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Date : 20140313

Dossier : T‑2126‑12

Référence : 2014 CF 247

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 mars 2014

En présence de madame la juge McVeigh

 

ENTRE :

 

MUSÉE CANADIEN DES CIVILISATIONS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA et SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE CONSEIL DU TRÉSOR

 

 

défenderesses

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a accepté d’examiner une plainte portée contre la Société du Musée canadien des civilisations (la SMCC ou la partie demanderesse) en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (la LCDP). La décision du commissaire principal par intérim, David Langtry, est datée du 5 septembre 2012 et a été reçue le 25 octobre 2012.

 

I.          Contexte

[2]               La décision à l’examen de la Commission a trait à l’une des deux plaintes déposées par l’Alliance de la fonction publique du Canada (l’AFPC) il y a déjà un certain temps au sujet de cas de discrimination fondée sur le sexe en matière d’équité salariale. La SMCC, qui est partie demanderesse à l’instance, était visée par cette plainte.

 

[3]               La première plainte (la plainte T915/3504, ou plainte no 1) a été déposée en 2000; la SMCC y était désignée comme seule mise en cause. Cette plainte alléguait une iniquité salariale qui aurait commencé en avril 1999 et se serait poursuivie depuis. Les parties ont fini par signer en 2008 un procès‑verbal de transaction prévoyant expressément que la plainte T915/3504 faisait l’objet d’une renonciation.

 

[4]               Une seconde plainte a été déposée par l’AFPC en 2002 (la plainte 20010943 ou plainte no 2). Dans cette plainte, le Conseil du Trésor était désigné comme mis en cause avec 29 (dans certains documents, 28) autres mis en cause. Les mis en cause consistaient en 21 organismes régis par le Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2 (le Code du travail) et en sept autres organismes, y compris la SMCC, relevant de la partie II de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LC 2003, c 22, art 2) (la LRTFP), en plus du Conseil du Trésor (le CT). La plainte no 2 alléguait des cas d’iniquité salariale remontant à mars 1985 et qui se seraient poursuivis depuis. Cette plainte fait l’objet de la décision soumise à la Cour dans laquelle l’AFPC et le CT sont désignés comme codéfendeurs.

 

A.  Contexte législatif

[5]               La LCDP établit le cadre que la Commission doit suivre lors de l’examen des plaintes dont elle est saisie. À la première étape, le paragraphe 41(1) oblige la Commission à statuer sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour un des cinq motifs d’exception qui y sont énumérés. Le paragraphe 41(1) est joint aux présents motifs à titre d’annexe A.

 

B.  Plainte n1 : plainte de l’AFPC portée contre la SMCC

[6]               Le 6 mars 2000, l’AFPC a déposé la plainte n1.

 

[7]               Dans la plainte no 1, l’AFPC affirmait que [traduction] « le nouveau plan d’évaluation des emplois » de la SMCC (le plan Wyatt) s’était traduit par une sous‑rémunération dans le cas des emplois à prédominance féminine en comparaison des emplois équivalents occupés majoritairement par des hommes, ce qui contrevenait aux articles 10 et 11 de la LCDP. Les agissements reprochés à la partie demanderesse, qui remontent à avril 1999 et qui se sont poursuivis depuis, seraient à l’origine de cette plainte.

 

[8]               La plainte no 1 portait sur le plan Wyatt de la SMCC qui avait été établi à la suite de la création de cette dernière en 1990 en tant que société d’État. Le plan avait été mis en œuvre le 10 mars 1998 et était accompagné d’un protocole d’entente signé par les parties. Dans le cadre de ce protocole d’entente, les parties avaient convenu de former un comité chargé de s’assurer que le plan respecte les obligations prévues à l’article 11 de la LCDP ainsi que dans l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale.

 

[9]               La Commission a déféré la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne, mais avant qu’une décision ne soit rendue, un règlement est intervenu entre les parties le 14 mai 2008. Les parties ont conclu un procès‑verbal de transaction et signé une renonciation (la renonciation).

 

[10]           Le procès‑verbal de transaction explique que les parties sont parvenues à un règlement après avoir discuté des questions en litige dans le dossier numéro T915/3504 du Tribunal canadien des droits de la personne. On trouve la renonciation suivante dans le procès‑verbal de transaction :

[traduction]

L’Alliance de la fonction publique du Canada (l’AFPC) décharge le Musée canadien des civilisations et renonce par la présente [...] à toute action, procès, demande et mise en demeure contre lui [...] découlant de l’élaboration ou de la mise en œuvre du plan d’évaluation des emplois Wyatt (le Plan) ou des révisions de ce Plan visées par le procès‑verbal de transaction et [...] dégage notamment le Musée canadien des civilisations de toute réclamation formulée ou qui aurait pu être formulée dans la plainte T915/3504 portée devant le Tribunal canadien des droits de la personne (la plainte).

 

[…]

 

EN CONTREPARTIE DE QUOI, LE RENONCIATEUR garantit et assure qu’il n’a aucune autre réclamation à faire valoir contre le renonciataire en ce qui concerne les questions visées par la présente renonciation complète et finale. Advenant le cas où il formulerait d’autres demandes ou mises en demeure ou présenterait ou menacerait de présenter toute action, demande, instance ou plainte contre le renonciataire en rapport avec les questions visées par la présente renonciation complète et finale, la présente renonciation peut être invoquée comme fin de non‑recevoir pour faire échec totalement aux demandes, mises en demeure, actions, instances ou plaintes en question.

 

C.  Plainte no 2 : plainte de l’AFPC contre le CT et les autres organismes

[11]           La plainte no 2 a été déposée le 9 janvier 2002.

 

[12]           L’AFPC faisait valoir que des employés travaillant pour des « employeurs distincts » avaient également droit à des rajustements salariaux paritaires qui avaient été accordés par le Tribunal canadien des droits de la personne en 1998 aux employées travaillant directement pour le CT. Dans la plainte no 2, l’AFPC alléguait que des employeurs distincts pratiquaient la disparité salariale entre des employés qui exécutaient des fonctions équivalentes. L’AFPC alléguait que les faits à l’origine de la plainte remontaient au 8 mars 1985 et se poursuivaient depuis.

 

[13]           L’enquêteur de la Commission, Girish Parekh, a, dans son rapport du 31 octobre 2003, recommandé que, conformément à l’alinéa 41(1)e) de la LCDP, la Commission statue sur la plainte dont elle était saisie parce que les actes discriminatoires reprochés persistaient. Il a également recommandé, en vertu de l’alinéa 41(1)b), que la Commission attende avant d’instruire la plainte.

 

[14]           Les parties ont déposé des observations complémentaires en réponse au rapport d’octobre 2003. Dans sa décision du 16 mars 2004, la Commission a informé la SMCC qu’elle statuerait sur la plainte en vertu du paragraphe 41(1) de la LCDP, étant donné que les présumés actes discriminatoires persistaient toujours. Toutefois, la Commission a expliqué qu’elle attendrait avant d’instruire la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)b) de la LCDP parce que : (1) la plainte pouvait avantageusement être instruite selon la procédure prévue par la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7; (2) la plaignante avait introduit une action au civil contre le CT dans l’affaire AFPC et Nycole Turmel c Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Suivant la lettre : [traduction] « par conséquent, le dossier est maintenant clos ». La Commission a informé la partie demanderesse qu’elle avait 30 jours pour contester la décision par voie de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

 

[15]           Le 2 février 2011, Fiona Keith (chef d’équipe du Service de règlement) de la Commission a mis les parties au courant de l’évolution du dossier et de sa décision de statuer sur la plainte n2 en précisant ce qui suit :

         la plainte no 2 avait été réactivée le 17 octobre 2008 à la demande de l’AFPC, avant quoi la plainte avait été mise en suspens (non souligné dans l’original) alors que l’AFPC poursuivait devant la Cour fédérale une action dont elle avait fini par se désister le 24 septembre 2008;

         la Commission a cherché à savoir qui étaient les défendeurs actuels en précisant qu’elle demeurait compétente pour statuer sur la plainte portée contre le CT et les employés distincts relevant du Code du travail;

         la Commission a pris acte de l’objection du CT qui demandait à la Commission de ne pas statuer sur la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)e) étant donné que cette plainte remontait à plus d’un an. La Commission a toutefois déclaré qu’elle ne tiendrait pas compte de cette objection puisqu’elle avait déjà décidé, le 16 mars 2004, qu’elle instruirait la plainte en raison du fait que les actes discriminatoires reprochés persistaient.

 

[16]           Dans une autre lettre, la chef d’équipe des services de règlement de la Commission a expliqué à la SMCC la procédure qui serait suivie. Dans le cadre de cette procédure, la SMCC aurait l’occasion de soumettre ses observations au sujet des alinéas 41(1)c) et 41(1)d) de la LCDP, en précisant si l’employeur était le CT, si les employés travaillaient dans le même établissement et si la plaignante avait épuisé ou non les autres recours dont elle disposait.

 

[17]           La lettre précisait les facteurs dont la Commission tiendrait compte pour prendre une décision au sujet du CT en vertu de l’alinéa 41(1)d). On y expliquait par ailleurs qu’on n’aborderait pas le fond de la plainte et que l’examen se limiterait aux questions susmentionnées.

 

[18]           Après avoir reçu les observations des parties, les services de règlement devaient établir un rapport et donner aux parties l’occasion de faire leurs observations par écrit au sujet de ce rapport, à la suite de quoi les observations reçues et une copie du rapport seraient transmises à la Commission pour qu’elle rende sa décision.

 

[19]           La SMCC a répondu le 15 avril 2011 à l’auteur éventuel de la décision, Marion Van de Wetering de la Commission (Division des services de règlement). Dans ses observations écrites, la SMCC exposait son point de vue sur la raison pour laquelle la Commission devait refuser de statuer sur la plainte :

         Elle faisait valoir en premier lieu que la renonciation de mai 2008 faisait complètement obstacle à la plainte, étant donné qu’elle équivalait à une renonciation à faire valoir toute plainte antérieure portant sur la parité salariale;

         Deuxièmement, si l’on concluait que la renonciation ne s’appliquait qu’aux faits survenus depuis avril 1997, la discrimination qui persisterait se serait produite avant 1997 et la plainte serait donc prescrite;

         Troisièmement, le CT et la partie demanderesse sont des employeurs distincts, de sorte que l’on ne peut appliquer à la partie demanderesse les conclusions tirées contre le CT au sujet de problèmes historiques de parité salariale.

 

[20]           Le 12 janvier 2012 ou vers cette date, Glen St. James, chef d’équipe par intérim des services de règlement anticipé des plaintes de la Commission, a informé par lettre la SMCC qu’à la suite de la lettre du 2 février 2011 de cette dernière, un rapport avait été établi en réponse aux questions soulevées en vertu des alinéas 41(1)c) et 41(1)d). Dans cette lettre, la SMCC était invitée à soumettre à Marion Van de Wetering, de la Commission, des observations se limitant aux questions relevant des alinéas 41(1)c) et 41(1)d) de la LCDP. On y précisait que les observations en question devaient être présentées au plus tard le 22 février 2012 et qu’elles seraient soumises à la Commission lorsqu’elle examinerait le rapport et rendrait sa décision.

 

[21]           Dans son premier rapport fondé sur les articles 40 et 41, Marion Van de Wetering, de la Division des services de règlement, recommandait à la Commission de refuser de statuer sur la plainte portée contre la SMCC.

 

[22]           En ce qui concerne la SMCC, elle recommandait à la Commission de refuser d’examiner la plainte parce qu’il semblait que le règlement et la renonciation visaient des questions de parité salariale postérieures à la création de la SMCC et que ces questions auraient pu être soulevées lors des négociations en vue d’un règlement.

 

[23]           La lettre accompagnant le rapport précisait qu’après réception des observations, le rapport serait soumis au commissaire pour qu’il rende une décision au sujet des questions soulevées dans la plainte en vertu des alinéas 41(1)c) et 41(1)d) de la LCDP. On y répétait que la décision finale de la Commission de statuer ou non sur la plainte serait fondée sur le rapport ainsi que sur les observations complémentaires soumises par les parties, qui étaient par ailleurs invitées à formuler leurs observations en les transmettant à Marion Van de Wetering de l’équipe de règlement anticipé des plaintes de la Commission.

 

[24]           Le 16 avril 2012, l’AFPC a répondu au rapport en présentant des observations complémentaires qui reprenaient en grande partie ses observations antérieures. Dans une annexe portant précisément sur la SMCC, l’AFPC se dissociait de la conclusion du rapport suivant laquelle les questions de parité salariale auraient pu être soulevées dans la renonciation. L’AFPC faisait valoir que, d’après le libellé de la renonciation, le règlement intervenu au sujet de l’indemnisation au titre du plan Wyatt ne s’appliquait qu’aux actes faits antérieurs au 1er avril 1997. La période de temps visée par la plainte de janvier 2002 couvrait la période du 1er juillet 1990 au 31 mars 1997, c’est‑à‑dire la période précédant celle visée par la renonciation. L’AFPC affirmait qu’il n’était pas évident et manifeste que la renonciation ne s’appliquait pas.

 

[25]           Dans sa réponse du 6 juillet 2012 aux observations qu’elle avait reçues de l’AFPC le 11 juin 2012, la SMCC a expliqué que sa position demeurait inchangée depuis ses observations du 15 avril 2011. Elle expliquait que la renonciation se voulait une [traduction] « renonciation complète, définitive et sans réserve » et qu’elle faisait totalement obstacle à la plainte de l’AFPC contre la SMCC. Dans ses observations, la SMCC évoquait un autre règlement intervenu dans le dossier T979/9904 qui mentionnait expressément que ce règlement n’avait aucune incidence sur la plainte n2 et précisait que la lettre d’intention signée par les autres parties mentionnait d’autres exceptions à cette plainte. En outre, la SMCC faisait valoir que si l’AFPC voulait que la plainte qu’elle avait déposée en 2002 soit exclue de la renonciation, elle aurait dû faire part de cette demande au cours des négociations, et que l’annexe 1 du procès verbal de règlement prévoyait que la date limite négociée était 2005.

 

[26]           Le CT a soumis le 19 juillet 2012 des observations dans lesquelles il expliquait qu’il souscrivait sans réserve au rapport du 10 janvier 2012.

 

[27]           Le 5 septembre 2012, la Commission a décidé de statuer sur les allégations fondées sur les articles 7, 10 et 11 que l’AFPC avait formulées contre le CT (la SMCC était désignée comme mise en cause avec le CT), mais elle a refusé d’instruire les allégations formulées à titre individuel contre la SMCC en vertu de l’alinéa 41(1)c) de la LCDP.

 

II.        Questions en litige

[28]           Les questions soulevées par la présente demande sont les suivantes :

A. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne vérifiant pas si la plainte portée contre la SMCC avait été déposée après l’expiration du délai prescrit?

B. La Commission a‑t‑elle fait défaut d’examiner les observations du 15 avril 2011 de la SMCC?

C. La décision de la Commission d’instruire la plainte portée contre la SMCC était‑elle raisonnable?

 

III.       Norme de contrôle

[29]           Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle applicable.

 

[30]           La partie demanderesse (la SMCC) affirme que la question soumise à la Cour est celle de savoir si la renonciation rendait la défenderesse irrecevable à poursuivre sa plainte contre la partie demanderesse, ajoutant que cette question est assujettie à la norme de la décision correcte.

 

[31]           La défenderesse (l’AFPC) affirme que la question à trancher porte sur l’examen de la conclusion de la Commission suivant laquelle il n’était pas évident et manifeste que l’alinéa 41(1)d) s’appliquait à la plainte. Elle affirme que cet examen suppose une appréciation des faits, une interprétation de la loi constitutive de la Commission, ainsi qu’un examen de la façon dont la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire, ce qui, à son avis, est une question assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

 

[32]           Les décisions de la Commission d’instruire des plaintes en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Ayangma c Canada (Procureur général), 2012 CAF 213, au paragraphe 56 (Ayangma); Exeter c Canada (Procureur général), 2012 CAF 119, au paragraphe 6 (Exeter); Canada (Procureur général) c Maracle, 2012 CF 105, aux paragraphes 19 à 22 (Maracle)).

 

[33]           Les décisions de la Commission d’instruire des plaintes en vertu de l’alinéa 41(1)e) de la LCDP sont assujetties à la même norme de contrôle (Bredin c Canada (Procureur général), 2008 CAF 360, aux paragraphes 5 et 16; Richard c Canada (Procureur général), 2010 CAF 292, au paragraphe 9).

 

[34]           La partie demanderesse affirme que la question soumise à la Commission en l’espèce équivalait à une question de droit qui l’obligeait à interpréter la renonciation pour déterminer si elle faisait en sorte que la plainte ne relevait plus de la compétence de la Commission, était prescrite, ou avait été présentée de mauvaise foi. La partie demanderesse se fonde sur l’arrêt Keith c Service correctionnel du Canada, 2012 CAF 117 (Keith) pour affirmer que, lorsque l’étendue de la compétence de la Commission est en litige, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

 

[35]           La Cour d’appel fédérale a procédé au contrôle de cette décision en appliquant la norme de contrôle de la décision correcte parce que les questions sous‑jacentes avaient trait au partage des pouvoirs entre le Parlement et les provinces ainsi qu’à la compétence de plusieurs tribunaux administratifs spécialisés concurrents, et que ces questions étaient forcément assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte (Keith, précité, au paragraphe 53).

 

[36]           La norme de contrôle de la décision correcte qui a été appliquée, au paragraphe 53 de l’arrêt Keith, pour contrôler la décision de la Commission de refuser de statuer sur une plainte en vertu de l’alinéa 41(1)c), constitue une exception au principe général susmentionné et ne s’applique pas dans le cas qui nous occupe.

 

[37]           La question soumise à la Commission n’est pas celle de savoir si la plainte de la partie demanderesse était régie par la LCDP – une question ayant trait à la compétence d’organismes en matière de droits de la personne fédéraux et provinciaux concurrents  et elle ne porte pas non plus sur le partage des pouvoirs entre les provinces et le Parlement.

 

[38]           À cette étape‑ci, la Commission n’est pas tenue d’interpréter la portée de la renonciation. À ce stade préliminaire, la Commission procède à un examen préalable des plaintes pour ne retenir que celles qui nécessitent une enquête plus poussée. La Commission n’écarte que les plaintes qui tombent de toute évidence sous le coup d’une des cinq exceptions énumérées au paragraphe 41(1) (Keith, au paragraphe 50; Maracle, aux paragraphes 38 à 41).

 

[39]           Il s’agit de questions mixtes de fait et de droit qui relèvent tout à fait de la compétence de la Commission, de son expertise et des questions dont elle a une connaissance approfondie, et la norme de contrôle applicable est donc celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 51 et 53).

 

[40]           Les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 (Khosa)), ce qui vaut aussi pour la question de savoir si les observations soumises le 15 avril 2012 par la SMCC ont été examinées par la Commission (Ayangma, au paragraphe 56; Exeter, au paragraphe 6).

 

IV.       Analyse

A.  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne vérifiant pas si la plainte portée contre la SMCC avait été présentée après l’expiration du délai prescrit?

[41]           Les objections fondées sur le respect des délais qui sont formulées en vertu de l’alinéa 41(1)e) n’avaient pas été soumises à la Commission en vue de sa décision du 5 septembre 2012. Cette question avait déjà été abordée et tranchée par la Commission.

 

[42]           Dans la lettre du 2 février 2011 qui a eu pour effet de réactiver la plainte, Fiona Keith, chef d’équipe des services de règlement de la Commission, avait informé la SMCC que les objections relatives à l’expiration des délais qui étaient fondées sur l’alinéa 41(1)e) ne seraient pas soumises à la Commission, étant donné que la Commission les avaient déjà tranchées dans sa lettre du 16 mars 2004. En revanche, la Commission invitait la SMCC à faire valoir son point de vue au sujet des alinéas 41(1)c) et 41(1)d) de la LCDP.

 

[43]           Malgré le fait qu’on l’a informée que les objections fondées sur l’expiration des délais ne seraient pas examinées par la Commission, la SMCC a, dans les observations qu’elle a soumises à la Commission le 15 avril 2011, soulevé une objection au sujet du délai dans lequel la plainte avait été présentée et de l’applicabilité de l’alinéa 41(1)e).

 

[44]           Le rapport fondé sur les articles 40 et 41 prenait acte de l’objection formulée au titre de l’alinéa 41(1)e), le 15 avril 2011, par la SMCC et examinait cette objection. Le rapport a rejeté l’objection de la partie demanderesse au motif la question avait déjà été tranchée dans la décision du 16 mars 2004.

 

[45]           L’avocat de la SMCC, Me David Law, avait répondu à la décision du 16 mars 2004 en déclarant que la SMCC n’introduirait pas de demande de contrôle judiciaire de cette décision, mais que, si le dossier était rouvert, la SMCC saisirait la Cour fédérale d’une requête en prorogation de délai. Aucune demande de prorogation de délai de la décision de 2004 n’a été présentée.

 

[46]           Par conséquent, je suis d’accord avec les défenderesses pour dire que la Cour n’est pas saisie de cette question et j’estime que la Commission n’a pas commis d’erreur en n’examinant pas l’objection formulée par la SMCC au titre de l’alinéa 41(1)e).

 

B.  La Commission a‑t‑elle fait défaut d’examiner les observations du 15 avril 2011 de la SMCC?

[47]           La SMCC affirme que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des observations qu’elle a soumises le 15 avril 2011. À l’appui de cet argument, la SMCC signale que le dossier certifié du tribunal ne contenait pas les observations qu’elle a faites le 15 avril 2011 à la Commission.

 

[48]           Je conclus que les observations du 15 avril 2011 de la SMCC ont été examinées et, pour les motifs qui suivent, j’estime que la façon dont elles ont été examinées n’était entachée d’aucune iniquité ou erreur.

 

[49]           La Commission est maître de sa propre procédure lorsqu’il s’agit de décider d’instruire ou non une plainte (Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, au paragraphe 119). La Commission a suivi la procédure qui avait été expliquée à la SMCC et elle n’a donc commis aucune erreur qui justifierait notre intervention.

 

[50]           Dans sa lettre du 2 février 2011 informant la SMCC que la plainte était réactivée, Fiona Keith a expliqué la procédure que la Commission entendait suivre pour rendre sa décision. Dans cette lettre, il était précisé que la Commission n’examinerait pas les objections portant sur l’expiration des délais prévus à l’alinéa 41(1)e).

 

[51]           Les parties ont été invitées à faire valoir leur point de vue au titre des alinéas 41(1)c) et 41(1)d) et on leur a expliqué que les observations qu’elles présenteraient feraient partie du rapport qui serait soumis à la Commission. On leur a expliqué qu’elles auraient l’occasion de commenter le rapport en soumettant d’autres observations par écrit. Une copie du rapport et leurs observations écrites seraient ensuite soumises à la Commission pour qu’elle se prononce finalement sur l’opportunité d’instruire ou non la plainte.

 

[52]           Lorsque la Commission a reçu les observations de l’AFPC le 11 juin 2012, Marion Van de Wetering, conseillère en règlement anticipé, a transmis à la SMCC les observations du 16 avril 2012 de l’AFPC. Dans sa lettre, elle expliquait à la SMCC qu’elle pouvait présenter ses observations qui, avec celles de l’AFPC et le rapport, seraient soumises à la Commission pour examen. Le 6 juillet 2012, la SMCC a déposé ses observations en vue de leur examen.

 

[53]           Des observations ont été formulées le 19 juillet 2012 pour le compte du Secrétariat du Conseil du Trésor, qui affirmait souscrire entièrement aux conclusions tirées par l’enquêteur dans son rapport du 10 juin 2011. Le Secrétariat du Conseil du Trésor se fondait sur ses observations du 14 avril 2011 et du 16 avril 2012 en ce qui concerne ses rapports avec les mis en cause régis par le Code du travail visés par la plainte.

 

[54]           Outre les questions visées à l’alinéa 41(1)d) qui étaient communes à tous les mis en cause, il fallait répondre à la question de savoir si la plainte était frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi, et ce, parce qu’il fallait examiner la renonciation.

 

[55]           Le rapport expliquait que les parties n’avaient pas été invitées à faire valoir leur point de vue sur cette question étant donné qu’elles l’avaient fait sur la question générale visée à l’alinéa 41(1)d). Le rapport précisait que la SMCC pouvait formuler ses observations à ce sujet une fois qu’elle aurait obtenu copie du rapport.

 

[56]           La thèse de la SMCC est que la décision de la Commission d’instruire la plainte signifiait qu’elle n’avait pas examiné les observations du 15 avril 2011. Suivant la SMCC, la Commission n’a besoin d’éléments de preuve supplémentaires pour trancher ce qu’elle qualifie de pure question de droit portant sur la renonciation, ajoutant que la Commission aurait dû procéder à cet examen à l’étape de l’examen préalable. Le fait qu’elle a agi autrement signifie qu’elle n’a pas tenu compte des observations du 15 avril 2011.

 

[57]           La réponse de la SMCC du 6 juillet 2012 fait deux pages. La SMCC déclare qu’elle s’en remet à ses observations antérieures du 15 avril 2011 au sujet de la renonciation.

 

[58]           Dans le rapport, la position de la SMCC est énoncée aux points 190 à 198. La SMCC est désignée comme mise en cause dans le rapport. La position de la SMCC est énoncée avec suffisamment de détails pour qu’on puisse en conclure qu’ils étaient tirés des observations de neuf pages du 15 avril 2011. Mon examen du rapport et des observations du 15 avril 2011 de la SMCC confirme que la position de la SMCC s’inspire directement de ses observations du 15 avril 2011.

 

[59]           Dès lors que la Commission explique brièvement les raisons pour lesquelles elle adopte les recommandations du rapport d’un enquêteur, ce rapport fait partie du raisonnement de la Commission et il est susceptible de contrôle judiciaire selon la même norme de contrôle appelant un degré élevé de déférence (Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, aux paragraphes 37 et 38; Bergeron c Canada (Procureur général), 2013 CF 301, aux paragraphes 28 et 35).

 

[60]           Même si les motifs de la Commission n’étaient pas brefs, le même raisonnement s’applique, étant donné que les observations formulées au fil des ans étaient toutes détaillées et qu’il serait déraisonnable de s’attendre à ce que la Commission les reprenne dans chacune de ces décisions. Dans le cas qui nous occupe, le rapport énonce avec beaucoup de détails les observations du 15 avril 2011 de la SMCC, ce qui dispensait la Commission de les reprendre dans sa décision.

 

[61]           Une autre explication est qu’au début de sa décision, la Commission précise avoir effectivement pris connaissance de tous les documents, y compris la jurisprudence soumise par les parties. Ni la jurisprudence ni les observations n’avaient été matériellement versées au DTC, ce qui s’explique peut‑être par une erreur de typographie lors de la préparation du DTC, ou encore par le fait qu’il n’était pas nécessaire de les verser au dossier, étant donné que l’article 317 des Règles des Cours fédérales parle des « documents ou [...] éléments matériels pertinents quant à la demande, [que la partie] n’a pas [en sa possession] ». Dans le cas qui nous occupe, la SMCC fait allusion à des documents et éléments matériels qui se trouvent en sa possession, étant donné qu’il s’agissait de lettres qu’elle avait envoyées. Les parties auraient pu rectifier cette erreur avant l’ouverture de la présente audience.

 

[62]           J’estime qu’aucun manquement à l’équité procédurale n’a été commis, étant donné que la Commission a tenu compte des observations présentées le 15 avril 2011 par la SMCC.

 

C.  La décision de la Commission d’instruire la plainte portée contre la SMCC était‑elle raisonnable?

 

[63]           Dans le jugement Société canadienne des postes c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (Association canadienne des maîtres de poste et adjoints), [1997] ACF no 578, conf. par [1999] ACF no 705 (CAF) (Société canadienne des postes), le juge Rothstein (alors juge à la Section de première instance de la Cour fédérale) a énoncé le critère juridique applicable, critère que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale continuent d’appliquer dans l’examen de décisions sur des plaintes en vertu du paragraphe 41(1) de la LCDP (Keith, au paragraphe 50; Maracle, aux paragraphes 38 à 41).

 

[64]           La norme à respecter est exigeante et « la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape que dans les cas les plus évidents » (Société canadienne des postes, aux paragraphes 3 et 4).

 

[65]           Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Barrette, [2000] 4 CF 145 (CAF) (Barrette), la Cour d’appel fédérale a jugé que les parties avaient le droit de chercher à obtenir le rejet hâtif des plaintes qui relèvent d’une des exceptions prévues par la Loi. La Commission n’est tenue d’examiner que la question de savoir s’il y a, prima facie, des motifs fondés sur le paragraphe 41(1) et, dans l’affirmative, celle de savoir si elle doit tout de même traiter la plainte (Barrette, aux paragraphes 22 à 25).

 

[66]           La SMCC invite la Commission à rejeter la plainte d’entrée de jeu à cause de l’existence de la renonciation et du procès‑verbal de transaction. Elle invoque les arrêts Barrette et Keith, précités.

 

[67]           Certes, la LCDP confère à la Commission, au paragraphe 44(3), un vaste pouvoir discrétionnaire lui permettant de décider d’écarter une plainte à cette étape ou de la déférer à un tribunal.

 

[68]           La Commission affirme à juste titre que le rôle que lui confie le paragraphe 41(1) consiste à appliquer une norme exigeante lorsqu’il s’agit de rejeter une plainte et de limiter l’exercice d’un tel pouvoir discrétionnaire aux cas où il a été démontré qu’il est évident et manifeste que la plainte ne devrait pas être examinée. La Cour n’interviendra que si cette décision est déraisonnable ou qu’un manquement à l’obligation d’agir avec équité a été commis.

 

[69]           La SMCC soutient que le fait que le présent procès se soit ouvert cinq mois après la signature de la renonciation alors que la correspondance concernant la plainte indiquait que le dossier avait été clos en 2004 fait que la plainte est « vexatoire et entachée de mauvaise foi » et qu’elle devrait être rejetée et ne pas être instruite.

 

[70]           La SMCC plaide qu’une renonciation est un contrat et que [traduction] « les parties qui parviennent à un règlement devraient être tenues de respecter leur entente ». La thèse de la SMCC est qu’une renonciation générale concernant toutes les plaintes déjà déposées en matière de parité salariale en rapport avec le règlement d’une plainte en matière de parité salariale remontant à 2000 doit englober la plainte actuelle étant donné que c’est ce sur quoi porte la renonciation. La SMCC invoque le jugement Exeter c Canada (Procureur général), 2011 CF 86, au paragraphe 12 (Exeter 2) pour affirmer que la Commission peut refuser d’instruire une plainte en vertu des alinéas 41(1)d) et 41(1)e).

 

[71]           Je constate, bien que les parties ne l’ait pas relevé, que le procès‑verbal de transaction a été approuvé par la Commission en vertu de l’article 48 de la LCDP le 28 mai 2008. Comme la Commission a approuvé la renonciation, elle dispose probablement maintenant de renseignements plus précis.

 

[72]           La SMCC affirme que le fait de faire exécuter une renonciation incarne la raison d’être du principe de l’autorité de la chose jugée et de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige. Elle invoque à cet égard l’arrêt Apotex Inc c Merck and Co, 2002 CAF 210, aux paragraphes 26 à 29. Encourager les parties à régler leurs différends et à respecter la renonciation qu’elles ont signée revêt un grand intérêt pour le public.

 

[73]           Dans sa décision, la Commission explique qu’elle peut examiner des questions complexes si elle dispose d’un dossier suffisant, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

[74]           La Commission a conclu qu’il n’était pas évident et manifeste que les allégations à l’origine de la plainte dont elle était saisie étaient visées par la renonciation, ce qui n’empêchait donc pas l’AFPC de faire examiner la plainte no 2.

 

[75]           J’estime que la Commission a appliqué de façon raisonnable les principes en question, et ce, pour les motifs qui suivent.

 

[76]           La Commission a fondé sa conclusion sur les constatations qu’elle avait formulées au sujet du libellé de la renonciation elle‑même et sur son examen du dossier qui lui était soumis. La clause générale de la renonciation qui libérait la SMCC [traduction] « de toute réclamation formulée ou qui aurait pu être formulée dans la plainte T915/3504 soumise au Tribunal canadien des droits de la personne » laissait ouverte la question de savoir si les allégations contenues dans la plainte 20010943 dont la Commission était saisie auraient pu étant donné qu’il n’en est pas fait mention dans la renonciation et qu’elles avaient déjà été formulées.

 

[77]           Plus précisément, la Commission a conclu ce qui suit :

[traduction]

Le dossier dont dispose présentement la Commission ne traite pas à fond de la question. Par exemple, les parties n’ont pas dit si et, dans l’affirmative, comment les allégations actuelles auraient pu être formulées dans la plainte T915/3504 si le Conseil du Trésor n’était pas partie à cette plainte. Pour ces motifs, il n’est pas évident et manifeste que l’AFPC devrait être irrecevable à cette étape préliminaire à présenter sa plainte contre la SMCC en raison de la renonciation. Au cours de l’enquête, les parties peuvent soumettre des renseignements et des observations complémentaires au sujet des conséquences de la renonciation et de ses éventuelles répercussions sur le Conseil du Trésor en tant que partie à la présente plainte.

 

[78]           Lorsque les négociations ont été entamées en 2008 au sujet de la renonciation, les deux parties étaient au courant de l’état d’avancement de la plainte et elles savaient qu’aucune décision n’avait encore été rendue au sujet des autres exceptions prévues au paragraphe 41(1). Par conséquent, lorsque la renonciation a été signée, la Commission était toujours saisie de la plainte et il était loisible à l’une ou l’autre partie de négocier pour que soit explicitement mentionnée la plainte en question dans la renonciation.

 

[79]           La Cour d’appel fédérale a jugé qu’une renonciation constitue un facteur pertinent lorsqu’il s’agit de se prononcer sur le caractère raisonnable de la décision de la Commisison d’instruire ou non une plainte (Exeter, précité, aux paragraphes 25 et 34). À mon avis, la renonciation constituait un facteur pertinent dont la Commission a tenu compte pour tirer sa conclusion, laquelle reposait sur des constatations raisonnables tirées par la Commission au sujet de la renonciation. La Commission ne s’est pas prononcée sur la validité de la renonciation, étant donné qu’il ne s’agissait que d’une étape préalable et que cette question devait faire l’objet d’une enquête plus approfondie.

 

[80]           La plainte no 1 et la plainte n2 sont des plaintes distinctes. Bien que l’égalité salariale entre hommes et femmes soit en cause dans les deux plaintes, chacune porte sur des actes discriminatoires distincts visant des périodes de temps différentes et des mis en cause différents.

 

[81]           La Commission a rendu une décision raisonnable en concluant pas qu’il n’était pas évident et manifeste que la renonciation s’appliquait à la plainte n2 qui avait été réactivée. On trouve dans l’analyse qui suit, qui porte sur le CT, d’autres arguments à l’appui de cette conclusion.

 

[82]           La Commission a fait observer que, comme le CT était désigné comme mis en cause dans seulement une des deux plaintes, il était possible que les prétentions à l’origine de la plainte dont elle était saisie ne soient pas abordées dans la plainte faisant l’objet de la renonciation. La Commission a conclu que le dossier soumis par les parties n’abordait pas cette possibilité et qu’il s’agissait par conséquent d’un sujet qui pouvait être examiné au cours d’une enquête.

 

[83]           La plainte no 1 désigne la SMCC comme seule mise en cause et allègue que l’adoption du nouveau plan d’évaluation des emplois de la SMCC qui a été mis en œuvre pour la première fois en 1997 s’était traduite par une sous‑rémunération dans le cas des emplois à prédominance féminine en comparaison des emplois équivalents occupés majoritairement par des hommes, ce qui contrevenait aux articles 10 et 11 de la LCDP. Les agissements reprochés à la SMCC, qui remonteraient à avril 1999 et se seraient poursuivis depuis, sont à l’origine de la plainte.

[84]           Dans la plainte n2, le CT était désigné comme mis en cause avec 29 (initialement) autres mis en cause. Dans cette plainte, l’AFPC faisait valoir (1) que des employés travaillant pour des « employeurs distincts » du CT avaient également droit à des rajustements salariaux paritaires qui avaient été accordés par le Tribunal canadien des droits de la personne en 1998 aux employées travaillant directement pour le CT, et (2) que les employeurs pratiquaient la disparité salariale entre des employés qui exécutaient des fonctions équivalentes. Dans cette plainte, les faits à l’origine de la plainte remontaient au 8 mars 1985 et persistaient encore.

 

[85]           Les faits à l’origine des plaintes en question ne sont pas semblables à ceux de l’affaire Exeter, où une seule plainte était en litige et où la renonciation ne visait qu’une seule personne et englobait les mêmes périodes de temps que celles visées par la plainte (Exeter 2, précitée, aux paragraphes 2, 6 et 7). Les faits de cette affaire se distinguent de ceux de la présente espèce.

 

[86]           La SMCC affirme que la Commission a mis totalement fin à la plainte no 2 par la lettre du 16 mars 2004 qu’elle a adressée aux parties. Contrairement à ce que la SMCC prétend, lorsqu’on examine attentivement la lettre en question ainsi que celles que les parties se sont par la suite échangées, on constate à l’évidence que la Commission avait décidé d’instruire la plainte en vertu du paragraphe 41(1), étant donné que [traduction] « les présumés actes discriminatoires persisteraient depuis longtemps ». En 2004, la Commission a décidé, en vertu de l’alinéa 41(1)b), de refuser d’examiner la plainte à ce moment‑là pour les raisons suivantes :

         La plainte pourrait avantageusement être instruite selon des procédures prévues par une autre loi fédérale, c’est‑à‑dire la Loi sur les Cours fédérales;

         La plaignante avait introduit une action civile contre le CT et l’AFPC dans l’affaire Nycole Turmel c Sa Majesté la Reine du chef du Canada;

         Par conséquent, le dossier est maintenant clos.

 

 

[87]           Il y a lieu de s’inquiéter du fait que la lettre mentionne que le dossier est clos au lieu de dire que l’affaire a été mise en suspens. Mais, dans des lettres ultérieures, comme celle du 2 février 2011 écrite par le Commissaire aux parties, on trouve le passage suivant : [traduction] « la Commission a décidé de mettre la plainte en suspens [...] » et dans les observations qu’il a soumises à la SMCC, Me David Law écrit que la décision d’introduire une demande de contrôle judiciaire est reportée jusqu’à ce que la plainte soit tranchée de façon définitive, tout en précisant que si la plainte est rouverte, une demande sera présentée en vue de faire proroger le délai imparti pour saisir la Cour fédérale d’une demande au sujet de la décision rendue concernant le respect des délais. Il est raisonnable de conclure que le dossier n’est pas tout à fait clos, mais qu’il a été mis en suspens en attendant que d’autres procédures se déroulent, et ce, malgré le fait qu’une décision définitive avait déjà été rendue en ce qui concerne le respect des délais.

 

[88]           Il était raisonnable de la part de la Commission de conclure qu’il n’était pas évident et manifeste que ce dossier complexe de longue date devait être écarté sans enquête plus approfondie.

 

[89]           Compte tenu de ces différences, la conclusion de la Commission suivant laquelle il n’était pas évident et manifeste que les allégations contenues dans la plainte dont elle était saisie auraient pu être formulées dans la plainte qui avait été soumise au tribunal et mentionnées dans la renonciation constitue une conclusion raisonnable qui n’est pas entachée de mauvaise foi.

 

[90]           La Commission a conclu que les allégations fondées sur les articles 7 et 10 de la plainte dont elle était saisie semblaient avoir une portée plus large que la plainte de discrimination salariale et qu’elle pouvait révéler l’existence d’une allégation de pratique interdite.

 

[91]           La Commission a conclu, au vu du dossier dont elle était saisie, qu’il n’était pas évident et manifeste que la SMCC n’était pas un co‑employeur nommé par le CT dans la plainte et que cette question pouvait être présentée en vertu du sous‑alinéa 44(3)b)(ii). La Commission a décidé, en vertu de l’alinéa 41(1)c) de la LCDP, de refuser d’examiner le volet de la plainte portée contre la SMCC qui était fondé sur l’article 11.

 

[92]           La présente affaire comporte une foule de questions et, à la présente étape préalable, il n’est pas évident et manifeste que la renonciation englobe la plainte no 2 ou même qu’elle pourrait l’englober, puisque les parties aux deux plaintes ne sont pas les mêmes.

 

[93]           La renonciation ne contient aucune mention explicite de la présente plainte et la Commission a estimé que son libellé ne permettait pas de savoir si la présente plainte était visée par la renonciation. La partie demanderesse ne m’a pas convaincue que, dans ces conditions, la décision de la Commission était déraisonnable.

 

[94]           À l’étape de l’enquête approfondie, il sera possible de déterminer pourquoi la Commission a affirmé que le dossier était clos plutôt qu’en suspens. Il s’agit de questions complexes et les deux parties étaient bien représentées lorsque la renonciation a été signée et le règlement approuvé par la Commission, comme l’exige la LCDP.

 

[95]           En somme, je ne puis conclure que la décision est déraisonnable. La Commission a appliqué le bon critère, a tenu compte de tous les éléments de preuve et observations que la partie demanderesse lui avait soumis et a rendu une décision qui « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Aucune erreur justifiant notre intervention n’a été commise.

 

[96]           Les parties se sont vues accorder la possibilité de se prononcer au sujet des dépens, mais elles n’ont pas réussi à s’entendre.

 

[97]           Le CT n’ayant pas demandé de dépens, aucuns dépens ne lui seront par conséquent accordés.

 

[98]           J’accorde à la défenderesse, l’AFPC, les dépens, lesquels devront être calculés en fonction du tarif B, colonne III, et devront être payés sur‑le‑champ.


JUGEMENT

 

            LA COUR :

1.         REJETTE la présente demande;

2.         ADJUGE à la défenderesse, l’AFPC, les dépens, lesquels devront être calculés en fonction du tarif B, colonne III, et devront être payés sur‑le‑champ.

 

 

« Glennys L. McVeigh »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑2126‑12

 

INTITULÉ :                                      Musée canadien des civilisations c AFPC et autre

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 5 septembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            La juge McVeigh

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 13 mars 2014

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kirsten Crain

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Andrew Raven

 

POUR LA DÉFENDERESSE, L’AFPC

Zoe Oxaal

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE CONSEIL DU TRÉSOR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BORDEN LADNER GERVAIS SRL

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

RAVEN, CAMERON, BALLANTYNE & YAZBECK SRL

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE, l’AFPC

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE CONSEIL DU TRÉSOR

 

 

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