un chef d’accusation relatif à un vol de moins de 5 000 $. Le 23 février 2009, le demandeur a commencé à purger sa peine comme détenu à sécurité moyenne.

 

[3]               Depuis mars 2012, le demandeur aurait été impliqué dans un certain nombre d’incidents fâcheux au cours desquels il aurait été agressé par d’autres détenus. En raison des blessures résultant de ces incidents, il a dû se rendre plusieurs fois à l’hôpital. Il a consulté plusieurs professionnels pour recevoir des soins médicaux et des traitements après avoir subi les voies de fait en question.

 

[4]               Le demandeur a été mis en isolement préventif à plusieurs reprises afin d’éviter tout incident fâcheux qui pourrait donner lieu à d’autres voies de fait.

 

[5]               Le 9 janvier 2013, une agente de libération conditionnelle en établissement a procédé à une Évaluation en vue d’une décision qui maintenait la classification du demandeur comme détenu à sécurité moyenne. Cette évaluation est effectuée chaque année.

 

[6]               Il importe de noter que, en février 2013, le demandeur a été transféré de l’Établissement Mountain au Centre régional de traitement de l’Établissement du Pacifique, où il est toujours incarcéré selon les dernières observations figurant au dossier.

 

[7]               Le demandeur a présenté devant la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agente de libération conditionnelle.

 

III. Questions à trancher

[8]               (1) Est-il approprié que la Cour exerce sa discrétion judiciaire pour statuer sur cette demande étant donné que le demandeur s’est adressé directement à la Cour sans recourir d’abord à la procédure interne de règlement des griefs?

(2) Si la Cour décide d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre cette affaire, alors, la décision des défendeurs de maintenir la cote de sécurité moyenne du demandeur était-elle raisonnable et, le demandeur a-t-il reçu des soins médicaux appropriés de la part de l’Établissement Mountain?

 

IV. Les dispositions législatives pertinentes

[9]               Un délinquant a droit à un procès équitable et expéditif pour régler les griefs qui relèvent de la compétence du commissaire du SCC en vertu de l’article 90 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, c 20 [LSCMLC] :

90. Est établie, conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96u), une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire.

90. There shall be a procedure for fairly and expeditiously resolving offenders’ grievances on matters within the jurisdiction of the Commissioner, and the procedure shall operate in accordance with the regulations made under paragraph 96(u).

 

[10]           La procédure de règlement des griefs est établie par les articles 74 à 82 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 [Règlement] (les articles 74 à 82 du Règlement sont reproduits dans l’annexe jointe à la présente décision).

 

[11]           Ainsi qu’il est brièvement résumé par le juge James O'Reilly dans Spidel c Canada (Procureur général), 2012 CF 1245, 420 FTR 121 :

[8] […] les délinquants doivent entreprendre le processus en déposant leur plainte auprès du supérieur de l’agent (appelé « membre du personnel » dans la Directive) concerné, sauf si ce supérieur est le directeur de l’établissement, le sous-commissaire régional ou le commissaire lui-même (article 13). Quoi qu’il en soit, la décision du commissaire représente l’étape finale de la procédure de règlement des griefs (article 15). La DC 081 indique aussi quels sont les délais de réponse que doivent respecter les décideurs aux divers paliers, suivant le niveau de priorité de la plainte (article 18).

 

V. Analyse

[12]           Il est bien reconnu dans la jurisprudence pertinente que la Cour possède le pouvoir discrétionnaire de refuser d’exercer sa compétence en matière de contrôle judiciaire s’il existe un autre recours approprié.

 

[13]           Dans ses observations, le demandeur soulève un certain nombre d’arguments pour établir que la Cour doit exercer sa compétence pour entendre cette affaire. Au nombre de ces arguments figurent les suivants :

a)      l’affaire du demandeur est urgente et la procédure de règlement des griefs ne peut examiner sa plainte en temps opportun;

b)      La procédure de règlement des griefs ne peut accorder la réparation fondée sur la Charte recherchée par le demandeur;

c)      Le demandeur conteste l’atteinte à ses droits résiduels à la liberté en raison du maintien de sa cote de sécurité moyenne et, en conséquence, se présente directement devant la Cour;

d)     Le demandeur conteste la légalité de deux politiques du commissaire et, par conséquent, il ne peut s’attendre à une audience équitable et impartiale dans le cadre du processus de règlement des griefs du SCC, parce que le décideur serait subordonné au commissaire.

 

[14]           Les défendeurs soutiennent que la preuve n’étaye pas les allégations du demandeur selon lesquelles la procédure de règlement des griefs est lente ou inadéquate ou qu’il y a eu à première vue atteinte aux droits résiduels à la liberté du demandeur. De même, ce dernier n’a pas établi un fondement probatoire concernant la réparation fondée sur la Charte demandée.

 

[15]           Les défendeurs demandent donc que la Cour refuse d’entendre la demande de contrôle judiciaire parce qu’elle est prématurée, le demandeur n’ayant pas épuisé le recours prévu par la procédure interne de règlement des griefs.

 

a) Caractère inadéquat de la procédure de règlement des griefs et crainte de partialité institutionnelle

[16]           Sur la question du caractère adéquat du processus de règlement des griefs du SCC, la Cour convient avec les défendeurs qu’il s’agissait d’un autre recours approprié et que le demandeur aurait dû présenter ses griefs dans le cadre de ce processus avant de demander à la Cour un contrôle judiciaire.

 

[17]           Contrairement aux affirmations du demandeur, la procédure de règlement des griefs du SCC a toujours été reconnue par la Cour comme une voie de recours appropriée (Reda c Canada (Procureur général), 2012 CF 79, 404 FTR 85, au paragraphe 23; il est également fait référence à Ewert c Canada (Procureur général), 2009 CF 971, 355 FTR 170; Spidel, précitée; McDougall c. Canada (Procureur général), 2011 CF 285, 386 FTR 8).

 

[18]           Il existe des raisons solides, de principe et légales, pour exiger des détenus qu’ils emploient cette procédure, et la Cour ne doit pas y faire obstacle sauf dans des « circonstances exceptionnelles » telles qu’un cas d’urgence, une irrégularité manifeste entachant la procédure ou l’existence d’un préjudice physique ou intellectuel causé à un détenu (Rose c Canada (Procureur général), 2011 CF 1495, au paragraphe 35; Marleau c Canada (Procureur général), 2011 CF 1149, au paragraphe 34; Spidel, précitée, au paragraphe 12; Ewert, précitée, au paragraphe 34; Gates c Canada (Procureur général), 2007 CF 1058, 316 FTR 82, au paragraphe 26). Par conséquent, la Cour a en règle générale refusé de traiter les demandes de contrôle judiciaire lorsqu’un demandeur n’a pas d’abord eu recours à ce processus.

 

[19]           En l’espèce, la Cour estime que les allégations avancées par le demandeur ne présentent pas de circonstances exceptionnelles ou impérieuses qui nécessitent l’intervention de la Cour.

 

[20]           Le demandeur prétend que cette affaire est urgente et nécessite l’intervention immédiate de la Cour, mais il n’a produit aucune preuve de délais injustifiés ou excessifs dans la procédure de règlement des griefs, et cela malgré le fait qu’il a déjà reçu une réponse au premier palier en ce qui concerne les griefs déposés concernant les soins médicaux qu’il a reçus à l’Établissement Mountain.

 

[21]           Au lieu de cela, le demandeur se fonde uniquement sur des éléments de preuve généraux en ce concerne les inefficacités dans la procédure de règlement des griefs du SCC à l’appui de ses allégations. Plus précisément, il se fonde sur le Rapport annuel du Bureau de l’Enquêteur correctionnel 2006-2007 (Ottawa, Travaux publics et Services gouvernementaux, 2007) qui semble indiquer que les procédures de règlement des griefs du SCC se sont révélées inefficaces pour le traitement de l’arriéré de travail chronique.

 

[22]           Même si la Cour convient que ces éléments de preuve peuvent aider le demandeur à démontrer les lacunes du processus de règlement des griefs, de tels éléments de preuve ne sont pas, en soi, suffisants pour justifier le fait que le demandeur puisse contourner ce processus établi par la LSCMLC. Le demandeur n’a pas indiqué dans quelle mesure ces éléments de preuve ont trait à son cas en particulier.

 

[23]           Comme l’a énoncé le juge Luc Martineau dans Rose, précitée : 

[34] Bien que le dossier de preuve démontre que certains cas accusaient de toute évidence des retards excessifs, ces éléments de preuve statistiques anecdotiques ne suffisent tout simplement pas, de l’avis de la Cour, pour justifier une déclaration générale englobant tous les cas suivant lesquels la procédure de règlement des griefs accuse systématiquement des retards et ne constitue donc pas une solution de rechange appropriée au contrôle judiciaire […]

 

[24]           La Cour se reporte en outre aux observations du juge François Lemieux au sujet des retards injustifiés dans la procédure de règlement des griefs du SCC, dans Ewert, précitée :

[39] […] Comme l’a fait observer l’avocate du défendeur, la question de savoir si le régime de règlement des griefs est acceptable du point de vue des délais dépendra des circonstances propres à chaque cas particulier. Il peut fort bien y avoir des facteurs de nature à compliquer le processus décisionnel. Je reconnais avec le défendeur que, vu la preuve que j’ai devant moi, le régime établi par le SCC pour les griefs des détenus ne saurait a priori être qualifié de déficient pour cause de lenteur indue dans le traitement des griefs. […] [Non souligné dans l’original.]

 

[25]           Comme dans les décisions Rose et Ewert, précitées, la preuve générale présentée par le demandeur en l’espèce ne permet pas à la Cour de conclure que la procédure de règlement des griefs du SCC ne pourrait régler ses plaintes en temps opportun. Le retard dans le traitement des griefs du demandeur a été causé par la décision du demandeur de demander un contrôle judiciaire et non par la procédure de règlement des griefs.

 

[26]           Dans les observations du demandeur, rien ne permet de penser également que les griefs du demandeur ne seront pas considérés équitablement. Le demandeur fait valoir qu’il n’obtiendrait pas une décision juste et impartiale du processus de règlement des griefs parce qu’il met en doute la légalité des politiques du SCC, qui sont sanctionnées par le commissaire. Citant l’arrêt May c Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 RCS 809, au paragraphe 63, le demandeur fait valoir que, dans le cas de contestation de la légalité d’une politique établie par le commissaire, on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que le décideur, un subordonné du commissaire, rende une décision juste et impartiale.

 

[27]           En se fondant sur les éléments de preuve, la Cour ne peut pas admettre l’affirmation du demandeur selon laquelle la procédure de règlement des griefs donnera lieu inévitablement à une décision défavorable pour cette raison.

 

[28]           En fait, la Cour estime que le demandeur ne met pas en doute la légalité des politiques du SCC, mais plutôt l’interprétation que font les défendeurs de ces politiques et de la décision discrétionnaire ainsi rendue. Par exemple, le demandeur fait valoir que l’agente de libération conditionnelle chargée de rédiger l’Évaluation en vue d’une décision, en date du 9 janvier 2013, a commis une erreur en fondant sa décision de maintenir la cote de sécurité moyenne du demandeur sur son implication dans des incidents récurrents avec d’autres détenus et sur son placement en isolement préventif à la suite de ces incidents.

 

[29]           De même, le demandeur s’est contenté d’affirmer que la politique du SCC en ce qui concerne les médicaments fournis aux détenus était suivie de façon inopportune par le médecin visitant l’établissement.

 

[30]           Le demandeur n’a pas convenablement commenté la légalité des politiques. 

 

[31]           Le demandeur soutient également que la procédure de règlement des griefs ne peut lui accorder la réparation fondée sur la Charte qu’il demande; par conséquent, ce processus ne lui offre pas d’autre recours adéquat. Il sollicite un jugement déclarant que ses droits, conformément aux articles 7 et 12 de la Charte ont été violés en raison de soins médicaux insuffisants et une ordonnance de mandamus obligeant les défendeurs à lui fournir un traitement médical et des soins médicaux dans un délai prescrit.

 

[32]           La Cour estime que cet argument ne justifie pas sa demande de contrôle judiciaire. Il est bien établi que le simple fait que le commissaire ne soit pas un tribunal compétent pour ce qui est d’accorder réparation selon le paragraphe 24(1) de la Charte ne dispense pas le demandeur de son obligation d’épuiser la procédure de règlement des griefs (Veley c Directeur de Fenbrook, 2004 CF 1571, au paragraphe 24). La Cour est d’avis que la procédure de règlement des griefs du SCC peut résoudre de manière adéquate les plaintes du demandeur sans avoir recours à l’article 24 de la Charte.

 

[33]           Quoi qu’il en soit, la Cour signale que, même si elle devait accepter qu’elle a compétence en la matière, elle ne pourrait accorder la réparation demandée par le demandeur. Ce dernier demande essentiellement à la Cour de gérer ses soins médicaux à la place des médecins. La Cour ne peut pas établir un plan de traitement pour le demandeur ni ne peut obliger le commissaire ou un médecin à prescrire des médicaments. Comme l’ont souligné à juste titre les défendeurs, l’exercice du jugement professionnel du médecin n’est pas susceptible de contrôle judiciaire au titre du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7. La Cour est appelée à se prononcer sur l’erreur juridique et non sur le jugement clinique (Powell c Canada (Procureur général), 2004 CF 1304, 260 FTR 124). En outre, il importe de noter que le demandeur a été transféré et qu’il n’est plus à l’Établissement Mountain, ce qui rend sans objet la demande d’une ordonnance de mandamus. (La Cour fait également observer que le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’il ne reçoit pas de soins médicaux adéquats à l’Établissement du Pacifique où il est actuellement détenu par suite du transfert.)

 

b) Privation de la liberté résiduelle

[34]           En se fondant sur l’arrêt May, précité, et la décision R c Scarcella, 2009 CanLII 32918 (ON SC), le demandeur prétend qu’il a le choix de contester la décision des défendeurs de maintenir sa cote de sécurité moyenne en s’adressant directement à la Cour, parce qu’elle porte atteinte à ses droits résiduels à la liberté. La Cour ne souscrit pas à cette prétention.

 

[35]           La Cour a répété à maintes reprises que l’arrêt May, précité, ne dispense pas les demandeurs de recourir à la procédure interne de règlement des griefs avant de demander réparation auprès du tribunal simplement parce qu’ils ont décidé de contester la légalité d’une décision portant atteinte à leurs droits résiduels à la liberté. Dans McMaster c Canada (Procureur général), 2008 CF 647, 335 FTR 647, la Cour a clarifié la mauvaise interprétation persistante des principes énoncés dans May :

[29] À mon avis, l’avocat a tort d’invoquer l’arrêt May. Dans cette affaire, la question portait sur la disponibilité du recours de l’habeas corpus auprès des cours supérieures provinciales en présence de l’existence du droit de solliciter un contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale. La majorité des juges de la Cour suprême a conclu que les détenus peuvent décider de contester la légalité d’une décision touchant leur liberté résiduelle soit devant une cour supérieure provinciale par voie d’habeas corpus, soit devant la Cour fédérale par voie de contrôle judiciaire. En tirant cette conclusion, la Cour suprême s’est appuyée, du moins en partie, sur le fait qu’historiquement, le bref d’habeas corpus n’a jamais été un recours discrétionnaire. Contrairement à un autre recours extraordinaire et au jugement déclaratoire, le bref d’habeas corpus est délivré de plein droit. À mon avis, l’arrêt May ne modifie pas l’obligation d’un détenu de recourir à la procédure interne de règlement des griefs avant de solliciter un jugement déclaratoire ou un contrôle judiciaire discrétionnaire. [Non souligné dans l’original.]

 

(II est également fait référence à Reda, précitée; Ewert, précitée; Spidel, précitée; McDougall, précitée; Collin c Canada (Procureur général), 2006 CF 544; Condo c Canada (Procureur général), 2003 CAF 99, 239 FTR 158; Giesbrecht c Canada (1998), 148 FTR 81, [1998] ACF n621 (QL/Lexis).)

 

[36]           La Cour a en outre clarifié l’arrêt May dans la décision Rose, précitée :

[46] Les demandeurs invoquent également l’arrêt May c Établissement de Ferndale, 2005 CSC 82 [May], pour affirmer qu’on devrait leur permettre de soumettre directement leur cas au contrôle judiciaire. Dans cette affaire, la question était toutefois celle de savoir si les juridictions supérieures provinciales devaient décliner leur compétence en matière d’habeas corpus en ce qui concerne les décisions du SCC portant sur la liberté résiduelle des détenus simplement en raison de l’existence d’un autre recours leur paraissant tout aussi commode. La Cour suprême du Canada a estimé que les cours de justice ne seraient tenues de décliner leur compétence que si le législateur avait mis en place une « procédure complète et exhaustive d’examen des décisions administratives », comme le régime créé en matière d’immigration, concluant que ce n’était pas le cas de la procédure de règlement des griefs des délinquants.

 

[47] Plus particulièrement, la Cour suprême du Canada a estimé, dans l’arrêt May, que le libellé de la Loi et de son règlement d’application démontrait à l’évidence que le législateur fédéral n’avait pas l’intention d’empêcher les détenus fédéraux d’avoir recours à l’habeas corpus. En conséquence, une surveillance judiciaire exercée en temps opportun par laquelle les juridictions supérieures provinciales sont appelées à exercer leur compétence en matière d’habeas corpus était toujours nécessaire pour protéger les droits de la personne et les libertés civiles des détenus et pour s’assurer que le principe de la primauté du droit s’applique à l’intérieur des murs des pénitenciers.

 

[37]           En l’espèce, la Cour ne peut trouver de circonstances exceptionnelles qui justifieraient que le demandeur n’ait pas préalablement épuisé les voies de recours prévues par la procédure de règlement des griefs du SCC avant de s’adresser à la Cour fédérale. Il est loisible au demandeur de faire appel à une procédure de règlement des griefs exhaustive pour l’examen de ses plaintes, à laquelle, selon les éléments de preuve, il a déjà eu recours pour contester certaines décisions concernant les soins médicaux qu’il a reçus à l’Établissement Mountain. (II est également fait référence à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61, [2011] 2 RCF 332, aux paragraphes 30 à 33, et aux arrêts de la Cour suprême du Canada qui y sont mentionnés. La Cour rappelle également dans ce contexte la décision Ewert, précitée, au paragraphe 39, qui est la plus pertinente en l’espèce.)  

 

VI. Conclusion

[38]           Pour tous les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est jugée prématurée et est rejetée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée. Les dépens sont adjugés en faveur des défendeurs.

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sara Tasset


ANNEXE

 

La procédure de règlement des griefs est établie par les articles 74 à 82 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS /92-620.

Procédure de règlement de griefs des délinquants

 

74.      (1) Lorsqu’il est insatisfait d’une action ou d’une décision de l’agent, le délinquant peut présenter une plainte au supérieur de cet agent, par écrit et de préférence sur une formule fournie par le Service.

 

(2) Les agents et le délinquant qui a présenté une plainte conformément au paragraphe (1) doivent prendre toutes les mesures utiles pour régler la question de façon informelle.

 

(3) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), le supérieur doit examiner la plainte et fournir copie de sa décision au délinquant aussitôt que possible après que celui-ci a présenté sa plainte.

 

(4) Le supérieur peut refuser d’examiner une plainte présentée conformément au paragraphe (1) si, à son avis, la plainte est futile ou vexatoire ou n’est pas faite de bonne foi.

 

 

 

(5) Lorsque, conformément au paragraphe (4), le supérieur refuse d’examiner une plainte, il doit fournir au délinquant une copie de sa décision motivée aussitôt que possible après que celui-ci a présenté sa plainte.

 

 

75. Lorsque, conformément au paragraphe 74(4), le supérieur refuse d’examiner la plainte ou que la décision visée au paragraphe 74(3) ne satisfait pas le délinquant, celui-ci peut présenter un grief, par écrit et de préférence sur une formule fournie par le Service :

 

a) soit au directeur du pénitencier ou au directeur de district des libérations conditionnelles, selon le cas;

 

b) soit, si c’est le directeur du pénitencier ou le directeur de district des libérations conditionnelles qui est mis en cause, au commissaire.

 

76.      (1) Le directeur du pénitencier, le directeur de district des libérations conditionnelles ou le commissaire, selon le cas, examine le grief afin de déterminer s’il relève de la compétence du Service.

 

(2) Lorsque le grief porte sur un sujet qui ne relève pas de la compétence du Service, la personne qui a examiné le grief conformément au paragraphe (1) doit en informer le délinquant par écrit et lui indiquer les autres recours possibles.

 

 

Version précédente

 

77.      (1) Dans le cas d’un grief présenté par le détenu, lorsqu’il existe un comité d’examen des griefs des détenus dans le pénitencier, le directeur du pénitencier peut transmettre le grief à ce comité.

 

(2) Le comité d’examen des griefs des détenus doit présenter au directeur ses recommandations au sujet du grief du détenu aussitôt que possible après en avoir été saisi.

 

 

(3) Le directeur du pénitencier doit remettre au détenu une copie de sa décision aussitôt que possible après avoir reçu les recommandations du comité d’examen des griefs des détenus.

 

78. La personne qui examine un grief selon l’article 75 doit remettre copie de sa décision au délinquant aussitôt que possible après que le détenu a présenté le grief.

 

 

79.      (1) Lorsque le directeur du pénitencier rend une décision concernant le grief du détenu, celui-ci peut demander que le directeur transmette son grief à un comité externe d’examen des griefs, et le directeur doit accéder à cette demande.

 

 

(2) Le comité externe d’examen des griefs doit présenter au directeur du pénitencier ses recommandations au sujet du grief du détenu aussitôt que possible après en avoir été saisi.

 

(3) Le directeur du pénitencier doit remettre au détenu une copie de sa décision aussitôt que possible après avoir reçu les recommandations du comité externe d’examen des griefs.

 

80.      (1) Lorsque le délinquant est insatisfait de la décision rendue au sujet de son grief par le directeur du pénitencier ou par le directeur de district des libérations conditionnelles, il peut en appeler au commissaire.

 

(2) [Abrogé, DORS/2013-181, art. 3]

 

(3) Le commissaire transmet au délinquant copie de sa décision motivée aussitôt que possible après que le délinquant a interjeté appel.

 

 

Version précédente

 

80.1 L’agent supérieur peut, au nom du commissaire, rendre une décision relativement à un grief présenté en vertu de l’alinéa 75b) ou à un appel interjeté en vertu du paragraphe 80(1) si, à la fois, il :

 

 

a) occupe un poste de niveau égal ou supérieur à celui du sous-ministre adjoint;

 

b) est désigné à cette fin dans les Directives du commissaire soit expressément, soit en fonction du poste qu’il occupe.

 

81.      (1) Lorsque le délinquant décide de prendre un recours judiciaire concernant sa plainte ou son grief, en plus de présenter une plainte ou un grief selon la procédure prévue dans le présent règlement, l’examen de la plainte ou du grief conformément au présent règlement est suspendu jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue dans le recours judiciaire ou que le détenu s’en désiste.

 

(2) Lorsque l’examen de la plainte ou au grief est suspendu conformément au paragraphe (1), la personne chargée de cet examen doit en informer le délinquant par écrit.

 

 

 

82. Lors de l’examen de la plainte ou du grief, la personne chargée de cet examen doit tenir compte :

 

 

a) des mesures prises par les agents et le délinquant pour régler la question sur laquelle porte la plainte ou le grief et des recommandations en découlant;

 

b) des recommandations faites par le comité d’examen des griefs des détenus et par le comité externe d’examen des griefs;

 

c) de toute décision rendue dans le recours judiciaire visé au paragraphe 81(1).

Offender Grievance Procedure

 

 

74.      (1) Where an offender is dissatisfied with an action or a decision by a staff member, the offender may submit a written complaint, preferably in the form provided by the Service, to the supervisor of that staff member.

 

(2) Where a complaint is submitted pursuant to subsection (1), every effort shall be made by staff members and the offender to resolve the matter informally through discussion.

 

(3) Subject to subsections (4) and (5), a supervisor shall review a complaint and give the offender a copy of the supervisor’s decision as soon as practicable after the offender submits the complaint.

 

(4) A supervisor may refuse to review a complaint submitted pursuant to subsection (1) where, in the opinion of the supervisor, the complaint is frivolous or vexatious or is not made in good faith.

 

(5) Where a supervisor refuses to review a complaint pursuant to subsection (4), the supervisor shall give the offender a copy of the supervisor’s decision, including the reasons for the decision, as soon as practicable after the offender submits the complaint.

 

75. Where a supervisor refuses to review a complaint pursuant to subsection 74(4) or where an offender is not satisfied with the decision of a supervisor referred to in subsection 74(3), the offender may submit a written grievance, preferably in the form provided by the Service,

 

(a) to the institutional head or to the director of the parole district, as the case may be; or

 

(b) if the institutional head or director is the subject of the grievance, to the Commissioner.

 

 

 

76.      (1) The institutional head, director of the parole district or Commissioner, as the case may be, shall review a grievance to determine whether the subject-matter of the grievance falls within the jurisdiction of the Service.

 

(2) Where the subject-matter of a grievance does not fall within the jurisdiction of the Service, the person who is reviewing the grievance pursuant to subsection (1) shall advise the offender in writing and inform the offender of any other means of redress available.

 

Previous Version

 

77.      (1) In the case of an inmate’s grievance, where there is an inmate grievance committee in the penitentiary, the institutional head may refer the grievance to that committee.

 

 

(2) An inmate grievance committee shall submit its recommendations respecting an inmate’s grievance to the institutional head as soon as practicable after the grievance is referred to the committee.

 

(3) The institutional head shall give the inmate a copy of the institutional head’s decision as soon as practicable after receiving the recommendations of the inmate grievance committee.

 

78. The person who is reviewing a grievance pursuant to section 75 shall give the offender a copy of the person’s decision as soon as practicable after the offender submits the grievance.

 

79.      (1) Where the institutional head makes a decision respecting an inmate’s grievance, the inmate may request that the institutional head refer the inmate’s grievance to an outside review board, and the institutional head shall refer the grievance to an outside review board.

 

(2) The outside review board shall submit its recommendations to the institutional head as soon as practicable after the grievance is referred to the board.

 

 

(3) The institutional head shall give the inmate a copy of the institutional head’s decision as soon as practicable after receiving the recommendations of the outside review board.

 

 

80.      (1) If an offender is not satisfied with a decision of the institutional head or director of the parole district respecting their grievance, they may appeal the decision to the Commissioner.

 

(2) [Repealed, SOR/2013-181, s. 3]

 

(3) The Commissioner shall give the offender a copy of his or her decision, including the reasons for the decision, as soon as feasible after the offender submits an appeal.

 

Previous Version

 

80.1 A senior staff member may, on the Commissioner’s behalf, make a decision in respect of a grievance submitted under paragraph 75(b) or an appeal submitted under subsection 80(1) if the staff member

 

(a) holds a position equal to or higher in rank than that of assistant deputy minister; and

 

(b) is designated by name or position for that purpose in a Commissioner’s Directive.

 

 

 

 

81.      (1) Where an offender decides to pursue a legal remedy for the offender’s complaint or grievance in addition to the complaint and grievance procedure referred to in these Regulations, the review of the complaint or grievance pursuant to these Regulations shall be deferred until a decision on the alternate remedy is rendered or the offender decides to abandon the alternate remedy.

 

(2) Where the review of a complaint or grievance is deferred pursuant to subsection (1), the person who is reviewing the complaint or grievance shall give the offender written notice of the decision to defer the review.

 

82. In reviewing an offender’s complaint or grievance, the person reviewing the complaint or grievance shall take into consideration

 

(a) any efforts made by staff members and the offender to resolve the complaint or grievance, and any recommendations resulting therefrom;

 

 

(b) any recommendations made by an inmate grievance committee or outside review board; and

 

 

(c) any decision made respecting an alternate remedy referred to in subsection 81(1).

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-119-13

 

INTITULÉ :

BRIAN MACINNES c LE DIRECTEUR DE L’ÉTABLISSEMENT MOUNTAIN ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE

                                                            Québec (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                             LE 4 MARS 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 6 MARS 2014

COMPARUTIONS :

Thomas Engel

Cyrus Haghighi (stagiaire en droit)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Christine Ashcroft

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :  

Engel Law Office

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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